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Date : 20060510

Dossier : IMM-1644-06

Référence : 2006 CF 587

Montréal (Québec), le 10 mai 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE HARRINGTON

ENTRE :

MOHAMED ZIAR JAOUADI

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

ET DE LA PROTECTION CIVILE

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeurs

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Le 15 mai est le jour « J » pour M. Jaouadi. Il s'agit de la date à laquelle il doit quitter le Canada et retourner dans son pays d'origine, la Tunisie. Il est arrivé au Canada en possession d'un visa de touriste en 2000, a rapidement demandé l'asile et a trouvé son chemin dans le dédale de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés (LIPR), et de celle qui l'a précédée, depuis son arrivée. La Commission de l'immigration et du statut de réfugié (CISR) a conclu qu'il n'avait pas droit au statut de réfugié en raison des alinéas 1Fb) et 1Fc) de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés. Elle a conclu que le demandeur avait commis un crime grave de droit commun en Tunisie et qu'il s'était rendu coupable d'agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies. Le juge Pinard a rejeté sa demande de contrôle judiciaire (2005 CF 1256). Le demandeur a alors déposé une demande d'examen des risques avant renvoi (ERAR). Comme sa demande du statut de réfugié avait été rejetée en raison de l'article 1F de la Convention, le paragraphe 112(2) de la LIPR limitait l'ERAR à une évaluation visant à déterminer si le demandeur était une personne à protéger au sens de l'article 97 de la Loi, c'est-à-dire à savoir s'il existait un risque sérieux qu'il serait personnellement exposé soit au risque d'être soumis à la torture, soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements cruels et inusités s'il retournait en Tunisie. L'agent d'ERAR a conclu que le demandeur ne serait pas exposé à de tels risques. M. Jaouadi demande l'autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire et le contrôle judiciaire de cette décision, si l'autorisation lui en est accordée.

[2]                Entre-temps, la mesure de renvoi prise contre lui est exécutoire et la demande d'autorisation et de contrôle judiciaire ne justifie pas un sursis à cette mesure. Le demandeur a besoin d'une ordonnance particulière de la Cour, qui fait l'objet de la présente demande.

[3]                Au cours de son séjour au Canada, M. Jaouadi a été pris à mentir, mais paradoxalement, lorsqu'il a dit avoir menti, on ne l'a pas cru. Lorsqu'il s'est présenté devant la CISR la première fois, il a déclaré entre autres qu'il était un activiste contre le gouvernement tunisien et un partisan du groupe Ennhada qui, selon la CISR, est une organisation terroriste. La CISR a interrompu l'audience et a invité le ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration du Canada à intervenir. Par la suite, M. Jaouadi a affirmé qu'on lui avait conseillé de falsifier sa version des faits, qu'il n'était pas un membre de l'Ennhada et qu'il craignait en fait de retourner en Tunisie en raison de ses activités politiques au Canada.

[4]                Son nouvel avocat a demandé aux commissaires de se récuser. Ils ont refusé de le faire. Le juge Martineau a maintenu leur décision à 2003 CF 1347.

[5]                Ceci dit, en s'opposant au sursis, le ministre semble me demander de juger l'homme, et non l'affaire. Les menteurs peuvent aussi avoir besoin d'une protection internationale.

[6]                L'essentiel de l'argument de M. Jaouadi selon lequel l'agent d'ERAR s'est trompé comporte deux volets. Même s'il n'est pas membre de l'Ennhada, la CISR ne l'a pas cru. Le juge Pinard a conclu que la décision de la CISR n'était pas manifestement déraisonnable et, par conséquent, les autorités tunisiennes pourraient en arriver à la même conclusion. Ensuite, on dispose de beaucoup d'informations sur les activités anti-tunisiennes que le demandeur a menées au Canada pendant les six dernières années et les autorités tunisiennes peuvent facilement y avoir accès en cherchant sur Internet. Tout porte à croire que les autorités tunisiennes font des recherches sur le World Wide Web.

[7]                À l'audience, les parties ont longuement débattu au sujet du fardeau de la preuve qui revenait à M. Jaouadi pour démontrer que les autorités tunisiennes étaient au courant de ses activités politiques ou pourraient l'être. L'agent d'ERAR a aussi conclu que de nombreuses personnes portaient le nom Jaouadi en Tunisie, ce qui rendrait le demandeur difficile à identifier pour les autorités tunisiennes. Cette conclusion est plutôt discutable, parce que le demandeur devra obtenir des documents de voyages auprès de ces autorités mêmes.

