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Date : 20060615

Dossier : IMM‑2592‑05

Référence : 2006 CF 765

Toronto (Ontario), le 15 juin 2006

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE MACTAVISH

 

 

ENTRE :

REMESH KURA LAL CHIR

demandeur

 

et

 

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la décision d’un agent d’examen des risques avant renvoi, qui a conclu qu’il pouvait obtenir aux Philippines une protection adéquate de l’État et qu’il disposait aussi en dehors de Manille d’une possibilité de refuge intérieur sûr.

 

[2]               Le demandeur dit qu’il a été privé du bénéfice de l’équité procédurale dans le processus d’examen des risques, car l’agent d’ERAR a refusé de lui dire quels documents avaient été utilisés dans l’examen. Il dit aussi que l’agent d’ERAR a commis une erreur dans son analyse des deux questions que sont la protection de l’État et la possibilité de refuge intérieur.

[3]               Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis que l’agent d’ERAR n’a pas commis d’erreur susceptible de contrôle et que la demande doit donc être rejetée.

 

Contexte

[4]               Le demandeur, de nationalité philippine, est arrivé au Canada en tant que visiteur en 1997. Depuis lors, il se bat avec énergie pour rester dans ce pays.

 

[5]               Après que fut prononcé contre lui en 1998 une mesure d’interdiction de séjour conditionnelle, le demandeur n’a pas réussi à obtenir l’asile. Il a sollicité le contrôle judiciaire de la décision lui refusant l’asile, mais l’autorisation de demander le contrôle judiciaire lui a été refusée. Il a aussi reçu en 2000 une réponse défavorable à sa demande visant à être considéré dans la catégorie des demandeurs non reconnus du statut de réfugié au Canada (demande CDNRSRC), et il n’a pas sollicité le contrôle judiciaire de cette décision.

 

[6]               Entre‑temps, en 1999, le demandeur présentait une demande de résidence permanente au Canada fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, en alléguant que, en cas de retour aux Philippines, il serait exposé à une menace pour sa vie. Il dit qu’il était prêteur à Manille, ajoutant qu’il craignait ses concurrents, qui avaient proféré des menaces contre sa vie.

 

[7]               Dans le cadre de cette demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, la question du risque fut soumise pour examen à un agent d’examen des risques.

 

[8]               Dans l’intervalle, le demandeur sollicitait aussi un ERAR, en affirmant encore une fois qu’il craignait ses concurrents dans les activités de prêts d’argent à Manille.

 

[9]               Il semble qu’un unique examen fut effectué, qui devait être considéré à la fois comme le volet « examen des risques » de la décision portant sur l’existence de motifs d’ordre humanitaire, et comme la décision d’ERAR. Selon cet examen des risques, le demandeur ne serait pas exposé à un risque s’il était renvoyé aux Philippines, car il pouvait se prévaloir dans ce pays d’une protection adéquate de l’État. L’agent d’ERAR a aussi estimé que le demandeur disposait en dehors de Manille de possibilités de refuge intérieur sûr.

 

[10]           La demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire fut rejetée en avril 2003. Le demandeur a sollicité l’autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire de cette décision, mais l’autorisation lui a été refusée.

 

[11]           La décision faisant suite à sa demande d’ERAR lui a été signifiée le 13 avril 2005, en même temps qu’une convocation pour qu’il se présente en vue de son renvoi le 21 mai 2005. Le juge O’Keefe a ensuite accordé par ordonnance un sursis d’exécution de la mesure de renvoi. C’est la décision défavorable d’ERAR qui fait l’objet de la présente demande.

 

Norme de contrôle

[12]           Dans la décision Kim c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] A.C.F. no 540, 2005 CF 437, le juge Mosley devait définir la norme de contrôle à appliquer à la décision d’un agent d’ERAR. Après analyse pragmatique et fonctionnelle, il est arrivé à la conclusion que « la norme de contrôle applicable aux questions de fait devrait être, de manière générale, celle de la décision manifestement déraisonnable; la norme applicable aux questions mixtes de fait et de droit, celle de la décision raisonnable simpliciter, et la norme applicable aux questions de droit, celle de la décision correcte » (paragraphe 19).

 

[13]           Le juge Mosley a souscrit aussi à la conclusion tirée par le juge Martineau dans la décision Figurado c. Canada (Solliciteur général), [2005] A.C.F. no 458, 2005 CF 347, conclusion selon laquelle la norme de contrôle applicable à la décision d’un agent d’ERAR est la décision raisonnable simpliciter quand la décision de l’agent d’ERAR est examinée « dans sa totalité » (paragraphe 51).

 

[14]           Je partage l’avis du juge Mosley et je fais mienne son analyse.

 

Y a‑t‑il eu déni d’équité procédurale?

[15]           L’avocat du demandeur dit que le demandeur a été privé du bénéfice de l’équité procédurale dans le traitement de sa demande d’ERAR, car l’agent a refusé, en dépit de demandes répétées en ce sens, de lui indiquer quels documents il avait utilisés dans son examen.

