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Date : 19980709


Dossier : IMM-4964-97

OTTAWA (Ontario) le 9 juillet 1998

EN PRÉSENCE DE M. LE JUGE MacKAY

ENTRE :

     FAUZIA SAHADAT (alias MAHBUBA EBADY)

     MASOD AHMAD SAHADAT (alias MASSUD EBADY)

     SOSAN SAHADAT (alias SOHAL EBADY),

     demandeurs,

     - et -

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     défendeur.

     CONSIDÉRANT que les demandeurs sollicitent de la Cour le contrôle judiciaire et l'annulation de la décision de la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié en date du 22 octobre 1997, par laquelle il a été décidé que la demanderesse principale, Fauzia Sahadat (alias Mahbuba Ebady), et les enfants en bas âge à sa charge, ne sont pas des réfugiés au sens de la Convention;

     SUR audition des avocats des parties à Toronto (Ontario) le 18 juillet 1998, la Cour différant sa décision, et après examen des arguments développés à l'audience;


O R D O N N A N C E

     LA COUR ORDONNE :

     1.      La demande est accueillie.
     2.      La décision attaquée est annulée.
     3.      La revendication du statut de réfugié présentée par les demandeurs est renvoyée pour nouvel examen devant une formation autrement constituée.

W. Andrew MacKay

juge

Traduction certifiée conforme

Christiane Delon LL.L.


Date : 19980709


Dossier : IMM-4964-97

ENTRE :

     FAUZIA SAHADAT (alias MAHBUBA EBADY)

     MASOD AHMAD SAHADAT (alias MASSUD EBADY)

     SOSAN SAHADAT (alias SOHAL EBADY),

     demandeurs,

     - et -

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     défendeur.


MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE MacKAY

[1]      Les demandeurs sollicitent en l'espèce le contrôle judiciaire et l'annulation d'une décision de la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (CISR), en date du 22 octobre 1997, par laquelle la CISR a estimé que la demanderesse n'est pas une réfugiée au sens de la Convention.

[2]      Les demandeurs en l'espèce sont Mme Ebady, ci-après dénommée demanderesse principale, et ses deux enfants. La demanderesse principale prétend être née à Kabul (Afghanistan) et s'être enfuie de son pays en septembre 1988, se rendant d'abord en Inde, puis en Allemagne. Arrivant en Allemagne en décembre 1988, elle revendique sans succès le statut de réfugié. En juillet 1989, elle épouse un Afghan qui avait le statut de réfugié en Allemagne. Les enfants du couple sont nés en Allemagne, en 1989 et 1992, respectivement. Le statut des enfants et de la demanderesse principale dérivait du mari, qui avait, lui, le statut de réfugié au sens de la Convention.

[3]      En 1994, muni de faux papiers d'identité, la famille arrive au Canada où elle revendique le statut de réfugié. Elle espérait que tous les membres de la famille se verraient reconnaître ce statut au Canada, et pas seulement le mari comme cela avait été le cas en Allemagne. Une fois entamée la procédure de reconnaissance de statut, l'avocat fit savoir aux demandeurs que les agents d'immigration savaient bien qu'ils arrivaient d'Allemagne. La vérité de leurs antécédents ayant été découverte, les membres de cette famille tentent de rentrer en Allemagne, mais ce pays-là leur refuse les documents nécessaires, bien que le Canada ait pris à leur encontre une mesure d'expulsion. Dans sa demande de statut de réfugié, la demanderesse principale fait valoir que les demandeurs n'ont de droits dans aucun pays hormis l'Afghanistan. Elle affirme que, diplômée universitaire et ayant vécu en occident depuis 1998, elle risque d'être persécutée par les intégristes actuellement au pouvoir en Afghanistan. Elle fait de plus valoir qu'elle n'a plus de famille en Afghanistan, que ses enfants ne se sont jamais rendus dans ce pays dont ils ne parlent d'ailleurs pas la langue et qu'il leur serait impossible d'y faire leurs études.

