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Date : 20051005

Dossier : IMM-1545-05

Référence : 2005 CF 1352

Halifax (Nouvelle-Écosse), le 5 octobre 2005

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE DAWSON

ENTRE :

JOTHIRAVI SITTAMPALAM

demandeur

et

LE SOLLICITEUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LA JUGE DAWSON

[1]         M. Jothiravi Sittampalam est citoyen du Sri Lanka; il est venu au Canada en 1990 et il a obtenu le statut de réfugié au sens de la Convention. Depuis, il a obtenu le statut de résident permanent au Canada où, par la suite, il a été déclaré coupable des infractions suivantes : le 24 janvier 1992, manquement à un engagement; le 8 juillet 1996, trafic d'héroïne; le 18 février 1998, entrave au travail d'un policier. Lors d'une enquête, M. Sittampalam a reconnu que, en raison de sa déclaration de culpabilité pour trafic de drogue, il était interdit de territoire au Canada pour grande criminalité aux termes du texte constituant l'actuel alinéa 36(1)a) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi). Lors de la deuxième enquête, il a été déclaré interdit de territoire pour criminalité organisée aux termes de l'alinéa 37(1)a) de la Loi. Un tribunal de la Section de l'immigration de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu qu'il était membre de la bande AK Kannon, considérée comme une organisation qui se livre à des activités faisant partie d'un plan d'activités criminelles, plus précisément définies à l'alinéa 37(1)a) de la Loi.

[2]         M. Sittampalam a été arrêté et détenu le 18 octobre 2001, le jour même où ont été détenues de nombreuses autres personnes dans le cadre d'un projet conjoint entre les fonctionnaires de l'immigration et le service de police de Toronto. Il était allégué que les personnes détenues étaient membres de bandes tamoules à Toronto, ou liées à elles. Les deux bandes principales seraient la bande AK Kannon et la bande VVT, cette dernière étant le sigle du village de Valvettithurai où un bon nombre de ses membres sont nés.

[3]         M. Sittampalam a eu droit à un certain nombre de contrôles de sa détention. Par deux fois, il a été ordonné qu'il soit mis en liberté sous certaines conditions; cependant, ces deux ordonnances ont été annulées par la Cour. Il demande maintenant le contrôle judiciaire de la décision du 22 février 2005 dans laquelle la Commission a conclu que sa détention devait être maintenue.

LA DÉCISION DE LA COMMISSION

[4]         L'article 58 de la Loi se lit comme suit :

58(1) La section prononce la mise en liberté du résident permanent ou de l'étranger, sauf sur preuve, compte tenu des critères réglementaires, de tel des faits suivants :

58(1) The Immigration Division shall order the release of a permanent resident or a foreign national unless it is satisfied, taking into account prescribed factors, that

a) le résident permanent ou l'étranger constitue un danger pour la sécurité publique;

(a) they are a danger to the public;

b) le résident permanent ou l'étranger se soustraira vraisemblablement au contrôle, à l'enquête ou au renvoi, ou à la procédure pouvant mener à la prise par le ministre d'une mesure de renvoi en vertu du paragraphe 44(2);

(b) they are unlikely to appear for examination, an admissibility hearing, removal from Canada, or at a proceeding that could lead to the making of a removal order by the Minister under subsection 44(2);

c) le ministre prend les mesures voulues pour enquêter sur les motifs raisonnables de soupçonner que le résident permanent ou l'étranger est interdit de territoire pour raison de sécurité ou pour atteinte aux droits humains ou internationaux;

(c) the Minister is taking necessary steps to inquire into a reasonable suspicion that they are inadmissible on grounds of security or for violating human or international rights; or

d) dans le cas où le ministre estime que l'identité de l'étranger n'a pas été prouvée mais peut l'être, soit l'étranger n'a pas raisonnablement coopéré en fournissant au ministre des renseignements utiles à cette fin, soit ce dernier fait des efforts valables pour établir l'identité de l'étranger.

