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Date : 20021205

Dossier : IMM-4730-01

Référence neutre : 2002 CFPI 1258

OTTAWA (ONTARIO), LE 5 DÉCEMBRE 2002

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MARTINEAU

ENTRE :

                                                                 MONTEIRO Remy

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                                   et

                                               LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                 Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire visant la décision par laquelle la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a refusé, le 26 septembre 2001, de reconnaître le statut de réfugié au sens de la Convention au demandeur.


CONTEXTE

[2]                 Le demandeur, un ressortissant sénégalais, prétend avoir été persécuté du fait de ses opinions politiques en raison de son appartenance au Mouvement des Forces Démocratiques de la Casamance (le MFDC). Selon les documents versés au dossier, le MFDC est un groupe séparatiste qui fait la promotion de la sécession du Sud du Sénégal et qui a aussi une aile armée.

[3]                 Le demandeur s'est joint au MFDC en 1991 et est devenu membre de la direction à Dakar en 1992. Il prétend qu'il était chargé de la restructuration de la Ligue de la Jeunesse. Vers mai 1996, il aurait envoyé une lettre à Marcel Bassene, qui devait mettre sur pied un comité formé de représentants du gouvernement et du MFDC, dans laquelle il aurait dénoncé le sabotage du processus de paix et la torture commise par certains officiers de l'armée sénégalaise. Il prétend que l'armée a intercepté la lettre, ce qui a mené à son enlèvement une semaine après son retour du Canada à la fin d'août 1996. Il a été détenu et torturé, avant d'être libéré à la fin de septembre 1996.


[4]                 Le demandeur prétend qu'il a été de nouveau arrêté en août 1997. Il a alors été à la fois le témoin et la victime d'actes de torture. Il a été libéré le 7 octobre 1997. Il a quitté le pays en décembre 1997 pour aller en Guinée-Bissau, où il est demeuré jusqu'en mai 1998. Il est alors retourné à Dakar afin de reconstituer la Ligue de la Jeunesse. Il a quitté le Sénégal en février 1999, avec un nouveau passeport et une nouvelle carte d'identité délivrés par les autorités de ce pays. Ce n'est qu'en juillet 1999, après avoir reçu de nouveaux renseignements de son épouse, que le demandeur a décidé de revendiquer le statut de réfugié au Canada.

[5]                 La revendication a été rejetée pour deux motifs :

a)         Premièrement, la Commission a considéré que le demandeur n'était pas crédible et qu'il n'avait pas une crainte subjective d'être persécuté (la [traduction] « question de l'inclusion » ).

b)         Deuxièmement, la Commission avait des raisons sérieuses de penser que le demandeur avait été complice de crimes contre l'humanité commis par le MFDC (la [traduction] « question de l'exclusion » ).

PRÉTENTIONS DES PARTIES


[6]                 En ce qui concerne la question de l'inclusion, le demandeur soutient que la Commission a commis une erreur en ne tenant pas compte de la preuve qu'il a présentée relativement à des incidents importants qui justifiaient sa revendication. En particulier, la Commission a considéré qu'il était invraisemblable que les autorités aient libéré le demandeur en octobre 1997 après que celui-ci eut été témoin de différents assassinats et actes de torture. L'avocate du demandeur souligne cependant que la preuve documentaire fait état de personnes qui ont été arrêtées et torturées par les autorités et qui ont néanmoins été remises en liberté. Selon elle, l'explication du demandeur selon laquelle il a pu obtenir sa remise en liberté en prétendant être un membre du groupe ethnique Peulh, lequel soutient le gouvernement sénégalais, était raisonnable. Elle a fait valoir en outre que, la Commission ayant reconnu que le demandeur était un membre important du MFDC, plusieurs de ses conclusions d'invraisemblance sont tout simplement non fondées. Le demandeur ajoute que la Commission n'a pas traité, dans sa décision, des raisons pour lesquelles il n'a pas revendiqué plus tôt le statut de réfugié et qu'elle n'a pas tenu compte des conditions particulières existant au Sénégal.

