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Date : 20010319

Dossier : IMM-5493-99

Ottawa (Ontario), le 19 mars 2001

EN PRÉSENCE DE :             MONSIEUR LE JUGE MacKAY

ENTRE :

ELIZABETH ESPARRAGO AGOT

demanderesse

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

ORDONNANCE

VU la demande de contrôle judiciaire présentée par la demanderesse et l'ordonnance qu'elle sollicite en vue d'annuler la décision de la section d'appel de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, en date du 28 octobre 1999, rejetant l'appel de la demanderesse à l'encontre d'une décision de la section d'appel de la Commission d'immigration et du statut de réfugié, en date du 16 janvier 1998, et confirmant la mesure d'expulsion prise contre la demanderesse en date du 14 novembre 1996, conformément à la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2;


VU l'audience tenue à Toronto le 16 août 2000, au cours de laquelle les avocats des parties ont été entendus et la décision prise en délibéré, et après examen des arguments présentés à l'audience;

LA COUR ORDONNE :

1.          Que la demande soit accueillie;

2.          Que la décision contestée soit annulée et que l'affaire soit renvoyée devant un tribunal différemment constitué de la section d'appel de la Commission d'immigration et du statut de réfugié aux fins d'une nouvelle audition;

3.          Qu'aucune question ne soit certifiée, conformément au paragraphe 83(1) de la Loi sur l'immigration, afin d'être examinée par la Cour d'appel.

        « W. Andrew MacKay »          

JUGE

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.


Date : 20010319

Dossier : IMM-5493-99

Référence neutre : 2001 CFPI 200

ENTRE :

ELIZABETH ESPARRAGO AGOT

demanderesse

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE MacKAY

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire qui vise la décision par laquelle la section d'appel de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la SAI) rejetait, en date du 28 octobre 1999, l'appel interjeté par la demanderesse sous le régime de l'alinéa 70(1)b) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2 (la Loi), à l'encontre d'une décision de la SAI, en date du 16 janvier 1998, et confirmait une mesure d'expulsion en date du 14 novembre 1996.


[2]                Le 12 mai 1992, la demanderesse a présenté à Manille, aux Philippines, une demande pour obtenir la résidence permanente au Canada dans le cadre de la catégorie de la famille. Elle a été parrainée par ses parents qui avaient eux-mêmes été parrainés par la soeur de la demanderesse. Dans sa demande de résidence permanente, la demanderesse a indiqué qu'elle n'avait jamais été mariée, bien qu'elle l'ait été en 1991. Elle est arrivée au Canada le 12 juin 1993 et le droit d'établissement lui a été accordé à l'aéroport international de Vancouver.

[3]                Le 16 mai 1995, la demanderesse a déposé un engagement de parrainage pour son conjoint, Manuel Acorceles, afin qu'il obtienne le droit d'établissement au Canada. Elle est ensuite retournée aux Philippines et a épousé son conjoint une deuxième fois le 27 juillet 1995.

[4]                Le 14 novembre 1996, en vertu du paragraphe 27(3) de la Loi, la section d'arbitrage de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a tenu une enquête afin d'examiner si la demanderesse est une personne visée à l'alinéa 27(1)e) de la Loi. L'alinéa 27(1)e) de la Loi dispose :



27. (1) L'agent d'immigration ou l'agent de la paix doit faire part au sous-ministre, dans un rapport écrit et circonstancié, de renseignements concernant un résident permanent et indiquant que celui-ci, selon le cas_:

[ . . . ]

e) a obtenu le droit d'établissement soit sur la foi d'un passeport, visa -- ou autre document relatif à son admission -- faux ou obtenu irrégulièrement, soit par des moyens frauduleux ou irréguliers ou encore par suite d'une fausse indication sur un fait important, même si ces moyens ou déclarations sont le fait d'un tiers;

[ . . . ]

27. (1) An immigration officer or a peace officer shall forward a written report to the Deputy Minister setting out the details of any information in the possession of the immigration officer or peace officer indicating that a permanent resident is a person who

. . .

(e) was granted landing by reason of possession of a false or improperly obtained passport, visa or other document pertaining to his admission or by reason of any fraudulent or improper means or misrepresentation of any material fact, whether exercised or made by himself or by any other person;

. . .


[5]                L'enquête a établi que la demanderesse avait, avant ou après que le droit d'établissement lui ait été accordé le 12 juin 1993, faussement indiqué un fait important en ne divulguant pas avoir épousé Manuel Acorceles le 11 septembre 1991. Elle a omis de divulguer ce renseignement, et le droit d'établissement lui a été accordé par suite d'une fausse indication sur un fait important. Elle a donc été reconnue comme étant une personne visée à l'alinéa 27(1)e) de la Loi. Conséquemment, une mesure d'expulsion a été prise le 14 novembre 1996.


