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Date : 20060609

Dossier : T‑2240‑05

Référence : 2006 CF 728

Ottawa (Ontario), le 9 juin 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE LEMIEUX

 

ENTRE :

JAMES CLAYTON COLLIER

demandeur

et

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

            défendeur

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               James Clayton Collier (le demandeur) sollicite le contrôle judiciaire de la décision datée du 14 novembre 2005 par laquelle la Section d’appel de la Commission nationale des libérations conditionnelles (le tribunal) a rejeté son appel et confirmé la décision de la Commission nationale des libérations conditionnelles (CNLC) du 12 mai 2005 par laquelle celle‑ci lui refusait la libération conditionnelle totale.

 

[2]               Il convient de noter que le 5 novembre 2004, la CNLC avait refusé d’accorder une libération conditionnelle totale à M. Collier, mais avait pris la décision inhabituelle d’ordonner une révision du dossier pour déterminer si l’état de santé de ce dernier l’empêchait vraiment de participer à un programme d’intensité élevée pour délinquants sexuels (le Programme) et dans le cas où il serait déclaré inapte médicalement, quelles étaient les autres possibilités. La décision que le tribunal a examiné est l’examen accéléré auquel la CNLC avait procédé après avoir reçu des renseignements indiquant qu’il était médicalement apte à participer au Programme.

 

[3]               M. Collier, un homme de 72 ans, est un délinquant fédéral ayant récidivé quatre fois. Il a, en décembre 1985, été déclaré être un délinquant dangereux, et il a purgé 22 ans d’une peine de durée indéterminée. Toutes ses déclarations de culpabilité concernent des infractions de nature sexuelle, pour la plupart des attouchements sur des enfants dont l’âge variait entre 8 et 13 ans. Sa première infraction remonte à 1955; il a commis ses infractions les plus récentes au cours de l’été 1984 alors qu’il se trouvait en liberté surveillée.

 

[4]               D’après les preuves, il représente un risque de récidive sexuelle allant de élevé à très élevé, et il reconnaît être attiré par les enfants. Il a été orienté vers le programme d’intensité élevée pour délinquants sexuels du Centre de traitement régional, un programme qu’il a suivi en 1993, mais qui n’a pas eu pour effet de réduire le risque qu’il représente. D’après les preuves, il répond aux critères définissant le trouble délirant et la pédophilie.

 

[5]               Il est admis que la santé de M. Collier est très mauvaise. Il est confiné à un fauteuil roulant depuis plusieurs années, même s’il est en mesure de marcher sur de courtes distances. En mai 1993, un médecin a diagnostiqué chez lui un diabète dont les effets débilitants se sont progressivement aggravés. Il prend maintenant tous les jours de l’insuline.

 

[6]               En mai 2001, il a subi l’amputation de trois orteils de son pied droit, à cause d’une infection qui ne guérissait pas. Il est maintenant partiellement aveugle et perd progressivement la vue limitée qu’il avait avec son bon œil. Il fait de l’hypertension artérielle, il souffre d’arthrose dans les deux genoux, ce qui lui cause des douleurs chroniques.

 

[7]               M. Collier était représenté par un avocat devant la CNLC et devant le tribunal. Son avocat a présenté des preuves documentaires et des arguments. Ces preuves portaient sur deux points : la santé de M. Collier et la bonne conduite qu’il avait eue en prison au cours des sept dernières années.

 

[8]               La nature de ses problèmes de santé était décrite dans l’affidavit de Maurice Giroux qui était à l’époque le chef des services de santé de l’Établissement de Warkworth, une prison fédérale à sécurité moyenne. Il avait également présenté une lettre datée du 15 février 2005 émanant du DMcKeough dont la dernière phrase se lisait ainsi :

[traduction] Je ne ferai pas de commentaires se rapportant directement à la santé de M. Collier et je ne sais pas s’il sera obligé de subir une évaluation phallométrique, mais je dirais que les hommes qui souffrent du diabète depuis aussi longtemps que lui sont bien souvent physiquement incapables d’érection.

 

[9]               Les preuves relatives à sa bonne conduite figurent dans les rapports du Service correctionnel du Canada (SCC) préparés à son sujet par son équipe de gestion des cas et dans les attestations émanant des trois professeurs dont il suivait les cours. M. Giroux a déclaré qu’il se trouvait à l’Établissement de Warkworth depuis août 2003 et que pendant ce temps, M. Collier n’avait posé aucun geste inapproprié à l’égard du personnel infirmier et ne l’avait pas menacé.

