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Date : 19991022


Dossier : IMM-5073-99


ENTRE :

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L"IMMIGRATION

     demandeur

     - et -


     YAO LIN

     défendeur


     MOTIFS DE L"ORDONNANCE


LE JUGE ROULEAU


[1]          J"ai été saisi une première fois de la présente affaire, qui porte sur la question de la détention aux termes du paragraphe 103(7) de la Loi sur l"immigration, le vendredi 15 octobre 1999, à Vancouver. La Cour a entendu une demande ex parte présentée par le ministre de la Citoyenneté et de l"Immigration qui cherchait à obtenir un sursis à la mise en liberté du présent défendeur. Le 13 octobre 1999, un arbitre avait examiné la mise sous garde du défendeur et avait déterminé que ce dernier obtempérerait vraisemblablement à la mesure de renvoi; l"arbitre avait également imposé certaines conditions relativement à la mise en liberté du défendeur, notamment la fourniture d"un cautionnement d"une valeur de quinze mille dollars. D"autres conditions à sa mise en liberté avaient aussi été imposées :

     [TRADUCTION]

     1.      Vous êtes tenu de signaler votre adresse domiciliaire aux agents d"immigration          avant votre mise en liberté.

     2.      Ensuite, vous êtes tenu de signaler en personne tout changement d"adresse aux agents d"immigration le premier jour ouvrable suivant la date du changement d"adresse.

    

     3.      Dans le cas où M. Lin se rendrait à Toronto pour habiter avec une personne qui lui est apparentée, il s"agira de la résidence de M. Chen Yun, dont l"adresse est indiquée, et M. Lin est tenu de comparaître au lieu que la SSR lui aura communiqué pour achever sa demande de réfugié. (L"audience de la SSR a été prévue pour le 3 novembre 1999 à Vancouver.)
     4.      Je tiens également à ce que M. Lin se présente en personne toutes les fois qu"on le lui demandera et à l"endroit qu"on lui indiquera aux fins légitimes prévues à la Loi sur l"immigration.
     5.      Il ne quittera pas le Canada sans permission écrite et ne doit le faire que par un moyen qui puisse être contrôlé par des agents d"immigration.

[2]      Le vendredi 15 octobre, après avoir entendu l"avocat du ministre, j"ai été convaincu d"accueillir la demande de sursis à la mise en liberté du défendeur en attendant que les deux parties, y compris l"avocat du défendeur qui pratique le droit à Toronto, me présentent d"autres observations quant au fond. J"ai ordonné un sursis temporaire à la mise en liberté, en attendant de connaître des arguments dans leur intégralité le mercredi de la semaine suivante.

[3]      L"affaire s"est poursuivie par voie de téléconférence à Vancouver le 20 octobre, en présence de l"avocat du ministre et de l"avocat du défendeur. L"on avait signifié à l"avocat du défendeur le dossier de requête du ministre, de même que la transcription de la procédure qui avait eu lieu en présence de l"arbitre le 13 octobre 1999 et dont la Cour pouvait désormais prendre connaissance.

[4]      Le défendeur, qui était à bord d"un bateau sur lequel se trouvaient près de cent quarante immigrants illégaux chinois, est arrivé sur la côte ouest du Canada. Il était sans aucune pièce d"identité et a été interrogé par des agents de Citoyenneté et Immigration le 29 septembre 1999. Au cours de l"entrevue, le défendeur a indiqué qu"il n"avait pas de parenté ni d"amis au Canada ou aux États-Unis; l"on a ordonné qu"il soit détenu aux termes de l"alinéa 103.1(1)a ) de la Loi sur l"immigration. Le même jour, un arbitre a statué que le demandeur était susceptible de ne pas obtempérer à la mesure de renvoi du Canada. Un examen de la mise sous garde a eu lieu le 6 octobre 1999, au terme duquel l"arbitre a conclu : [TRADUCTION] " Je suis convaincu que si vous êtes mis en liberté, vous ne vous conformerez pas à la mesure de renvoi. "

[5]      Le 13 octobre 1999, l"on a procédé à un autre examen auquel a assisté l"avocat du défendeur par voie de téléconférence et le défendeur s"est vu accorder la mise en liberté. Le défendeur avait alors soumis les documents d"identification qui étaient requis. Au cours de l"audience, l"on a noté qu"à son arrivée le défendeur avait omis de déclarer qu"il avait deux frères à San Francisco et qu"un cousin de sa mère vivait à Toronto. Le défendeur a fourni l"adresse de ce cousin éloigné vivant à Toronto, M. Chen Yun; ce dernier a entrepris de fournir un cautionnement en espèces de quinze mille dollars. M. Chen Yun a indiqué par l"entremise de l"avocat qu"il consentait à ce que le défendeur réside avec lui à Toronto jusqu"à ce qu"il ait été statué sur sa demande de statut de réfugié.