(d) the Minister is of the opinion that the identity of the foreign national has not been, but may be, established and they have not reasonably cooperated with the Minister by providing relevant information for the purpose of establishing their identity or the Minister is making reasonable efforts to establish their identity.

58(2) La section peut ordonner la mise en détention du résident permanent ou de l'étranger sur preuve qu'il fait l'objet d'un contrôle, d'une enquête ou d'une mesure de renvoi et soit qu'il constitue un danger pour la sécurité publique, soit qu'il se soustraira vraisemblablement au contrôle, à l'enquête ou au renvoi.

58(2) The Immigration Division may order the detention of a permanent resident or a foreign national if it is satisfied that the permanent resident or the foreign national is the subject of an examination or an admissibility hearing or is subject to a removal order and that the permanent resident or the foreign national is a danger to the public or is unlikely to appear for examination, an admissibility hearing or removal from Canada.

58(3) Lorsqu'elle ordonne la mise en liberté d'un résident permanent ou d'un étranger, la section peut imposer les conditions qu'elle estime nécessaires, notamment la remise d'une garantie d'exécution.

58(3) If the Immigration Division orders the release of a permanent resident or a foreign national, it may impose any conditions that it considers necessary, including the payment of a deposit or the posting of a guarantee for compliance with the conditions.

[5]         Comme les alinéas c) et d) de la Loi n'étaient pas applicables aux faits de l'espèce, la Commission s'est penchée sur les deux questions suivantes : si M. Sittampalam était mis en liberté, constituerait-il un danger pour le public? En outre, se soustrairait-t-il vraisemblablement au renvoi?

[6]         Sur cette dernière question, la Commission a fait état des éléments suivants : M. Sittampalam a été déclaré coupable de manquement à un engagement et d'entrave au travail d'un policier; il était au Canada depuis 15 ans, où il a des liens familiaux étroits; il avait obtenu le statut de réfugié au sens de la Convention; dans une décision antérieure, un autre commissaire avait conclu qu'il n'avait pas de crédibilité. Ces faits ont amené la Commission à conclure que la simple promesse de M. Sittampalam de se présenter à son renvoi ne pouvait la convaincre que, le cas échéant, il tiendrait parole. Cependant, le tribunal de la Commission était prêt à accepter, comme un certain nombre de ses prédécesseurs auparavant, que les cautionnements offerts au nom de M. Sittampalam dissiperaient ses réserves à cet égard.

[7]         Sur la question du danger, la Commission a reconnu que l'alinéa 244b) et les articles 246 et 248 du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés(DORS/2002-227) (le Règlement), étaient pertinents. Ils se lisent comme suit :

244 Pour l'application de la section 6 de la partie 1 de la Loi, les critères prévus à la présente partie doivent être pris en compte lors de l'appréciation :

244 For the purposes of Division 6 of Part 1 of the Act, the factors set out in this Part shall be taken into consideration when assessing whether a person

[...]

[...]

b) du danger que constitue l'intéressé pour la sécurité publique;

(b) is a danger to the public;

[...]

246 Pour l'application de l'alinéa 244b), les critères sont les suivants :

246 For the purposes of paragraph 244(b), the factors are the following:

a) le fait que l'intéressé constitue, de l'avis du ministre aux termes de l'alinéa 101(2)b), des sous-alinéas 113d)(i) ou (ii) ou des alinéas 115(2)a) ou b) de la Loi, un danger pour le public au Canada ou pour la sécurité du Canada;

(a) the fact that the person constitutes, in the opinion of the Minister, a danger to the public in Canada or a danger to the security of Canada under paragraph 101(2)(b), subparagraph 113(d)(i) or (ii) or paragraph 115(2)(a) or (b) of the Act;

b) l'association à une organisation criminelle au sens du paragraphe 121(2) de la Loi;

(b) association with a criminal organization within the meaning of subsection 121(2) of the Act;

c) le fait de s'être livré au passage de clandestins ou le trafic de personnes;

