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Date : 19980928


Dossier : IMM-2737-97

Ottawa (Ontario), le 28 septembre 1998

DEVANT : MONSIEUR LE JUGE MULDOON

ENTRE


ENDIGO GUILLER CACERES HERRERA,

MARIA VICTORIA ZAMORA CORONA,

ERIKA YANDIRA CACERES ZAMORA,

JANOTHAN VLADIM CACERES ZAMORA,

JOSE RENATO MORALES ZAMORA,

OMAR FERNANDO CAMPOS ZAMORA,

demandeurs,

et


LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,


défendeur.


ORDONNANCE

     CETTE COUR ORDONNE que la demande que les demandeurs ont présentée en vue de faire annuler la décision portant les numéros C96-00282/83/84/85 et C96-00305/306 que la section du statut de réfugié a rendue à Calgary le 10 juin 1997 soit rejetée et que ladite décision soit confirmée; aucune question ne sera certifiée.

                                        F. C. Muldoon

                                 Juge

Traduction certifiée conforme

L. Parenteau, LL.L.


Date : 19980928


Dossier : IMM-2737-97

ENTRE

     ENDIGO GUILLER CACERES HERRERA,

     MARIA VICTORIA ZAMORA CORONA,

     ERIKA YANDIRA CACERES ZAMORA,

     JANOTHAN VLADIM CACERES ZAMORA,

     JOSE RENATO MORALES ZAMORA,

     OMAR FERNANDO CAMPOS ZAMORA,

     demandeurs,

     et

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     défendeur.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE MULDOON :

[1]      Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire, présentée conformément au paragraphe 82.1(1) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, de la décision (C96-00282, C96-00283, C96-00284, C96-00285, C96-00306) par laquelle la section du statut de réfugié (la SSR) a conclu, le 11 juin 1997, que les demandeurs n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention.

[2]      Les demandeurs sollicitent une ordonnance infirmant la décision de la SSR et demandent que leur revendication soit entendue par une formation composée de membres différents.

[3]      Les faits énoncés ci-dessous sont tirés des Formulaires de renseignements personnels des demandeurs. Les demandeurs sont des citoyens péruviens. Leur revendication est fondée sur leurs opinions politiques et sur leur appartenance à un groupe social, soit la police militaire. Les demandeurs principaux, Endigo et Mario, sont mari et femme et les quatre autres demandeurs sont leurs enfants. Le demandeur principal a été membre des Forces armées péruviennes de 1968 à 1970. Par la suite, il a travaillé pour la Police nationale du Pérou. Il était membre d'une escouade antisubversive du ministère des Tactiques anti-territoristes jusqu'à ce qu'il quitte le Pérou, en août 1990. Cette unité était chargée de neutraliser les actes terroristes du Sendero Luminoso (le Sentier lumineux). La section fournissait un soutien logistique dans le domaine des communications et de l'information à l'égard du Sentier lumineux.

[4]      Les problèmes de la famille ont commencé en 1989. À ce moment-là, le demandeur Renato était inscrit en onzième année. Des membres du Sentier lumineux se sont infiltrés dans l'école afin d'endoctriner les élèves. On a incité Renato à adhérer au Sentier lumineux et on lui a demandé de fournir des documents et des renseignements importants au sujet des mouvements de la police, étant donné que ces documents étaient en la possession de son père. Les parents de Renato ont réussi à convaincre celui-ci que les membres du Sentier lumineux essayaient simplement de se servir de lui pour obtenir des renseignements protégés. Renato a rompu toute relation avec le Sentier lumineux et, en juin 1989, des membres de ce groupe l'ont battu. Au moment où il a été battu, on avait consigné Endigo au quartier de la police.