[7]                 En ce qui concerne la question de l'exclusion, le demandeur prétend d'abord que la Commission a commis une erreur lorsqu'elle a rejeté son objection à l'intervention tardive du ministre et qu'elle a enfreint les règles de l'équité procédurale en décidant, un mois après l'audience, de porter l'affaire à l'attention du ministre et de lui donner de nouveau la possibilité d'intervenir. Même s'il avait déjà indiqué qu'il n'avait pas l'intention d'intervenir, le ministre, après avoir reçu cette invitation et avoir écouté l'enregistrement de l'audience du demandeur, a délivré un avis d'intervention informant ce dernier de son intention d'invoquer la section F de l'article premier de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés (la Convention). Devant la Cour, l'avocate du demandeur a souligné que le ministre devrait être lié par la décision qu'il avait prise précédemment et qu'il devrait donner une explication adéquate au demandeur lorsqu'il change d'avis. Elle soutient en outre qu'un tel changement ne peut être justifié que lorsque de nouveaux éléments de preuve sont produits à l'audience, ce qui n'est pas le cas en l'espèce. Elle soutient finalement que l'affaire a subi des retards considérables et que l'audience a dû être reprise parce que le ministre avait changé d'idée.

[8]                 Par ailleurs, le demandeur conteste la conclusion de la Commission selon laquelle il existait des raisons sérieuses de penser qu'il avait été complice de crimes contre l'humanité commis par le MFDC. Selon le demandeur, il y a des divisions internes au sein du MFDC et le premier dirigeant de l'organisation n'exerce pas de contrôle sur les factions et les rebelles dissidents qui se livrent à des actes de violence au nom du MFDC. Le demandeur soutient que la Commission a commis une erreur de droit en appliquant les principes généraux relatifs à la complicité et à l'association qui ont été élaborés par la Cour d'appel fédérale dans des arrêts-clés, et en ne traitant pas, dans sa décision, de l'argument particulier qu'il a invoqué. L'avocate du demandeur rappelle à cet égard que ce dernier a toujours prôné la paix et ne s'est jamais associé à quiconque a commis des actes de violence au nom du MFDC.


[9]                 De son côté, le défendeur soutient que la Commission n'a pas ignoré des éléments de preuve pertinents et que le demandeur n'a pas démontré que la conclusion relative à la crédibilité et les autres conclusions de fait tirées par la Commission sont manifestement déraisonnables. Il soutient également qu'il n'y a pas eu manquement aux principes de l'équité procédurale. L'alinéa 69.1(5)a) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2 (la Loi), permet à la Commission de demander au ministre s'il souhaite produire des éléments de preuve sur la question de l'exclusion. En outre, le ministre n'est pas tenu, suivant le paragraphe 69.1(5) de la Loi, d'aviser un demandeur de son intention de participer à une audience. Comme le juge Robertson (tel était alors son titre) l'a dit dans l'arrêt Arica c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1995), 182 N.R. 392 (C.A.F.), à la page 396 : « [l']avis, qui est destiné seulement à la Commission, a pour but de permettre au ministre d'interroger un demandeur et d'autres témoins et de faire des observations. » Rien n'empêche le ministre de changer d'avis au cours d'une procédure, même si cela peut entraîner des inconvénients et des délais additionnels. L'avis d'intervention n'est pas une [traduction] « décision » , et le défendeur prétend que la Commission ne peut contraindre le ministre à expliquer les raisons pour lesquelles il change d'idée. Par ailleurs, pour ce qui est des motifs justifiant l'exclusion du demandeur, le défendeur défend la décision de la Commission, laquelle renvoie aux arrêts suivants : Ramirez c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] 2 C.F. 306 (C.A.F.); Moreno c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] 1 C.F. 298 (C.A.F.); Sivakumar c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] 1 C.F. 433 (C.A.F.); Gonzalez c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] 3 C.F. 646 (C.A.F.).

ANALYSE


[10]            La définition de « réfugié au sens de la Convention » prévue au paragraphe 2(1) de la Loi exige que le demandeur prouve qu'il « crai[nt] avec raison d'être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques » . Elle prévoit aussi qu'elle n'englobe pas « les personnes soustraites à l'application de la Convention par les sections E ou F de l'article premier de celle-ci » . La section F de l'article premier de la Convention, plus précisément, indique que « [l]es dispositions de [la] Convention ne seront pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser : a) [q]u'elles ont commis [...] un crime contre l'humanité » .

