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Date : 20040428

Dossier : T-452-04

Référence : 2004 CF 630

ENTRE :

      INTERNATIONAL ASSOCIATION OF IMMIGRATION PRACTITIONERS (IAIP)

                                                            et SEAN SHANNON

                                                                                                                                        demandeurs

                                                                             et

                                                        SA MAJESTÉ LA REINE,

                    LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

                         MARK DAVIDSON, JEAN UNTEL ET JEANNE UNETELLE

                                                                                                                                          défendeurs

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

MADAME LA JUGE LAYDEN-STEVENSON

[1]                La Société canadienne de consultants en immigration (SCCI) demande l'autorisation d'intervenir dans une requête qui peut être décrite par souci de commodité comme une requête en mesures interlocutoires des demandeurs. Les défendeurs appuient la requête de la SCCI. Les demandeurs conviennent que la SCCI devrait obtenir le statut d'intervenante, mais précisent que la portée de l'intervention devrait être restreinte.


LES FAITS À L'ORIGINE DU LITIGE

[2]                Afin d'expliquer le contexte du présent litige, je résume les faits donnant lieu à la présente requête, en tentant de décrire uniquement les faits non contestés. L'omission des différentes allégations de conduite inconvenante est intentionnelle.

[3]                En octobre 2002, un comité consultatif externe composé de quatorze membres (dont des consultants, des avocats et des représentants de l'intérêt public) a été mis sur pied et chargé de formuler des recommandations au ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (le ministre) au sujet de la réglementation devant régir les consultants en immigration. Le 8 mai 2003, le comité consultatif a soumis au ministre son rapport dans lequel il a recommandé la création d'un organisme de réglementation à cette fin. Le comité a également recommandé qu'une corporation sans capital-actions soit créée sous le régime de la Loi sur les corporations canadiennes, que cette société agisse à titre d'organisme de réglementation et que le gouvernement reconnaisse cette nouvelle organisation à titre de seul organe régissant la profession de consultant en immigration.


[4]                En mai 2003, le ministre a mis sur pied un secrétariat chargé de favoriser la mise en oeuvre des recommandations du comité consultatif. Le 8 octobre 2003, une corporation sans capital-actions - la SCCI - a été constituée sous le régime de la partie II de la Loi sur les corporations canadiennes. Conformément aux lettres patentes, son mandat consiste à réglementer la profession de consultant en immigration dans l'intérêt public et, à cette fin, à adopter un code de déontologie, une procédure relative au traitement des plaintes et aux mesures disciplinaires et un programme de formation ainsi qu'à créer un fonds d'indemnisation relativement aux actes ou omissions de ses membres.

[5]                Le 31 octobre 2003, le ministre a publié un communiqué de presse dans lequel il a annoncé qu'il appuyait la SCCI et qu'il s'engageait à veiller à ce que, d'ici avril 2004, l'organisme d'autoréglementation entre en fonction et que les modifications à apporter au règlement en matière d'immigration soient mises en oeuvre. Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) a obtenu l'approbation du Conseil du Trésor relativement à la création d'un nouveau programme de contribution permettant de verser jusqu'à 700 000 $ à la SCCI pour l'exercice financier 2003-2004 et à lui accorder un prêt remboursable à certaines conditions selon un montant pouvant atteindre 500 000 $ pour l'exercice financier 2004-2005.

[6]                Au cours de l'automne et de l'hiver 2003, des représentants de la SCCI ont travaillé à l'élaboration d'un nouveau règlement en matière d'immigration selon lequel seuls les membres en règle d'un barreau provincial ou territorial et les membres de la SCCI auraient le droit de représenter qui sont parties à des procédures en immigration contre rémunération. Le projet de règlement a été prépublié dans la Gazette du Canada le 13 décembre 2003, tout comme le résumé de l'étude de l'impact de la réglementation (REIR). Les personnes et groupes intéressés ont été invités à formuler leurs commentaires.

[7]                Le 19 décembre 2003, le nouveau ministre de Citoyenneté et Immigration a publié un communiqué de presse dans lequel il a annoncé les modifications proposées au règlement et indiqué que, dès l'entrée en vigueur de celles-ci, le gouvernement communiquerait uniquement avec les représentants en immigration faisant payer leurs services qui sont membres de la SCCI ou d'un barreau provincial ou territorial. Une période de transition de quatre ans s'appliquerait dans le cas des demandes en cours de traitement.