LE CRITÈRE D'OCTROI D'UN SURSIS

[8]                Il a été bien établi, dans des affaires comme Toth c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1988), 86 NR 302, qu'afin d'obtenir un sursis à une mesure de renvoi, le demandeur doit remplir chacune trois conditions suivantes. Premièrement, il doit exister une question sérieuse dans la demande principale. Deuxièmement, il doit exister un risque de préjudice irréparable. Troisièmement, la prépondérance des inconvénients doit être favorable au demandeur. La Cour suprême a examiné ces éléments en détail dans l'arrêt RJR-MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 R.C.S. 311.

La question sérieuse

[9]                En ce qui a trait au premier élément, à savoir s'il existe un argument justifiant l'annulation de la décision d'ERAR, il existe une question sérieuse à trancher tant que la demande n'est pas futile ni vexatoire. Comme la CISR a conclu que le demandeur était un terroriste, il n'est ni futile ni vexatoire que M. Jaouadi, peu importe ses défauts, avance que les autorités tunisiennes pourraient tirer la même conclusion. Si c'est le cas, il est certainement possible de soutenir qu'il sera maltraité à son retour en Tunisie et qu'il devrait donc avoir le droit de se prévaloir de la protection internationale au Canada.

[10]            Les juges Sopinka et Cory, s'exprimant au nom de la cour, ont déclaré à la page 348 de l'arrêt RJR-MacDonald :

À la première étape, le requérant d'un redressement interlocutoire [...] doit établir l'existence d'une question sérieuse à juger.    Le juge de la requête doit déterminer s'il est satisfait au critère, en se fondant sur le bon sens et un examen extrêmement restreint du fond de l'affaire.

[11]            Comme critère, la demande non futile et non vexatoire est moins exigeante que celui auquel il faut satisfaire pour obtenir l'autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire, qui nécessite que le demandeur ait une cause défendable (Bains c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1990), 109 NR 239), et beaucoup moins exigeant que le fardeau lors d'un contrôle judiciaire entendu sur le fond, qui repose sur la prépondérance des probabilités.

[12]            Je conclus qu'il existe une question sérieuse à trancher.

Le préjudice irréparable

[13]            Contrairement à l'arrêt RJR-MacDonald, précité, il ne s'agit pas d'une affaire mettant en cause une somme d'argent. Le préjudice irréparable est inextricablement lié à la question sérieuse. Aucune somme d'argent ne pourra compenser la torture, les traitements ou peines cruels et inusités ou la mort, les dangers et risques mêmes pour lesquels une personne demande à être protégée en vertu de l'article 97 de la LIPR.

La prépondérance des inconvénients

[14]            Ici aussi, contrairement à l'arrêt RJR-MacDonald, précité, la perte que pourrait subir M. Jaouadi ne serait pas simplement financière. Bien qu'il soit de l'intérêt public d'appliquer la LIPR, cet intérêt ne signifie pas qu'une personne qui a satisfait aux deux premiers critères devrait être renvoyée avant même l'audition de sa demande d'autorisation. Dans l'arrêt RJR-MacDonald, précité, la santé publique était primordiale. En l'espèce, la sécurité personnelle est primordiale.

ORDONNANCE

            LA COUR ORDONNE que la requête déposée pour le compte du demandeur, M. Jaouadi, en vue d'obtenir un sursis à l'exécution de la mesure de renvoi qui doit être exécutée le 15 mai 2006, est accueillie. La Cour sursoit au renvoi jusqu'à ce qu'une décision finale soit rendue au sujet de la demande d'autorisation et de contrôle judiciaire susmentionnée.

« Sean Harrington »

Juge

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         IMM-1644-06

INTITULÉ :                                       MOHAMED ZIAR JAOUADI c.

                                                            LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

                                                            ET DE LA PROTECTION CIVILE ET AL.

LIEU DE L'AUDIENCE :                  Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                Le 8 mai 2006

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       LE JUGE HARRINGTON

DATE DES MOTIFS :                       Le 10 mai 2006

COMPARUTIONS:

Peter Shams

POUR LE DEMANDEUR

Michèle Joubert

POUR LES DÉFENDEURS

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Saint-Pierre Grenier

Montréal (Québec)

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LES DÉFENDEURS

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