[5]      En juillet 1989, Endigo a décidé de parler aux membres du Sentier lumineux à l'école de son fils. Il n'a pas informé ses superviseurs de ses actions. Pendant qu'il était sur le terrain de l'école, sept individus l'ont abordé et l'ont battu pendant qu'il essayait de les convaincre qu'il n'avait pas les renseignements et les documents demandés. À compter de ce moment-là, des menaces de mort ont été proférées à l'égard des demandeurs et on les a également menacés par téléphone. La famille songeait à quitter le Pérou, mais elle a plutôt décidé d'inscrire Renato dans une autre école dans le district Barranco de Lima, en août 1989.

[6]      Pendant tout ce temps, des menaces de mort étaient continuellement proférées à l'égard du demandeur, que l'on menaçait également par téléphone. On a mitraillé la maison et on y a peint au pistolet des inscriptions informant la famille qu'elle serait tuée. Les demandeurs n'ont pas signalé ces événements à la police.

[7]      En juillet ou en août 1990, la famille s'est installée dans le district Campina. Endigo a obtenu un congé temporaire et a décidé de quitter le Pérou pour se rendre aux États-Unis. Le 1er septembre 1990, Endigo est illégalement entré aux États-Unis. Il a habité en Californie pendant quatre ans avant de demander l'asile politique (il a déposé sa demande le 17 novembre 1994). Il déclare avoir tardé à présenter sa demande parce qu'il ne savait pas trop si sa famille pouvait quitter le Pérou avant ce moment-là.

[8]      Maria déclare avoir personnellement été attaquée en août 1991, pendant qu'elle habitait dans le district Campina. À la suite de cette attaque, elle s'est installée dans la province d'El Callao, en septembre 1991. Pendant qu'elle habitait à cet endroit, elle a été attaquée en mars 1992, et elle a été informée que si son mari ne réapparaissait pas, ce serait elle qui " subirait les conséquences ". Par la suite, elle s'est installée dans le district San Miguel, à Lima.

[9]      En septembre 1992, pour se venger de la capture et de la détention d'un des chefs du Sentier lumineux, des individus qui étaient dans une voiture en marche ont tiré sur le fils de Maria et sur ses amis. Deux des amis de Renato ont été grièvement blessés, mais Renato s'en est tiré indemne. Aucun de ces événements n'a été signalé à la police.

[10]      Le 29 mai 1993, les autres demandeurs ont quitté le Pérou; ils sont arrivés aux États-Unis en décembre 1993. En juin 1996, le demandeur a quitté la Californie et est arrivé à Winnipeg.

[11]      La SST a retenu l'allégation selon laquelle Endigo avait été membre de la Police nationale du Pérou de 1971 jusqu'à ce qu'il quitte le Pérou, en août 1990. La formation a également reconnu que Renato avait été recruté par le Sentier lumineux. Toutefois, elle ne croyait pas que les demandeurs eurent quitté le Pérou pour les motifs qu'ils avaient invoqués. À la page 53 du dossier de la demande (DD), voici ce qu'elle a dit :

