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Date : 19980505


Dossier : IMM-3750-97

ENTRE :

     NANCY GRACE GREGORY,

     requérante,

     - et -

     LE MINISTRE DE L'IMMIGRATION ET DE LA CITOYENNETÉ,

     intimé.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE SUPPLÉANT HEALD

[1]      Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision de la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié ( la Commission ), en date du 5 août 1997, par laquelle le statut de réfugié au sens de la Convention a été refusé à la requérante.

Les faits

[2]      La requérante est une Tamoul, originaire du nord du Sri Lanka, où elle a exploité avec son époux et ses six fils une ferme avec succès. Avant l'occupation de leur région par l'armée sri-lankaise en octobre 1991, ils ont été de temps à autre harcelés par les LTTE. La famille a été détenue par les LTTE et a dû exécuter des travaux forcés pour ces derniers qui leur extorquaient de l'argent et menaçaient leur vie. Après s'être enfuies du Jaffna, la requérante et sa famille se sont établies au Poonaryn, où les LTTE ont continué de les voler. Deux des fils de la requérante ont été enlevés et contraints aux travaux forcés. Quant à son mari, il a été obligé de fournir de la nourriture gratuitement.

[3]      En mai 1995, la requérante a obtenu des LTTE un laissez-passer pour elle-même et ses fils les plus jeunes et s'est dirigée vers le sud. Son mari et ses autres fils ont fui par la jungle dans la même direction. Après s'être retrouvés à Vavuniya, ils sont tous partis pour Colombo (au sud du Sri Lanka). La famille s'est fait arrêter à Colombo au cours d'un ratissage de sécurité qui a suivi l'explosion d'une bombe. Le mari et les deux cadets ont été relâchés le lendemain. Quant aux autres fils, ils ont été détenus environ deux semaines. Grâce à un pot-de-vin, ils ont été libérés le 29 octobre 1995. Ils ont été avisés qu'il ne pouvaient pas demeurer à Colombo et qu'ils devaient chaque semaine se présenter à la police. C'est alors qu'ils ont décidé de s'enfuir du Sri Lanka en ayant recours aux services d'un agent. Ils ont quitté ce pays le 5 novembre 1995. La requérante est arrivée au Canada le 27 avril 1996.

Les motifs de la Commission

[4]      La Commission a tiré plusieurs conclusions défavorables quant à la crédibilité du témoignage de la requérante. Elle a aussi conclu que c'est la famille de la requérante plutôt que la requérante elle-même qui avait été la cible de la plupart des incidents de harcèlement, et que de toute façon ces incidents n'équivalent pas à de la persécution. De plus, la Commission a conclu d'après l'ensemble de la preuve que la requérante avait une possibilité de refuge intérieur (PRI) à Colombo.

Les questions en litige

1.      La Commission a-t-elle commis une erreur en tirant des conclusions défavorables en ce qui concerne la crédibilité du témoignage de la requérante?
2.      La Commission a-t-elle commis une erreur lorsqu'elle a étudié la preuve?
3.      La Commission a-t-elle commis une erreur lorsqu'elle a conclu, dans ce dossier, qu'une PRI s'offrait à la requérante?

Analyse

1.      La crédibilité

[5]      La Commission a tiré plusieurs conclusions défavorables quant à la crédibilité du témoignage de la requérante. Les invraisemblances dans le récit de la requérante l'ont motivée pour certaines de ses conclusions tandis que, pour d'autres, ce furent les contradictions entre le FRP de la requérante et son témoignage. Pour ce qui est des " invraisemblances " relevées par la Commission, j'ai conclu que, pour la majorité d'entre elles, la Commission a eu raison dans ce dossier. Par contre, je ne puis accepter la conclusion de la Commission lorsqu'elle qualifie d'invraisemblable le témoignage de la requérante suivant lequel les LTTE " permettent aux gens de fuir vers le sud par des chemins d'évasion " ou " ne peuvent empêcher la corruption de leurs officiers ". À mon avis, cette conclusion n'est qu'une supposition. De plus, elle est manifestement fausse. Il n'est vraiment pas raisonnable de présumer sans preuve à l'appui que le régime au pouvoir d'un pays est omnipotent ou omniprésent et qu'il permet aux gens de s'enfuir. À l'exception de ce qui vient d'être dit, j'ai conclu que, pour l'ensemble du dossier, la Commission pouvait raisonnablement tirer ces conclusions quant à la crédibilité. Étant donné qu'à elle seule cette erreur ne remet pas en cause la décision, l'intervention de la Cour n'est pas justifiée.1

2. L'examen de la preuve

[6] La requérante soutient que la conclusion de la Commission est manifestement déraisonnable puisque cette dernière prétend que la requérante n'a pas été persécutée du simple fait que certains membres de sa famille l'ont été. Même si, pour cette question, la Commission a sans aucun doute fondé en partie son raisonnement sur ce qu'a vécu la requérante personnellement, il est clair qu'elle ne considère pas que la requérante a réussi à prouver que son époux et ses deux fils ont été persécutés. À la page 3 de ses motifs, la Commission a déclaré ce qui suit : [traduction] " Lorsqu'elle a parlé de harcèlement, la requérante s'est contentée de faire des suppositions et de tenir des propos vagues. Elle a été incapable de décrire des moments précis où elle ou son époux auraient été battus ou harcelés. " À la page 11 de ses motifs, la Commission déclare qu'elle [traduction ] " a conclu que la requérante n'était pas crédible au sujet des mauvais traitements qu'auraient subis ses fils. " Je suis d'avis que, dans le présent dossier, la Commission était en droit de conclure ainsi.