[6]                La demanderesse a porté la mesure d'expulsion en appel. L'audience a eu lieu le 10 novembre 1997 (première audience). La demanderesse ne s'est pas opposée à la validité de la mesure d'expulsion mais, se fondant sur l'alinéa 70(1)b) de la Loi, elle a soutenu que, eu égard aux circonstances de l'espèce, elle ne devrait pas être renvoyée du Canada. Le paragraphe 70(1) de la Loi dispose :


70. (1) Sous réserve des paragraphes (4) et (5), les résidents permanents et les titulaires de permis de retour en cours de validité et conformes aux règlements peuvent faire appel devant la section d'appel d'une mesure de renvoi ou de renvoi conditionnel en invoquant les moyens suivants_:

a) question de droit, de fait ou mixte;

b) le fait que, eu égard aux circonstances particulières de l'espèce, ils ne devraient pas être renvoyés du Canada.

70. (1) Subject to subsections (4) and (5), where a removal order or conditional removal order is made against a permanent resident or against a person lawfully in possession of a valid returning resident permit issued to that person pursuant to the regulations, that person may appeal to the Appeal Division on either or both of the following grounds, namely,

(a) on any ground of appeal that involves a question of law or fact, or mixed law and fact; and

(b) on the ground that, having regard to all the circumstances of the case, the person should not be removed from Canada.


[7]                Le 16 janvier 1998, la SAI a rejeté l'appel de la demanderesse et a confirmé la validité de la mesure d'expulsion. La SAI a jugé que la fausse indication à l'égard de son mariage était importante, intentionnelle et constante, et que son admission et son droit d'établissement résultaient du fait qu'elle avait faussement indiqué être célibataire. Or, à cause de son statut de personne mariée, elle ne pouvait se prévaloir du droit d'être admise à titre de personne à la charge de ses parents.


[8]                Le 7 avril 1999, une ordonnance permettant une nouvelle audition de l'appel a été accordée à la demanderesse sur la foi de nouveaux éléments de preuve. La demanderesse alléguait l'existence de trois nouveaux éléments de preuve importants : l'échec définitif de son mariage; l'aggravation importante de l'état de santé de son père; et le fait que beaucoup de temps s'était écoulé depuis la première audience, pendant lequel la demanderesse s'est établie au Canada de façon plus significative et a atténué les liens qu'elle avait à l'étranger.

[9]                L'audience a eu lieu le 20 septembre 1999 (deuxième audience). À l'audience, la demanderesse a fourni des éléments de preuve concernant la rupture de son mariage. Elle a témoigné qu'elle et son conjoint s'étaient séparés, que l'échec du mariage était définitif et, qu'en conséquence, elle avait fait une demande de divorce à Milton (Ontario) en mai 1999. Elle a dit ne pas connaître les allées et venues de son conjoint et ne pas avoir eu de contact avec lui depuis leur deuxième mariage en juillet 1995.


[10]            La SAI a estimé que la preuve de la demanderesse sur cette question n'était pas crédible. Selon l'avis de la SAI, la demanderesse n'a pas expliqué pourquoi, lors de la première audience, elle n'avait pas fourni d'explication au sujet de l'absence de communications avec son conjoint depuis leur deuxième mariage en juillet 1995. La SAI a également estimé, sur la base de son témoignage, que le fait de ne pas savoir où vivait son conjoint n'était pas compatible avec les renseignements apparaissant à sa requête en divorce, où une adresse était mentionnée pour son conjoint. Par ailleurs, la SAI a inscrit dans ses motifs que dans la requête en divorce, la demanderesse déclarait vivre séparément de son conjoint depuis le 1er juillet 1997. Toutefois, à la deuxième audience, elle disait avoir vécu séparément de son conjoint depuis 1995. La SAI a conclu que la demanderesse [TRADUCTION] « [. . .] a, au mieux, démontré un manque de franchise au sujet de sa relation avec son conjoint et, au pis aller, une tendance marquée à la tergiversation. »


[11]            S'agissant de la conclusion de la SAI portant sur le manque de franchise de la demanderesse quant à sa relation avec son conjoint et la rupture de son mariage, l'avocat a souligné qu'il n'y avait aucune preuve, au cours de la première audience, établissant que des questions avaient été posées à la demanderesse pour savoir si elle entretenait toujours une relation ou des contacts avec son conjoint. Quant à l'inquiétude de la SAI, suivant la deuxième audience, au sujet de savoir si la demanderesse connaissait l'adresse de son conjoint inscrite à la requête en divorce, l'avocat a indiqué qu'aucune question n'a été adressée à la demanderesse à cet égard non plus. Il a également fait remarquer qu'à la deuxième audience, aucune question n'a été posée à la demanderesse au sujet de ses contacts avec son conjoint depuis 1997. Je suis convaincu qu'il n'y a aucun fondement dans la preuve pour étayer les conclusions de la SAI concernant ces questions, fondement sur lequel elle aurait fait reposer la logique de son raisonnement, et que, par souci d'équité à l'égard de la demanderesse, le tribunal n'avait pas le droit d'arriver à des inférences défavorables sur des éléments portant à interrogation alors qu'il n'avait pas soulevé ces inquiétudes, et qu'il n'avait pas donné à la demanderesse la possibilité de fournir des explications.