 

[10]           L’avocat de M. Collier invoque deux arguments principaux à l’appui de sa demande de contrôle judiciaire. Il soutient tout d’abord que le tribunal a mis côté ou a omis de tenir compte, pour ce qui est des facteurs de risque concernant sa libération conditionnelle, tant les preuves concernant l’état de santé de M. Collier que les effets réformateurs de sa bonne conduite. Il soutient également sur ce point que le rapport psychologique préparé par le Dr Harris et daté du 16 juin 2004, et sur lequel tant le tribunal que la CNLC se sont fondés, comporte le même défaut.

 

[11]           Il soutient pour l’essentiel que le tribunal et la CNLC mentionnent ses problèmes de santé et sa bonne conduite non pas dans le cadre de l’exécution de la mission que leur a confiée le législateur qui consiste à évaluer le risque que représente un détenu aux fins de la libération conditionnelle, mais dans le cadre d’une évaluation reliée à son plan correctionnel, ce qui constitue par conséquent un élément non pertinent.

 

[12]           Le deuxième argument qu’avance l’avocat de M. Collier est que la décision du tribunal n’est pas conforme aux principes énoncés par la Cour suprême du Canada dans son arrêt Le directeur de l’établissement Mountain c. Steele, [1990] 2 R.C.S. 1385, une affaire concernant un détenu fédéral qui avait été emprisonné pendant 37 ans et qui purgeait une peine de détention pour une période indéterminée après avoir été déclaré psychopathe sexuel criminel. La Cour suprême du Canada a examiné les conditions de sa détention pour décider si son maintien en détention constituait une violation de l’article 12 de la Charte des droits et libertés qui énonce que « [c]hacun a droit à la protection contre tous traitements ou peines cruels et inusités ».

 

[13]           L’avocat de M. Collier affirme que la décision de la CNLC de novembre 2004 et sa décision de mai 2005 doivent être lues ensemble, étant donné que la première décision a été incorporée à la décision de mai 2005 pour veiller à ce que M. Collier ait accès à un plan correctionnel approprié et tenant compte de circonstances qui comprenaient, notamment, la possibilité qu’il termine avec succès le Programme.

 

[14]           Avant la deuxième audience de mai 2005, comme cela a été noté plus haut, la CNLC a reçu des éléments indiquant que M. Collier était médicalement apte à participer au Programme. Au cours de cette audience, la CNLC a été informée que l’admission de M. Collier au Programme avait été reportée de mars 2005 à février 2007, programme que ce dernier doit suivre avec succès, comme nous l’avons noté, s’il veut avoir une chance d’obtenir la libération conditionnelle.

 

[15]           L’avocat soutient que la recommandation que la CNLC a faite au SCC sur ce point est insuffisante. Le tribunal aurait dû conclure à la violation des principes de l’arrêt Steele dans les circonstances présentes.

 

[16]           Je cite le passage suivant de la décision de la CNLC du 12 mai 2005 à ce sujet :

[traduction] Vous avez déclaré à l’audience aujourd’hui que vous étiez tout à fait disposé à participer au programme offert par le Centre de traitement régional et que vous étiez prêt à commencer immédiatement à suivre ce programme. Votre assistant [conseiller juridique] a signalé que vous étiez très déçu que la nouvelle date de votre admission au programme ait été maintenant reportée au mois de mars 2007. La Commission est d’accord avec votre assistant sur ce point et invite vivement le Service correctionnel du Canada à vous faire admettre dans ce programme le plus tôt possible. [Non souligné dans l’original.]

 

 

Analyse

 

[17]           Je ne peux retenir l’argument présenté par l’avocat du demandeur selon lequel le tribunal a commis une erreur lorsqu’il a examiné le refus par la CNLC d’accorder la libération conditionnelle totale.

 

[18]           Pour ce qui est de la norme de contrôle, je cite l’arrêt de la Cour d’appel fédérale Cartier c. Canada (Procureur général), [2003] 2 C.F. 317, dans lequel cette cour a déclaré que la norme de contrôle applicable par la Section d’appel lorsqu’elle est amenée à confirmer ou à infirmer une décision de la CNLC est la décision manifestement déraisonnable pour les questions de fait et la décision raisonnable pour les questions de droit (voir également Bedi c. Canada (Procureur général), 2004 CF 1722).