[8]                Le 21 janvier 2004, la SCCI a publié dans différents journaux canadiens une annonce indiquant que les consultants en immigration devaient déposer un avis d'intention d'adhérer à la Société d'ici le 6 février 2004 afin que le traitement des demandes d'adhésion ait lieu d'ici avril 2004. Le 24 janvier, la SCCI a commencé à accepter les avis d'intention et a accordé aux consultants un délai allant jusqu'à mars 2004 pour soumettre leurs demandes d'adhésion officielles après le paiement du solde des droits d'adhésion, l'achat d'une assurance erreurs et omissions approuvée d'un montant d'au moins 1 000 000 $, la remise des certificats de police et la signature d'un contrat par lequel ils convenaient de respecter le code de déontologie et de se soumettre au mécanisme régissant le traitement des plaintes et les mesures disciplinaires.


[9]                Le 31 janvier 2004, la SCCI a mis au point ses critères relatifs à l'adhésion transitoire et affiché les renseignements sur son site web. La personne qui soumet une demande d'adhésion transitoire doit être un citoyen canadien, un résident permanent ou une personne inscrite au registre des Indiens, avoir un an d'expérience de travail connexe ou avoir réussi certains programmes de formation, avoir réussi un test d'éthique et de connaissances et fournir une attestation de bonnes moeurs au moyen d'un certificat de police ainsi qu'une déclaration statutaire attestant qu'elle n'a de casier judiciaire dans aucun pays ou indiquant les détails des condamnations prononcées contre elle. Des tests ont eu lieu à différents centres du Canada, de Dubay et de Hong Kong et continuent à être administrés au Canada.

[10]            Le 1er avril 2004, le règlement a été approuvé par le gouverneur en conseil et enregistré conformément à l'article 6 de la Loi sur les textes réglementaires. Le 8 avril, la version définitive du règlement a été affichée sur le site web de CIC ainsi que le dernier REIR. Un nouveau communiqué de presse annonçant que le règlement entrerait en vigueur le 13 avril 2004 a été publié. Le règlement lui-même et le REIR ont été publiés dans la Gazette du Canada le 14 avril 2004.

[11]            La demanderesse, l'International Association of Immigration Practitioners (IAIP), est une association canadienne de consultants en immigration qui a été créée par Ramesh Dheer, son président actuel, et constituée sous le régime fédéral au moyen de lettres patentes le 4 octobre 1999. Elle est l'une des trois organisations nationales de « consultants en immigration » . Les deux autres sont l'Association canadienne des conseillers en immigration (ACCI) et l'Organization of Professional Immigration Consultants (OPIC). Le demandeur Sean Shannon est un consultant en immigration qui possède une expérience de neuf ans et qui gagne sa vie en représentant des clients devant le ministre, la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (CISR) et l'Agence des services frontaliers du Canada (ASFC). Il est membre de l'IAIP.


[12]            M. Dheer était membre du comité consultatif externe chargé de présenter des recommandations au ministre au sujet de la réglementation de la profession de consultants en immigration. Il ne faisait pas partie du groupe qui a participé à la planification de la mise en oeuvre des recommandations du comité consultatif et n'est pas devenu membre du conseil d'administration de la SCCI. Contrairement à l'ACCI et à l'OPIC, l'IAIP ne compte aucun représentant au conseil d'administration de la SCCI.

[13]            Tout au long du processus, les demandeurs ont présenté des objections verbales et écrites à la SCCI et au ministre au sujet de l'absence de participation du public et des membres de l'industrie et de l'omission du gouvernement de donner à celle-ci un avis équitable. Les demandeurs ont contesté la compétence du gouvernement en matière de réglementation des activités des consultants en immigration. Le 3 mars 2004, ils ont engagé des actions devant la Cour supérieure de l'Ontario et la Cour fédérale du Canada. La seule différence entre les deux instances est le fait que la SCCI est désignée défenderesse dans l'action engagée en Ontario, mais non dans l'instance fédérale.