[12]            S'agissant de l'état de santé de son père, la demanderesse a affirmé qu'il y avait eu une aggravation importante à cet égard. Elle a témoigné avoir des liens très étroits avec son père, et que son père ne comptait que sur elle pour lui prodiguer des soins quotidiennement. Le père de la demanderesse a également témoigné, en personne, au sujet de sa santé, de son incapacité de travailler et du fait qu'il avait besoin d'elle. Il a bien dit dans son témoignage qu'il n'y avait eu aucun changement à son état physique au cours des deux années qui ont précédé la deuxième audience.

[13]            La SAI a conclu que ni la demanderesse ni son père n'avait pu démontrer que les soins nécessaires au père de la demanderesse ne pouvaient être prodigués par les autres membres de sa famille avec qui il habite. Elle a également conclu que l'état de santé du père ne s'était pas aggravé depuis la première audience et que, quels que soient les soins requis, ceux-ci pouvaient être fournis par d'autres membres de la famille.


[14]            D'une part, la SAI a conclu que les éléments suivants étaient favorables à la demanderesse : le soutien intense de la part des membres de sa famille, l'emploi qu'elle a su conserver, son apport financier et affectif envers les membres de sa famille et, en particulier, envers son père. D'autre part, la SAI a conclu que les éléments suivants étaient défavorables à la demanderesse : les fausses indications, importantes, intentionnelles et constantes, à l'égard de son statut civil, et le défaut persistant d'une preuve crédible au sujet de sa relation avec son conjoint depuis le deuxième mariage en juillet 1995.

[15]            La SAI a jugé que la mesure d'expulsion était valide et a conclu, notamment :

[TRADUCTION] Les nouveaux éléments de preuve fournis à la deuxième audience n'étaient pas suffisants pour renverser les éléments défavorables à l'appelante. En évitant volontairement que la lumière soit faite dans la preuve au sujet de sa relation avec son conjoint, et en ne présentant aucun élément de preuve pour démontrer que son père comptait sur elle de façon beaucoup plus pressante pour répondre à ses besoins, l'appelante n'a pas fourni de preuve permettant au tribunal de lui accorder une réparation particulière.      

[16]            Les avocats des parties ne partageaient pas le même avis sur la question de savoir si la conclusion de la SAI avait un fondement raisonnable dans la preuve soumise, ni sur la question de savoir si la SAI avait fait une appréciation adéquate de la preuve. À mon avis, la décision du tribunal a trop fortement été axée sur des conclusions inférées de la preuve, alors que la demanderesse n'a pas eu la possibilité raisonnable de réagir aux préoccupations que la SAI avait au sujet de ces inférences, et alors que le tribunal a décidé que le père n'était pas à la charge de la demanderesse parce qu'il avait présumé, sans qu'il existe de preuve pour appuyer cette présomption, que les autres membres de la famille pouvaient prodiguer quelque soin ou attention nécessaires au père.


[17]            En rendant une décision en fonction d'inférences de fait, lesquelles n'étaient pas dégagées équitablement dans les circonstances, en ne faisant pas reposer sa conclusion à l'égard du secours prêté par d'autres membres de la famille sur une preuve établie, la SAI a, à mon avis, commis une erreur de droit et il y a lieu d'annuler sa décision.

[18]            Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision de la SAI est annulée et l'appel interjeté par la demanderesse à l'encontre de la décision confirmant la mesure d'expulsion est renvoyé devant un tribunal de la SAI différemment constitué aux fins d'une nouvelle audition.

[19]            L'avocat de la demanderesse a proposé que la question suivante soit certifiée, conformément au paragraphe 83(1) de la Loi, afin d'être examinée par la Cour d'appel :

[TRADUCTION] Lorsqu'il y a une nouvelle audition, portée devant la section d'appel de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, sur un appel interjeté à l'encontre d'une mesure d'expulsion, la section d'appel commet-elle une erreur si elle tient compte uniquement de la preuve présentée à la nouvelle audition de l'appel au lieu de revoir l'ensemble des circonstances de l'affaire?


[20]            À mon avis, il s'agit d'une question de portée générale, mais compte tenu de ma décision en l'espèce, le fait d'y répondre ne résoudrait pas les présentes questions soulevées en appel, lesquelles portent sur les faits et sur les éléments de preuve de l'espèce. Par conséquent, je refuse de certifier la question proposée afin qu'elle soit examinée par la Cour d'appel.

             « W. Andrew MacKay »          

JUGE

Ottawa (Ontario)

Le 19 mars 2001

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                           IMM-5493-99

INTITULÉ DE LA CAUSE :                ELIZABETH ESPARRAGO AGOT c.

Le Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration

LIEU DE L'AUDIENCE :                     TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                   Le 16 août 2000

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE PAR :                 Monsieur le juge MacKay

EN DATE DU :                                     Le 19 mars 2001

ONT COMPARU :

Lorne Waldman                                     POUR LA DEMANDERESSE

Candice Welsh                          POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lorne Waldman                                     POUR LA DEMANDERESSE

Jackman, Waldman et associés

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg                                  POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada


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