 

[19]           À mon avis, il ressort de la lecture de la décision du tribunal que celui‑ci a tenu compte de l’état de santé de M. Collier par rapport au risque que celui‑ci représente pour la société et non pas par rapport à son plan correctionnel. Il a en outre pris en compte à cette fin le fait que sa conduite s’était améliorée.

 

[20]           Le législateur indique clairement aux articles 101 et 102 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition (la Loi) que la CNLC doit s’inspirer, dans l’exécution de son mandat du critère déterminant en matière d’octroi des libérations conditionnelles, à savoir la protection de la société, qu’elle doit concilier avec l’obligation de retenir la solution qui est la moins restrictive possible.

 

[21]           Pour la commodité du lecteur, je reproduis ci‑dessous les articles 100, 101 et 102 de la Loi :

Objet et principes

 

Purpose and Principles

 

Objet

 

100. La mise en liberté sous condition vise à contribuer au maintien d’une société juste, paisible et sûre en favorisant, par la prise de décisions appropriées quant au moment et aux conditions de leur mise en liberté, la réadaptation et la réinsertion sociale des délinquants en tant que citoyens respectueux des lois.

 

Purpose of conditional release

 

100. The purpose of conditional release is to contribute to the maintenance of a just, peaceful and safe society by means of decisions on the timing and conditions of release that will best facilitate the rehabilitation of offenders and their reintegration into the community as law-abiding citizens.

 

Principes

 

101. La Commission et les commissions provinciales sont guidées dans l’exécution de leur mandat par les principes qui suivent :

 

Principles guiding parole boards

 

101. The principles that shall guide the Board and the provincial parole boards in achieving the purpose of conditional release are

 

a) la protection de la société est le critère déterminant dans tous les cas;

 

(a) that the protection of society be the paramount consideration in the determination of any case;

 

b) elles doivent tenir compte de toute l’information pertinente disponible, notamment les motifs et les recommandations du juge qui a infligé la peine, les renseignements disponibles lors du procès ou de la détermination de la peine, ceux qui ont été obtenus des victimes et des délinquants, ainsi que les renseignements et évaluations fournis par les autorités correctionnelles;

 

(b) that parole boards take into consideration all available information that is relevant to a case, including the stated reasons and recommendations of the sentencing judge, any other information from the trial or the sentencing hearing, information and assessments provided by correctional authorities, and information obtained from victims and the offender;

 

c) elles accroissent leur efficacité et leur transparence par l’échange de renseignements utiles au moment opportun avec les autres éléments du système de justice pénale d’une part, et par la communication de leurs directives d’orientation générale et programmes tant aux délinquants et aux victimes qu’au public, d’autre part;

 

(c) that parole boards enhance their effectiveness and openness through the timely exchange of relevant information with other components of the criminal justice system and through communication of their policies and programs to offenders, victims and the general public;

 

d) le règlement des cas doit, compte tenu de la protection de la société, être le moins restrictif possible;

 

(d) that parole boards make the least restrictive determination consistent with the protection of society;

 

e) elles s’inspirent des directives d’orientation générale qui leur sont remises et leurs membres doivent recevoir la formation nécessaire à la mise en oeuvre de ces directives;

 

(e) that parole boards adopt and be guided by appropriate policies and that their members be provided with the training necessary to implement those policies; and

 

f) de manière à assurer l’équité et la clarté du processus, les autorités doivent donner aux délinquants les motifs des décisions, ainsi que tous autres renseignements pertinents, et la possibilité de les faire réviser.

 

(f) that offenders be provided with relevant information, reasons for decisions and access to the review of decisions in order to ensure a fair and understandable conditional release process.

 

Critères

 

102. La Commission et les commissions provinciales peuvent autoriser la libération conditionnelle si elles sont d’avis qu’une récidive du délinquant avant l’expiration légale de la peine qu’il purge ne présentera pas un risque inacceptable pour la société et que cette libération contribuera à la protection de celle‑ci en favorisant sa réinsertion sociale en tant que citoyen respectueux des lois.