[14]            Je résume maintenant le contenu de la déclaration, sans toutefois m'attarder aux détails. Les demandeurs allèguent que le processus des défendeurs n'est pas autorisé par la LIPR et son règlement d'application, va à l'encontre des exigences constitutionnelles de la règle de droit, constitue une action fautive de nature publique, un abus des procédures et un abus de pouvoir, crée un préjudice financier et un conflit d'intérêts, va à l'encontre de la LIPR ainsi que des articles 7 et 15 de la Charte, contrevient aux règles de justice naturelle reconnues en common law, porte atteinte aux intérêts économiques, encourage illégalement les manquements aux ententes conclues entre les demandeurs et leurs clients et constitue un complot donnant droit à réparation et une atteinte aux droits constitutionnels en vertu du préambule de la Loi constitutionnelle de 1867 ainsi qu'aux droits reconnus aux demandeurs par l'article 7 de la Charte et les alinéas 1a) et b) de la Déclaration canadienne des droits. En conséquence, les demandeurs réclament des dommages-intérêts généraux de 200 000 $, des dommages exemplaires de 100 000 $, des dommages-intérêts punitifs de 500 000 $, une indemnité au titre, notamment, de la perte de revenus et des dépens avocat-client.

[15]            Le 5 mars 2004, les demandeurs ont déposé contre tous les défendeurs (sauf la SCCI) une requête présentable le 19 avril 2004 à la séance générale de la Cour à Toronto en vue d'obtenir :

a)          (i)          une ordonnance provisoire d'interdiction ou de suspension afin d'empêcher la SCCI de jouer son rôle annoncé d'organisme de réglementation de la profession de consultant en immigration ou d' « autre conseil » en vertu des articles 167 et 91 de la LIPR jusqu'à ce que la présente action soit tranchée définitivement;

(ii)         une ordonnance provisoire d'interdiction ou de suspension contre le ministre et les représentants de celui-ci ainsi que la CISR, afin de les empêcher d'interdire à un « autre conseil » , conformément à l'article 167 de la LIPR et au jugement de la Cour suprême du Canada dans Mangat, de représenter des clients en immigration devant eux ainsi que l'ASFC;


b)                      les dépens de la présente requête et toute autre réparation que l'avocat demande et que la Cour estime équitable.

[16]            Je reviens maintenant à la requête dont je suis saisie, c'est-à-dire la requête par laquelle la SCCI demande l'autorisation d'intervenir dans la requête des demandeurs. Je souligne que la SCCI demande cette autorisation uniquement en ce qui concerne la requête en mesures interlocutoires des demandeurs. Aucune demande n'est formulée en ce qui a trait à l'action principale.

QUESTION EN LITIGE

[17]            La SCCI devrait-elle obtenir le droit d'intervenir et, dans l'affirmative, dans quelle mesure?

ANALYSE

[18]            Comme je l'ai mentionné plus haut, les parties conviennent que la SCCI devrait intervenir et j'estime qu'il s'agit là d'un important facteur militant en faveur de l'octroi de l'ordonnance. Cependant, il s'agit d'une décision de nature discrétionnaire et, en dépit du consentement, je dois être convaincue que l'intervention est justifiée en l'espèce. Je suis effectivement convaincue.

[19]            Lorsqu'elle est saisie d'une demande d'intervention, la Cour doit examiner les facteurs énumérés dans Syndicat canadien de la fonction publique (Division du transport aérien) c. Lignes aériennes Canadien International Ltée, [2000] A.C.F. n ° 220 (C.A.F.) :

(l)          La personne ou l'organisme qui se propose d'intervenir est-il directement touché par l'issue de la cause?

(2)         Y a-t-il une question qui relève de la compétence des tribunaux ainsi qu'un véritable intérêt public?

(3)         S'agit-il d'un cas où il semble n'y avoir aucun autre moyen raisonnable ou efficace de soumettre la question à la Cour?

(4)         La position de la personne ou de l'organisme qui se propose d'intervenir est-elle défendue adéquatement par l'une des parties au litige?

(5)         L'intérêt de la justice sera-t-il mieux servi si l'intervention demandée est autorisée?

(6)         La Cour peut-elle entendre l'affaire et statuer sur le fond sans autoriser l'intervention?


