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Date : 20020712

Dossier : IMM-3917-01

Référence neutre : 2002 CFPI 784

ENTRE :

                                            RICARDO FELIPE HUARCAYA GARCIA

                                                                                                                             partie demanderesse

                                                                                  et

                                               LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                             ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                   

                                                                                                                               partie défenderesse

                                                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE LEMIEUX

[1]                 Le demandeur Ricardo Garcia, un citoyen du Pérou âgé de 20 ans, s'est vu refuser la reconnaissance comme réfugié par la Section du statut de réfugié (le tribunal) dans sa décision du 19 juillet 2001 parce que le tribunal n'a pas cru l'histoire de persécution qu'il a présentée.

[2]                 Son récit n'est pas compliqué. Il craint l'armée péruvienne parce qu'il aurait vu, le 13 mai 2000, durant son service militaire obligatoire, le lieutenant Garcia tirer sur un homme blessé, qu'aidait à ce moment le sergent Alvan, et M. Garcia aurait constaté que cet homme perdait beaucoup de sang.

[3]                 Par la suite, le commandant de garnison lui aurait dit que s'il se tenait la bouche fermée rien ne lui arriverait.

[4]                 Le 20 juin 2000, le demandeur rencontre le sergent Alvan pour discuter de la situation. Le lieutenant Garcia et quatre soldats seraient arrivés et les auraient amenés au « trou » , le lieu de punition et de torture. Le demandeur aurait perdu connaissance et se serait réveillé à l'hôpital militaire.

[5]                 À la fin de son service militaire, le lieutenant Garcia lui aurait dit d'une voix menaçante qu'il le surveillerait.


[6]                 Le demandeur fuit le Pérou après avoir appris de son ami Olivares, membre de l'armée péruvienne: (1) que plusieurs officiers, entre autres, le lieutenant Garcia, étaient devenus très inquiets des enquêtes des journalistes sur les personnes disparues; (2) qu'il avait entendu, lors d'une réunion, que l'armée péruvienne voulait éliminer toute preuve qui pourrait les incriminer et une des personnes mentionnée par le lieutenant Garcia était le revendicateur et que le mieux serait de le faire disparaître comme fut le cas du sergent Alvan.

[7]                 Le lendemain de sa fuite (il s'est caché chez un de ses oncles avant de prendre l'avion pour le Canada), des militaires seraient arrivés chez ses parents et leur auraient dit qu'ils voulaient parler au revendicateur sur une affaire confidentielle et qu'il devait se présenter à la garnison le plus tôt possible.

[8]                 Le tribunal conclut que le demandeur n'est pas crédible et s'appuie sur quatre éléments :

(i)         le tribunal décèle une contradiction majeure entre son témoignage et sa fiche au point d'entrée (FPE). La FPE, complétée en anglais par l'agent d'immigration qui recevait les réponses du demandeur traduites de l'espagnol par un interprète au téléphone se lit « client declares he saw an assassination. An official of the army assassinated a man I never saw before. I heard shots and I ran away but I did not see who did what. » Durant son témoignage, le demandeur affirme ne pas savoir si la victime était morte ou vivante.


(ii)        le tribunal soulève une contradiction entre ce que le demandeur avait écrit dans sa formule de renseignements personnels (FRP) et sa pièce P-3, un rapport médical du Service des urgences de l'hôpital militaire central en date du 20 juin 2000. Dans son FRP, le demandeur écrit « ils m'ont frappé jusqu'à ce que je perdis connaissance. En me réveillant, j'étais à l'hôpital miliaire pour traitements pour accident au service » . Dans le rapport médical (pièce P-3), il est écrit « le patient déclare avoir eu un accident en service sans perte de connaissance » .

(iii)       le tribunal tire une autre contradiction entre sa FPE où il est écrit que son dernier employeur était l'armée péruvienne et son témoignage où il mentionnera avoir eu différents emplois après son service dans l'armée péruvienne.

(iv)       le tribunal conclut à une invraisemblance du témoignage du demandeur en ces termes :

Invité à nous dire si depuis son départ du Pérou pour le Canada, les militaires étaient revenus chez ses parents étant donné qu'ils avaient demandé que le revendicateur se présente à la garnison le plus tôt possible, il répondra par la négative. Il se fera alors faire la remarque que s'il ne s'était pas présenté à la garnison tel que demandé, il est raisonnable de penser que les militaires seraient retournés chez ses parents à ce sujet. Le revendicateur aura cette réponse: « un militaire ne va jamais se présenter dans la rue vêtu en militaire, il s'habille en civil pour passer inaperçu » . Il rajoutera également que son père aurait dit à son oncle qu'il y avait des inconnus qui rôdaient autour de la maison, habillés en civil, mais qu'ils ne s'arrêtaient pas. Si le revendicateur est recherché comme il le prétend à la question 20 par des gens de l'armée depuis le 7 janvier 2001, que les militaires sont venus chez lui le 8 janvier 2001 pour lui demander de se présenter à la garnison le plus tôt possible, il est invraisemblable qu'ils ne soient pas retournés pour la raison qu' « un militaire ne va jamais se présenter dans la rue vêtu en militaire, il s'habille en civil pour passer inaperçu » . Les militaires s'étaient présentés comme tel le 8 janvier 2001, ne passant donc pas « inaperçus » . Dans tout ce contexte, la réponse du revendicateur entache sa crédibilité.


