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Date : 20000815


Dossier : IMM-4867-99

ENTRE:

     MARIE KETTLY ARTHUR

     Demanderesse

     - et -



     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION

     Défendeur




     MOTIFS DE L"ORDONNANCE ET ORDONNANCE



LE JUGE BLAIS


[1]      Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire de la décision de la Commission de l'immigration, en date du 13 septembre 1999, en vertu de laquelle, la Section d"appel a rejeté l'appel de la demanderesse de parrainer son fils (le requérant).


FAITS

[2]      La demanderesse est arrivée au Canada en octobre 1988 avec sa fille en tant que visiteuses, à l"occasion des funérailles de son père. En 1993, le statut de réfugié lui fut accordé suite aux problèmes en Haïti. Elle obtint la résidence permanente en 1994. La demanderesse a deux fils qui demeurent toujours en Haïti, et qu'elle visite chaque année pendant un mois.

[3]      En 1995, elle a amorcé les procédures pour parrainer ses deux fils, âgé alors de 25 et 27 ans. Elle a par la suite retiré sa demande pour Ernscelyn qui a terminé ses études et pratique la médecine dans son pays. Frantz, était toujours aux études et vit seul.

[4]      La demanderesse a toujours envoyé de l'argent à ses fils pour subvenir à leurs besoins.

[5]      La demande de parrainage fut rejetée par le gouvernement du Québec au motif que la demanderesse était financièrement incapable de respecter son engagement envers le requérant.

[6]      L'agent de visa était d'avis que le requérant était une personne visée par l'alinéa 19(1)(b) de laLoi sur l"immigration en ce qu'il n'a pas la capacité ou la volonté présente ou future de subvenir tant à ses besoins qu'à ceux des personnes à sa charge.

LA DÉCISION DE LA SECTION D"APPEL

[7]      La Section d'appel a noté qu'elle n'avait pas la compétence en droit d"examiner le refus du gouvernement du Québec, tel que le stipule le paragraphe 77(3.1) de la Loi. La demanderesse a alors fait valoir qu'il existe des raisons d'ordre humanitaire justifiant l'octroi d'une mesure spéciale.

[8]      La Section d'appel a noté que la demanderesse a transféré beaucoup d'argent en Haïti, qu'elle a gardé contact par téléphone avec ses fils et qu'elle est allée les visiter chaque année pendant un mois.

[9]      La Section a souligné que la demanderesse a quitté son fils en 1988, alors qu'il n'avait que 16 ans pour venir s'établir au Canada.

[10]      La Section d'appel a conclu qu'elle a pris une certaine distance avec les années. Elle remarque que la demanderesse n'a pu donner des précisions sur le cheminement du requérant ces dernières années et ne savait pas exactement en quelle année il était, ni le coût de ses études. Elle a expliqué qu'elle envoyait l'argent à une dame. La Section n'a pas trouvé le témoignage de la demanderesse en ce qui a trait au transfert de fonds crédible, puisque l'argent était adressé au requérant.

[11]      La Section d'appel a conclu après avoir considéré toute la preuve soumise, que la demanderesse ne s"est pas déchargée du fardeau de la preuve qui lui incombait: de démontrer qu'il existait des raisons d'ordre humanitaire justifiant l'octroi d'une mesure spéciale.

[12]      Elle a, en conséquence, rejeté l"appel.

LES PRÉTENTIONS DE LA DEMANDERESSE

[13]      La demanderesse argumente que la Section d'appel a minimisé certains éléments notamment le transfert de fonds, les communications téléphoniques et les voyages en Haïti.

[14]      La demanderesse allègue que la Section a omis de souligner les détails qui accompagnent chaque transfert de fonds notamment que l'argent est destiné à payer la nourriture, l'éducation ou même des produits spécifiques.

[15]      La demanderesse allègue que les appels téléphoniques étaient un élément essentiel afin de maintenir le lien étroit entre la famille.

[16]      La demanderesse soumet qu"elle a joué auprès des enfants le rôle de la mère et du père et que la séparation et la distance n"ont pas eu raison de leur attachement.

[17]      La demanderesse allègue que ces voyages en Haïti chaque année, démontrent le lien étroit entre elle et ses enfants. Elle est même allée aux Etats-Unis, lorsque son fils aîné était de passage dans ce pays là, vu qu'il ne pouvait pas obtenir un visa pour entrer au Canada.