                 [TRADUCTION]                 
                 Pendant dix-neuf ans, E. a été membre de l'unité antisubversive de la Police nationale, qui était chargée de s'occuper des actes terroristes du Sendero Luminoso; pourtant, il n'a pas cherché à demander à la police de le protéger ainsi que sa famille. Il affirme ne pas avoir parlé de sa situation à ses collègues ou à ses supérieurs parce qu'il s'agissait d'une question " délicate ", et que chacun veille à ses propres intérêts. S'il n'a pas demandé la protection de la police, c'était principalement parce qu'" au Pérou, les policiers ne sont pas protégés et les citoyens le sont encore moins ". La formation conclut que les actions du demandeur sont invraisemblables.                 
                 Le demandeur faisait du " travail de bureau " au sein de l'unité antisubversive, mais il a aussi témoigné qu'il occupait un poste spécial et qu'on lui confiait des renseignements secrets et confidentiels. Les renseignements qu'il traitait arrivaient dans des colis scellés, qu'il n'ouvrait pas, mais le demandeur a témoigné que ces colis renfermaient des renseignements sur les tactiques anti-territoristes et sur la stratégie nationale adoptée par la police et par l'armée pour combattre le terrorisme. Étant donné qu'il occupait un poste spécial au sein de l'unité antisubversive du service de police, la formation conclut qu'il est invraisemblable que le demandeur n'ait pas informé ses supérieurs du fait que le Sendero luminoso envisageait de s'infiltrer dans cette unité par l'entremise de son fils R.                 
                 Le demandeur principal a déclaré que son fils avait été battu après avoir rompu ses relations avec le Sendero luminoso, en juin 1989, et qu'il avait été battu par des membres du Sendero luminoso en juillet 1989. On a inscrit des menaces de mort sur le mur de leur maison et on a mitraillé la maison; pourtant, R. a continué à aller à l'école et E. a continué à travailler pour la police jusqu'à son départ du Pérou, un an plus tard.                 
                 Dans ce cas-ci, E. constituerait une menace pour le Sendero luminoso parce qu'il était membre de l'unité antisubversive et qu'il savait que ceux-ci s'en prenaient à son fils afin d'obtenir des renseignements au sujet de son unité. Il a également témoigné qu'il est encore en danger parce qu'il a refusé de collaborer avec eux. En outre, R. est un ancien membre du Sendero luminoso, qui possède des renseignements internes au sujet de l'organisation. Étant donné la violence avec laquelle le Sendero luminoso traite ceux qui menacent ses intérêts, la formation conclut qu'il est invraisemblable qu'il ne soit rien arrivé à E. pendant l'année qui a précédé son départ du Pérou et qu'il ne soit rien arrivé à R. du mois de juin 1989 jusqu'à ce que des inconnus qui étaient dans une voiture en marche aient tiré sur ses amis et lui en septembre 1992.                 
                 * * *                 
                 Le fait qu'ils ont attendu du mois de juillet 1989 jusqu'au mois de juillet 1990 pour trouver un logement à un prix raisonnable et pour changer de lieu de résidence alors qu'on peignait des graffitis sur les murs de leur maison, qu'on mitraillait leur maison et qu'on les menaçait par téléphone n'est pas compatible avec les actions de personnes qui craignent pour leur vie. La formation conclut que cet élément de preuve n'est pas crédible.                 
                 Le demandeur principal E. déclare qu'il serait en danger s'il retournait aujourd'hui au Pérou parce qu'on estimerait qu'il a abandonné sans permission le service de police et que, cela étant, il serait emprisonné avec les membres du Sendero luminoso. La formation est d'accord avec l'avocat pour dire que ce n'est pas la raison pour laquelle E. a quitté le Pérou, mais c'est indubitablement la raison que le demandeur invoque maintenant lorsqu'il allègue qu'il craint d'être persécuté s'il devait retourner au Pérou.                 
                 Sur ce point, la formation note qu'il n'a pas été fait mention de ce fait lors de l'entrevue que le demandeur a eue avec des agents de Citoyenneté et Immigration (C et I) le 26 juin 1996 ou dans le Formulaire de renseignements personnels (le FRP) préparé le 31 juillet 1996. Ces renseignements n'ont été fournis à la formation qu'une semaine avant l'audience; pourtant, le demandeur a témoigné que son ami W., à Los Angeles, lui avait dit, en 1992, qu'un mandat d'arrestation avait été délivré contre lui pour désertion. Lorsqu'on lui a demandé pourquoi ce renseignement ne figurait pas dans son FRP ou pourquoi il n'en avait pas fait part à C et I, le demandeur a déclaré ne pas l'avoir dit aux agents, à Emerson, parce qu'on l'avait informé qu'il devrait donner des renseignements à une date ultérieure. Il a déclaré qu'à ce moment-là, il n'accordait pas beaucoup d'importance aux renseignements concernant le mandat d'arrestation, mais qu'il se rend maintenant compte de leur importance.                 
                 On a demandé à M. si elle avait reçu la visite de policiers à l'égard du mandat d'arrestation délivré contre son mari, lequel aurait été en vigueur, semble-t-il, depuis 1992. M. a répondu par la négative. Après qu'E. eut quitté le Pérou, M. et la famille ont vécu dans des villages en dehors de Lima et, en 1992, ils se sont de nouveau installés dans le district San Miguel, à Lima. Si le Sendero luminoso a de fait trouvé M. et s'est renseigné sur son mari, il est difficile de croire que les policiers ne sont pas allés la voir pour se renseigner sur les allées et venues d'E. lorsqu'il a omis de revenir demander un congé permanent. Pour ces motifs, la formation conclut donc que cet élément de preuve n'est pas crédible et elle ne lui accorde aucune importance.                 
                 De l'avis de la formation, aucun élément invraisemblable à lui seul ou aucune omission à elle seule, dans le témoignage des deux demandeurs ou dans les renseignements écrits, n'est particulièrement important. Toutefois, l'effet cumulatif de ces omissions et de ces invraisemblances, telles qu'elles se rapportent aux questions cruciales ici en cause, amènent la formation à conclure que la preuve n'est pas crédible.                 

