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Date : 20060621

Dossier : T-2275-05

Référence : 2006 CF 795

Vancouver (Colombie-Britannique), le 21 juin 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE KELEN

 

 

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

appelant

et

 

GURMAIL SINGH

intimé

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’un appel interjeté par le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration en vertu du paragraphe 14(5) de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. 1985, ch. C-29 (la Loi), d’une décision d’un juge de la citoyenneté rendue le 10 novembre 2005 dans laquelle le juge accueillait la demande de citoyenneté de l’intimé.

 

LES FAITS

[2]               L’intimé, le Dr Singh, est un chirurgien à la retraite d’Amritsar (Inde). Son fils, qui est citoyen canadien, l’a parrainé et l’intimé a obtenu le statut de résident permanent au Canada le 16 janvier 1999. Il a déposé une demande de citoyenneté canadienne le 27 août 2003.

 

[3]               Après s’être établi au Canada, l’intimé s’est joint à un organisme de bienfaisance enregistré canadien, la Canada-India Guru Nanak Medical and Educational Society (la société de médecine et d’éducation Canado-indienne Guru Nanak), pour lequel il a travaillé bénévolement comme conseiller et expert à l’hôpital Dhalan-Kaleran dans la région du Penjab en Inde.

 

[4]               Au cours de la période pertinente de 1460 jours précédant sa demande de citoyenneté, du 27 août 1999 au 27 août 2003, l’intimé a été physiquement présent au Canada pendant 434 jours et absent pendant 1026 jours. Par conséquent, il manquait 661 jours au Dr Singh sur les 1095 jours qui lui étaient nécessaires pour se conformer aux exigences minimales de résidence prévues à l’alinéa 5(1)c) de la Loi

 

LA DÉCISION DU JUGE DE LA CITOYENNETÉ

[5]               Le juge de la citoyenneté a accueilli la demande de citoyenneté de l’intimé parce qu’il a conclu que l’intimé s’était conformé à l’exigence de résidence. Dans sa lettre de décision du 10 novembre 2005, le juge a noté que :

[traduction]

[…] Les absences du Canada du Dr Singh sont principalement liées à son travail bénévole au sein d’une œuvre de charité canadienne. Il a  travaillé pour cette œuvre de charité pendant 829 des 1026 jours au cours desquels il a été absent du Canada.

 

De plus, le Dr Singh semble avoir centralisé son mode de vie au Canada. Sa femme, qui est maintenant citoyenne canadienne, et son fils sont restés au Canada tout le temps pendant que le Dr Singh était en mission bénévole à l’étranger. Il transfère tout l’argent de sa pension de l’Inde à ses comptes bancaires au Canada. […] Il a aussi fait des déclarations de revenus à chaque année depuis son arrivée au Canada. Dernièrement, il s’est rendu en Inde pour vendre sa maison et a transféré 75 000 $ à son compte bancaire au Canada.

 

Il a présenté des documents à l’appui de ses déclarations. À mon avis, il a non seulement fait grandement honneur au Canada par son travail et son bénévolat admirables, mais il a aussi centralisé son mode de vie au Canada, parce que sa famille et la plupart de ses biens matériels se trouvent au Canada. Par conséquent, j’accueille sa demande de citoyenneté canadienne.

 

 

LES DISPOSITIONS LÉGALES APPLICABLES

[6]               La loi applicable à l’appel est la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. 1985, ch. C-29, dont les extraits pertinents se trouvent à l’annexe A des présents motifs.

 

LA QUESTION EN LITIGE

[7]               La seule question en litige en l’espèce est la suivante : la décision du juge de la citoyenneté concluant que le demandeur a [traduction] « centralisé son mode de vie » au Canada était-elle déraisonnable simpliciter?

 

LA NORME DE CONTRÔLE

[8]               Il est bien établi en droit que la décision d’un juge de la citoyenneté est, en vertu du paragraphe 14(5) de la Loi, une question mixte de fait et de droit et que le tribunal d’appel doit suivre la décision raisonnable simpliciter comme norme de contrôle. Voir Chen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2006), 145 A.C.W.S. (3d) 770 (C.F.), au paragraphe 6, le juge Michael Phelan; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Fu (2004), 128 A.C.W.S. (3d) 1074 (C.F.), au paragraphe 7, la juge Danièle Tremblay-Lamer.

 

ANALYSE

[9]               Aux termes de l’alinéa 5(1)c) de la Loi, l’intimé doit satisfaire à trois critères pour obtenir la citoyenneté au Canada :

1.       admission au Canada à titre de résident permanent;

2.       conservation du statut de résident permanent;

3.       résidence au Canada pendant au moins trois ans en tout dans les quatre ans qui ont précédé la date de la demande de citoyenneté.