(c) engagement in people smuggling or trafficking in persons;

d) la déclaration de culpabilité au Canada, en vertu d'une loi fédérale, quant à l'une des infractions suivantes :

(d) conviction in Canada under an Act of Parliament for

(i) infraction d'ordre sexuel,

(i) a sexual offence, or

(ii) infraction commise avec violence ou des armes;

(ii) an offence involving violence or weapons;

e) la déclaration de culpabilité au Canada quant à une infraction visée à l'une des dispositions suivantes de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances :

(e) conviction for an offence in Canada under any of the following provisions of the Controlled Drugs and Substances Act, namely,

(i) article 5 (trafic),

(i) section 5 (trafficking),

(ii) article 6 (importation et exportation),

(ii) section 6 (importing and exporting), and

(iii) article 7 (production);

(iii) section 7 (production);

f) la déclaration de culpabilité ou la mise en accusation à l'étranger, quant à l'une des infractions suivantes qui, si elle était commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale :

(f) conviction outside Canada, or the existence of pending charges outside Canada, for an offence that, if committed in Canada, would constitute an offence under an Act of Parliament for

(i) infraction d'ordre sexuel,

(i) a sexual offence, or

(ii) infraction commise avec violence ou des armes;

(ii) an offence involving violence or weapons; and

g) la déclaration de culpabilité ou la mise en accusation à l'étranger de l'une des infractions suivantes qui, si elle était commise au Canada, constituerait une infraction à l'une des dispositions suivantes de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances :

(g) conviction outside Canada, or the existence of pending charges outside Canada, for an offence that, if committed in Canada, would constitute an offence under any of the following provisions of the Controlled Drugs and Substances Act, namely,

(i) article 5 (trafic),

(i) section 5 (trafficking),

(ii) article 6 (importation et exportation),

(ii) section 6 (importing and exporting), and

(iii) article 7 (production).

(iii) section 7 (production).

[...]

[...]

248 S'il est constaté qu'il existe des motifs de détention, les critères ci-après doivent être pris en compte avant qu'une décision ne soit prise quant à la détention ou la mise en liberté :

248 If it is determined that there are grounds for detention, the following factors shall be considered before a decision is made on detention or release:

a) le motif de la détention;

(a) the reason for detention;

b) la durée de la détention;

(b) the length of time in detention;

c) l'existence d'éléments permettant l'évaluation de la durée probable de la détention et, dans l'affirmative, cette période de temps;

(c) whether there are any elements that can assist in determining the length of time that detention is likely to continue and, if so, that length of time;

d) les retards inexpliqués ou le manque inexpliqué de diligence de la part du ministère ou de l'intéressé;

(d) any unexplained delays or unexplained lack of diligence caused by the Department or the person concerned; and

e) l'existence de solutions de rechange à la détention.

(e) the existence of alternatives to detention.

[8]         La Commission s'est alors penchée sur les facteurs énumérés dans l'article 246 du Règlement, et elle a signalé que M. Sittampalam était visé par l'alinéa 246e) en raison de la déclaration de culpabilité pour trafic prononcée contre lui en 1996, et était visé par l'alinéa 246b) en raison de sa qualité de membre d'une organisation criminelle, la bande AK Kannon. La Commission a considéré que la déclaration de culpabilité relative à l'infraction de trafic remontait à plus de huit ans, et elle s'est dite d'avis que, s'il n'y avait eu que ce seul facteur, elle aurait pu admettre que M. Sittampalam ne constituait plus un danger pour le public. Cependant, la Commission a conclu que le deuxième facteur était beaucoup plus préoccupant. Selon la preuve produite devant la Commission, M. Sittampalam était non seulement lié à une organisation criminelle, mais il était membre de la bande AK Kannon et l'on disait même qu'il en était le fondateur.