En se fondant sur cette décision, les demandeurs soulèvent les questions suivantes dans la présente demande de contrôle judiciaire :

                 1.      La SSR a-t-elle commis une erreur de droit en statuant que les histoires du demandeur étaient invraisemblables?                 
                 2.      La SSR a-t-elle commis une erreur en n'évaluant pas les revendications des demandeurs d'après les renseignements qu'elle jugeait exacts?                 
                 3.      La SSR a-t-elle commis une erreur en accordant de l'importance au mandat d'arrestation délivré contre Endigo?                 

Les invraisemblances

[12]      Il est important de noter que la Cour d'appel a dit que la SSR a le droit de rejeter des éléments de preuve non contredits en se fondant sur des invraisemblances, sur le sens commun et sur leur caractère rationnel. Il s'agit alors, dans le cadre du contrôle judiciaire, de savoir si cette conclusion est raisonnable compte tenu des éléments de preuve présentés. La Cour peut intervenir plus facilement s'il a été conclu à l'invraisemblance de l'histoire plutôt qu'à l'absence de crédibilité, mais la norme de contrôle est néanmoins stricte. Dans l'arrêt Aguebor c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, (1993), 160 N.R. 315, Monsieur le juge Décary a fait les remarques suivantes, aux pages 316-317 :

                 Il est exact, comme la Cour l'a dit dans Giron, qu'il peut être plus facile de faire réviser une conclusion d'implausibilité qui résulte d'inférences que de faire réviser une conclusion d'incrédibilité qui résulte du comportement du témoin et de contradictions dans le témoignage. La Cour n'a pas, ce disant, exclu le domaine de la plausibilité d'un récit du champ d'expertise du tribunal, pas plus qu'elle n'a établi un critère d'intervention différent selon qu'il s'agit de "plausibilité" ou de "crédibilité".                 
                      Il ne fait pas de doute que le tribunal spécialisé qu'est la section du statut de réfugié a pleine compétence pour apprécier la plausibilité d'un témoignage. Qui, en effet, mieux que lui, est en mesure de jauger la crédibilité d'un récit et de tirer les inférences qui s'imposent? Dans la mesure où les inférences que le tribunal tire ne sont pas déraisonnables au point d'attirer notre intervention, ses conclusions sont à l'abri du contrôle judiciaire. Dans Giron, la Cour n'a fait que constater que dans le domaine de la plausibilité, le caractère déraisonnable d'une décision peut être davantage palpable, donc plus facilement identifiable, puisque le récit apparaît à la face même du dossier. Giron, à notre avis, ne diminue en rien le fardeau d'un appelant de démontr ompte tenu de la preuve dont disposait la SSR. Dans leurs observations écrites, voici ce qu'ils disent :                 
                 [TRADUCTION]                  
                 La formation a conclu qu'il était invraisemblable qu'Endigo Caceres n'ait pas informé ses supérieurs du fait que le Sendero luminoso envisageait de s'infiltrer dans l'unité anti-terroriste par l'entremise de son fils Renato. Il faut se rappeler que la formation avait déjà conclu qu'Endigo Caceres était membre de l'unité antisubversive de la police et que Renato avait été recruté par le Sendero luminoso. Par conséquent, même si la formation ne l'a pas dit, elle doit avoir conclu qu'Endigo Caceres avait informé ses supérieurs du fait que le Sendero luminoso envisageait de s'infiltrer dans l'unité anti-terroriste par l'entremise de son fils Renato. Telle est la seule interprétation à laquelle la conclusion d'invraisemblance que la formation a tirée peut donner lieu. Si telle était de fait la conclusion tirée, la formation devait en outre se demander quel était le rapport entre cette conclusion et la définition de " réfugié ". La formation ne tire pas cette conclusion parce que, contrairement à son témoignage, Endigo Caceres a informé ses supérieurs du fait que le Sendero luminoso envisageait de s'infiltrer dans l'unité anti-terroriste par l'entremise de son fils Renato. Endigo n'était pas visé par la définition de " réfugié ". Pareille interprétation ne pourrait pas non plus être donnée à la définition de " réfugié ".                  

