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Date : 20060801

Dossier : IMM-7796-05

Référence : 2006 CF 939

Ottawa (Ontario), le 1er août 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE PAUL U.C. ROULEAU

 

 

ENTRE :

LAKHBIR SINGH

demandeur

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire déposée par le demandeur, Lakhbir Singh, un citoyen de l’Inde, qui avait demandé l’asile à son entrée en décembre 2004.

 

[2]               Dans la présente demande de contrôle judiciaire, M. Singh conteste la décision rendue par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié qui a prononcé le désistement de sa demande d’asile.

 

[3]               La date pour l’audition de sa demande d’asile avait été initialement fixée au 23 novembre 2005. Ce jour‑là, le demandeur a omis de comparaître; son conseil était présent de même qu’un ami qui a informé le président que M. Singh avait été hospitalisé la veille. La Commission a ensuite indiqué au conseil ainsi qu’à l’ami que l’instruction de l’affaire était reportée au 12 décembre 2005 et que le demandeur se verrait donner la possibilité d’expliquer pourquoi le désistement de sa demande d’asile ne devrait pas être prononcé. 

 

[4]               Les parties ont également été avisées que le demandeur devait produire un certificat médical justifiant son incapacité à comparaître le 23 novembre 2005.

 

[5]               Au cours de la discussion entre le président et le conseil du demandeur le 23 novembre 2005, il a d’abord été proposé que, le 12 décembre 2005, l’affaire fasse l’objet d’une audience complète concernant le statut de réfugié. Le président et le conseil du demandeur ont établi qu’ils avaient tous deux d’autres affaires devant être instruites cette journée‑là et, en conséquence, ils ont convenu que les parties comparaîtraient à 8 h 45 uniquement afin que le tribunal puisse statuer si le désistement de la demande d’asile devait être prononcé ou non, c’est‑à‑dire une audience de justification. 

 

[6]               Le 12 décembre 2005, M. Singh a comparu avec son conseil. Le président a immédiatement exigé du demandeur un certificat médical justifiant son omission de comparaître le 23 novembre. Le demandeur a témoigné qu’il avait demandé un rapport médical le 8 décembre 2005, mais que le médecin traitant lui avait répondu qu’il ne lui fournirait aucun document. Il se serait ensuite rendu au bureau des archives médicales pour y obtenir un document attestant qu’il avait été hospitalisé pour quelques jours le 22 novembre 2005. La personne préposée aux archives médicales l’a informé qu’il faudrait de trois à quatre semaine pour obtenir ce document. Le demandeur a néanmoins soumis au tribunal un document daté du 5 décembre 2005, délivré par le service des urgences de l’hôpital, attestant qu’il avait été examiné par un urgentologue le 22 novembre 2005 et qu’il avait reçu une facture de 125 $ pour ces services. En outre, sur ce document, il était écrit que, si le demandeur avait le statut de réfugié, il devait envoyer une copie de son formulaire d’identification de citoyenneté et d’immigration. Le demandeur a également produit une ordonnance pour un médicament dûment signée par le médecin traitant, aussi datée du 22 novembre 2005. Parmi les documents soumis se trouvait sa demande présentée à Immigration Canada le 20 septembre 2005 expliquant qu’il avait perdu sa pièce d’identité médicale et qu’il voulait la remplacer puisqu’il souffrait de problèmes de santé; le document faisait état de problèmes d’hypertension et de diabète. 

 

[7]               Ces documents n’ont pas convaincu le président et il a prononcé le désistement de la demande d’asile.