 

Criteria for granting parole

 

102. The Board or a provincial parole board may grant parole to an offender if, in its opinion,

 

(a) the offender will not, by reoffending, present an undue risk to society before the expiration according to law of the sentence the offender is serving; and

 

(b) the release of the offender will contribute to the protection of society by facilitating the reintegration of the offender into society as a law‑abiding citizen.

 

1992, ch. 20, art. 102; 1995, ch. 42, art. 27(F).

1992, c. 20, s. 102; 1995, c. 42, s. 27(F).

 

[22]           Un des principaux arguments que l’avocat de M. Collier a présenté au tribunal était que la CNLC n’avait pas tenu suffisamment compte de la conduite appropriée qu’avait eue M. Collier en établissement au cours des sept dernières années, notamment des rapports positifs préparés par des personnes qui étaient en contact quotidien avec M. Collier. Le tribunal note également son argument selon lequel [traduction] « la Commission a également omis de tenir compte de votre état de santé physique lorsqu’elle a évalué le risque que vous représentez, et vous pensez qu’elle s’est principalement fondée sur le récent rapport psychologique préparé par le Dr Harris qui ne prenait aucunement en compte votre santé physique et votre comportement conformiste ».

 

[23]           Voici ce qu’a écrit le tribunal en réponse à cet argument :

[traduction] À notre avis, la Commission a évalué de façon appropriée le risque que vous représentez, à la lumière des principes exposés dans l’arrêt Steele et de la politique de la Commission applicable aux délinquants dangereux. Elle a porté principalement son attention sur la question fondamentale à résoudre, c’est‑à‑dire celle de savoir si le fait de vous accorder la libération conditionnelle totale ferait courir un risque inacceptable à la société. Elle a, ce faisant, pris en compte les circonstances particulières de votre dossier, y compris les nouveaux renseignements quant à savoir si vous pouviez participer à un programme destiné aux délinquants sexuels malgré vos problèmes de santé. Contrairement à ce que vous soutenez, la Commission connaissait très bien vos difficultés de nature médicale. Votre dossier mentionnait vos besoins médicaux et cette question a été soulevée à l’audience. La Commission a pleinement tenu compte de vos problèmes médicaux dans sa décision. En particulier, elle a, à juste titre, considéré que le programme d’intensité élevée pour délinquants sexuels du Centre de traitement régional était en mesure de répondre à vos besoins médicaux, votre médecin estimant que vos problèmes de santé ne vous empêchaient pas de participer à des cours, à des séances de counseling et à des discussions de groupe.

 

 

[24]           De la même façon, le tribunal a également pris en compte l’argument du demandeur concernant l’amélioration de sa conduite en établissement. Le tribunal a écrit :

[traduction] Nous estimons que votre affirmation selon laquelle la Commission n’a pas pris en compte de façon appropriée le fait que votre comportement en établissement s’est amélioré au cours des sept dernières années n’est pas fondée. Cette question a été débattue à l’audience et les lettres positives écrites par des personnes qui vous connaissaient ont été mentionnées. La Commission a pris en considération dans sa décision votre comportement en établissement et a noté que la stabilité dont vous aviez fait preuve en établissement montrait que vous étiez susceptible de profiter de la mise en œuvre de votre plan correctionnel.

 

[25]           À mon avis, M. Collier n’a pas démontré que la décision du tribunal était déraisonnable. Le tribunal disposait du dossier et des motifs de la CNLC. Dans sa décision de novembre 2004, la CNLC avait écrit :

[traduction] Vous avez déclaré antérieurement que votre mobilité réduite vous empêcherait de récidiver. Cependant, les examens psychologiques indiquent que vous seriez en mesure de vous en prendre à un enfant à distance, compte tenu de vos antécédents en matière d’outrage à la pudeur, de sous‑stimulation et en raison de votre attirance sexuelle immodérée pour les enfants.

 

 

[26]           Je cite un autre passage de la décision de la CNLC de novembre 2004 :

 

                        [traduction] Manifestement, votre santé s’est détériorée depuis quelques années, étant donné que vous passez maintenant la plus grande partie de votre temps dans un fauteuil roulant, en raison de l’arthrite grave dont vous souffrez. Vous avez été amputé de trois orteils.