[13]      Il m'est difficile de comprendre cet argument, compte tenu du fait que la SSR a expressément dit qu'elle ne croyait pas qu'Endigo, qui était membre de l'unité anti-terroriste de la police, n'aurait pas informé ses collègues des activités du Sendero luminoso, si l'histoire avait été vraie.

[14]      Les demandeurs soutiennent ensuite que la SSR n'a pas pleinement tenu compte de la preuve lorsqu'elle a conclu qu'il était invraisemblable qu'Endigo n'ait pas informé ses supérieurs du fait que le Sendero luminoso envisageait de s'infiltrer dans l'unité anti-terroriste par l'entremise de son fils Renato. Les demandeurs déclarent que l'information sur le pays qui a été déposée à l'audience montre que le pays vivait dans la crainte à cause des attaques du Sendero luminoso et qu'Endigo n'avait pas fait part à ses collègues ou à ses supérieurs des menaces qui avaient été proférées à l'égard de sa famille parce qu'il s'agissait d'une question " délicate ". Les demandeurs affirment qu'étant donné la crainte générale qui existait, si Endigo avait informé ses collègues que le Sendero luminoso envisageait de s'infiltrer dans l'unité, la propre unité anti-terroriste d'Endigo aurait eu des soupçons à l'égard de Renato et d'Endigo.

[15]      Toutefois, le demandeur n'a jamais donné d'explications à la SSR, même s'il a eu la possibilité de le faire. Il s'est contenté de dire que la police n'aurait pas pu l'aider, même s'il en était membre. Sans examiner la question de savoir si le demandeur est visé par la définition de " réfugié au sens de la Convention " lorsqu'il est établi qu'il ne peut ou ne veut se réclamer de la protection de l'État, il semble que la SSR ait conclu qu'il était invraisemblable que le demandeur, un agent de l'État qui s'occupait en particulier des activités du Sendero luminoso , ne fournirait pas pareil renseignement à ses collègues. Il était raisonnable pour la SSR d'interpréter ainsi la chose compte tenu de la preuve dont elle disposait.

[16]      Les demandeurs soutiennent également que la SSR a commis une erreur en concluant que leur histoire était invraisemblable puisque rien n'était arrivé à la famille pendant un an entre le jour où Endigo avait été battu et celui où il avait quitté le Pérou pour se rendre aux États-Unis. En ce qui concerne Renato, la SSR a également conclu qu'il était invraisemblable que rien ne lui soit arrivé entre 1989 et le mois de septembre 1992. Les demandeurs affirment que, pendant ce temps, la mère a été attaquée à deux reprises et qu'ils ont été obligés de déménager et, par conséquent, de changer d'école plusieurs fois afin d'éviter le Sentier lumineux.