[18]      La demanderesse fait valoir que la Section d'appel a omis d'examiner le fait qu'elle ne gagne pas le salaire exigé par la loi. La demanderesse prétend que ce point devrait être étudié par rapport aux points suivants:

     a) au moment du refus, la demanderesse gagnait $18,280 alors qu'elle devait gagner $26,422;
     b) les dépenses encourues par la demanderesse sont énormes et peuvent lui permettre de subvenir aux besoins de son fils s'il était admis au Canada;
     c) l'employeur de la demanderesse était prêt à engager le fils.

[19]      La demanderesse soumet que la Section d'appel a omis de considérer que l"âge, l'ambition et le dynamisme indiquent que le requérant a la volonté et la capacité d'acquérir rapidement son autonomie financière.

[20]      La demanderesse indique qu'ils sont séparés depuis 1988 malgré eux. Son fils vit seul en Haïti vu que l'aîné est affecté dans plusieurs provinces. Quant à elle, elle vit seule depuis que sa fille a créé sa propre famille.

[21]      La demanderesse fait valoir quant au reproche de la Section d'appel ayant trait à l'éducation de son fils, qu'étant peu instruite, elle ne pouvait préciser la durée de ses études. De plus, ce manquement n'a aucune importance pertinente pour évaluer l'attachement et la profondeur des liens les unissant.

LES PRÉTENTIONS DU DÉFENDEUR

[22]      Le défendeur soumet que la demanderesse ne s'est pas déchargée de son fardeau en alléguant que la Section d'appel a minimisé l'importance de certains éléments de preuve. Elle n'a pas démontré que la Section d'appel a exercé sa discrétion de mauvaise foi, a été influencée par des considérations non pertinentes ou a agi arbitrairement ou illégalement.

[23]      Le défendeur prétend qu'il n'est pas suffisant pour renverser la décision de prétendre, comme le fait la demanderesse, que ses voyages en Haïti ne sont pas seulement remarquables (comme le souligne le tribunal), mais bien exceptionnels. Peut-être qu'un autre décideur n'aurait pas tiré de la preuve les mêmes conclusions suite à son analyse discrétionnaire.

[24]      Quant à l'argument de la demanderesse, que la Section aurait dû examiner la preuve en fonction rapport à l'obstacle juridique, le défendeur indique que cet argument fait fi du paragraphe 77(3.1) de la Loi. Suivant ce paragraphe, la demanderesse ne pouvait pas soulever des questions de droit ou de fait relativement à cet aspect du refus.

[25]      Le défendeur soumet qu'il existe une présomption, que la Section a examiné toute la preuve sans qu'il soit nécessaire de l'indiquer.

[26]      Dans son mémoire supplémentaire, le défendeur fait remarquer que certaines conclusions recherchées ont été ajoutées au mémoire supplémentaire de la demanderesse.

[27]      Le défendeur soumet que cette Cour peut renvoyer la décision à la Section d"appel, mais qu"elle ne peut pas casser la décision de l"ambassade canadienne en Haïti, ni substituer son opinion à celle de la Section d"appel.


ANALYSE

[28]      Les paragraphes 77(3) et (3.1) stipulent:


(3) S'il est citoyen canadien ou résident permanent, le répondant peut, sous réserve des paragraphes (3.01) et (3.1), en appeler devant la section d'appel en invoquant les moyens suivants_:

a) question de droit, de fait ou mixte;

b) raisons d'ordre humanitaire justifiant l'octroi d'une mesure spéciale.

(3.1) Dans le cas où une province, aux termes d'un accord conclu en vertu de l'article 108, exerce seule la responsabilité de la fixation et de l'application des normes financières relatives aux demandes d'engagement, le répondant ne peut en appeler, en invoquant un des moyens prévus à l'alinéa (3)a), du refus de l'agent d'immigration ou de l'agent des visas d'octroyer le droit d'établissement à un parent en raison du rejet par le fonctionnaire provincial compétent de sa demande d'engagement, au motif soit qu'il ne satisfait pas aux normes financières de la province où il réside, soit qu'il a manqué à un engagement antérieur, si la législation de la province accorde un droit d'appel au répondant du rejet de sa demande d'engagement.