 

 

[27]            La CNLC a également pris en considération les observations selon lesquelles [traduction] « votre vue et votre mobilité physique ont pour effet de réduire le risque que vous représentez ». En outre, dans sa décision du 12 mai 2005, la CNLC fait expressément référence à la lettre du 15 février 2005 que lui a envoyée le Dr McKeough.

 

[28]           De plus, dans sa décision de novembre 2004, la CNLC notait que le projet de sortie de M. Collier était vague, comprenant l’achat d’une maison mobile dans laquelle il habiterait, le retour dans une ville de la Saskatchewan pour être près de sa famille et l’affirmation faite à l’audience qu’il aimerait commencer sa mise en liberté graduelle en résidant dans un centre correctionnel communautaire. La CNLC a noté l’absence de toute stratégie communautaire et le fait qu’il ne bénéficiait d’aucun soutien familial.

 

[29]           J’ai soigneusement examiné le rapport du Dr Harris qui se trouve à l’onglet 3 du dossier de demande du demandeur. L’argument selon lequel le Dr Harris qui a eu un entretien avec M. Collier pendant cinq heures réparties sur cinq jours ne connaissait pas les problèmes de santé et l’amélioration de son comportement et n’en a pas tenu compte n’est pas fondé. À la page 15 de son rapport, le Dr Harris déclare expressément que [traduction] « le risque qu’il commette des gestes violents est peut‑être atténué par ses problèmes médicaux actuels ». À la page 16 de son rapport, le Dr Harris mentionne que ses problèmes médicaux peuvent avoir pour effet de réduire son risque de récidive, mais que celui‑ci se situe néanmoins entre élevé et très élevé. Enfin, à la page 15 de son rapport, le Dr Harris mentionne les facteurs positifs et les éléments favorables concernant M. Collier, à savoir l’amélioration de son comportement et ses excellents résultats scolaires.

 

[30]           L’avocat du demandeur n’a pas sérieusement contesté l’ensemble des preuves médicales. M. Collier n’a pas présenté à la CNLC d’élément de preuve réfutant les examens psychiatriques et psychologiques qu’il avait passés, si ce n’est pour affirmer que ces examens étaient peut‑être anciens, compte tenu de son état de santé et de sa bonne conduite.

 

[31]           Il n’appartient pas à la Cour d’apprécier à nouveau les preuves présentées au tribunal, dans le contexte d’un contrôle judiciaire. Le tribunal pouvait raisonnablement se fonder sur ces preuves pour tirer la conclusion qu’il a tirée, à savoir que sur le vu du dossier présenté à la CNLC et des deux décisions de la CNLC, celle‑ci avait pris en compte, pour évaluer le risque que M. Collier représentait pour la société, la santé de M. Collier et l’amélioration de son comportement.

 

[32]           La question en litige dans l’arrêt Steele, précité, était de savoir si la Commission nationale des libérations conditionnelles avait commis une erreur en refusant d’octroyer la libération conditionnelle à M. Steele, refus qui entraînait son maintien en détention et constituait une peine cruelle et inusitée.

 

[33]           Dans l’arrêt Steele, précité, la Cour suprême du Canada a précisé la portée du jugement qu’elle avait prononcé dans l’affaire R. c. Lyons, [1987] 2 R.C.S. 309, dans lequel le juge La Forest avait statué que l’obligation qu’avait la Commission de procéder régulièrement à l’examen du maintien en détention d’un détenu visait à assurer que la peine de durée indéterminée imposée soit adaptée à la situation du délinquant et aux circonstances de l’infraction, de façon à éviter toute violation de l’article 12 de la Charte.

 

[34]           Dans cette affaire, la Cour suprême avait accordé une grande importance aux critères légaux exposés au paragraphe 16(1) de la Loi sur la libération conditionnelle de détenus, abrogée aujourd’hui, qui énonçait que la Commission nationale des libérations conditionnelles pouvait accorder la libération conditionnelle lorsque les conditions suivantes étaient remplies : 1) le détenu avait tiré le plus grand avantage possible de l’emprisonnement, 2) l’octroi de la libération conditionnelle faciliterait le redressement et la réhabilitation du détenu, et 3) la mise en liberté du détenu ne constituait pas un risque indu pour la société. La Loi sur la libération conditionnelle de détenus a été abrogée par le Parlement et remplacée par la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition.