[17]      Toutefois, cette conclusion est raisonnablement étayée par la preuve. Étant donné que la famille allègue craindre d'être persécutée à cause des activités de Renato et de l'emploi d'Endigo, et compte tenu des tactiques cruelles du Sentier lumineux, la SSR avait le droit de conclure à l'invraisemblance des faits allégués. Au moment où les problèmes que la famille a eus avec le Sendero luminoso ont atteint leur paroxysme, le fait que la famille n'a pas signalé ces problèmes ainsi que le fait qu'elle a attendu un an pour déménager et que, pendant trois ans, Renato n'a pas été attaqué permettent raisonnablement de conclure que les faits tels qu'ils ont été allégués ne sont pas vraisemblables. Sur ce point, l'argument des demandeurs ne satisfait donc pas à la norme nécessaire pour qu'il soit possible de demander le contrôle et de faire infirmer la décision.

Évaluation des revendications sur la base des renseignements fournis

[18]      Le deuxième argument des demandeurs est que la SSR a commis une erreur en n'évaluant pas leurs revendications sur la base des renseignements fournis jugés exacts. Ils soutiennent que les renseignements que la formation a jugés exacts étaient importants et influaient sur la décision.

[19]      Toutefois, en passant en revue les faits que la SSR a jugés exacts, les demandeurs ne parlent que des attaques dont la femme d'Endigo, Maria, a été victime. En particulier, la SSR a fait la remarque suivante :

                 [TRADUCTION]                 
                 [...] il est possible que M. ait été victime d'attaques fortuites puisque pareilles attaques avaient souvent lieu au Pérou à ce moment-là. M. a parlé de mobilisation, de la présence de l'armée, de la perquisition de maisons et de voitures piégées, ce qui est corroboré par la preuve documentaire des événements qui se sont produits entre 1990 et 1992. Toutefois, nous ne croyons pas que M. ait été attaquée par le Sendero luminoso à cause des actions antérieures de son mari ou de son fils, ce dernier ayant continué à vivre au Pérou et à fréquenter l'école.                 

[20]      Partant, la SSR ne pouvait pas établir un lien entre les actes qui avaient été commis à l'endroit de Maria et la persécution, en tant que motif reconnu par la Convention. En ce qui concerne les autres demandeurs, il n'existait aucun élément de preuve de persécution que la SSR a jugé vraisemblable. Partant, il n'existait aucun autre fondement à l'appui des revendications.

Le mandat d'arrestation et l'obligation d'équité

[21]      Les demandeurs contestent en particulier la façon dont la SSR a traité le mandat d'arrestation dans sa décision et affirment que cela équivaut à une erreur de droit et à un manquement à l'obligation d'équité.

[22]      Les demandeurs affirment que le mandat d'arrestation a été délivré après qu'Endigo se fut enfui et que, s'il allègue être persécuté en raison de ses opinions ou parce qu'il était membre de la police, ce n'est pas à cause de ce mandat. Ils soutiennent que si la formation avait estimé que la question du mandat était cruciale, elle aurait dû en informer le demandeur et lui donner la possibilité de corroborer ce témoignage. Ce n'est qu'après que les motifs ont été prononcés que les demandeurs se sont rendu compte que la formation estimait que ce témoignage était essentiel, comme ils l'affirment.

[23]      Les demandeurs soutiennent également que la conclusion tirée par la SSR, à savoir que si le Sendero luminoso avait trouvé Maria et s'était renseigné sur les allées et venues de son mari, la police aurait également pu la trouver lorsqu'elle a appris que son mari n'était pas revenu après son absence temporaire, est abusive et n'a rien à voir avec leurs revendications, étant donné que ce n'est pas la police qu'ils craignent, mais le Sendero luminoso.