Nul ne conteste que l’intimé en l’espèce satisfaisait aux deux premiers critères. Il s’agit de déterminer si l’intimé satisfaisait à l’exigence de trois ans relative à la résidence, calculés conformément aux sous-alinéas 5(1)c)(i) et (ii).

 

[10]           L’appelant soutient que la décision du juge de la citoyenneté d’accueillir la demande de citoyenneté de l’intimé ne résiste pas à un examen assez poussé parce qu’il n’a pas clairement choisi et appliqué un critère juridique au sujet de la résidence de l’intimé.

 

[11]           Un juge de la citoyenneté peut choisir parmi les critères en matière de résidence adoptés par la Cour et appliquer le critère choisi à une affaire (voir Lam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1999), 164 F.T.R 177 (C.F. 1re inst.), au paragraphe 14). En l’espèce, le juge de la citoyenneté a implicitement adopté le critère du « mode de vie centralisé » énoncé par la juge Reed dans la décision Koo (Re), [1993] 1 C.F. 286 (C.F. 1re inst.), qui établissait, au paragraphe 10, six questions à se poser pour déterminer si le demandeur « vit régulièrement, normalement ou habituellement » au Canada :

[…]

 

1)  la personne était-elle physiquement présente au Canada durant une période prolongée avant de s'absenter juste avant la date de sa demande de citoyenneté?

 

2)  où résident la famille proche et les personnes à charge (ainsi que la famille étendue) du requérant?

 

3) la forme de présence physique de la personne au Canada dénote-t-elle que cette dernière revient dans son pays ou, alors, qu'elle n'est qu'en visite?

 

4)  quelle est l'étendue des absences physiques (lorsqu'il ne manque à un requérant que quelques jours pour atteindre le nombre total de 1 095 jours, il est plus facile de conclure à une résidence réputée que lorsque les absences en question sont considérables)?

 

5)  l'absence physique est-elle imputable à une situation manifestement temporaire (par exemple, avoir quitté le Canada pour travailler comme missionnaire, suivre des études, exécuter un emploi temporaire ou accompagner son conjoint, qui a accepté un emploi temporaire à l'étranger)?

 

6) quelle est la qualité des attaches du requérant avec le Canada: sont-elles plus importantes que celles qui existent avec un autre pays?

 

[12]           En l’espèce, la décision du juge de la citoyenneté porte la Cour à se demander s’il a examiné les facteurs en matière de résidence énoncés dans la décision Koo (Re). Bien que le juge ait mentionné :

1)         que la femme et le fils de l’intimé ont continué à résider au Canada pendant que l’intimé travaillait bénévolement en Inde;

 

2)         que l’intimé a fait transférer des biens importants de l’Inde au Canada, qu’il a utilisé des services bancaires du Canada et qu’il a déposé des déclarations de revenus au Canada depuis qu’il s’y est établi,

 

il n’a pas examiné les autres facteurs. Comme le juge Douglas Campbell l’a énoncé dans l’affaire Seiffert c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1072, au paragraphe 9, le juge de la citoyenneté ne devrait laisser aucun doute qu’il a examiné tous les facteurs en matière de résidence avant de prendre sa décision :

[9]  […] aucune règle absolue n'oblige le juge de la citoyenneté à considérer les facteurs importants de la manière et dans l'ordre que préconise la juge Reed, mais il n'en demeure pas moins que la décision ne doit pas faire douter que tous les facteurs importants ont été considérés par le juge de la citoyenneté.

 

[13]            Notamment, il n’est pas clair que le juge de la citoyenneté ait :

(i)         examiné si l’intimé avait été physiquement présent au Canada durant une longue période précédant ses absences récentes, qui ont eu lieu immédiatement avant qu’il présente sa demande de citoyenneté;

 

(ii)        qualifié la forme de la présence physique au Canada de retour au pays après un voyage en Inde ou simplement de visite chez des parents entre deux périodes de bénévolat;

 

(iii)       reconnu que le bénévolat de l’intimé en Inde est une situation temporaire plutôt qu’une situation qui se poursuivrait de façon assez permanente;

 

(iv)       conclu que les liens de l’intimé avec le Canada sont plus importants que ses liens avec l’Inde.

 

 

[14]           L’intimé voudrait que la Cour relève des motifs dans la lettre de décision du juge de la citoyenneté qui n’y sont pas. Bien que l’intimé cite des précédents pour fonder la conclusion qu’il a des liens manifestes avec le Canada, aux termes de l’alinéa 16a) du Règlement sur la citoyenneté, 1993, DORS/93-246, le dossier ne contient rien qui puisse permettre à la Cour de conclure que le juge s’est penché sur de tels précédents. Même une lecture approfondie de la lettre de décision du juge ne me permet pas de conclure qu’il a examiné les facteurs pertinents énoncés dans la décision Koo.