 

[35]           Dans l’arrêt Lyons, précité, le juge La Forest avait déclaré que le processus de libération conditionnelle « revêt une importance capitale, car seul ce processus permet vraiment d’adapter la peine à la situation de chaque délinquant ».

 

[36]           C’est le juge Cory qui a rédigé les motifs de jugement de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Steele, précité. Il a examiné chacun des critères légaux exposés au paragraphe 16(1) de la Loi sur la libération conditionnelle, en vigueur à l’époque. Il a exprimé sa conclusion au paragraphe 67 de ses motifs, que je cite :

 

¶ 67      Ce n’est que par l’observation et l’application soigneuses de ces critères qu’il est possible d’adapter la peine d’une durée indéterminée à la situation de chaque délinquant. Le faire permet d’assurer que les dispositions relatives à la détermination de la peine des délinquants dangereux ne violent pas l’art. 12 de la Charte. S’il ressort clairement de la lecture du dossier que la Commission a mal appliqué ces critères ou n’en a pas tenu compte pendant un certain nombre d’années de sorte qu’un délinquant est resté en prison bien au‑delà du moment où il aurait dû obtenir sa libération conditionnelle, alors la décision de la Commission de garder le délinquant en prison peut fort bien violer l’art. 12. À mon avis, c’est le cas en l’espèce. [Non souligné dans l’original.]

 

 

[37]           Le juge Cory a examiné chacun des trois critères applicables à l’époque à la mise en liberté par la Commission des libérations conditionnelles d’une personne qui purgeait une peine de durée indéterminée. Premièrement, il a examiné les preuves relatives à la question de savoir si M. Steele avait tiré l’effet positif maximal de l’emprisonnement. Il a écrit ce qui suit aux paragraphes 68 et 69 de ses motifs :

 

¶ 68      D’abord, l’incarcération de Steele avait depuis longtemps dépassé le stade où celui‑ci avait tiré « l’effet positif maximal de l’emprisonnement ». Pendant qu’il était incarcéré, les gouvernements ont changé, des guerres se sont déclarées et ont pris fin et toute une génération a atteint l’âge adulte. Il a passé plus de temps en prison que la plupart de tous les meurtriers les plus cruels et les plus impitoyables. À la vérité, on peut douter que Steele ait tiré quelque avantage de son emprisonnement. Pendant les vingt premières années de son incarcération, il n’y avait pas, en Colombie‑Britannique, d’établissement qui pouvait fournir à Steele le traitement psychiatrique dont il avait besoin. Quand ce traitement est devenu disponible, Steele était un détenu d’âge moyen, habitué de vivre en prison, qui, naturellement, percevait le programme de traitement plutôt comme un moyen d’obtenir sa mise en liberté que comme une possibilité de réadaptation.

 

¶ 69      Pendant toute la durée de son emprisonnement, de nombreux observateurs ont déclaré que, non seulement Steele avait tiré le bénéfice maximal de son incarcération, mais que la prolongation de celle‑ci entraînerait une détérioration de sa situation. Dès 1960, le Dr P. Middleton mentionnait qu’aucun service de traitement offert au pénitencier ne pouvait compenser [traduction] « les effets nocifs de l’exposition » aux autres détenus. Les autres observateurs qui ont souligné le même point sont : le Dr D. C. MacDonald, le sous‑directeur W. H. Collins et le représentant communautaire P. D. Redecopp en 1964, le Dr J. C. Bryce en 1968, M. Lee Pulos en 1970, l’agent communautaire de libération conditionnelle William F. Foster et M. Pulos, de nouveau, en 1972, les Drs Milton H. Miller et A. Saad en 1974, et enfin le Dr W. J. Ross en 1981. Même le Dr Noone, qui a déposé pour le compte du ministère public à l’occasion de la requête en l’espèce, a reconnu les effets négatifs que comportent les peines d’emprisonnement d’une durée indéterminée pour les délinquants dangereux. Bien que certains observateurs aient émis l’avis qu’il ne fallait pas mettre Steele en liberté, aucun d’entre eux n’a soutenu que la prolongation de son incarcération avait été ou serait bénéfique dans son cas.