[6]      L"avocat du ministre demandeur plaide que l"arbitre n"a pas appliqué le bon critère pour apprécier la possibilité que le défendeur obtempère à la mesure de renvoi et que l"arbitre doit être convaincu que M. Yao Lin comparaîtra à toute enquête qui sera tenue.

         103(2) Arrestation sans mandat
         [...] l"agent d'immigration peu[t], sans mandat, ordre ou instruction à cet effet, arrêter et garder ou arrêter et faire garder_: [...]
        
         b) aux fins de renvoi du Canada, toute personne frappée par une mesure de renvoi exécutoire et dont il croit, pour des motifs raisonnables, qu'elle constitue une menace pour la sécurité publique ou n'obtempérera pas à la mesure.
         103(3) Détention et mise en liberté par un arbitre
         Dans le cas d'une personne devant faire l'objet d'une enquête ou d'une enquête complémentaire ou frappée par une mesure de renvoi ou de renvoi conditionnel, l'arbitre peut ordonner_:
             a) soit de la mettre en liberté, aux conditions qu'il juge indiquées      en l'espèce, notamment la fourniture d'un cautionnement ou d'une garantie de bonne exécution;
             b) soit de la faire garder, s'il croit qu'elle constitue
             vraisemblablement une menace pour la sécurité publique ou qu'à
             défaut de cette mesure, elle se dérobera vraisemblablement à

             l'enquête ou à sa reprise ou n'obtempérera pas à la mesure de

             renvoi;
             c) soit de fixer les conditions qu'il juge indiquées en l'espèce,         
             notamment la fourniture d'un cautionnement ou d'une garantie de
             bonne exécution.

[7]      Certains extraits de la transcription révèlent ce qui suit :

[TRADUCTION] ARBITRE : Pour vous détenir, M. Lin, je dois être convaincu que, si vous étiez en liberté, vous n"obtempéreriez vraisemblablement pas à la mesure de renvoi du Canada dont vous faites l"objet. J"ai examiné très attentivement les recommandations et les observations qui ont été présentées à votre sujet aujourd"hui; j"ai également sous la main les renseignements qui ont été fournis au cours de la série d"examens de la mise sous garde et qui justifient notre présence ici aujourd"hui.

Maintenant, parmi les faits que je considère importants et qui ne sont pas contestés, il y a premièrement le moyen que vous avez choisi pour vous rendre au Canada. Vous avez payé une somme d"argent considérable à des individus dont l"identité n"est pas connue et vous vous êtes -- en plus d"avoir versé l"argent, vous vous êtes engagé envers ces personnes dans l"éventualité où vous réussiriez à parvenir au Canada clandestinement. Vous avez entrepris d"effectuer un voyage périlleux en mer pour vous rendre ici et il est évident que vous ne désirez pas retourner en Chine.

Certaines questions ont été soulevées relativement à votre -- la véracité des renseignements que vous avez fournis à l"Immigration -- dès votre arrivée, vous avez nié l"existence de parenté au Canada ou aux États-Unis, et par la suite il est devenu manifeste que vous aviez deux frères résidant aux États-Unis. Vous n"avez vraisemblablement jamais avisé les agents d"immigration que vous aviez un cousin éloigné résidant à Toronto.

Vous avez été détenu jusqu"à maintenant parce que les arbitres ont conclu que, si vous étiez mis en liberté, vous ne vous conformeriez vraisemblablement pas à la mesure de renvoi; en l"absence d"autres éléments de preuve qui iraient à l"encontre de cette croyance, je suis d"avis qu"il existe de bonnes raisons justifiant cette conclusion.

Aujourd"hui cependant, le cousin de votre mère, un dénommé M. Chen Yun, un résident de Toronto (Ontario) et un résident permanent au Canada, a pris part à l"audience relative à l"examen de votre mise sous garde pour vous aider à obtenir votre mise en liberté. Il a affirmé qu"il entretenait une relation familiale étroite, non pas forcément avec vous puisqu"il ne vous a pas vu depuis que vous étiez enfant, mais bien avec votre mère. Il a exprimé son entière confiance quant au respect de votre part des conditions prescrites pour votre mise en liberté et quant à votre soumission à la mesure de renvoi du Canada, le cas échéant.

Maintenant, en ce qui concerne votre destination finale, je ne peux me prononcer sur cette question en me fiant aux renseignements dont je dispose. Ce ne serait certainement pas déraisonnable de penser qu"en vous rendant en Amérique du Nord, vous souhaitiez vous réunir avec vos frères; d"un autre côté, cependant, il n"est pas non plus déraisonnable de penser que vous êtes venu au Canada pour y chercher refuge, démarche que vous êtes en train d"entreprendre avec le dépôt de votre demande de réfugié. Votre identité a vraisemblablement été établie selon les exigences des agents d"immigration.