[20]            Il n'est pas nécessaire qu'une personne ou un organisme respecte tous ces critères pour obtenir l'autorisation d'intervenir : Rothmans, Benson & Hedges Inc. c. Canada (Procureur général), [1990] 1 C.F. 84 (C.F. 1re inst.) conf. [1990] 1 C.F. 90 (C.A.F.). Le statut d'intervenant ne sera pas refusé au motif que l'organisme ou la personne qui se propose d'intervenir a été désigné partie défenderesse dans une action parallèle. Si la personne ou l'organisme qui demande le statut d'intervenant a un intérêt dans l'issue des deux actions, l'autorisation sera accordée : C.J.A. c. University of Calgary, [1986] 72 N.R. 249 (C.A.F.). À l'inverse, l'intervention ne devrait pas être autorisée lorsque le seul intérêt de l'organisme ou de la personne qui se propose d'intervenir est de nature jurisprudentielle au sens où l'issue du litige peut avoir des répercussions dans une autre cause : Anderson c. Agence des douanes et du revenu du Canada, 2003 ACF 352. Lorsqu'une partie défenderesse désignée dans une instance ne peut défendre de façon satisfaisante les intérêts de la personne ou de l'organisme qui se propose d'intervenir ou présenter de façon satisfaisante la preuve concernant les conséquences sur les intérêts de celui-ci, le statut d'intervenant pourra être accordé : Merck Frosst Canada Inc. c. Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social (1997), 72 C.P.R. (3d) 187 (C.F. 1re inst.).

[21]            Il est admis de part et d'autre que la SCCI peut être directement touchée par l'issue de la requête des demandeurs. La capacité pour elle de remplir son mandat pourrait être suspendue pour une période indéfinie si les demandeurs ont gain de cause dans leur requête en mesures interlocutoires. Les objections que soulèvent les demandeurs portent sur des questions d'importance publique. En ce qui concerne l'organisme qui se propose d'intervenir, la protection des membres vulnérables du public revêt une importance particulière.


[22]            Les demandeurs ont formulé des questions et allégations précises contre la SCCI au sujet, notamment, de son fonctionnement interne, de sa création, du bien-fondé de son existence, de ses responsabilités et de son rôle, de ses politiques, de son règlement interne, de ses règles et formulaires ainsi que de leur élaboration, de la procédure qu'elle a suivie pour concevoir et mettre en oeuvre le régime d'autoréglementation relatif aux activités des consultants en immigration, de sa procédure relative à la nomination des membres du conseil d'administration, de ses relations avec les consultants en immigration et des consultations qu'elle tient avec eux depuis la mise en oeuvre du régime de réglementation. Ces questions concernent la SCCI elle-même, qui a une connaissance approfondie des renseignements, documents et éléments de preuve susceptibles de répondre aux allégations formulées contre elle. Les défendeurs désignés ne sont pas au courant de certains des renseignements, documents et éléments de preuve qui pourraient aider la Cour à trancher correctement les questions de la requête.

[23]            En ce qui concerne l'intérêt de la justice, il semble que la participation de la SCCI aidera la Cour à statuer sur les questions de fait liées à l'instance et, à certains égards, sur les questions de droit qui en découlent. La SCCI se trouve dans une position unique pour répondre aux questions et allégations précises que les demandeurs ont formulées contre elle. Il est douteux que la Cour puisse trancher de façon équitable le fond de la requête sans avoir en main un dossier établissant tous les faits. La preuve de la SCCI pourrait avoir des répercussions directes sur les questions que les demandeurs ont soulevées. À mon avis, la participation de l'organisme qui se propose d'intervenir aidera la Cour à rendre une décision exhaustive et éclairée au sujet des questions en litige. Bref, je suis d'avis que l'intervention proposée facilitera la détermination des questions de droit ou de fait liées à l'instance.

[24]            Quelle devrait donc être la portée de l'intervention? Il est convenu que la SCCI aura le droit de déposer des affidavits et de procéder à des contre-interrogatoires sur les affidavits des parties. Cet accord m'apparaît à la fois utile et logique. Cependant, bien que les défendeurs appuient la demande de la SCCI en vue d'obtenir l'autorisation de présenter des arguments au sujet de toutes les questions en litige, ce n'est pas le cas des demandeurs.