    

(3) Subject to subsections (3.01) and (3.1), a Canadian citizen or permanent resident who has sponsored an application for landing that is refused pursuant to subsection (1) may appeal to the Appeal Division on either or both of the following grounds:

(a) on any ground of appeal that involves a question of law or fact, or mixed law and fact; and

(b) on the ground that there exist compassionate or humanitarian considerations that warrant the granting of special relief.

    

(3.1) No appeal lies to the Appeal Division under subsection (3) on any grounds referred to in paragraph (3)(a) where the Canadian citizen or permanent resident who has sponsored the application for landing that is refused pursuant to subsection (1) resides in a province that has entered into an agreement pursuant to section 108 whereby the province has sole responsibility for establishing and applying financial criteria in relation to sponsors if

(a) the refusal is based on the rejection of the person's application for sponsorship by an official of that province on the grounds that the person failed to meet those criteria or failed to comply with any prior undertaking concerning the sponsorship of any application for landing; and

(b) the laws of that province provide the person with a right to appeal the rejection of the person's application for sponsorship.

[29]      L"argument de la demanderesse suggérant que la Section a omis d"évaluer la preuve soumise par rapport au refus du gouvernement du Québec, ne peut être retenu, puisque le droit d"appel est expressément exclu par la législation. La Section d"appel n"a pas la compétence d"évaluer le refus du gouvernement, d"autant plus, que la demanderesse n"avait pas le droit d"en appeler.

[30]      En ce qui a trait à l"exercice du pouvoir discrétionnaire conféré à la Section d"appel en fonction de l"alinéa 77(3)(b) de la Loi, cette Cour a expliqué dans l"arrêt Dimacali-Victoria c. Canada (M.C.I.) (29 août 1997), IMM-3323-96 (C.F. 1ère instance):

     En l'espèce, bien que la décision de la SAI ne soit pas une étape préliminaire comme la recommandation visée au paragraphe 114(2), elle comporte ce qui, j'en suis convaincu, est une attribution discrétionnaire d'une dispense de l'application des prescriptions ordinaires de la Loi sur l'immigration portant qu'une personne comme le père de la requérante n'est pas admissible au Canada. Je suis convaincu que la décision rendue par la SAI sous le régime de l'alinéa 77(3)b) est, comme la décision visée dans l'affaire Shah, une décision qui "[...] relève entièrement [du] jugement et [du] pouvoir discrétionnaire [de la SAI] et la Loi ne confère aucun droit [à des personnes comme la requérante en l'espèce qui était l'appelante devant la SAI] en ce qui a trait au dispositif de cette décision".
     Vu les remarques qui précèdent, je suis convaincu que la SAI n'a commis aucune erreur susceptible de contrôle judiciaire. Personne n'a prétendu devant moi que la SAI a refusé d'exercer sa compétence. Je suis persuadé qu'elle a exercé son pouvoir discrétionnaire en conformité avec des principes juridiques bien établis, c'est-à-dire de bonne foi, sans tenir compte de facteurs dénués de pertinence et sans agir de façon arbitraire ou illégale. Les facteurs qu'elle a pris en considération étaient manifestement pertinents quant à la décision qu'elle a été invitée à rendre.

[31]      Je ne peux accepter l"argument de la demanderesse que la Section d"appel a minimisé certains éléments. Elle a noté que la demanderesse a envoyé beaucoup d"argent à ses enfants, qu"elle leur parle souvent au téléphone et qu"elle se déplace chaque année pour les voir malgré sa crainte de persécution. De plus, la Section n"a pas ignoré les caractéristiques propres du requérant. Elle a indiqué qu"il était toujours étudiant et dépendait de sa mère financièrement.

[32]      La Section n"a pas trouvé qu"il existe des raisons d"ordre humanitaire justifiant l"octroi d"une mesure spéciale. Cette conclusion lui appartenait, gardant à l"esprit qu"il s"agit d"une mesure discrétionnaire et considérant la preuve soumise. Un autre tribunal aurait pu arriver à une conclusion différente, mais là, est toute la question de discrétion. La demanderesse ne m"a pas démontré que la décision n"était pas raisonnable ou que le pouvoir discrétionnaire n"était pas exercé de bonne foi conformément au principe de justice naturelle ou que la Section s"est fondée sur les considérations non pertinentes.

[33]      Pour ces raisons, cette demande de contrôle judiciaire est rejetée.

    


                         Pierre Blais

                         Juge

OTTAWA, ONTARIO

Le 15 août 2000

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