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Date : 20000113

Dossier : T-1211-98

ENTRE :

                                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                 ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                               demandeur

                                                                    - et -

                                                     CHEN HSIU MEI WU

                                                                                                                            défenderesse

                          MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE PELLETIER

[1]         Il s'agit ici d'un appel interjeté par le ministre d'une décision d'un juge de la citoyenneté selon laquelle la défenderesse était en droit de recevoir la citoyenneté canadienne. La question en cause a trait à l'exigence de résidence.


[2]         Les faits sont assez simples. La défenderesse, son mari et ses enfants sont arrivés au Canada à titre de résidents permanents le 10 septembre 1991. Ils ont fait l'acquisition de tout ce qui témoigne officiellement d'une prise de résidence, par exemple, comptes bancaires, numéros d'assurance sociale et permis de conduire. Ils se sont tout d'abord logés à loyer pendant quelque temps mais, en 1993, ils ont acheté une maison. En 1996, ils ont vendu la maison et sont à loyer depuis cette date. Ils ont déménagé leurs biens ménagers de Taïwan au Canada et s'en sont procuré d'autres ici. Mme Wu est restée physiquement au Canada, sans interruption, depuis son établissement au Canada jusqu'au 16 juillet 1993, à savoir pendant un peu moins de deux ans.

[3]         À compter de 1993, Mme Wu a commencé à s'absenter du Canada pour des périodes de plus en plus longues. La liste de ses absences peut être dressée de la façon suivante :

De            À                                                                                              Nbrede jours

A/M/J      A/M/J      Destination              Raisons                                    Absence

93/07/16 93/08/27    Taïwan    Visiter parents et                     42

amis, vacances en

famille                             

94/03/26 94/05/03    Taïwan    Visiter parents et                     38

amis

94/09/23 95/01/13    Taïwan    Visiter parents et                     112

amis

95/04/10 95/09/22    Taïwan    Visiter parents et                     165

amis

                                    Thaïlande              Vacances

95/10/27 96/01/23    Taïwan    Visiter parents et                     88

amis

96/04/25 96/10/08    Taïwan    Visiter parents et                     166

amis


É.-U.                   Visiter sa belle-soeur

et assister au mariage

de son fils

96/10/25 97/02/10                   Taïwan                     Visiter mari, parents et            108

amis

97/02/26 97/07/15                   Taïwan                     Visiter mari, parents et            139

amis         

                                               Indonésie Vacances

                                et

                                Singapour                                                                _______________

Total :                      858

[4]         Le dossier de la demande contient une copie de la demande de citoyenneté du mari de la défenderesse qui révèle qu'il s'est absenté pour des périodes encore plus longues que celles de la défenderesse; il suffit de comparer leurs absences respectives pour s'apercevoir qu'ils se sont souvent absentés en même temps. Durant ce temps, les enfants de la défenderesse restaient au Canada et fréquentaient l'école.


[5]         Selon une lettre de l'ancien avocat de Mme Wu, celle-ci et son mari ont présenté deux demandes de citoyenneté antérieurement à la présente. L'une aurait été refusée sur la question de la résidence et l'autre semble avoir été égarée. La présente demande a été faite le 18 juillet 1997 ce qui signifie que la période de calcul de la résidence commence le 18 juillet 1993. Au cours de cette période, Mme Wu a été absente du Canada pendant 858 jours tandis qu'elle y a passé 602 jours. Il lui manquait donc 493 jours pour répondre à l'exigence de la loi selon laquelle 1095 jours doivent être passés au Canada au cours des quatre années précédant la date de la demande.

[6]         Mme Wu a expliqué ses absences par le fait qu'elle était allée visiter des parents et des amis à Taïwan et qu'elle était allée s'occuper de son père qui avait subi une blessure à la tête. Son ancien avocat a écrit que le père de Mme Wu était affaibli et malade depuis sa blessure à la tête survenue en 1990. Par ailleurs, il appert que certaines des absences de Mme Wu se rapportaient au fait qu'elle avait accompagné son mari dans ses voyages d'affaires.