[11]            J'examinerai d'abord la question de l'inclusion, qui est le premier sujet abordé par la Commission dans sa décision. Pour les motifs qui suivent, je suis d'avis que la conclusion relative à la crédibilité tirée par la Commission et l'évaluation du risque qu'elle a effectuée ne devraient pas être modifiées.

[12]            L'évaluation de la crédibilité du demandeur se trouve au centre de la compétence de la Commission, et la Cour a déjà statué que celle-ci possède une expertise reconnue pour trancher des questions de fait, en particulier dans le cadre de l'évaluation de la crédibilité et de la crainte subjective de persécution d'un demandeur (voir Rahaman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 1800 (C.F. 1re inst.), au paragr. 38; Rajaratnam c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1991), N.R. 300 (C.A.F.), à la p. 306; Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1998), 157 F.T.R. 35 (C.F. 1re inst.), à la p. 40).


[13]            Il a aussi été reconnu et confirmé que la Cour ne peut substituer son opinion sur la crédibilité et l'évaluation de la preuve à celle de la Commission si le demandeur ne démontre pas que la décision de cette dernière était fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont elle disposait (voir Akinlolu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1997] A.C.F. no 296, au paragr. 14; Kanyai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] A.C.F. no 1124, au paragr. 9; le motif de contrôle judiciaire prévu à l'al. 18.1(4)d) de la Loi sur la Cour fédérale).

[14]            La Commission peut normalement conclure qu'un demandeur n'est pas crédible à cause des invraisemblances contenues dans sa preuve, si les conclusions qu'elle tire ne sont pas déraisonnables et que ses motifs sont exposés en « termes clairs et explicites » (voir Hilo c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1991), 130 N.R. 236 (C.A.F.); Aguebor c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 160 N.R. 315 (C.A.F.); Zhou c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1994] A.C.F. no 1087 (C.A.F.); Kanyai, précitée, au paragr. 10).

[15]            En outre, la Commission peut tirer des conclusions raisonnables fondées sur des invraisemblances, le bon sens et la raison (voir Shahamati c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] A.C.F. no 415, au paragr. 2 (C.A.F.); Aguebor, précité, au paragr. 4). Elle peut rejeter des éléments de preuve non réfutés s'ils ne sont pas compatibles avec les probabilités propres à l'affaire prise dans son ensemble ou si elle relève des contradictions dans la preuve (voir Akinlolu, précitée, au paragr. 13; Kanyai, précitée, au paragr. 11).


[16]            La Commission n'a tout simplement pas cru le récit des faits qui sont à l'origine de la crainte de persécution du demandeur, et elle a expliqué en termes clairs et explicites pourquoi elle avait des doutes au sujet de la crédibilité de celui-ci. Les éléments de preuve doivent être évalués ensemble et non pas isolément les uns des autres (voir Lai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1989), 8 Imm. L.R. (2d) 245 (C.A.F.)). C'est cela que la Commission a fait, et la conclusion à laquelle elle est arrivée est raisonnable. Cela ne signifie pas que je partage nécessairement son avis ou que j'aurais tiré la même conclusion. Là n'est toutefois pas la question en l'espèce. La Commission n'est pas à l'abri des erreurs. Lorsque des erreurs de fait sont commises, la Cour ne devrait pas s'empresser de substituer son opinion à celle de la Commission, sauf dans les cas les plus flagrants et lorsque l'erreur commise par la Commission est importante et manifestement déraisonnable.