Analyse

[9]                 En l'espèce, le tribunal ne croit pas le demandeur suite à son analyse de la preuve, c'est-à-dire, après avoir tiré des conclusions de fait. Selon le paragraphe 18.1(4) de la Loi sur la Cour fédérale, la Cour ne peut intervenir que si le tribunal a rendu une décision fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il dispose, ce qui équivaut à la norme de contrôle d'une conclusion manifestement déraisonnable.

[10]            Dans l'arrêt Syndicat canadien de la Fonction publique, section locale 301 c. Montréal (Ville), [1997] 1 R.C.S. 793, le juge L'Heureux-Dubé, au nom de la Cour, écrit:

85 Nous devons nous souvenir que la norme quant à la révision des conclusions de fait d'un tribunal administratif exige une extrême retenue: . . . Les cours de justice ne doivent pas revoir les faits ou apprécier la preuve. Ce n'est que lorsque la preuve, examinée raisonnablement, ne peut servir de fondement aux conclusions du tribunal qu'une conclusion de fait sera manifestement déraisonnable, par exemple, en l'espèce, l'allégation suivant laquelle un élément important de la décision du tribunal ne se fondait sur aucune preuve... . [C'est moi qui souligne]

[11]            Le demandeur soutient que les éléments retenus par le tribunal pour entacher sa crédibilité n'ont aucun fondement.

[12]            La première contradiction est entre son témoignage et sa FPE rédigée en anglais par l'agent d'immigration. Le tribunal croit que l'interprète était présente et s'exprime de la façon suivante:


Au point d'entrée, l'interprète de l'immigration était présente, traduisant toutes les questions en espagnol au revendicateur et traduisant les réponses du revendicateur à l'agent, de l'espagnol au français. Le revendicateur ne nous a donné aucune explication satisfaisante quant à cette différence fort importante entre ses deux versions, celle du point d'entrée et celle fournie dans son témoignage et dans sa réponse à la question 37. [c'est moi qui souligne]

[13]            Il est évident que le tribunal a mal compris comment la formule du point d'entrée a été rédigée et comment l'interprétation se déroulait. Cette erreur de compréhension justifie que la première contradiction soit écartée puisqu'elle se fonde sur un mot précis « assassination » dans la FPE du demandeur.

[14]            Quant à la deuxième contradiction, selon le demandeur, elle n'est pas justifiée puisque le rapport médical a été complété par l'armée péruvienne et seulement elle peut expliquer son contenu.

[15]            À mon avis, la faute du tribunal réside non pas dans le fait qu'il a constaté une contradiction mais de n'avoir apprécié l'explication du demandeur (il témoigne « je ne sais pas pourquoi ils ont mis ça » ) et de n'avoir expliqué pourquoi l'explication du demandeur a été rejetée.


[16]            Je n'accepte pas l'argument du conseiller du demandeur que l'invraisemblance tirée par le tribunal de la réponse « non » donnée par M. Garcia à la question posée « est-ce que les militaires sont allés chez vous » est déraisonnable. Il soutient que le demandeur n'a jamais déclaré que les militaires se sont présentés en uniforme.

[17]            J'ai examiné attentivement les pages 402 à 404 des notes sténographiques. Accéder à la prétention du demandeur serait de faire ce que la Cour suprême du Canada nous interdit, c'est-à-dire de revoir les faits ou d'apprécier à nouveau la preuve. Dans les circonstances, je ne peux écarter l'invraisemblance tirée par le tribunal.

[18]            Il reste à déterminer si la Cour devrait intervenir dans les circonstances précises de ce dossier où deux des quatre éléments sur lesquels le tribunal s'est fondé pour ne pas croire l'histoire du demandeur sont maintenus mais deux d'entre eux sont infirmés. À mon avis, la Cour doit intervenir.

[19]            Le tribunal lui-même a caractérisé « différence forte importante » la contradiction entre le FPE du demandeur et son témoignage. Cette contradiction a été écartée par cette Cour. D'autre part, le tribunal n'accorde aucun poids à l'invraisemblance tirée de la réponse du demandeur. Il m'appert à la lecture des notes sténographiques que le tribunal doit approfondir la question des militaires habillés en civil.

[20]            Pour tous ces motifs, cette demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision du tribunal est cassée et la revendication du demandeur est remise pour nouvelle étude par une formation différente de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié. Aucune question d'importance générale n'a été soulevée.

                                                                                                                           "François Lemieux"           

                                                                                                                                                                                                                       

                                                                                                                                               J u g e                        

Ottawa (Ontario)

le 12 juillet 2002


                                               COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                            SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                NOMS DES AVOCATS ET DES AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DE LA COUR:                           IMM-3917-01

INTITULÉ:                                                    RICARDO FELIPE HUARCAYA GARCIA

v

MCI

LIEU DE L'AUDIENCE:                 MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L'AUDIENCE:              LE 25 JUIN 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE L'HONORABLE JUGE LEMIEUX

EN DATE DU:                                  12 JUILLET 2002

  

COMPARUTIONS:

Me MANUEL A. CENTURION                              POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

Me ÉDITH SAVARD                                                            POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

  

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Me Manuel A. Centurion                                                     POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

Montréal (Québec)

M. Morris Rosenberg                                                             POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

Sous-procureur général du Canada

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