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Date : 20040928

 

Dossier : IMM-4895-03

 

                                                                                                    Référence : 2004 CF 1328

 

 

Ottawa (Ontario), le 28 septembre 2004

 

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE SNIDER

 

ENTRE :

 

 

                                                MIKHAIL ANASCHENKO

 

                                                                                                                             demandeur

 

                                                                    - et -

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

                                                                                                                               défendeur

 

 

                         MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

LA JUGE SNIDER

 


[1]               M. Mikhail Anaschenko, un citoyen russe, est arrivé au Canada en 1998 et a revendiqué le statut de réfugié parce qu’il craignait d’être persécuté en raison de son origine juive. Après le rejet de sa revendication, il a fait une demande le 26 janvier 2001, pour demeurer au Canada comme résident permanent, et ce, pour des considérations humanitaires (CH). Au fur et à mesure que la demande a évolué et que des observations ont été faites, les principaux motifs sur lesquels était fondée sa demande CH étaient le risque de persécution contre les juifs auquel il serait confronté s’il retournait en Russie et l’intérêt supérieur de son fils biologique, Alexander, né le 2 septembre 2001.

 

[2]        Dans une décision datée du 4 juin 2003, J.A. Hogan (l’agent CH) a conclu qu’il n’y avait pas de motifs CH suffisants pour que le demandeur soit exempté des exigences en matière de visa prévues au paragraphe 11(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR). Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de cette décision.

 

Les questions en litige

 

[3]        La présente demande soulève les questions en litige suivantes :

 

1.      L’agent CH a-t‑il omis de tenir compte de l’intérêt supérieur d’Alexandre?

 

2.      L’évaluation des risques qui a été effectuée comme partie du processus d’examen a-t-elle été effectuée de façon abusive ou déraisonnable au motif qu’on n’aurait pas apprécié convenablement la preuve quant à la persécution des Juifs en Russie?

 


Pour les motifs qui suivent, j’ai conclu qu’il n’y avait aucune d’erreur susceptible de contrôle judiciaire dans la décision de l’agent CH et que la présente demande doit être rejetée.

 

L’analyse

 

La question en litige no 1 : l’intérêt supérieur d’Alexandre

 

[4]        Alexandre vit avec sa mère de laquelle le demandeur s’est séparé avant sa naissance. Le demandeur prétend que l’agent CH n’a pas tenu compte de l’intérêt supérieur d’Alexandre comme l’exige la loi. Il prétend que l’arrêt de la Cour d’appel fédérale Hawthorne c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2003] 2 C.F. 555, établit que, sauf circonstances exceptionnelles, l’intérêt supérieur de l’enfant sera servi par le non‑renvoi du parent. En l’espèce, il prétend que l’agent CH a conclu ce qui suit sans analyser la preuve dont il était saisi : [traduction] « Je ne suis pas convaincu que lien qui existe entre le sujet et cet enfant est tel qu’une séparation causerait des difficultés excessives ». 

 


[5]        En effet, le demandeur prétend que l’agent CH devrait toujours décider en faveur d’un parent revendicateur, à moins que l’agent CH estime qu’il existe des [traduction] « circonstances exceptionnelles » qui justifient le renvoi d’un revendicateur – comme l’abus de l’enfant par le revendicateur. Cette position est indéfendable. Premièrement, je souligne que le demandeur a utilisé d’une manière sélective les propos tenus par le juge Décary dans Hawthorne, précité. Le demandeur a cité le paragraphe 5 de cette décision qui est ainsi libellé :

 

L’agente n’examine pas l’intérêt supérieur de l’enfant dans l’abstrait. Elle peut être réputée savoir que la vie au Canada peut offrir à un enfant un éventail de possibilités et que, règle générale, un enfant qui vit au Canada avec son parent se trouve dans une meilleure position qu’un enfant vivant au Canada sans son parent. À mon sens, l’examen de l’agente repose sur la prémisse qu’elle n’a pas à exposer dans ses motifs qu’elle constatera en bout de ligne, en l’absence de circonstances exceptionnelles, que le facteur de « l’intérêt supérieur de l’enfant » penchera en faveur du non-renvoi du parent.

 

[6]        Cela ne doit pas être interprété, comme le propose le demandeur, comme signifiant que l’intérêt supérieur de l’enfant devrait être pris en compte avant tout autre facteur. Le juge Décary situe ce passage dans son contexte dans le paragraphe 6 de la décision qui est ainsi libellé :

 

Il est quelque peu superficiel de simplement exiger de l’agente qu’elle décide si l’intérêt supérieur de l’enfant milite en faveur du non‑renvoi c’est un fait qu’on arrivera à une telle conclusion, sauf dans de rares cas inhabituels. En pratique, l’agente est chargée de décider, selon les circonstances de chaque affaire, du degré vraisemblable de difficultés auquel le renvoi d’un parent exposera l’enfant et de pondérer ce degré de difficultés par rapport aux autres facteurs, y compris les considérations d’intérêt public, qui militent en faveur ou à l’encontre du renvoi du parent.