[17]            En l'espèce, la Commission était disposée à reconnaître que le demandeur s'était joint au MFDC en 1991 et qu'il avait joué un rôle actif au sein de l'organisation. À cet égard, elle a reconnu l'importance du rôle que le demandeur a joué, depuis 1992, en tant que membre de la direction du MFDC à Dakar et en tant que président chargé de la restructuration de la section jeunesse. La Commission n'a toutefois pas cru son récit concernant les incidents sur lesquels il se fonde pour prétendre craindre avec raison d'être persécuté. Bien qu'elle ait reconnu et cru que le demandeur occupait un poste important, la Commission avait des raisons valables de douter de sa crédibilité au regard de sa crainte de persécution. Elle a considéré que certains aspects du témoignage du demandeur n'étaient pas crédibles à cause des incohérences et des invraisemblances qu'elle y a relevées, entre autres le fait que les autorités l'avaient libéré même si elles avaient trouvé sur lui des documents compromettants et le fait qu'il avait été en mesure de décrire son rôle au sein du MFDC mais qu'il n'avait relaté que de manière vague et imprécise son arrestation (voir Ismaeli c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1995] A.C.F. no 573; Wu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] A.C.F. no 1233). De plus, la Commission pouvait raisonnablement conclure, en se fondant sur la preuve documentaire, qu'il n'était pas plausible qu'une personne ayant été témoin de tant d'exécutions et d'actes de torture commis par les autorités soit remise en liberté et ne soit pas exécutée.


[18]            La Commission a conclu également que le comportement du demandeur dénotait une absence de crainte subjective puisqu'il n'avait pas revendiqué le statut de réfugié à sa première visite au Canada, malgré le fait qu'il aurait été arrêté à deux reprises dans son pays; au contraire, il était retourné au Sénégal. Lors de son deuxième voyage au Canada, le demandeur n'a pas revendiqué le statut de réfugié à son arrivée, mais il a attendu plusieurs mois avant de le faire. La Commission n'a pas cru l'explication donnée par le demandeur au sujet d'un appel téléphonique au cours duquel son épouse lui aurait dit qu'il était recherché par les autorités. En outre, le retard à revendiquer le statut de réfugié est indubitablement un facteur important et pertinent dont la Commission devait tenir compte pour décider si le demandeur avait une crainte subjective de persécution. La Commission pouvait raisonnablement, dans ce cas également, rejeter l'explication donnée par le demandeur. L'absence d'une crainte subjective de persécution constituait une lacune fatale et justifiait à elle seule le rejet de la revendication du demandeur (voir Tabet-Zatla c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] A.C.F. no 1778; Kamana c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] A.C.F. no 1695).

[19]            Malgré l'habile argumentation de l'avocate du demandeur à cet égard, je suis d'avis également que la Commission n'a pas ignoré des documents importants sur les conditions existant dans le pays. Il faut présumer que la Commission a évalué tous les éléments de preuve (voir Sathanandan c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1991), 15 Imm. L.R. (2d) 310 (C.A.F.); Hassan c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1992), 147 N.R. 317 (C.A.F.); Gourenko c. Canada (Solliciteur général) (1995), 93 F.T.R. 264). La Commission a bien pris note du fait que le MFDC et le gouvernement avaient signé un accord de paix en mars 2001. Selon elle, cet accord a eu une incidence sur la crainte objective de persécution du demandeur. Elle a indiqué que, même si les problèmes allégués par le demandeur existaient avant la signature de l'accord, sa crainte de persécution était moins justifiée par suite de l'entrée en vigueur de celui-ci. Même ce motif a été invoqué pour démontrer l'absence de crainte fondée de persécution, la Commission a fait remarquer que le demandeur aurait eu davantage de raisons de revendiquer le statut de réfugié au début de son séjour au Canada, alors que la situation au Sénégal était explosive.


[20]            La conclusion de la Commission sur la question de l'inclusion étant raisonnable, la question de l'exclusion semble n'avoir qu'un caractère théorique. Cela ne signifie pas que la décision de la Commission sur la question de l'exclusion était exacte, mais plutôt que, comme je suis d'avis que sa décision sur la question de la crédibilité était correcte, l'issue de l'affaire resterait la même si celle-ci était renvoyée pour faire l'objet d'un nouvel examen. Le statut de réfugié ne serait toujours pas reconnu au demandeur à cause de la première partie de la définition. Cela étant dit, je reconnais que l'exclusion par le Canada en application de l'alinéa 1Fa) de la Convention est une affaire sérieuse qui pourrait avoir des répercussions sur le demandeur pour le reste de sa vie. Je sais aussi qu'au moins un juge de la Cour a déjà indiqué que « toute mesure d'exclusion devrait être examinée pour s'assurer qu'elle est à l'abri d'erreurs même si, comme c'est le cas en l'espèce, la décision sur l'exclusion n'est pas déterminante pour l'issue de la demande de contrôle judiciaire » (le juge Simpson dans Ledezma c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1997] A.C.F. no 1664, au paragr. 6). Les remarques suivantes, quoiqu'elles soient faites de manière incidente, ont traité de cette question particulière.