3. La possibilité de refuge intérieur

[7] Mon examen du dossier me convainc que la Commission n'a commis aucune erreur susceptible de contrôle judiciaire en concluant qu'une PRI était offerte à la requérante à Colombo. Selon la requérante, la Commission aurait omis de considérer plusieurs points : c'était la première fois qu'elle allait à Colombo lorsqu'elle s'y est réfugiée temporairement; elle n'y avait ni amis ni parents, et la police lui avait conseillé de quitter Colombo avant qu'elle s'y rende. En réalité, la Commission a effectivement tenu compte de ces faits. Les motifs de la Commission y font particulièrement référence à la page 8. La Commission a conclu que la requérante avait une PRI à Colombo. À mon avis, il était raisonnablement loisible à la Commission de tirer cette conclusion dans ce dossier.

Conclusion

[8]      Pour ces motifs, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

Certification

[9]      L'avocat de la requérante propose que les quatre questions suivantes soient certifiées en vertu de l'article 83 de la Loi sur l'immigration :

     1.      Si le tribunal doute de la crédibilité d'un demandeur à cause de certaines questions qui ne se rapportent pas au fond de la revendication, ce doute peut-il justifier son refus sur le fond?
     2.      Si une personne est privée en tant que mère et épouse de sa vie familiale à cause de la persécution que subissent ses enfants et son époux, craint-elle avec raison d'être persécutée?

    

     3.      Le tribunal a-t-il commis une erreur de droit en tirant ses conclusions au sujet de la plausibilité de la preuve si elles reposent sur des conjectures?
     4.      Le tribunal est-il tenu d'expliquer pourquoi il n'a pas appliqué les règles établies par le président de la Commission en vertu de l'article 65(3) de la Loi sur l'immigration ?

[10]      Je suis d'accord avec l'avocat de l'intimé. La jurisprudence existante répond à la première question.2

[11]      Quant à la seconde question, qui traite de la persécution indirecte, la Cour d'appel fédérale y a répondu dans Pour-Shariati c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration3.

[12]      En ce qui concerne la troisième question maintenant, je suis du même avis que l'avocat de l'intimé. Cette question est particulière aux faits de la présente affaire et ne soulève aucune question de portée générale comme l'exige l'article 83 de la Loi sur l'immigration.

[13]      Finalement, la quatrième question n'est pas pertinente puisqu'elle ne serait pas déterminante quant à l'issue de l'appel4.


[14]      En conséquence, aucune des questions proposées par l'avocat de la requérante ne doit être certifiée.

" Darrel V. Heald "

Juge suppléant

Toronto (Ontario)

Le 5 mai 1998

Traduction certifiée conforme

Yvan Tardif, LL.L

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     Avocats et procureurs inscrits au dossier

DOSSIER :                          IMM-3750-97
INTITULÉ DE LA CAUSE :              NANCY GRACE GREGORY
                             - et -
                             LE MINISTRE DE LA
                             CITOYENNETÉ ET DE
                             L'IMMIGRATION
DATE DE L'AUDIENCE :                  LE 5 MAI 1998
LIEU DE L'AUDIENCE :                  TORONTO (ONTARIO)
MOTIFS DE L'ORDONNANCE :              LE JUGE SUPPLÉANT HEALD
DATE DES MOTIFS :                  LE 5 MAI 1998

ONT COMPARU :                     

                             M. Francis Xavier
                                 Pour la requérante
                             M. Godwin Friday
                                 Pour l'intimé

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :             

                             Francis Xavier
                             Avocat
                             2401, avenue Eglinton Est
                             Suite 210
                             Toronto (Ontario)
                             M1K 2M5
                                 Pour le requérant
                             George Thomson
                             Sous-procureur général
                             du Canada
                                 Pour l'intimé

                            

                             COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                 Date : 19980505

                        

         Dossier : IMM-3750-97

                             Entre :

                             NANCY GRACE GREGORY,

     requérante,

                             - et -

                             LE MINISTRE DE L'IMMIGRATION ET DE LA CITOYENNETÉ,

                        

     intimé.

                    

                            

                                 MOTIFS DE L'ORDONNANCE

                            

__________________

     1      Comparer avec Miranda c. Canada (M.E.I.), (1993) 63 F.T.R. 81 (C.F. 1re inst.)

     2      Voir Hilo c. Canada (M.E.I.) (1991), 15 Imm. L.R.(2e) 199, voir aussi Dan-Ash c. M.E.I. (1988), 93 N.R. p. 33 à 35.

     3      (1997) 215 N.R. 174 (C.A.F.)

4      Comparer avec Chu c. Canada (M.C.I.), (1996) 116 F.T.R. 68

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