 


[7]        Vu les faits de l’espèce, l’arrêt Hawthorne ainsi que d’autres jugements (notamment Legault c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 125; Owusu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2004 CAF 38), je comprends ce qui suit :

 

·           l’agent CH doit être « réceptif, attentif et sensible » à l’intérêt supérieur d’Alexandre;

 

·           ce faisant, l’agent CH doit déterminer le degré vraisemblable de difficultés auquel Alexandre serait exposé par le renvoi du demandeur; dans la présente évaluation, l’accent est mis sur Alexandre et non sur le parent;

 

·           l’agent CH doit tenir compte de ce facteur ainsi que de tous les autres facteurs dans son évaluation de la demande; c’est‑à‑dire l’intérêt supérieur d’Alexandre constitue un facteur dont il faut tenir compte au même titre que tous les autres facteurs.

 

[8]        Il est important d’affirmer qu’il incombe au demandeur de présenter une preuve quant à toute prétention sur laquelle la demande CH repose. Il doit donc présenter à l’agent CH une preuve convaincante liée à l’intérêt supérieur de l’enfant. L’obligation de tenir compte de l’intérêt supérieur de l’enfant n’existe que lorsqu’il apparaît « suffisamment clairement des documents qui ont été soumis au décideur, qu’une demande repose, du moins en partie, sur ce facteur » (Owusu, précité, paragraphe 5).


[9]        En l’espèce, le demandeur a présenté certains arguments limités en rapport avec Alexandre. La mention concernant Alexandre qui figurait dans les observations écrites était ainsi libellée :

[traduction]

 

J’ai un fils au Canada [. . .] Je ne veux pas qu’il soit orphelin de père [. . .] Mon fils a besoin de mon aide et de mon appui. Mon fils et mon ancienne épouse bénéficient de mon soutien financier.

 

Mon fils et moi serions confrontés à des difficultés excessives si je présentais une demande à l’extérieur du Canada parce que je ne pourrais pas tolérer d’être séparé de lui. Je vois Alexandre régulièrement. Être séparé de lui constituerait une difficulté excessive. De plus, il n’est pas certain que je le reverrais. J’aime mon fils et je veux être un bon père pour lui.

 

[10]      L’ancienne épouse du demandeur a écrit une lettre d’appui déclarant ce qui suit :  [traduction] « Je souhaite que notre fils ait un père au Canada ».

 

[11]      Bien que le demandeur ait prétendu qu’il a apporté du soutien financier, l’agent CH n’a été saisi d’aucune preuve quant à un tel soutien. 

 


[12]      Il s’agit de là de l’ensemble de la preuve dont l’agent CH a été saisi. De la décision de la Cour d’appel fédérale dans Owusu, précitée, paragraphe 8, j’adopte le raisonnement du juge Strayer dans lequel il déclare ce qui suit : « le demandeur a le fardeau de présenter les faits sur lesquels sa demande repose, c’est à ses risques et périls qu’il omet des renseignements pertinents dans ses observations écrites ». L’agent CH, dans sa décision, a pris note de l’ensemble de la preuve dont il a été saisi et a conclu ce qui suit : [traduction] « Je ne suis pas convaincu que le lien qui existe entre le sujet et cet enfant est tel qu’une séparation causerait des difficultés excessives ». Selon moi, l’agent a démontré dans les motifs de la décision, qu’il était « réceptif, attentif et sensible » aux intérêts d’Alexandre. Rien n’a été oublié. 

 

[13]      Bref, il y avait peu, sinon aucun élément de preuve de difficulté pour Alexandre. Je ne doute pas un seul instant que le demandeur aime son enfant et que la perte – fût‑elle temporaire – de la possibilité de lui rendre visite serait difficile pour le demandeur. Toutefois, en ce qui concerne l’analyse de l’intérêt supérieur d’Alexandre, cela n’est pas pertinent. L’agent CH ne disposait d’aucun élément de preuve qui mettait en évidence les difficultés auxquelles Alexandre serait confronté. Compte tenu de la séparation de ses parents, de l’absence de preuve de soutien financier de la part du demandeur et du défaut de fournir des détails quant au rôle joué par le demandeur dans la vie de l’enfant, la conclusion que la séparation causerait des difficultés excessives n’était pas déraisonnable.