[4]      Dans une décision très brève, la CISR a estimé que la demanderesse principale n'était pas crédible étant donné les fausses identités assumées par les membres de sa famille lors de leur arrivée au Canada. Voici le passage essentiel des motifs de la Commission :

     [Traduction]

         La demanderesse et son mari se trouvaient en Allemagne depuis de nombreuses années lorsqu'ils ont décidé de venir au Canada et de revendiquer le statut de réfugié, renonçant au statut qui leur avait été reconnu en Allemagne. J'estime que ce comportement cadre mal avec la situation de quelqu'un qui prétend craindre avec raison d'être persécutée. La demanderesse a non seulement pris le risque d'être expulsée, mais, en se parant, elle et ses enfants, d'une nouvelle identité, elle a fait des déclarations entièrement fausses. Je ne suis pas disposé à passer sur le grave problème de crédibilité que cela soulève. Je comprends que des demandeurs se trouvant dans une situation désespérée soient tentés de mentir et de faire de fausses déclarations, mais la demanderesse et son mari étaient installés dans un pays où leur sécurité était assurée. Ils bénéficiaient d'un statut leur permettant de vivre, de travailler et d'être à l'abri des mesures d'expulsion et, pourtant, ils ont décidé de mentir et de tricher afin de venir au Canada. N'ont-ils pas pensé qu'ils pourraient en être renvoyés? Le témoignage de la demanderesse n'était pas véridique, même après qu'elle eut reconnu avoir menti au sujet de son identité. Interrogée par l'agent d'audience, la demanderesse a donné des réponses contenant des contradictions et l'ensemble de son témoignage ne cadrait pas avec d'autres documents. Elle a en outre omis certains renseignements sur où pouvaient se trouver ses frères et soeurs.
         La demanderesse a pourtant eu l'occasion de résoudre les contradictions en question, mais ses explications n'ont pas été raisonnables. J'estime que la demanderesse n'a pas livré un témoignage véridique, même après qu'elle eut reconnu avoir menti au sujet de son identité. Lorsqu'elle est arrivée au Canada, la demanderesse a assumé, pendant des mois, une fausse identité : ce n'est qu'après que le représentant du ministre eut soulevé la question qu'elle reconnut ses mensonges. J'estime que la demanderesse et son mari ont voulu s'installer au Canada pour retrouver le reste de leur famille et non pas parce que la demanderesse risquait de perdre son statut.
         Me fondant sur l'ensemble de la preuve, j'estime ne pas disposer d'éléments suffisamment crédibles ou dignes de foi pour pouvoir décider que la demanderesse est une réfugiée au sens de la Convention.
         L'avocat de la demanderesse fait valoir que sa cliente a fait la preuve de son identité en tant que femme afghane...Je ne suis pas disposé à accepter les documents comme preuve que la demanderesse n'a vécu qu'en Afghanistan, pays dont elle a la nationalité. La demanderesse est peut-être née en Afghanistan, mais peut-être a-t-elle la citoyenneté d'autres pays. Étant donné que je n'admets aucun élément de son témoignage, je ne suis pas disposé à croire que l'Afghanistan est le seul pays où elle puisse retourner s'installer. Je conviens avec l'avocat de la demanderesse que celle-ci n'a aucun droit de retourner en Allemagne, mais je ne suis pas en mesure de dire, au vu de la preuve versée au dossier, si elle a ou non une autre nationalité.

[5]      Le membre de la SSR constituant le tribunal ayant rendu la décision en cette affaire a conclu que :

                 
         [Traduction]         
              J'estime, je le répète, que les comportements de la demanderesse cadrent mal avec la situation de quelqu'un qui prétend craindre avec raison d'être persécuté - je relève notamment qu'elle a quitté un pays où elle vivait en sécurité et a pris le risque d'être expulsée vers l'Afghanistan. Son comportement me porte à croire que soit elle n'est pas inquiète à l'idée d'être renvoyée en Afghanistan, soit qu'il y a un autre pays où elle pourrait aller.         
              J'estime donc que la demanderesse, Fauzia Sahadat, (alias Mahbuba Ebady) n'est pas une réfugiée au sens de la Convention. ...         

[6]      Le défendeur fait pour sa part valoir que la CISR peut tirer des conclusions négatives sur la crédibilité d'un demandeur au vu des incohérences du récit fait par celui-ci et des contradictions existant entre son récit et d'autres preuves produites devant la CISR. La Commission peut conclure à un manque de crédibilité en se fondant uniquement sur l'invraisemblance du témoignage livré par un demandeur et tout témoignage contredisant le demandeur peut très bien mettre en doute l'ensemble du témoignage oral de celui-ci. L'avocat du défendeur fait valoir qu'en l'occurrence la Commission avait de bonnes raisons de mettre en doute la crédibilité de la demanderesse étant donné qu'elle et son mari avaient menti à la CISR, non seulement concernant leur identité mais également concernant leur séjour en Allemagne. Le défendeur fait valoir que la Cour ne devrait pas intervenir dans la manière dont la CISR a apprécié la crédibilité de la demanderesse lorsque l'affaire a été entendue en audience et que la CISR a eu l'avantage de voir et d'entendre le témoin, à moins que la Cour n'estime que la CISR a fondé sa conclusion sur des considérations dénuées de pertinence ou qu'elle n'a pas tenu compte de la preuve qui lui était présentée. Lorsque les inférences et les conclusions de la Commission sont raisonnables au vu du dossier, il y a lieu pour la Cour de ne pas intervenir, qu'elle soit d'accord ou non avec les inférences retenues par la Commission. Le défendeur fait valoir qu'en l'espèce les inférences de la Commission au sujet de la crédibilité se justifiaient.

