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Date: 20060419

Dossier : IMM‑3428‑05

Référence : 2006 CF 499

Ottawa (Ontario), le 19 avril 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE HARRINGTON

 

ENTRE :

XIN YI JIANG

(XINYI JIANG)

 

demanderesse

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               En septembre 2003, Mme Jiang était divorcée, en mauvaise santé et malheureuse. À la suite d’une conversation avec l’une de ses amies, elle s’est mise à fréquenter une église chrétienne et, après avoir pratiqué cette foi pendant plusieurs mois, elle s’est rendu compte que sa vie s’était enrichie sur le plan spirituel. Il n’y avait plus de sentiment de vide, la vie avait encore une fois un sens.

 

[2]               En avril 2004, Mme Jiang faisait partie d’une congrégation qui célébrait Pâques dans une maison privée. Une personne qui faisait le guet a signalé l’arrivée de policiers. Mme Jiang a quitté immédiatement la maison en courant et s’est cachée. Elle a appris que la police avait fait une perquisition chez elle et l’accusait d’avoir participé à un rassemblement religieux illégal. Avec l’aide d’un passeur, elle a quitté la province de Guangdong, en Chine, et elle est arrivée au Canada en passant par Hong Kong. Elle a prétendu être une réfugiée au sens de la Convention des Nations Unies ou une personne ayant besoin de la protection internationale.

 

[3]               La Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a conclu que Mme Jiang n’était ni une réfugiée ni une personne à protéger. Il s’agit en l’espèce du contrôle judiciaire de cette décision.

 

[4]               La Commission a estimé que les questions primordiales à trancher se rapportaient à la crédibilité de Mme Jiang et à son pays de nationalité. Il n’est pas contesté que Mme Jiang est entrée au Canada en utilisant un passeport canadien dans lequel la photo avait été remplacée. La Commission était d’avis que « [...] la demandeure d’asile n’a pas réussi à fournir une preuve crédible ou digne de foi suffisante pour établir et s’acquitter du fardeau de démontrer qu’elle provient de la Chine continentale, qu’elle craint avec raison d’être persécutée et qu’il y a une possibilité sérieuse qu’elle soit persécutée, advenant son retour en RPC ».

 

[5]               La Commission a tout d’abord analysé la question de l’identité de Mme Jiang. Celle‑ci a présenté sa carte d’identité de résidente, datant de 1985, un hukou original (le formulaire d’enregistrement de résident permanent) délivré en 2001 et un certificat de divorce original, également délivré en 2001.

 

[6]               À l’audience, la Commission a attiré l’attention de Mme Jiang sur le fait que, sous certains aspects, le hukou semblait irrégulier. Mme Jiang a affirmé qu’elle savait uniquement que c’était ainsi que le hukou lui avait été envoyé par la poste et que tous les nouveaux hukous étaient délivrés de cette façon. Après l’audience, la Commission a fait parvenir à la GRC, pour analyse, la carte d’identité de résidente et le hukou, mais non le certificat de divorce.

 

[7]               Le rapport du Laboratoire judiciaire de la GRC renferme un sommaire composé de deux parties, l’une portant sur l’authenticité et l’autre sur les altérations. En ce qui concerne l’authenticité, un document peut être considéré comme authentique, contrefait ou non concluant. Les deux documents ont été jugés non concluants. Quant aux altérations, la carte d’identité de résidente a été considérée comme non altérée. Toutefois, on a estimé que le hukou avait été altéré, en ce sens que certaines pages avaient peut‑être été remplacées.

 

[8]               Se fondant sur ce rapport, la Commission a conclu, selon la prépondérance de la preuve, que la carte d’identité de résidente était authentique et que le hukou était contrefait. On a donné à Mme Jiang la possibilité de répondre au rapport de la GRC, mais elle ne l’a pas fait.

 

[9]               La Commission a tiré une inférence défavorable à partir de ce fait et elle a également souligné qu’en Chine, il est facile de se procurer une preuve documentaire contrefaite. Elle a ensuite entrepris une analyse qui défie toute logique. D’une part, elle a conclu que Mme Jiang était bel et bien qui elle affirmait être, à savoir une ressortissante chinoise. Cette conclusion était fondée sur sa carte d’identité de résidente de 1985. D’autre part, la Commission a ensuite dit ce qui suit : « Le manque de crédibilité concernant le hukou, un document important nécessaire en RPC, est si grave qu’il amène le tribunal à conclure qu’il s’étend à tous les éléments de preuve produits par la demandeure d’asile et rend l’ensemble de ses éléments de preuve concernant son pays de nationalité et le fondement de sa demande d’asile non crédibles. » La Commission a estimé que Mme Jiang n’avait pas « établi son identité en ce qui concerne sa nationalité » et elle n’a donc pas procédé à une analyse plus approfondie de la question de savoir si Mme Jiang était effectivement chrétienne et, dans l’affirmative, si elle craignait avec raison d’être persécutée. La Commission semble dire que Mme Jiang n’a pas établi qu’elle résidait en Chine en 2003 et en 2004 lorsque les événements à l’origine de sa demande d’asile se seraient produits. Toutefois, il faut se rappeler que même un hukou authentique n’aurait pas non plus établi ce fait.