[9]         La Commission a examiné ce qu'avait dit M. Sittampalam à la police, c'est-à-dire qu'il pensait que les membres d'une bande rivale avaient tenté de le tuer en guise de représailles pour ses activités à titre de membre de sa bande. En outre, la preuve produite devant la Commission établissait que les membres de la bande AK Kannon s'étaient servis d'armes à feu en commettant des infractions, avaient menacé de mort, enlevé et séquestré des personnes et en avaient menacé à la pointe du fusil. Dans une déposition antérieure, le détective Fernandes, du service de police de Toronto, avait déclaré que les bandes tamoules se livraient à des activités criminelles comme la possession d'armes, les vols de voitures, les voies de fait, l'extorsion, la fraude relative aux cartes de crédit et de débit.

[10]       La Commission a conclu que, en qualité de membre et de chef de la bande AK Kannon, M. Sittampalam était une personne constituant un danger pour le public.

[11]       La Commission s'est ensuite penchée sur les observations de l'avocat de M. Sittampalam selon lesquelles celui-ci avait été détenu pendant plus de trois ans et demi et que, avec le temps, la situation avait beaucoup changé et qu'il ne constituait plus un danger pour le public, même si cela avait été le cas en 2001 lorsqu'il avait été mis en détention pour la première fois. À cet égard, la Commission s'est appuyée sur le témoignage du détective Fernandes, selon qui, si la bande AK Kannon n'avait pas beaucoup fait parler d'elle sur le terrain depuis 2001, elle existait toujours et un membre de la bande AK Kannon avait été arrêté relativement à des infractions visant les armes en janvier 2003. Le détective Fernandes avait déclaré au cours de sa déposition qu'il croyait que la raison pour laquelle la bande AK Kannon n'était pas aussi active qu'auparavant était qu'elle n'avait plus de chef puisque M. Sittampalam était en détention.

[12]       Le détective Fernandes n'avait plus eu d'échos sur le terrain indiquant que M. Sittampalam se livrait à des activités de criminalité organisée; cependant, la Commission n'a pas conclu de ces éléments d'information que celui-ci n'était plus mêlé aux activités de sa bande et qu'il n'avait plus l'intention de s'y livrer. La Commission n'a pas non plus admis que M. Sittampalam n'avait pas l'intention d'exercer des représailles, ni de reprendre sa place comme chef de la bande AK Kannon, simplement parce que le détective Fernandes n'avait entendu aucun écho sur le terrain allant en ce sens. De même, la Commission a conclu que, même si le détective Fernandes n'avait entendu aucun écho sur le terrain au sujet d'autres tentatives d'assassinat visant M. Sittampalam, la Commission ne pouvait pas conclure qu'il ne courait plus aucun danger. La Commission a signalé que, avec le maintien en détention de M. Sittampalam, il serait plus difficile de l'assassiner.

[13]       La Commission a conclu qu'il y avait des preuves crédibles indiquant que la tentative d'assassinat perpétrée contre M. Sittampalam était due à ses agissements à titre de membre de sa bande et que cette tentative ayant échoué, il y en avait eu une deuxième. Se fondant sur cette preuve, la Commission a conclu que cela semblait bien montrer que les personnes ayant commis des tentatives d'assassinat contre M. Sittampalam étaient déterminées à le tuer.

[14]       L'avocat de M. Sittampalam a fait valoir que celui-ci avait eu sa leçon; cependant, selon la Commission, ce n'est pas parce que M. Sittampalam le prétendait que cela était forcément vrai. Par le passé, on avait conclu que M. Sittampalam n'avait pas de crédibilité et, s'il avait déjà fait de la prison, cela n'avait pas changé sa vie. La Commission a pris note du fait M. Sittampalam avait alors une famille, mais elle a signalé qu'il avait poursuivi ses activités criminelles après s'être marié et avoir eu un enfant.