[7]         Je suis convaincu qu'au cours des deux années qui ont suivi son arrivée au Canada, Mme Wu a établi sa résidence au Canada. La question en litige est de savoir si elle a maintenu cette résidence durant les quatre années qui ont précédé sa demande de sorte que la durée de ses absences ne joue pas contre elle.


[8]         Selon M. Waldman, l'avocat actuel de Mme Wu, la question en litige en est une de norme de contrôle. Il a fait référence au jugement de mon confrère le juge Lutfy dans la cause Lam c. M.C.I. [1999] J.C.F. 410 où la norme de contrôle a été décrite comme se rapprochant plutôt de la décision correcte. Il ne s'agit pas d'un contrôle judiciaire de la décision du juge de la citoyenneté, mais d'un appel prévu par la loi. Les Règles exigent qu'il soit interjeté par voie d'avis de demande, mais c'est la loi et non les Règles qui définit la nature de l'exercice. Même dans le cadre d'un appel cependant, une cour ne devrait pas se contenter de substituer sa propre opinion à celle du tribunal original lorsque celui-ci possède une certaine expertise et agit dans le cadre de cette expertise; Canada c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748. En appel, la cour a la capacité d'intervenir dans d'autres circonstances que les cas d'erreur de compétence (souvent qualifiées de décisions manifestement déraisonnables), mais elle devrait éviter d'intervenir pour le simple motif qu'elle en serait venue à une autre conclusion (notion qui est souvent exprimée comme étant le critère de la « décision correcte » ). Dans l'arrêt Southam, le juge Iaccobucci a qualifié ce moyen terme de critère de la décision raisonnable. Autrement dit, lorsqu'un tribunal spécialisé agit dans le cadre d'une certaine expertise qu'il a acquise, la cour saisie d'un appel interjeté en vertu de la loi ne devrait pas intervenir pour changer la décision du tribunal si celle-ci est raisonnable.

[9]         Dans l'arrêt Lam, le juge Lutfy a conclu que l'expertise mise à profit par le juge de la citoyenneté pour déterminer si le critère de résidence a été respecté n'est pas suffisante pour lui attirer le degré de retenue auquel un tribunal véritablement spécialisé aurait droit. Il a, par conséquent, conclu que la norme de contrôle se rapprochait davantage de la décision correcte, mais il a tout de même permis l'expression d'une certaine retenue.


[10]       Un facteur qui va considérablement à l'encontre de la prétention que le juge de la citoyenneté possède une expertise particulière est le fait pour ce dernier de recourir machinalement à une formule pour décrire les résultats de l'examen qu'il a fait sur la question de la résidence. Dans ce dossier, comme dans beaucoup d'autres, la décision du juge sur la question de la résidence se résume à un simple formulaire que le juge remplit et dont les passages pertinents sont les suivants :

[Traduction]

Après avoir examiné le questionnaire relatif à la résidence et d'autres documents qui m'ont été soumis, et sur la base de la déclaration d'intention crédible que la demanderesse a faite à l'audition, j'ai conclu qu'elle a établi sa résidence à ____________ et centralisé son mode de vie au Canada au _____________, qu'elle a maintenu sa résidence et son mode de vie centralisé au Canada, et que pendant ses absences temporaires, elle n'avait pas eu l'intention de résider dans tout autre pays que le Canada.

[espace réservé aux commentaires manuscrits]              

Décision

J'ai conclu que la demanderesse, _____________ , satisfait à toutes les exigences en matière de résidence prévues à l'alinéa 5(1)c) de la Loi, dans le cadre que le juge en chef adjoint Thurlow avait établi dans In Re Papadogiorgakis, no T-872-78.

J'approuve donc la demande.