[25]            Les défendeurs soutiennent que les faits reprochés et la conduite de la SCCI appuient les arguments constitutionnels et les allégations concernant les manquements aux droits reconnus par la Charte. Les défendeurs plaideront les questions constitutionnelles, mais ils ne pourront présenter de réponse en ce qui concerne la conduite de la société et les allégations relatives aux manquements aux droits reconnus par la Charte. Selon les défendeurs, la situation est un peu embrouillée. Il y a indéniablement une telle confusion des questions en litige qu'il ne serait pas utile de restreindre la portée des arguments juridiques.

[26]            La SCCI soutient que les faits sont inexorablement liés aux réparations que les demandeurs sollicitent. Même s'il semble logique de restreindre la participation de la partie intervenante aux faits, où se trouve la ligne de démarcation? Selon la SCCI, la déclaration comporte une multitude d'allégations relatives aux actes et omissions de la Société et ce sont ces allégations que les demandeurs invoquent au soutien de leurs contestations de nature constitutionnelle, notamment en ce qui concerne la limite des pouvoirs. De plus, la SCCI favorise un intérêt social, soit l'amélioration des pratiques des consultants en immigration. Le gouvernement ne peut protéger cet intérêt de façon satisfaisante.


[27]            Les demandeurs veulent que la participation de la SCCI se limite à des explications sur les faits. Ce qu'ils souhaitent véritablement obtenir, c'est une ordonnance de réparation à l'encontre de Sa Majesté. L'avocat des demandeurs a souligné qu'il serait disposé à consentir à la radiation de l'ensemble des demandes de réparation formulées contre la SCCI dans la requête. Il a ajouté qu'il était consterné d'être confronté à une Couronne « fantôme » . Selon l'avocat, c'est la Couronne défenderesse qui devrait débattre la question de la limite des pouvoirs. L'intervenante devrait fournir les renseignements d'ordre factuel au profit de la Cour et laisser la Couronne agir à ce titre. Selon les demandeurs, ce que l'intervenante demande, c'est le statut de partie.

[28]            La situation exposée en l'espèce représente une anomalie au sens où, lorsqu'un organisme ou une personne se voit accorder le statut d'intervenant, il obtient également le droit de présenter des arguments. Les différends concernant la portée de l'intervention portent habituellement sur le droit de présenter des éléments de preuve et de contre-interroger. Dans la présente affaire, c'est le contraire qui se produit. Comme je l'ai mentionné, toutes les parties conviennent que la SCCI devrait avoir le droit de présenter de la preuve et de contre-interroger.


[29]            Je comprends la frustration des demandeurs devant le fait d'être confrontés à une Couronne « fantôme » et je les comprends également lorsqu'ils soutiennent que la question de la limite des pouvoirs relève de la compétence spécialisée des défendeurs. Je sais aussi que les demandeurs sont disposés à radier toute demande de réparation formulée contre la SCCI (dans la requête), bien qu'aucune mesure formelle n'ait été prise en ce sens. En tout état de cause, je ne suis pas convaincue que la proposition des demandeurs permettrait de résoudre le dilemme. La déclaration, qui constitue le fondement de la requête, renferme des allégations relatives à des actes et omissions de la SCCI qui, en raison de leurs liens avec les actes et omissions reprochés aux défendeurs, donnent lieu à des manquements aux droits constitutionnels et aux droits reconnus par la Charte.

[30]            Après avoir examiné les observations de la SCCI et des défendeurs ainsi que la documentation préparée aux fins de la présente requête, j'ai tendance à croire que les faits et les questions qui en découlent sont tellement liés entre eux qu'il serait difficile d'extraire certains éléments et que cette extraction ne peut que compliquer la tâche quant à la détermination des arguments que chacun de la SCCI et des défendeurs peut formuler à bon escient.

[31]            Dans American Airlines Inc. c. Canada (Tribunal de la concurrence), [1989] 2 C.F. 88 (C.A.F.), conf., [1989] 1 R.C.S. 236, le juge Iacobucci, alors juge en chef de la Cour d'appel fédérale, a fait allusion au principe largement reconnu selon lequel les tribunaux possèdent le pouvoir inhérent de permettre les interventions aux conditions qu'ils estiment convenables dans les circonstances. Une intervention efficace et significative n'aura pas nécessairement pour effet de modifier le statut des parties. C'est l'équité qui doit l'emporter. Ces commentaires demeurent pertinents, pourvu qu'ils soient lus conjointement avec la Règle 109 des Règles de la Cour fédérale (1998).