[15]       La Commission a conclu qu'il y avait suffisamment de preuves pour conclure que M. Sittampalam continuait à se livrer à des activités criminelles à titre de chef de la bande AK Kannon. La police, les tribunaux et la Commission ont conclu que cette organisation a été mêlée à des activités criminelles comme les voies de fait, les infractions visant les armes, le vol, la fraude et les enlèvements. M. Sittampalam, en qualité de chef de cette organisation criminelle, était une personne dangereuse pour le public canadien. Les cautionnements offerts afin de faire mettre en liberté M. Sittampalam n'ont pas dissipé les préoccupations de la Commission au sujet du danger pour le public constitué par M. Sittampalam, et la Commission a choisi de ne pas ordonner la mise en liberté de M. Sittampalam.

LA NORME DE CONTRÔLE

[16]       Dans la décision Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Thanabalasingham, [2004] 3 R.C.F. 523 (C.F.), ma collègue la juge Gauthier, après avoir effectué une analyse pragmatique et fonctionnelle concernant les décisions de la Commission, a statué que la norme de la décision manifestement déraisonnable devait s'appliquer aux questions de fait, celle de la décision correcte aux questions de droit et, en ce qui concerne les questions mixtes de fait et de droit, la norme devait dépendre du dosage entre les faits et le droit dans la question en jeu.

[17]       Par la suite, la Cour d'appel a statué dans cette cause que la juge Gauthier avait bien eu recours aux normes de contrôle applicables aux conclusions de la Commission (voir au paragraphe 24 de l'arrêt publié : [2004] 3 R.C.F. 572). Ces normes ont été ultérieurement appliquées par mon collègue le juge Blais dans sa décision concernant M. Sittampalam, publiée : [2004] A.C.F. no 2152 (voir aux paragraphes 10 et 11).

[18]       Telles sont les normes que je vais appliquer en l'espèce.

APPLICATION DE LA NORME DE CONTRÔLE À LA DÉCISION DE LA COMMISSION

[19]       Dans l'arrêt Thanabalasingham, précité, la Cour d'appel fédérale a pris en compte la nature du contrôle de la détention devant la Commission et formulé les principes suivants. Premièrement, avec ce genre de contrôle, il ne s'agit pas, à proprement parler, d'une audition de novo. La constitution du dossier de la Commission se fait de manière continue au fil des audiences et celle-ci est censée prendre en compte les motifs pour lesquels les ordonnances précédentes ont été rendues. Deuxièmement, la Commission doit décider à nouveau, à chaque contrôle, si le maintien de la détention est justifié. Troisièmement, si un commissaire choisit de ne pas suivre les décisions rendues antérieurement par la Commission, il doit invoquer des motifs clairs et convaincants pour ce faire. Quatrièmement, c'est toujours au ministre qu'il incombe d'établir qu'il y a des motifs justifiant la détention ou le maintien en détention. Cependant, lorsque le ministre a présenté une preuve prima facie en faveur du maintien de la détention, l'intéressé doit produire des éléments de preuve en réponse, sinon il risque le maintien de sa détention.

[20]       Au cours des débats à l'audience, je n'ai pas eu l'impression que l'avocate de M. Sittampalam soutenait que la Commission avait violé ces principes. Ses arguments ont plutôt porté sur le fait que, selon elle, la Commission avait commis une erreur parce qu'elle avait tiré sa conclusion en ne tenant pas compte d'éléments de preuve pertinents et en tirant des conclusions qui n'étaient pas étayées par la preuve.

[21]       À cet égard, la Commission a conclu que le détective Fernandes était un témoin crédible. Cependant, ayant attentivement examiné la transcription de sa déposition, je conviens que c'est à bon droit que l'avocate de M. Sittampalam a fait valoir que la Commission n'avait pas fait mention des éléments suivants du témoignage du détective Fernandes :

            •            il avait déclaré auparavant que la bande AK Kannon avait pour ainsi dire disparu et qu'elle était devenue inactive. Lors de l'audience en cause, il a déclaré dans sa déposition que [TRADUCTION] « il y a eu quelques incidents qui se sont produits [...] de manière sporadique et la plupart du temps nous n'entendons pas beaucoup parler de la bande AK Kannon » . Il n'a été mentionné que deux incidents récents auxquels des membres de la bande AK Kannon avaient été mêlés individuellement;