 

[38]           Il a analysé le deuxième critère et déclaré qu’il était rempli depuis longtemps. Après avoir examiné les preuves, il a déclaré que la situation de M. Steele s’était détériorée en prison et que l’immense majorité des preuves psychiatriques et psychologiques indiquaient que sa réadaptation ne pourrait être facilitée et réalisée que par sa mise en liberté progressive et surveillée dans la société.

 

[39]           Il a ensuite examiné le troisième critère qu’il a qualifié de critère le plus important, à savoir si le délinquant constitue un trop grand risque pour la société. Il a écrit ce qui suit au paragraphe 71 :

 

¶ 71      Il reste alors le troisième et le plus important critère, savoir si le délinquant constitue un trop grand risque pour la société. Si la mise en liberté d’un détenu continue de constituer un trop grand risque pour la société, la prolongation de sa détention à perpétuité peut être justifiée. Il n’y a pas de doute que, dans le cours normal des choses, les experts qui participent aux examens menés par la Commission des libérations conditionnelles et à ses décisions sont les mieux placés pour déterminer si la mise en liberté d’un détenu présente un trop grand risque pour la société. Cependant, vu la durée exceptionnelle de l’incarcération de Steele, il convient d’examiner si la Commission a commis une erreur en jugeant qu’il présentait un danger pour la société. [Non souligné dans l’original.]

 

[40]           Il a examiné les preuves médicales apportées par les psychiatres et les psychologues qui avaient eu un entretien avec M. Steele et dont les rapports avaient été communiqués à la Commission des libérations conditionnelles. Il a conclu que seize de ces experts avaient formulé une recommandation au sujet de l’octroi de la libération conditionnelle. Treize de ces seize personnes recommandaient son élargissement sous la forme d’une libération conditionnelle surveillée.

 

[41]           Au paragraphe 75, le juge Cory déclare : « Il est difficile de trouver, dans les actes accomplis par Steele au cours des vingt dernières années, des éléments de preuve indiquant qu’il a continué de constituer un trop grand risque pour la société. Les manquements à ses libérations conditionnelles résultent non pas d’une tendance à s’adonner constamment à la violence ou à un comportement sexuel anormal, mais des difficultés qu’il éprouvait à respecter les restrictions relatives aux heures de rentrée et à s’abstenir de consommer des boissons alcooliques. » Il conclut, aux paragraphes 78 et 79, de la façon suivante :

¶ 78      Les critères établis par la Loi doivent être appliqués à chaque détenu pris individuellement et être examinés en fonction de toutes les circonstances pertinentes. L’une de ces circonstances est la longueur de la peine déjà purgée. Il se peut que l’emprisonnement pendant plusieurs décennies ne justifie pas à lui seul la libération conditionnelle. Cependant, il peut bien servir d’indication que le détenu n’est plus dangereux. Il est sûr qu’on pourrait raisonnablement s’attendre qu’avec l’écoulement de longues périodes de temps, l’appétit sexuel diminue au point de devenir au moins contrôlable, s’il n’a pas complètement disparu. De même, un long emprisonnement et l’effet concomitant d’habitude de vie en prison qu’il a sur un détenu peut expliquer et même excuser en partie certains manquements à la discipline.

 

¶ 79      À mon avis, les éléments de preuve soumis démontrent que la Commission nationale des libérations conditionnelles a commis une erreur en appliquant les critères énoncés à l’al. 16(1)a) de la Loi sur la libération conditionnelle. La Commission semble avoir fondé sa décision de refuser la libération conditionnelle sur des manquements à la discipline relativement mineurs et apparemment explicables que Steele a commis, plutôt que de se concentrer sur le point crucial de savoir si sa libération conditionnelle constituerait un risque trop grand pour la société. À cause de ces erreurs, le processus d’examen de la demande de libération conditionnelle n’a pas permis d’adapter la peine de Steele à la situation dans laquelle il se trouvait. La durée excessive de son incarcération est depuis longtemps devenue exagérément disproportionnée aux circonstances de l’espèce.

 

[42]           Je souscris à l’observation qu’a faite l’avocat du procureur général du Canada, selon laquelle les conditions de détention de M. Collier sont tout à fait différentes de celles de l’affaire Steele. Les preuves médicales au dossier, tant dans celui dont disposait le tribunal que dans celui dont disposait la CNLC, établissent que M. Collier constitue toujours un risque inacceptable pour la société.