[32]            En bout de ligne, il s'agit de déterminer une procédure qui est juste et qui aidera la Cour à trancher les questions de fait ou de droit liées à l'instance. La redondance ne facilite pas la tâche de la Cour. Je ne suis pas convaincue que les défendeurs ne peuvent protéger pleinement les intérêts de la SCCI sur la question de la limite des pouvoirs et je ne vois pas la nécessité de recevoir des arguments à ce sujet de celle-ci. En ce qui concerne les autres questions en litige, notamment les questions de nature constitutionnelle et les questions liées à la Charte, je conviens qu'en raison de la façon dont les demandeurs ont rédigé la déclaration, les faits et les questions sont tellement liés entre eux qu'il est difficile de les séparer. J'estime donc que la SCCI devrait être autorisée à présenter ses arguments à cet égard et que cette autorisation aidera la Cour. Cependant, la SCCI a pu prendre connaissance des observations des défendeurs au sujet de la requête interlocutoire, parce que ces observations ont été déposées avant la séance générale du 19 avril. La SCCI devrait éviter la redondance et s'abstenir de présenter des arguments qui ne sont pas différents de ceux des défendeurs.

[33]            En conséquence, une ordonnance autorisant la SCCI à intervenir dans la requête en mesures interlocutoires présentée en l'espèce sera rendue. La SCCI sera autorisée à déposer une preuve par affidavit et aura le droit de procéder à des contre-interrogatoires sur les affidavits déposés par les parties. Elle n'aura pas le droit de présenter des arguments sur la question de la limite des pouvoirs. Elle pourra présenter des arguments au sujet des autres questions en litige, notamment les questions de nature constitutionnelle et les questions liées à la Charte, mais devra éviter la redondance.

[34]            Les parties et l'intervenante ont convenu du calendrier suivant :

(1)         les affidavits et le dossier sur la requête de l'intervenante doivent être signifiés et déposés d'ici le 5 mai 2004;

(2)         les affidavits en réponse doivent être signifiés et déposés d'ici le 7 mai 2004;


(3)         les contre-interrogatoires doivent avoir lieu au cours de la semaine du 10 mai et être terminés d'ici le 13 mai 2004;

(4)         les recueils, le cas échéant, doivent être signifiés et déposés d'ici le 14 mai 2004.

(5)         la requête en mesures interlocutoires sera entendue lors d'une séance spéciale à Toronto le 17 mai 2004, à 9h30.

[35]            Aucune ordonnance ne sera rendue au sujet des dépens.

                                                                                                             « Carolyn Layden-Stevenson »        

                                                                                                                                                     Juge                         

Toronto (Ontario)

Le 28 avril 2004

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     T-452-04

                                                                             

INTITULÉ :                                                    INTERNATIONAL ASSOCIATION OF IMMIGRATION PRACTITIONERS (IAIP) et SEAN SHANNON

                                                                                                                                          demandeurs

c.

SA MAJESTÉ LA REINE, LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION, MARK DAVIDSON, JEAN UNTEL ET JEANNE UNETELLE

                                                                                                                                            défendeurs

LIEU DE L'AUDIENCE :                              TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 19 AVRIL 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :             LA JUGE LAYDEN-STEVENSON

DATE DES MOTIFS :                                   LE 28 AVRIL 2004

COMPARUTIONS :

Rocco Galati                                                                 POUR LES DEMANDEURS

John Callaghan

Benjamin Na                                                                 POUR L'INTERVENANTE PROPOSÉE

Marianne Zoric

Catherine Vasilaros                                                        POUR LES DÉFENDEURS

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Galati, Rodrigues, Azevedo & Associates

Toronto (Ontario)                                                          POUR LES DEMANDEURS

John Callaghan

Benjamin Na                                                                 POUR L'INTERVENANTE PROPOSÉE

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada                                POUR LES DÉFENDEURS


                               COUR FÉDÉRALE

                                                                     Date : 20040428

                                                                 Dossier : T-452-04

ENTRE :

INTERNATIONAL ASSOCIATION OF IMMIGRATION PRACTITIONERS (IAIP)

et SEAN SHANNON

                                                                            demandeurs

et

SA MAJESTÉ LA REINE, LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

MARK DAVIDSON, JEAN UNTEL ET JEANNE UNETELLE

                                                                              défendeurs

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE


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