            •            un certain nombre de membres de la bande AK Kannon avaient été arrêtés en octobre 2001, notamment [TRADUCTION] « un bon nombre » de ses membres importants. Certains d'entre eux avaient été par la suite mis en liberté à condition qu'ils ne soient pas en rapports avec quiconque dans la bande, et aucun cas de violation n'avait été signalé à la police;

            •            l'inactivité de la bande AK Kannon pouvait s'expliquer autant par l'état d'abandon de la bande que par le maintien en détention de M. Sittampalam;

            •            quelque temps avant sa détention, M. Sittampalam avait essayé de quitter la bande;

            •            dans l'hypothèse où M. Sittampalam serait mis en liberté, le détective Fernandes ne pensait pas qu'il recommencerait et reconstituerait à nouveau la bande AK Kannon;

            •            M. Sittampalam avait dit au détective qu'il ne se livrait plus à des actes de violence; il s'était borné à des actes de fraude relative aux cartes de débit et de crédit;

            •            de nombreux membres de la bande avaient dit au détective qu'ils avaient tourné le dos à la violence et qu'ils s'étaient reconvertis dans la fraude;

            •            en ce qui concerne les tentatives d'assassinat perpétrées contre M. Sittampalam, l'une des personnes impliquées avait été expulsée au Sri Lanka et les autres étaient en détention relativement à des affaires graves. Cela expliquait qu'il n'y avait plus de rumeurs sur le terrain au sujet de l'existence de menaces persistant à l'endroit de M. Sittampalam.

[22]       Ces éléments de preuve étaient directement pertinents quant à la question de savoir si la détention de M. Sittampalam avait duré suffisamment pour dissiper le danger qu'il avait constitué pour le public. La Commission s'est appuyée sur le témoignage du détective Fernandes quand il a dit que la bande AK Kannon n'était pas active parce que son chef était en prison, et pourtant, elle a été muette sur le fait qu'il avait aussi déclaré que cette inactivité pouvait également s'expliquer par l'état d'abandon de la bande.

[23]       Vu l'importance et la pertinence des parties du témoignage du détective Fernandes que la Commission n'a pas mentionnées, je suis convaincue que la Commission a tiré ses conclusions de fait relatives à la question du danger sans tenir compte de la preuve qui avait été produite et qu'elles étaient donc manifestement déraisonnables.

[24]       Cela ne veut pas dire que les conclusions en cause étaient forcément incorrectes, mais simplement que la Commission n'a pas fait une analyse et une évaluation correcte de la preuve lui permettant de les tirer.

[25]       Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie.

[26]       Les avocats n'ont pas demandé que soit certifiée une question si l'affaire était décidée sur cette base. Je conviens qu'elle ne soulève aucune question de portée générale et aucune question ne sera certifiée.


ORDONNANCE

[27]       LA COUR ORDONNE :

1.          La demande de contrôle judiciaire est accueillie et la décision rendue le 22 février 2005 par la Commission est annulée.

2.          La présente cause est renvoyée à un tribunal différemment constitué de la Commission pour réexamen.

« Eleanor R. Dawson »

Juge

Traduction certifiée conforme

François Brunet, LL.B., B.C.L.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         IMM-1545-05

INTITULÉ :                                        JOTHIRAVI SITTAMPALAM

                                                c.

                                                            LE SOLLICITEUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L'AUDIENCE :                  TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                LE 29 AOÛT 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       LA JUGE DAWSON

DATE DES MOTIFS :                       LE 5 OCTOBRE 2005

COMPARUTIONS:

Barbara Jackman                                                                       POUR LE DEMANDEUR

Meilka Visnic                                                                            POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Jackman & Associates                                                               POUR LE DEMANDEUR

Toronto (Ontario)

John H. Sims, c.r.                                                                      POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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