 

[8]               La Cour est quelque peu choquée par la manière plutôt injuste et cavalière dont a été traité le demandeur d’asile. Il est clair que le président était soumis à certaines contraintes de temps puisqu’il avait lui‑même reconnu à l’audience du 23 novembre 2005 ne pas pouvoir procéder à une audience complète concernant le statut de réfugié le 12 décembre 2005. Aussi, il est plutôt étrange que ce président convienne que les membres de la communauté indienne immigrante dans la région ne le tiennent pas en très haute estime et je cite ses propres mots : 

 

[traduction]

Voyez-vous, Monsieur, un de vos collègues m’a dit, il nous a dit il y a quelques semaines pendant qu’il témoignait pour sa propre affaire que tous les membres de votre communauté qui voient que je suis celui qui va présider leur affaire essaient d’aller à l’hôpital afin de ne pas comparaître devant moi. Il semble donc que les membres de votre communauté aient pris l’habitude de faire tout leur possible pour ne pas comparaître devant moi […]

 

[9]               De toute évidence, ce président n’est pas tenu en très haute estime ni respecté par un certain groupe de demandeurs d’asile.

 

[10]           Le président a sans aucun doute tout à fait le pouvoir discrétionnaire de juger si le désistement d’une demande d’asile doit être prononcé ou non. Il apparaît que, en l’espèce, nous sommes en présence d’un individu qui avait besoin d’un interprète, qui a produit certains documents justifiant son absence et corroborant l’allégation selon laquelle il était malade, mais qui, sans aucun doute, se verrait accorder une brève audience à 8 h 45 le 12 décembre 2005.

 

[11]           L’avocate de la Couronne a invoqué de nombreux précédents à l’appui de sa position selon laquelle l’ordonnance prononçant le désistement doit être maintenue. J’ai examiné cette jurisprudence et j’ai remarqué que dans toutes les affaires, sauf une, le président avait prononcé le désistement parce que les demandeurs avaient omis une fois, et dans de nombreuses affaires deux fois, de comparaître à l’audition de leur demande d’asile. Un des précédents soumis par l’avocate de la Couronne était Ali c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2005] A.C.F. n1150, où le juge von Finckenstein a écrit au paragraphe 10 :

 

Le critère à appliquer en matière de désistement est de savoir si la conduite du demandeur d'asile indique l'absence d'intention de poursuivre la demande avec diligence […]

 

[12]           Il apparaît assez clairement que le président en l’espèce n’avait aucunement l’intention de procéder à l’audition de la demande d’asile quand il a conclu le 23 novembre 2005 qu’il disposait de très peu de temps le 12 décembre 2005.

 

[13]           Nous possédons en l’espèce certains éléments de preuve médicale justifiant l’absence du demandeur le 23 novembre 2005 et il était manifestement déraisonnable pour le président de prononcer le désistement de la demande parce que le demandeur n’avait pas demandé le certificat médical assez tôt. En aucun temps le président n’a même interrogé le demandeur pour savoir si celui‑ci désirait se désister de sa demande ou la poursuivre.

 

[14]           Quand il s’agit de désistement, la Cour a clairement établi que la Commission doit se demander si le demandeur a ou non véritablement l’intention se désister de sa demande; voir Ahamad c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2000), 4 Imm. L.R. (3d) 91, [2000] A.C.F. n289 (QL), au paragraphe 32, et Revich c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2004), 44 Imm. L.R. (3d) 129, 2004 CF 1064.

 

[15]           Selon l’article 169 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés (RIPR), la Commission peut prononcer le désistement d’une demande d’asile pour les motifs suivants : 

 

169. Le désistement d’une demande de protection est prononcé :

169. An application for protection is declared abandoned

a) dans le cas où le demandeur omet de se présenter à une audience, lorsqu’il omet de se présenter à une audience ultérieure dont il a reçu avis;

(a) in the case of an applicant who fails to appear at a hearing, if the applicant is given notice of a subsequent hearing and fails to appear at that hearing; and

b) dans le cas où le demandeur quitte volontairement le Canada, lorsque la mesure de renvoi est exécutée en application de l’article 240 ou lorsqu’il quitte autrement le Canada.

 

(b) in the case of an applicant who voluntarily departs Canada, when the applicant's removal order is enforced under section 240 or the applicant otherwise departs Canada.