 

[16]           Il est inutile de se demander quelle norme de contrôle doit s’appliquer à une question d’équité procédurale. C’est à la Cour qu’il appartient de dire si la procédure qui a été suivie dans un cas donné était équitable ou non, compte tenu de l’ensemble des circonstances pertinentes : Sketchley c. Canada (Procureur général), [2005] A.C.F. no 2056, 2005 CAF 404, aux paragraphes 52 et 53.

 

[17]           Les arguments de l’avocat sur la question de l’équité procédurale ont d’abord porté sur le présumé refus de l’agent d’ERAR de lui indiquer quels documents et quels sites Web avaient été consultés au cours de l’examen des risques. La version finale de l’examen des risques énumère les sites Web consultés, mais l’avocat a soutenu que la page indiquant les références de base n’était pas annexée au projet de rapport.

 

[18]           L’avocat a par la suite retiré cet argument, en présentant ses excuses à la Cour, lorsque fut produite la copie du projet de rapport, laquelle avait été jointe à l’affidavit déposé par l’avocat au soutien de la requête en sursis d’exécution présentée par le demandeur. Le projet de décision renfermait une liste des références Internet.

 

[19]           L’avocat du demandeur a ensuite fait valoir que l’on ne savait pas si l’agent d’ERAR avait eu devant lui, lors de l’examen des risques, les documents se rapportant aux menaces dont était l’objet la famille du demandeur aux Philippines.

 

[20]           Un examen du dossier certifié du tribunal révèle que l’agent d'ERAR avait effectivement devant lui les documents en cause lorsqu’il a procédé à l’examen des risques. Par ailleurs, la décision elle‑même d’ERAR fait expressément référence aux menaces proférées après le départ du demandeur des Philippines. En conséquence, je ne suis pas convaincue qu’il y a eu ici manquement à l’équité procédurale.

 

[21]           Avant de passer à la question suivante, il convient aussi de noter que, contrairement à un examen des risques mené dans le contexte d’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, il n’y a pas obligation pour un agent d’ERAR de communiquer à un demandeur le projet de décision d’ERAR pour qu’il présente ses observations avant que la décision soit arrêtée définitivement : Rasiah c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] A.C.F. no 711, 2005 CF 583, au paragraphe 19.

 

[22]           Pour autant qu’il existe une telle obligation dans le contexte d’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, il convient de noter d’abord que la décision rendue en la matière n’est pas ici l’objet d’un contrôle, et ensuite que la Cour a déjà refusé au demandeur l’autorisation d’obtenir le contrôle judiciaire de ladite décision.

 

Question de la protection de l’État

[23]           L’avocat du demandeur affirme aussi que l’agent d'ERAR a commis une erreur sur la question de la protection de l’État en appliquant le mauvais critère. Je ne partage pas cet avis.

 

[24]           Après s’être référé à un arrêt de la Cour d'appel fédérale, Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c. Villafranca, [1992] A.C.F. no 1189, 99 D.L.R. (4th) 334, selon lequel on ne saurait compter qu’un État garantisse à tout moment la protection de ses citoyens, l’agent écrit ensuite que, selon la preuve qu’il avait devant lui, l’anarchie aux Philippines n’atteignait pas un niveau tel que les citoyens de ce pays étaient privés d’une protection de l’État.

 

[25]           Cette analyse s’accorde avec les enseignements dispensés par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, 103 D.L.R. (4th) 1, où l’on peut lire que, sauf un effondrement complet de l’appareil étatique, il y a lieu de présumer que l’État est en mesure de protéger le demandeur d’asile.

 

[26]           L’agent d’ERAR a employé ses propres mots pour donner son interprétation du critère de la protection de l’État, mais, si on lit sa décision objectivement, dans son intégralité, alors je suis d’avis qu’il a parfaitement compris cette notion et appliqué le bon critère et que sa décision était raisonnable.

 

Question de la possibilité de refuge intérieur

[27]           L’avocat du demandeur dit que l’agent d’ERAR a commis une erreur en omettant de désigner une éventuelle possibilité de refuge intérieur et de donner au demandeur l’occasion d’y réagir. Étant donné que la conclusion de l’agent sur la question de la protection de l’État dispose de la présente affaire, il n’est pas nécessaire d’examiner cet aspect.

 

Dispositif

[28]           Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

Question à certifier

[29]           L’avocat du demandeur a proposé une question à certifier à propos de la possibilité de refuge intérieur. Puisque la conclusion de l’agent relative à la protection de l’État dispose de la présente demande, il n’y a pas lieu de certifier la question.

 

JUGEMENT

 

            LA COUR ORDONNE :

 

            1.         La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

            2.         Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

 

« Anne Mactavish »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                          IMM‑2592‑05

 

 

INTITULÉ :                                                         REMESH KURA LAL CHIR

                                                                              c.

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                   Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                 LE 13 JUIN 2006

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                                LA JUGE MACTAVISH

 

 

DATE DES MOTIFS :                                        LE 15 JUIN 2006

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Osborne G. Barnwell                                              POUR LE DEMANDEUR

 

Catherine Vasilaros                                                 POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Osborne G. Barnwell                                              POUR LE DEMANDEUR

Avocat

Toronto (Ontario)

 

John H. Sims, c.r.                                                   POUR LE DÉFENDEUR

Sous‑procureur général du Canada

 

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