[21]            Je dois mentionner d'abord que la question de l'exclusion est une question complexe. Selon la jurisprudence, la simple appartenance à un groupe organisé qui commet des crimes internationaux ne justifie pas en soi l'application de la clause d'exclusion prévue par la Convention. Cette règle ne s'applique pas cependant si l'organisation vise principalement des fins limitées et brutales. À mon avis, il s'agit d'une question de fait qui relève du rôle spécialisé de la Commission en matière d'évaluation, et celle-ci avait la compétence voulue pour évaluer et soupeser les différents documents produits en preuve sur cette question (voir Aleman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] A.C.F. no 955 (C.F. 1re inst.); Bamlaku c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1998), 142 F.T.R. 140 (C.F. 1re inst.); Sungu et al. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2002 CFPI 1207 (C.F. 1re inst.)).

[22]            Deuxièmement, il ressort de la preuve documentaire qui a été admise par la Commission que plusieurs crimes commis contre des civils ont été imputés au MFDC par différents observateurs dignes de foi, par exemple la Rencontre africaine pour la défense des droits de l'homme (la RADDHO), une organisation sénégalaise de défense des droits de la personne, et Amnistie Internationale [dossier du tribunal, pièces A-7, A-8 et A-15]. Ni la RADDHO ni Amnistie Internationale ne tentent, dans ces rapports, d'excuser ou d'atténuer la responsabilité découlant de ces exactions au motif qu'elles ont été commises par une faction particulière du MFDC. Dans ce contexte, l'avocate du demandeur n'a pas réussi à me convaincre que la Commission a commis une erreur susceptible de contrôle en ne traitant pas expressément de cet argument particulier du demandeur. J'estime par conséquent, en me fondant sur les documents dignes de foi contenus dans le dossier, qu'il n'était pas déraisonnable que la Commission attribue une responsabilité globale au MFDC. J'aimerais rappeler que le fait que la Commission n'ait pas examiné la question de l'exclusion à la lumière d'une prétendue division ou lutte entre les ailes du Nord et du Sud du MFDC ne serait pas déterminant pour l'issue de la présente demande de contrôle judiciaire étant donné la décision qui a été rendue.

[23]            Troisièmement, la Commission a constaté que le demandeur avait été lié pendant longtemps et de son plein gré au MFDC. De surcroît, il occupait un poste relativement important au sein de l'organisation puisqu'il était membre de la direction depuis 1992. Appliquant la jurisprudence relative à la complicité et à l'association, la Commission a conclu que le demandeur avait volontairement choisi de se joindre au MFDC et qu'il n'avait pas tenté de s'en dissocier à la première occasion, de sorte qu'on pouvait lui imputer une « participation personnelle et consciente à des actes de persécution » (voir Ramirez, précité, à la p. 307 (C.A.F.)). La conclusion de la Commission semble donc raisonnable dans les circonstances. Essentiellement, une personne qui, tout en sachant que sa contribution à une organisation de ce genre peut mener à la perpétration de crimes internationaux, continue de contribuer à l'organisation s'expose autant à l'application de la clause d'exclusion prévue par la Convention que la personne qui participe directement à la commission des crimes (voir Ramirez, précité; Sivakumar, précité; Gonzalez, précité; Bazargan c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1996), 205 N.R. 282). Cette question relève de la compétence de la Commission, il n'est pas nécessaire de l'examiner davantage et elle ne le sera pas. J'aimerais ajouter que le dossier ne contient aucun document qui démontre clairement ce que les autorités du MFDC ont fait pour condamner et prévenir les exactions commises par des membres de l'organisation ou des sympathisants.