 

[43]           Sur cette question qui touche les critères exposés dans l’arrêt Steele, le demandeur critique le fait que la Section d’appel ait approuvé le plan correctionnel de M. Collier, l’estimant adapté à sa situation malgré le fait que son admission au programme dont il a besoin ait été reportée à 2007. Le demandeur soutient que la Section d’appel n’aurait pas dû se contenter d’inviter le SCC à faire admettre M. Steele dans le programme le plus rapidement possible. Il soutient que le tribunal n’a pas respecté les critères exposés dans l’arrêt Steele lorsqu’il s’est prononcé sur la question de savoir si l’incarcération de M. Collier constituait aujourd’hui une violation de l’article 12 de la Charte.

 

[44]           Je ne peux souscrire aux observations qu’a formulées sur ce point l’avocat du demandeur. Là encore, les motifs des décisions de la CNLC indiquent que celle‑ci connaissait les critères exposés dans l’arrêt Steele et leur importance dans l’exécution de son mandat, lorsqu’il s’agit d’accorder la libération conditionnelle à des personnes qui purgent des peines de durée indéterminée et dans le contexte des nouveaux critères applicables en matière de libération conditionnelle prévus par la Loi, parmi lesquels la protection de la société est le critère déterminant (voir Fournier c. Canada (Procureur général), 2004 CF 1124. Il me semble que la partie essentielle des décisions de la CNLC concerne le risque que représente M. Collier pour la société, dans le cas où il obtiendrait sa libération conditionnelle. La CNLC a également exprimé certaines inquiétudes au sujet de l’imprécision de son projet de sortie.

 

[45]           Le souci de respecter les principes énoncés dans l’arrêt Steele ont amené la CNLC à examiner l’aptitude de M. Collier à participer au Programme et a affirmer : [traduction] « [I]l sera impératif que vous réduisiez votre risque, avant que l’on puisse envisager de vous accorder une forme de mise en liberté conditionnelle ». Le tribunal a adopté la même approche lorsqu’il a déclaré : [traduction] « [L]a Commission a évalué de façon appropriée le risque que vous représentez, à la lumière des principes exposés dans l’arrêt Steele et de la politique de la Commission applicable aux délinquants dangereux. Elle a porté principalement son attention sur la question fondamentale à résoudre, c’est‑à‑dire celle de savoir si le fait de vous accorder la libération conditionnelle totale ferait courir un risque inacceptable à la société. »

 

[46]           Pour ce qui est de la recommandation invitant le SCC à faire admettre M. Collier dans le Programme le plus rapidement possible, la jurisprudence semble indiquer que la CNLC n’a pas compétence à l’égard du plan correctionnel d’un détenu (voir Stoddart c. Canada (Commission nationale des libérations conditionnelles), 2004 CF 1350).

 

[47]           De toute façon, il est pour le moment prématuré ou hypothétique d’affirmer que M. Collier ne sera pas admis dans le Programme le plus rapidement possible. Si ce n’est pas le cas, l’omission du SCC de le faire sera un facteur dont la CNLC sera obligée de tenir compte dans l’application des principes de l’arrêt Steele.

 

[48]           Enfin, je note que M. Collier a envoyé directement à la Cour une copie d’une lettre datée du 16 mai 2006 qu’il avait écrite à son avocat. Je n’ai pas tenu compte de cette lettre, étant donné que l’avocat du défendeur n’en a pas reçu copie et que, de toute façon, elle soulève des aspects que le demandeur a eu la possibilité de présenter à la CNLC et au tribunal.


ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE que la présente demande de contrôle judiciaire soit rejetée, avec dépens au défendeur, taxés selon la valeur médiane des unités prévues à la colonne III du tarif B.

 

 

« François Lemieux »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T‑2240‑05

 

 

INTITULÉ :                                       JAMES CLAYTON COLLIER

                                                            c.

                                                            LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 KINGSTON (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 11 MAI 2006

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       LE JUGE LEMIEUX

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 9 JUIN 2006

 

 

COMPARUTIONS :

 

Sean Ellacott

 

POUR LE DEMANDEUR

R. Jeff Anderson

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

                                   

Sean Ellacott Law Office

275, rue Notario, pièce 204

Kingston (Ontario)  K7K 2X5

POUR LE DEMANDEUR

 

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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