 

[14]      Le demandeur attire l’attention sur la déclaration suivante qui figure dans les motifs : [traduction] « Le 2 juin 2003, il a fait une demande d’aide sociale ». Le demandeur a raison d’affirmer qu’il n’y a aucune preuve au dossier qui étaye cette déclaration. La déclaration est soit inexacte, soit repose sur une preuve extrinsèque, ce qui constitue une erreur dans un cas comme dans l’autre. Toutefois, je crois que l’erreur n’était pas importante. La décision de l’agent CH ne porte pas sur cette question.

 


La question en litige no 2 : l’évaluation des risques

 

[15]      Parce que le demandeur a allégué l’existence de risques dans ses observations CH, l’agent CH responsable du dossier a demandé une opinion au sujet des risques auprès de   l’unité d’examen des risques avant renvoi (ERAR). Lors de la préparation de cette évaluation des risques, un projet de l’évaluation des risques a été fourni au demandeur  à des fins de commentaire comme l’exige la décision Haghighi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) [2000] 4 C.F. 407 (C.A.). Le dossier comprend des commentaires fournis par l’avocat du demandeur ainsi qu’une réponse à ces commentaires par l’agent d’ERAR. L’agent d’ERAR a examiné les commentaires de l’avocat et a conclu que l’évaluation des risques ne serait pas modifiée en conséquence. Le demandeur prétend que certaine des conclusions de l’agent d’ERAR, lesquelles ont par la suite été incorporées dans l’analyse de la demande CH, étaient manifestement déraisonnables.

 


[16]      Premièrement, je soulignerais que le processus suivi en l’espèce a été accepté comme étant un processus qui a été juste pour le demandeur (Haghighi, précitée, Jinadasa c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 1038 (1re inst.); Traore c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 909 (1re inst.)). Un projet d’évaluation a été fourni au demandeur. Il a eu la possibilité de faire des commentaires sur le projet et ceux‑ci ont été pris en compte.

 

[17]      En l’espèce, après un examen détaillé de la preuve, l’agent d’ERAR a conclu ce qui suit :

 

[traduction]

 

Par conséquent, selon la preuve documentaire, malheureusement, l’antisémitisme constitue toujours un problème en Russie, comme d’ailleurs dans les autres pays de l’Europe orientale; toutefois, selon les nombreuses sources qui ont été consultées, il semble que cela se traduise, d’une part, en une certaine discrimination envers les minorités et, d’autre part, en incidents isolés [sic] de  violence et de vandalisme. J’accepte que le demandeur ait pu être persécuté dans le passé. Toutefois, comme il s’agit d’une évaluation quant à l’avenir, je ne suis pas convaincu qu’il existe plus qu’une simple possibilité que le demandeur risquerait d’être persécuté en raison de sa religion et de sa nationalité. Il est également peu probable que le demandeur risquerait d’être torturé, tué ou d’être soumis à des traitements ou peines cruels et inusités.

 

[18]      Bien que le demandeur prétende que la preuve soumise et les commentaires fournis auraient dû mener à une conclusion différente, je ne suis pas convaincue que la conclusion était déraisonnable. Le demandeur voudrait que je réévalue la preuve. Par conséquent, le demandeur n’a pas gain de cause sur cette question.

 


[19]      L’ERAR, dans un formulaire identique à celui fourni au demandeur comme partie du dossier CH, a subséquemment été délivré au demandeur. Le demandeur n’a pas demandé l’autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire de cette décision. Le défendeur prétend qu’une contestation de l’évaluation du risque sous le couvert d’une décision CH est une attaque indirecte contre la décision de l’ERAR et ne devrait pas être accueillie. Comme j’ai décidé que la partie de la décision CH relative à l’évaluation des risques n’était pas erronée, je n’ai pas à trancher cette question.

 

Conclusion

 

[20]      Pour ces motifs, je conclus que l’agent CH n’a pas commis d’erreur et que la demande de contrôle judiciaire devrait être rejetée.

 

[21]      Aucune partie n’a proposé la certification d’une question. Aucune question ne sera certifiée.


                                                         ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE QUE :

 

1.         la demande ce contrôle judiciaire soit rejetée.

 

2.         aucune question grave de portée générale ne soit certifiée.

 

                                                                                                                _ Judith A. Snider _              

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Claude Leclerc, LL.B., trad. a.

 


                                                        COUR FÉDÉRALE

 

                           AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                       IMM-4895-03

 

INTITULÉ :                                                     MIKHAIL ANASCHENKO

c.

LE MCI.

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                            LE 21 SEPTEMBRE 2004

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                     LE JUGE SNIDER

 

DATE DES MOTIFS :                                    LE 28 SEPTEMBRE 2004

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Arthur Yallen                                                     POUR LE DEMANDEUR

 

Matina Karvellas                                                POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Yallen Associates                                               POUR LE DEMANDEUR

Toronto (Ontario)

 

Morris Rosenberg                                               POUR LE DÉFENDEUR

Sous‑procureur général du Canada

 

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