[24]            Finalement, sans prendre définitivement position sur cette question, je n'appuie pas la thèse du ministre concernant son intervention tardive devant la Commission et son prétendu droit d'invoquer en tout temps pendant une procédure l'application de la section 1F de la Convention. Je trouve inquiétant que, après avoir donné un avis indiquant qu'il n'interviendrait pas en application du paragraphe 69.1(5) de la Loi, le ministre puisse, même sans raison spéciale, changer d'idée et obliger la Commission à tenir une nouvelle audience. Que cela soit fait à l'invitation de la Commission ne change rien, à mon avis, à la préoccupation exprimée par le demandeur selon laquelle le ministre doit donner des raisons valables expliquant son changement d'avis, compte tenu en particulier du paragraphe 69.1(9) de la Loi, lequel prévoit que la Commission « rend sa décision [...] le plus tôt possible après l'audience » . L'avocate du demandeur a toutefois reconnu devant la Cour que celui-ci a amplement eu la possibilité, après avoir reçu l'avis d'intervention, de présenter des observations au sujet des allégations relatives à la question de l'exclusion. En outre, il n'y a rien en l'espèce qui permet de croire que la Commission a, par sa conduite, fait naître une crainte raisonnable de partialité à l'égard du demandeur. Enfin, comme je l'ai mentionné précédemment, j'ai conclu que la décision rendue par la Commission sur la question de l'inclusion ne devrait pas être modifiée. En conséquence, même si l'argument du demandeur était fondé, je n'exercerais pas mon pouvoir discrétionnaire de manière à annuler la décision de la Commission et à renvoyer l'affaire à celle-ci.

CERTIFICATION D'UNE QUESTION

[25]            Le demandeur a proposé les questions suivantes à des fins de certification :


A.         Le ministre est-il tenu d'expliquer pour quelles raisons, après avoir clairement décidé de ne pas intervenir dans une affaire relative à une revendication du statut de réfugié, il change d'idée, intervient et soulève la question de l'exclusion?

B.          La Commission de l'immigration et du statut de réfugié commet-elle une erreur en ne demandant pas au ministre d'expliquer les raisons pour lesquelles il change d'idée dans une affaire donnée?

C.         Lorsqu'une personne se joint à une organisation touchée par des divisions internes et que l'une des factions dissidentes commet des actes de violence, cette personne devrait-elle être considérée comme un complice s'il ne fait aucun doute qu'elle n'est pas membre de la faction dissidente et qu'elle ne souscrit pas aux actes de violence commis dans un but particulier?


[26]            Dans l'arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Liyanagamage (1994), 176 N.R. 4, la Cour d'appel fédérale a précisé, au paragraphe 4, qu'une question certifiée est une question qui « transcende les intérêts des parties au litige, [qui] aborde des éléments ayant des conséquences importantes ou qui sont de portée générale [...] et [qui] est aussi déterminante quant à l'issue de l'appel » . De plus, dans la décision Huynh c. Canada, [1995] 1 C.F. 633 (C.F. 1re inst.) (confirmé par [1996] 2 C.F. 976 (C.A.F.)), la Cour a indiqué qu' « [u]ne question certifiée ne se rapporte pas à l'affaire qui est entendue; elle vise à clarifier un point de droit de portée générale qui n'a pas été réglé » . Les questions proposées en l'espèce ne permettent pas de trancher l'appel. En outre, il serait difficile, en raison du dossier et des circonstances particulières en cause, de clarifier, dans le cadre d'un appel, tout point de droit de portée générale qui n'a pas été réglé. Par conséquent, aucune question d'importance générale ne sera certifiée.

                                                                     ORDONNANCE

La demande de contrôle judiciaire visant la décision rendue par la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, le 26 septembre 2001, est rejetée. Aucune question grave d'importance générale n'est certifiée.

                                                                                                                                           « Luc Martineau »             

                                                                                                                                    Juge

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                                    COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                               SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                                 AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                        IMM-4730-01

INTITULÉ :                                                     MONTEIRO REMY c. MCI

LIEU DE L'AUDIENCE :                               Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                             Le 12 novembre 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                     Monsieur le juge Martineau

DATE DES MOTIFS :                                    Le 5 décembre 2002

COMPARUTIONS :

Styliani Markaki                                                                            POUR LE DEMANDEUR

Michel Pépin                                                                                  POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Styliani Markaki                                                                            POUR LE DEMANDEUR

Montréal (Québec)

Morris Rosenberg                                                                          POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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