En l"absence de -- comme je viens de le dire, en l"absence d"un lien réel avec la collectivité au Canada, il y avait des motifs de douter que vous obtempéreriez à la mesure de renvoi. Je suis d"avis cependant que, maintenant que M. Chen Yun a témoigné sa confiance en vous et qu"il a indiqué son intention de fournir un cautionnement important en espèces en garantie de l"engagement que vous tiendrez parole et que vous vous plierez aux conditions, ce cautionnement en espèces de 15 000 $ et votre promesse de respecter certaines conditions, que j"énoncerai dans un instant, indiquent que vous obtempérerez à la mesure de renvoi. Par conséquent, je rendrai cet après-midi une ordonnance prononçant votre mise en liberté.

Conclusion

[8]      J"ai examiné attentivement la décision qui a été rendue par l"arbitre et je suis convaincu que je ne peux, en raison des compétences limitées en matière de contrôle judiciaire, annuler la décision de ce dernier de mettre le défendeur en liberté. Sa décision, qui est fondée sur les documents dont il disposait, ne doit pas être modifiée sauf s"il y a eu un manquement à la justice fondamentale, une erreur de droit ou une conclusion de fait erronée; il ne m"est pas loisible d"y substituer mon opinion, même dans l"éventualité où j"aurais pu tirer une conclusion différente. Je doute sérieusement que les éléments de preuve dont disposait l"arbitre appuyaient la conclusion selon laquelle le défendeur obtempérerait à la mesure de renvoi s"il était en liberté.

[9]      La transcription révèle que l"arbitre avait quelques doutes quant à la crédibilité du défendeur, vu que ce dernier n"avait pas divulgué le fait que ses deux frères vivaient aux États-Unis et qu"un cousin éloigné demeurait à Toronto; l"arbitre a eu des doutes quant à la destination finale du défendeur, à savoir le Canada ou les États-Unis; l"arbitre a conclu qu"il était redevable à certains individus, dont l"identité n"est pas connue, s"il réussissait à parvenir au Canada de façon clandestine; l"arbitre n"a pas examiné plus attentivement les détails propres à la caution qui demeure à Toronto et qui a subitement fait son entrée en scène suite aux audiences relatives à la garde. L"arbitre soulève le fait que le défendeur n"entretient pas de lien réel avec la collectivité au Canada, mais l"apparition d"un cousin éloigné de la mère du défendeur semble dissiper cette préoccupation; en ce qui a trait aux conditions qu"il impose, l"arbitre se fie à l"honnêteté de la caution et à la capacité de cette dernière de garantir que le défendeur comparaîtra relativement à toute audience supplémentaire devant les autorités de l"immigration, alors que rien ne lui garantit que le défendeur sera capable de se rendre à Toronto. Je ne peux cependant pas affirmer que la décision a été rendue de mauvaise foi, qu"elle était manifestement déraisonnable ou qu"elle contenait une erreur de droit.

[10]      Je constate de mon expérience que, dans les cas de détention sous le régime de l"article 103, les arbitres accordent la mise en liberté dès que quelqu"un est prêt à fournir un cautionnement; il apparaît qu"ils en concluent immédiatement qu"ils sont tenus d"accorder la mise en liberté sans aucune autre formalité. De fait, ils possèdent un pouvoir discrétionnaire; ils peuvent refuser la mise en liberté dans le cas où ils sont convaincus que le demandeur du statut de réfugié est susceptible de ne pas obtempérer à la mesure de renvoi du Canada. Ce pouvoir discrétionnaire semble être complètement mis de côté. La législation pourrait peut-être clarifier ce point.


[11]      La présente requête déposée pour surseoir à la mise en liberté est par conséquent rejetée.

                             (Signé) "P. Rouleau"

                                 Juge

Le 22 octobre 1999

Vancouver (Colombie-Britannique)


Traduction certifiée conforme


Thanh-Tram Dang, B.C.L., LL.B.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE L"IMMIGRATION

     AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER




NO DU GREFFE :      IMM-5073-99

INTITULÉ DE LA CAUSE :      MCI.

     c.

     Yao Lin


LIEU DE L"AUDIENCE :      Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L"AUDIENCE :      Le 20 octobre 1999

MOTIFS DE L"ORDONNANCE EXPOSÉS PAR LE JUGE ROULEAU

EN DATE DU :      22 octobre 1999


ONT COMPARU :

Brenda Carbonell      pour le demandeur
Leonard Susman      pour le défendeur


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Morris Rosenberg      pour le demandeur

Sous-procureur général

du Canada


Leonard Susman      pour le défendeur

Toronto (Ontario)

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