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Date : 20000317

Dossier : IMM-741-00

Ottawa (Ontario), le 17 mars 2000

En présence de Monsieur le juge Pelletier

ENTRE :

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-

NISHAN GAGEETAN JEYARAJAH

demandeur

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE PELLETIER


[1]         Le demandeur sollicite un sursis à l'exécution d'une mesure d'expulsion pendant qu'il conteste le rejet de sa demande d'autorisation à présenter une demande d'établissement alors qu'il se trouve déjà au Canada.

[2]         La situation du demandeur, M. Jeyarajah, et les procédures intentées par celui-ci dans le cadre du système d'immigration sont rapportées dans l'arrêt Jeyarajah c. Canada, [1999] A.C.F. no 198; (1999) 236 N.R. 175 et je ne les répéterai pas ici. En ce qui me concerne, la présente affaire débute avec le consentement du défendeur à ne pas expulser le demandeur une fois épuisés ses recours à l'encontre de l'ordonnance d'expulsion. Les représentants du défendeur ont alors accepté de ne pas expulser le demandeur tant qu'une décision ne serait pas rendue à l'égard de la demande de prise en considération de raisons d'ordre humanitaire qu'il a présentée en application du paragraphe 114(2) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2 . Le demandeur et son avocat ont eu l'occasion de présenter des observations sur le risque qu'il courrait advenant son renvoi au Sri Lanka. L'avocat a présenté deux dossiers d'observations distincts mais, en bout de ligne, la demande fondée sur des raisons humanitaires a été rejetée. Le défendeur a dès lors déclenché le processus d'expulsion du demandeur. L'avocat de celui-ci a toutefois présenté une demande de contrôle judiciaire à l'encontre de la décision par laquelle sa demande de prise en considération de raisons d'ordre humanitaire a été rejetée.

[3]         Le critère qui permet d'accorder un sursis d'exécution est bien connu et il n'est pas nécessaire de s'y attarder ici sauf pour énumérer les trois éléments qui le composent. Toth c. Canada (1988) 86 N.R. 302; [1988] A.C.F. no 587. La demande de contrôle judiciaire sous-jacente doit comporter une question sérieuse à trancher, il doit être clair que le demandeur subira un préjudice irréparable si le sursis n'est pas accordé, et la prépondérance des inconvénients doit jouer en faveur du demandeur.

[4]         Dans la présente affaire, l'avocat du défendeur a admis l'existence d'une question sérieuse à trancher. La question soulevée dans les documents produits devant la Cour était le défaut de communiquer au demandeur et à son avocat les évaluations du risque qui avaient été préparées antérieurement et qui ont servi au traitement de la demande de prise en considération de raisons d'ordre humanitaire. Le demandeur s'en remet à l'arrêt Haghighi c. Canada, [1999] A.C.F. no 1367, où il a été décidé que le demandeur était en droit de se faire communiquer les documents dont s'est servi l'agent qui a traité sa demande d'ordre humanitaire, afin de corriger toute erreur qu'ils pouvaient contenir.

[5]         La véritable question est celle du préjudice irréparable. Le défendeur s'en remet à ses évaluations du risque pour affirmer que le demandeur ne risque pas de subir un grave préjudice. Il réfère à des documents selon lesquels les Tamouls de Columbo qui comptent une longue période de résidence dans cette ville ne font pas l'objet d'un examen approfondi de la part des forces de sûreté. M. L. Waldman, l'avocat du demandeur, fait remarquer que, bien que son client soit né à Columbo, il n'a pas résidé dans cette ville depuis un certain temps et le temps qu'il y a résidé ne couvre pas une longue période. En outre, le demandeur affirme dans son affidavit que les autorités du Sri Lanka vont apprendre sa déclaration de culpabilité dans une affaire de stupéfiants et qu'ils vont la prendre pour un signe de complicité avec les Tigres étant donné qu'il est connu que la contrebande de drogue est l'un des moyens auxquels ils ont recours pour recueillir des fonds.

[6]         La question du danger pour le demandeur est soulevée tout particulièrement dans le paragraphe suivant de l'affidavit du demandeur :

           

                [TRADUCTION] On m'a avisé que les autorités de l'Immigration vont informer le gouvernement du Sri Lanka de ma déclaration de culpabilité pour trafic de drogue. Je suis très inquiet parce que j'ai été condamné pour une affaire de stupéfiants et que le gouvernement du Sri Lanka croit que les Tigres tamouls ont recours au trafic de stupéfiants pour recueillir des fonds et que, même si je n'ai rien à voir avec les Tigres, on va me soupçonner d'être lié à ceux-ci lorsque je vais rentrer au Sri Lanka et que cela va mettre ma vie sérieusement en danger. Ceci est particulièrement vrai étant donné que Toronto est connue par un large segment de la population du Sri Lanka, en raison de la réputation que lui font les journaux locaux, comme l'endroit de prédilection des Tigres tamouls pour recueillir des fonds. Je joins à mon affidavit, comme pièce « E » , des éléments de preuve documentaire qui appuient mes propos.