[7]      J'estime qu'il y a lieu en l'espèce d'accueillir la demande.

[8]      J'estime, en effet, que le tribunal a commis une erreur de droit lorsqu'il n'a pas explicité, dans sa décision, les contradictions internes et les invraisemblances qui l'ont porté à conclure à un manque de crédibilité. Dans l'affaire Yukselir c. Canada (Ministre de la citoyenneté et de l'immigration), [1998] J.C.F. no 180, le juge Gibson a eu récemment l'occasion d'écrire :

     La SSR, dans des motifs très brefs, a conclu que le témoignage du requérant n'était ni crédible ni digne de foi. Bien qu'elle ait parlé d'inconséquences entre le témoignage du requérant et de deux autres témoins d'une part, et la preuve documentaire de l'autre, elle n'a pas donné d'explications ni d'exemples pour étayer la conclusion d'inconséquence.
     ...
     Je suis persuadé qu'il convient qu'une cour de révision intervienne lorsqu'elle est persuadée que l'analyse faite par la SSR pour étayer son appréciation de la crédibilité est si imparfaite ou incomplète qu'on ne saurait dire avec une certaine certitude que son appréciation est autre chose qu'une appréciation qui a été faite de façon abusive ou arbitraire, ou sans tenir compte des éléments de preuve dont elle disposait.

[9]      En l'espèce, le tribunal s'est contenté d'écrire que [traduction] " Le témoignage de la demanderesse n'était pas véridique, même après qu'elle eut reconnu avoir menti au sujet de son identité. Interrogée par l'agent d'audience, la demanderesse a donné des réponses contenant des contradictions et l'ensemble de son témoignage ne cadrait pas avec d'autres documents ". Le tribunal n'a cité aucun exemple de ces contradictions. J'estime, en toute déférence, que la Commission n'a pas satisfait aux critères énoncés dans les arrêts Armson c. M.E.I. (1989), 9 Imm. L.R. 2(d) 150 (C.A.F.) et Hilo c. M.E.I. (1991), 130 N.R. 236 (C.A.F.),critères qui exigent que les motifs du rejet de la revendication du demandeur pour cause de non-crédibilité soient exposés en termes clairs et non équivoques.

[10]      En affirmant qu'il admettait que la demanderesse principale était citoyenne afghane mais qu'il ne pouvait pas être sûr qu'elle n'avait pas en même temps la citoyenneté d'une autre nation, le tribunal n'a fait que conjecturer. Selon la Commission, il est tout à fait possible que la demanderesse puisse rentrer dans un pays autre que l'Allemagne ou l'Afghanistan, mais cela n'est que pure conjecture de sa part.

[11]      En l'espèce, la Commission n'avait pas la moindre preuve que la demanderesse pouvait rentrer dans un pays autre que l'Allemagne. En l'absence de tels éléments, et vu le témoignage de la demanderesse, j'estime que la Commission est parvenue à une conclusion conjecturale et a en fait évité d'examiner la question de savoir si la crainte invoquée par la demanderesse principale était effectivement fondée au cas où elle serait renvoyée en Afghanistan.

[12]      Cela étant, et en ne méconnaissant aucunement la lourde tâche qui incombe à la SSR à qui il appartient d'apprécier la crédibilité d'un demandeur, en l'absence de motifs explicitant les contradictions, les invraisemblances ou les lacunes des preuves produites devant le tribunal, la Cour estime que la décision contestée en l'espèce doit être infirmée.

                             W. Andrew MacKay

    

                                 juge

OTTAWA (Ontario)

le 9 juillet 1998

Traduction certifiée conforme

Christiane Delon LL.L.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :              IMM-4964-97

INTITULÉ DE LA CAUSE :      FAUZIA SAHADAT ET AUTRES c. MCI

LIEU DE L'AUDIENCE :          Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :          Le 18 juin 1998

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE M. LE JUGE MacKAY

DATE :                  Le 9 juillet 1998

ONT COMPARU :                     

Me Harvey Savage      pour la demanderesse

Me Godwin Friday      pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :     

Rodney L.H. Woolf      POUR LA DEMANDERESSE

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg      POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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