[24]      Sur ces deux points, il est important de noter que la SSR a reconnu que le mandat d'arrestation n'était pas essentiel à l'allégation de persécution qu'Endigo avait faite. La SSR a dit que cette question se rapportait à la façon dont Endigo serait traité s'il retournait au Pérou. Sur ce point, Endigo a affirmé qu'il serait emprisonné avec ou à proximité des membres du Sentier lumineux, soit les gens mêmes qui risquent de le persécuter. La SSR n'essaie aucunement de dire que c'est la police qui persécute Endigo. Le fait que la SSR a conclu que la police ne s'était pas renseignée sur les allées et venues d'Endigo montre plutôt qu'elle ne croyait pas qu'un mandat d'arrestation eût été délivré contre le demandeur, de sorte que l'allégation qu'il avait faite, à savoir qu'il risquerait d'être persécuté en prison, n'était pas pertinente. Le demandeur affirme qu'un mandat a été délivré en vue de son arrestation, mais puisque c'est lui qui a soulevé la question avant l'audience, il aurait dû fournir une preuve corroborante. La charge de la preuve incombe au demandeur; en l'absence d'une preuve corroborante, la SSR avait raison de tirer cette conclusion.

[25]      Les demandeurs soutiennent enfin que la SSR aurait dû examiner la revendication de Renato indépendamment de celles de ses parents, et qu'elle a commis une erreur en omettant de le faire. Toutefois, la revendication de Renato était fondée sur les revendications de la famille dans son ensemble et Renato n'a pas témoigné à l'audience.

[26]      Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée et la décision de la SSR est confirmée.

[27]      L'avocat des demandeurs propose la certification de la question ci-après énoncée :

                 [TRADUCTION]                 
                 La Cour a-t-elle le pouvoir, compte tenu de la compétence qui lui est conférée, d'infirmer une décision qu'elle juge abusive et d'infirmer une décision selon laquelle le demandeur n'est pas un réfugié en se fondant sur le motif que son témoignage est vraisemblable, alors que la section du statut l'a jugé invraisemblable?                 

[28]      Ce à quoi l'avocate du défendeur répond ceci :

                 [TRADUCTION]                 
                 La question que le demandeur a proposée ne soulève pas une question grave de portée générale conformément au paragraphe 83(1) de la Loi sur l'immigration. À l'audience, Me Matas a fait savoir que cette question est fondée sur les motifs que Monsieur le juge Noël a prononcés dans l'affaire Oduro c. MEI (onglet 2, Recueil des ouvrages et arrêts du défendeur). Toutefois, les motifs de Monsieur le juge Noël ne constituent qu'un exemple du genre de remarque qui est souvent faite dans les affaires de contrôle judiciaire. Une question grave de portée générale ne peut pas être fondée sur une remarque telle que celle-ci : " [...] j'aurais eu tendance à affirmer le contraire. [...] Toutefois, il ne m'appartient pas de substituer mon pouvoir discrétionnaire à celui de la Commission [...]. "                 
                 En outre, la question n'est pas déterminante. À moins que le juge ne conclue que le témoignage des demandeurs est à certains égards vraisemblable, contrairement aux conclusions tirées par la SSR, la réponse à la question dont on propose la certification ne peut pas influer sur l'issue de l'affaire.                 
[29]      L'avocate du défendeur a tout à fait raison. La Cour refuse de certifier la question précitée, ou toute autre question.
                                       F. C. Muldoon         
                                 Juge
Ottawa (Ontario),
le 28 septembre 1998.
Traduction certifiée conforme
L. Parenteau, LL.L.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :      IMM-2737-97

INTITULÉ DE LA CAUSE :      ENDIGO GUILLER CACERES HERRERA ET AL. c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
LIEU DE L'AUDIENCE :      WINNIPEG (MANITOBA)

DATE DE L'AUDIENCE :      LE 8 AVRIL 1998

MOTIFS DE L'ORDONNANCE du juge Muldoon en date du 28 septembre 1998

ONT COMPARU :

DAVID MATAS      POUR LE DEMANDEUR
SHARLENE TELLES-LANGDON      POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

DAVID MATAS      POUR LE DEMANDEUR

WINNIPEG (MANITOBA)

MORRIS ROSENBERG      POUR LE DÉFENDEUR

SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL     

DU CANADA


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