 

[15]           Le juge de la citoyenneté avait l’obligation d’examiner si l’intimé avait d’abord établi un mode de vie centralisé au Canada avant de quitter le pays pour la première fois après qu’il eut obtenu le statut de résident permanent et s’il avait entretenu ce mode de vie centralisé pendant ses absences, ce que le juge n’a pas fait. Ces omissions sont l’équivalent d’avoir sauté une étape dans l’analyse de la résidence. Voir Wu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2003), 122 A.C.W.S. (3d) 989 (C.F. 1re inst.), le juge François Lemieux, aux paragraphes 13 et 14. Je conclus que la décision faisant l’objet du présent appel n’est pas raisonnable parce qu’elle ne résiste pas à un examen assez poussé, ce qui justifie l’intervention de la Cour.

 

[16]           L’exigence que la Loi sur la citoyenneté prévoit en matière de résidence est une condition préalable importante pour l’obtention de la citoyenneté. L’exigence en matière de résidence aux termes de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés et du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés n’est pas la même que l’exigence en matière de résidence aux termes de la Loi sur la citoyenneté. Il ressort clairement des faits dont la Cour est saisie que l’intimé n’avait pas été physiquement présent au Canada pendant une période suffisante avant de s’absenter du pays et qu’il ne satisfaisait donc pas au premier critère énoncé par la juge Reed dans la décision Koo (Re), précités. Il est aussi évident que l’intimé ne satisfaisait pas à la majorité des autres critères énoncés dans la décision Koo.

 

CONCLUSION

[17]           La décision du juge de la citoyenneté selon laquelle l’intimé avait centralisé son mode de vie au Canada était déraisonnable parce qu’il n’a pas examiné certains facteurs pertinents permettant de déterminer si l’intimé vivait régulièrement, normalement ou habituellement au Canada. Bien que le travail bénévole de l’intimé soit louable, il ne le dispense pas de l’exigence en matière de résidence pour l’obtention de la citoyenneté. Pour ces motifs, l’appel doit être accueilli.


 

 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE que l’appel soit accueilli et que l’affaire soit renvoyée devant un autre juge de la citoyenneté pour nouvel examen.

 

« Michael A. Kelen »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice


Annexe « A »

 

DISPOSITIONS LÉGALES APPLICABLES

 

1.         Loi sur la Citoyenneté, L.R.C. 1985, ch. C-29

 

Attribution de la citoyenneté

 

Grant of citizenship

 

5. (1) Le ministre attribue la citoyenneté à toute personne qui, à la fois: […]

 

5. (1) The Minister shall grant citizenship to any person who […]

 

c) est un résident permanent au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés et a, dans les quatre ans qui ont précédé la date de sa demande, résidé au Canada pendant au moins trois ans en tout, la durée de sa résidence étant calculée de la manière suivante:

 

(c) is a permanent resident within the meaning of subsection 2(1) of the Immigration and Refugee Protection Act, and has, within the four years immediately preceding the date of his or her application, accumulated at least three years of residence in Canada calculated in the following manner:

 

(i) un demi-jour pour chaque jour de résidence au Canada avant son admission à titre de résident permanent,

 

(i) for every day during which the person was resident in Canada before his lawful admission to Canada for permanent residence the person shall be deemed to have accumulated one-half of a day of residence, and

 

(ii) un jour pour chaque jour de résidence au Canada après son admission à titre de résident permanent;

(ii) for every day during which the person was resident in Canada after his lawful admission to Canada for permanent residence the person shall be deemed to have accumulated one day of residence;

[…]

 

[…]

 

Appel

 

Appeal

 

14. (5) Le ministre et le demandeur peuvent interjeter appel de la décision du juge de la citoyenneté en déposant un avis d'appel au greffe de la Cour dans les soixante jours suivant la date, selon le cas:

 

14. […]

 

 

(5) The Minister or the applicant may appeal to the Court from the decision of the citizenship judge under subsection (2) by filing a notice of appeal in the Registry of the Court within sixty days after the day on which

 

a) de l'approbation de la demande;

 

(a) the citizenship judge approved the application under subsection (2); or

 

b) de la communication, par courrier ou tout autre moyen, de la décision de rejet.

 

(b) notice was mailed or otherwise given under subsection (3) with respect to the application.

 

 

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-2275-05

 

INTITULÉ :                                       LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION c. GURMAIL SINGH

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 21 juin 2006

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LE JUGE KELEN

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 21 juin 2006

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Jonathan Shapiro

POUR L’APPELANT

 

Gurmail Singh

 

POUR L’INTIMÉ

(se représentant lui-même)

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

John H. Sims, c.r.

Ministère de la Justice

 

POUR L’APPELANT

s/o

 

POUR L’INTIMÉ

 

 

 

 

 

 

 

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