[11]       En l'absence de motifs ou lorsque ceux-ci sont très brefs, ce formulaire constitue le seul indice du raisonnement suivi par le juge. Dans la présente affaire, le juge a rempli les espaces vides en y intercalant le nom de la défenderesse, la date de son établissement au Canada, une adresse à laquelle elle ne réside plus depuis 1993 et une note manuscrite dans la partie du formulaire laissée en blanc :

[Traduction]

- visiter des parents et des amis à Taïwan

- assister aux mariages de membres de la famille


[12]       Aucune explication n'a été fournie à la Cour quant à savoir comment l'absence du Canada pendant 58 p. 100 de la période des quatre années qui ont précédé la demande est justifié par la visite de parents et d'amis et la présence à des mariages dans la famille.

Aucune référence n'est faite au vieux père de la défenderesse ni aux voyages d'affaires du mari de celle-ci.

[13]       Dans la décision Lam, le juge Lutfy a indiqué dans quelles limites la cour devait faire preuve de retenue :

Cependant, lorsqu'un juge de la citoyenneté, dans des motifs clairs qui dénotent une compréhension de la jurisprudence, décide à bon droit que les faits satisfont sa conception du critère législatif prévu à l'alinéa 5(1)c), le juge siégeant en révision ne devrait pas remplacer arbitrairement cette conception par une conception différente de la condition en matière de résidence.

Il n'y a pas de motifs apparents qui témoignent d'une compréhension de la jurisprudence pertinente quant à la demande de Mme Wu. Le dossier contient une ébauche de motifs plus explicites concernant la demande de M. Wu, mais ceux-ci n'aident pas à comprendre la décision rendue à l'égard de la défenderesse.


[14]       Au bout du compte, je suis d'avis que l'appel doit être accueilli. S'il est clair que la défenderesse a établi sa résidence, il n'est pas clair du tout qu'elle l'ait maintenue. Le prolongement des absences, la vente du domicile familial rendant le lien physique avec le Canada plus ténu et le fait de laisser seuls, livrés à eux-mêmes, des adolescents qui vont à l'école constituent autant d'éléments qui font croire à un relâchement des liens avec le Canada. Ces éléments tendent à indiquer que Mme Wu a adopté un mode de vie centré ailleurs qu'au Canada et que ses retours au Canada avaient véritablement pour but de visiter ses enfants et non d'y reprendre le cours de sa vie. Si le juge de la citoyenneté s'était prononcé sur ces questions, j'aurais hésité à changer sa décision, mais en l'absence de motifs valables, je suis d'avis d'accueillir l'appel.        

                                        ORDONNANCE

[15]       Pour les motifs susmentionnés, l'appel est accueilli.

« J.D. Denis Pelletier »

                                                                                               J.C.F.C.                        

TORONTO (ONTARIO)

Le 13 janvier 2000

Traduction certifiée conforme

Suzanne Gauthier, LL.L., Trad. a.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                               Avocats inscrits au dossier

DOSSIER DE LA COUR No :              T-1211-98

INTITULÉ DE LA CAUSE :                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

- et -

CHEN HSIU MEI WU

DATE DE L'AUDIENCE :                               LE JEUDI 13 JANVIER 2000

LIEU DE L'AUDIENCE :                                 TORONTO (ONTARIO)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE PRONONCÉS PAR : LE JUGE PELLETIER

EN DATE DU :                                                 JEUDI 13 JANVIER 2000

ONT COMPARU :                                         Mme Marissa Bielski

pour le demandeur

M. Lorne Waldman

pour la défenderesse

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER          Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

pour le demandeur

Jackman, Waldman & Associates

Avocats

281, avenue Eglinton East

Toronto (Ontario)

M4P 1L3

pour la défenderesse


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                            Date : 20000113

                                                                                               Dossier : T-1211-98

Entre :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

demandeur

- et -

CHEN HSIU MEI WU

défenderesse

                                                 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE                                    

                                                 

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