 

[10]           Les experts ont été incapables de se prononcer sur la question de savoir si le hukou était contrefait. Le rapport de la GRC n’était pas concluant. Il était manifestement déraisonnable d’utiliser cette conclusion pour la transformer en une conclusion de fait selon laquelle le hukou était contrefait et de rejeter ensuite la demande sans autre analyse.

 

[11]           Étant donné qu’il était facile d’obtenir des documents contrefaits, on peut supposer que les documents en question étaient contrefaits, mais cela ne suffit pas comme preuve à partir de laquelle tirer une inférence appropriée. Comme le juge von Finckenstein l’a dit dans la décision Cheema c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 224 :

Les documents produits par le demandeur peuvent fort bien être des faux. Toutefois, la preuve d’une pratique répandue de fabrication de faux documents dans un pays n’est pas en soi suffisante pour justifier le rejet de documents étrangers au motif qu’il s’agit de faux. Comme l’a souligné le défendeur, la preuve d’une pratique répandue de fabrication de faux documents démontre uniquement que le demandeur pouvait se procurer des faux documents.

 

[12]           Il doit exister un fondement à l’appui d’une inférence. Comme lord Wright l’a dit dans l’arrêt Grant c. Australian Knitting Mills, Ltd., [1935] All E.R. 209 (C.J. du C.P.), aux pages 213 et 214 :

[traduction] [...] Cependant, cet élément ne rend justice ni au raisonnement par inférence probable, qui intervient fréquemment dans les affaires humaines, ni à la nature de la preuve indirecte dans les tribunaux judiciaires. Une démonstration mathématique ou purement logique est généralement impossible : en pratique, on exige des jurys qu’ils agissent selon la prépondérance raisonnable des probabilités, tout comme le ferait un homme raisonnable pour prendre une décision dans une situation sérieuse. Les éléments de preuve, insuffisants lorsque présentés individuellement, peuvent constituer un tout significatif lorsqu’ils sont mis ensemble et justifier une conclusion par leur effet combiné. [...]

 

[13]           La décision de la Commission ne peut pas s’appuyer sur le seul élément de preuve dont l’authenticité n’était pas concluante selon les experts. Comme l’a fait remarquer le juge O’Halloran de la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique dans l’arrêt Faryna c. Chorny, (1952) 2 D.L.R. 354, à la page 356 :

[traduction] La crédibilité des témoins intéressés ne peut être évaluée, surtout en cas de contradiction des dépositions, en fonction du seul critère consistant à se demander si le comportement du témoin permet de penser qu’il dit la vérité. Le critère applicable consiste plutôt à examiner si son récit est compatible avec les probabilités qui caractérisent les faits de l’espèce. Disons, pour résumer, que le véritable critère de la véracité de ce que raconte un témoin dans une affaire déterminée doit être la compatibilité de ses dires avec la prépondérance des probabilités qu’une personne éclairée et douée de sens pratique peut d’emblée reconnaître comme raisonnable dans telle situation et telles circonstances.

 

[14]           La conclusion de fait était manifestement déraisonnable ou, pour reprendre le texte du paragraphe 18.1(4) de la Loi sur les Cours fédérales, a été tirée « de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont [la Commission] dispos[ait] [...] ». Il fallait soumettre l’exposé des faits de Mme Jiang à un examen plus approfondi.

 

[15]           La demande doit être accueillie. Il n’y a pas de question grave de portée générale à certifier.

 

ORDONNANCE

            LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie et que l’affaire soit renvoyée à la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié pour qu’un tribunal différemment constitué statue de nouveau sur l’affaire.

 

« Sean Harrington »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Suzanne Bolduc, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                               IMM‑3428‑05

 

INTITULÉ :                                             XIN YI JIANG (XINYI JIANG)

                                                                  c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                       TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                     LE 11 AVRIL 2006

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :        LE JUGE HARRINGTON

 

DATE DES MOTIFS :                            LE 19 AVRIL 2006

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Kathy Clarke

 

POUR LA DEMANDERESSE

Bernard Assan

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Lewis & Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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