 

 

[16]           L’article 58 du RIPR ajoute ce qui suit :

 

58. (1) La Section peut prononcer le désistement d’une demande d’asile sans donner au demandeur d’asile la possibilité d’expliquer pourquoi le désistement ne devrait pas être prononcé si, à la fois :

58. (1) A claim may be declared abandoned, without giving the claimant an opportunity to explain why the claim should not be declared abandoned, if

a) elle n’a reçu ni les coordonnées, ni le formulaire sur les renseignements personnels du demandeur d’asile dans les vingt-huit jours suivant la date à laquelle ce dernier a reçu le formulaire;

(a) the Division has not received the claimant's contact information and their Personal Information Form within 28 days after the claimant received the form; and

b) ni le ministre, ni le conseil du demandeur d’asile, le cas échéant, ne connaissent ces coordonnées.

(b) the Minister and the claimant's counsel, if any, do not have the claimant's contact information.

Possibilité de s’expliquer

Opportunity to explain

(2) Dans tout autre cas, la Section donne au demandeur d’asile la possibilité d’expliquer pourquoi le désistement ne devrait pas être prononcé. Elle lui donne cette possibilité :

(2) In every other case, the Division must give the claimant an opportunity to explain why the claim should not be declared abandoned. The Division must give this opportunity

a) sur-le-champ, dans le cas où il est présent à l’audience et où la Section juge qu’il est équitable de le faire;

(a) immediately, if the claimant is present at the hearing and the Division considers that it is fair to do so; or

b) dans le cas contraire, au cours d’une audience spéciale dont la Section l’a avisé par écrit.

(b) in any other case, by way of a special hearing after notifying the claimant in writing.

Éléments à considérer

Factors to consider

(3) Pour décider si elle prononce le désistement, la Section prend en considération les explications données par le demandeur d’asile à l’audience et tout autre élément pertinent, notamment le fait que le demandeur d’asile est prêt à commencer ou à poursuivre l’affaire.

(3) The Division must consider, in deciding if the claim should be declared abandoned, the explanations given by the claimant at the hearing and any other relevant information, including the fact that the claimant is ready to start or continue the proceedings.

Poursuite de l’affaire

Decision to start or continue the proceedings

(4) Si la Section décide de ne pas prononcer le désistement, elle commence ou poursuit l’affaire sans délai.

(4) If the Division decides not to declare the claim abandoned, it must start or continue the proceedings without delay.

 

 

[17]           Il est évident que le demandeur en l’espèce n’est pas visé par l’article 169 du Règlement. Un examen de l’article 58 du Règlement révèle que le demandeur doit se voir donner la possibilité d’expliquer pourquoi le désistement de sa demande ne devrait pas être prononcé et de justifier sa conduite. Il est ensuite expliqué dans cet article que, si la Section décide de ne pas prononcer le désistement de la demande d’asile, elle doit commencer ou poursuivre l’affaire sans délai. De toute évidence, là n’était pas l’intention du président, pas même quand il a fixé une date pour l’audience de justification. 

 

[18]           La norme de contrôle applicable aux affaires de désistement est la décision raisonnable simpliciter et je ne suis pas convaincu que les motifs fournis par le président peuvent résister à un examen poussé.

 

JUGEMENT

 

            Pour les motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire est accueillie. L’affaire sera renvoyée à un tribunal, où ne siégera pas le commissaire ayant présidé les audiences du 23 novembre 2005 et du 12 décembre 2005, pour qu’il procède à une audience complète concernant le statut de réfugié.

 

 

« Paul U.C. Rouleau »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Elisabeth Ross


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-7796-05

 

INTITULÉ :                                                   LAKHBIR SINGH

                                                                        c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                             MONTRÉAL (QUÉBEC)

 

DATE DE L'AUDIENCE :                           LE 25 JUILLET 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                        LE JUGE ROULEAU

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 1er AOÛT 2006

 

 

COMPARUTIONS :

 

Jean-François Bertrand

 

POUR LE DEMANDEUR

Lynne Lazaroff

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Jean-François Bertrand

Montréal (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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