[7]         Cette question de l'évaluation du risque a été traitée comme suit :

                [TRADUCTION] La plupart des victimes de torture étaient des Tamouls soupçonnés d'être des insurgés ou des collaborateurs des LTTE. Amnistie Internationale rapporte que les personnes soupçonnées d'être liées aux LTTE sont soumises à la torture. Le passé du demandeur ne révèle aucun contact ou lien avec les LTTE. Il y a environ quinze ans qu'il a quitté le Sri Lanka. Les observations sur le risque révèlent que le demandeur n'appuie pas l'action militaire des Tigres et, d'après sa demande d'ordre humanitaire, il ne fait partie d'aucune organisation. Le demandeur a été condamné pour trafic de stupéfiants et, d'après Service correctionnel Canada, il a eu un accident avec l'auto du meilleur ami de son père; l'accident a causé 6 000 $ de dommanges qu'il a dû payer. Il a abandonné l'école et a pris deux emplois pour arriver à payer les dommages. Il a rencontré un ami d'école qui lui a conseillé d'effectuer ce travail (le trafic de stupéfiants) une fois pour payer les dommages. Rien n'indique que les LTTE aient été impliqués et, d'après ses propres déclarations, il a agi ainsi pour régler sa dette.

[8]         L'évaluation du risque conclut que le demandeur ne courra pas de risque objectivement identifiable que ne courrait n'importe quel particulier de ce pays. Bien que le rapport n'en arrive à aucune conclusion précise sur la question de la déclaration de culpabilité du demandeur pour trafic de stupéfiants, il ressort de la conclusion globale que la déclaration de culpabilité de celui-ci ne lui occasionnera pas de problèmes particuliers. On peut certainement soutenir que c'est la perception qu'ont les forces de sûreté de la conduite du demandeur qui va décider de leur réaction à son endroit et non de sa version des faits, quelle qu'elle soit. Les éléments de preuve documentaire appuient l'opinion selon laquelle le commerce des stupéfiants constitue une source de revenus pour les Tigres. Les Tamouls qui sont expulsés des pays occidentaux pour trafic de stupéfiants sembleraient être des sources éventuelles de renseignements utiles. Le fait que quelqu'un ne déclare pas de son plein gré être lié aux LTTE n'est pas vraiment étonnant étant donné le fait qu'être membre des LTTE entraînerait l'expulsion de cette personne en raison de son affiliation à une organisation terroriste. Suresh c. Canada, [2000] A.C.F. no 5; [1999] 4 C.F. 206.

[9]         C'est le rôle des représentants du défendeur d'évaluer le risque -- et la Cour ne devrait pas substituer sa propre opinion à celle de ces personnes, mais il revient à la Cour de s'assurer de l'existence ou non d'un préjudice irréparable. Le demandeur a soulevé la question d'un risque personnel de préjudice qu'il courrait en raison de sa déclaration de culpabilité pour trafic de stupéfiants que les représentants du défendeur n'ont, à mon avis, pas réfutée. La question que je dois trancher n'est pas de savoir si le risque personnel de préjudice que court le demandeur équivaut au danger qu'il représente pour la population canadienne. D'autres vont trancher cette question. Mon rôle consiste à juger si le risque que court le demandeur est tel qu'il ne devrait pas être expulsé avant qu'une décision ait été rendue concernant sa demande de contrôle judiciaire. D'après les éléments de preuve qui m'ont été présentés, je conclus qu'étant donné sa déclaration de culpabilité pour importation de stupéfiants, le demandeur représentera un intérêt particulier pour les forces de sûreté du Sri Lanka et que, par conséquent, le risque qu'il soit torturé ou qu'il subisse un traitement inhumain est élevé. Cette situation constitue un préjudice irréparable. Il se peut que le demandeur en vienne à être confronté à cette situation mais, pour le moment, il a le droit de demeurer ici jusqu'à l'audition de sa demande.

[10]       Une ordonnance sera rendue pour surseoir à l'exécution de la mesure d'expulsion prise contre le demandeur jusqu'à l'issue définitive de sa demande de contrôle judiciaire.

ORDONNANCE

            Il est ordonné par la présente de surseoir à la mesure d'expulsion prise contre le demandeur jusqu'à l'issue définitive de sa demande d'autorisation et de contrôle judiciaire.

                                                                                                              « J.D. Denis Pelletier »    

                                                                                                                  J.C.F.C.

Traduction certifiée conforme

Suzanne Gauthier, LL.L., Trad. a.


                                           COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                      SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                                  Avocats inscrits au dossier

DOSSIER DE LA COUR NO :                      IMM-741-00

INTITULÉ DE LA CAUSE :                         NISHAN GAGEETAN JEYARAJAH

                                                                        c.

                                                                        M.C.I.

LIEU DE L'AUDIENCE :                              Ottawa

DATE DE L'AUDIENCE :                            le 13 mars 2000

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

PRONONCÉS PAR :                                     le juge Pelletier

EN DATE DU :                                               17 mars 2000

ONT COMPARU :                                        

                                                                        Lorne Waldman

                                                                                    pour le demandeur

                                                                        Marcel Larouche

                                                                                    pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

                                                                        Jackman, Waldman & Associates

                                                                        Toronto (Ontario)

                                                                                    pour le demandeur

                                                                        M. Morris Rosenberg

                                                                        Sous-procureur général du Canada

                                                                                    pour le défendeur

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