Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

                                                                                                                                           Date : 20040109

                                                                                                                                     Dossier : T-1789-03

                                                                                                                             Référence : 2004 CF 27

Ottawa (Ontario), le vendredi 9 janvier 2004

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE SNIDER

ENTRE :

                                                                 SELWYN PIETERS

                                                                                                                                                      demandeur

                                                                                   et

                                             LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                                        défendeur

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LA JUGE SNIDER


[1]                 M. Selwyn Pieters est à l'emploi de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la CISR). Étant donné son poste à CISR, il est membre de l'Alliance de la fonction publique du Canada (l'AFPC) et donc soumis aux conditions prévues dans la convention collective entre le Conseil du Trésor et l'AFPC (la convention collective). Suite a un incident qui est survenu le 24 avril 2003, M. Pieters soutient qu'il a été harcelé en milieu de travail. Il a déposé une plainte en vertu de la Politique sur la prévention et le règlement du harcèlement en milieu de travail du Conseil du Trésor (la politique sur le harcèlement) au sujet de l'incident en question, ainsi qu'un certain nombre de griefs en vertu de la convention collective.

[2]                 M. Pieters a aussi commencé deux instances distinctes devant notre Cour au sujet de cet incident. La première de ces instances est une demande de contrôle judiciaire déposée le 29 septembre 2003, par laquelle il recherche le contrôle judiciaire du manquement de Linda Brouillette, directrice, ressources humaines et coordonnateur de la lutte contre le harcèlement à la CISR, celle-ci ne lui ayant pas fourni les éléments de la plainte déposée contre lui comme le prévoit l'Étape 2 de la politique sur le harcèlement. La seconde instance est une action en dommages-intérêts initiée par une déclaration, pour diffamation, mensonge injurieux et préjudice causés par la commission intentionnelle d'un délit civil portant préjudice à sa santé mentale (dossier T-1681-03).

[3]                 Cette requête est liée à la première instance, savoir la demande de contrôle judiciaire. Le défendeur présente cette requête en vertu de l'alinéa 221(1)a) des Règles de la Cour fédérale (1998), et il sollicite une ordonnance de radiation de l'avis de demande du 29 septembre 2003 de M. Pieters, sans autorisation de modifier.


[4]                 Dans la plainte qu'il a déposée en vertu de la politique sur le harcèlement, M. Pieters soutient qu'il a été harcelé par un certain nombre d'employés de la CISR, y compris Natalka Cassano. C'est au poste de travail de Mme Cassano que l'incident du 24 avril 2003 s'est produit.

[5]                 Le 28 avril 2003, Mme Cassano a déposé une plainte de harcèlement contre M. Pieters en vertu de la même politique. Sa plainte est aussi liée à l'incident du 24 avril 2003, ainsi qu'aux plaintes subséquentes déposées par M. Pieters.

[6]                 Dès qu'il a été informé qu'il faisait l'objet d'une plainte de harcèlement de la part de Mme Cassano, M. Pieters a fait plusieurs tentatives pour obtenir les détails spécifiques de la plainte, commençant par un courrier électronique le 7 mai 2003. C'est Mme Brouillette qui était responsable de traiter cette demande.

[7]                 Le 29 septembre 2003, M. Pieters a initié la présente demande. En plus de rechercher à obtenir les détails de la plainte de Mme Cassano, M. Pieters demande aussi des déclarations portant que Linda Brouillette n'a pas respecté la Loi sur la gestion des finances publiques, L.R.C. 1985, ch. F-11 (la LGFP), la politique sur le harcèlement, et l'article 7 et le paragraphe 15(1) de la Charte des droits et libertés (la Charte). En sus de ces déclarations, M. Pieters veut obtenir les réparations suivantes :

·            une ordonnance de mandamus obligeant Linda Brouillette à lui divulguer la substance des allégations de Mme Cassano à son sujet;


·            une ordonnance lui accordant des dommages en vertu du paragraphe 24(1) de la Charte, pour violation de ses droits constitutionnels; et

·            les dépens.

[8]                 Dans une lettre datée du 20 octobre 2003, Mme Brouillette a fourni à M. Pieters les détails relatifs à la plainte de harcèlement de Mme Cassano.

Les questions en litige

[9]                 Cette requête soulève les questions suivantes :

1.          La Cour est-elle privée de toute compétence pour traiter de cette question du fait que les mécanismes prévus en vertu de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C., ch. P-35, art. 1 (LRTFP) constituent un code complet régissant les relations en milieu de travail entre la Couronne et ses employés?

2.          Étant donné que M. Pieters a fourni l'information requise au sujet de la plainte de Mme Cassano, la demande est-elle devenue théorique?

3.          La Cour a-t-elle compétence pour accorder les dommages dans le cadre d'une demande de contrôle judiciaire?


[10]            Si la première question reçoit une réponse positive, la demande de contrôle judiciaire doit être radiée et il ne sera pas nécessaire d'examiner les deuxième et troisième questions. À supposer que la première question reçoive une réponse négative, il serait encore nécessaire que M. Pieters me convainque que la demande n'a pas un caractère théorique, ou que je dois l'autoriser à continuer la procédure nonobstant le fait qu'il a maintenant reçu les détails au sujet de la plainte. Ce n'est que si je conclus que la demande peut être entendue par la Cour (question no 1) et qu'elle devrait l'être (question no 2) qu'il sera nécessaire que j'examine la troisième question.

[11]            Pour les motifs qui suivent, j'arrive à la conclusion que la Cour ne peut entendre la présente demande de contrôle judiciaire.

Analyse

[12]            Les parties conviennent que les demandes de contrôle judiciaire doivent être des procédures expéditives. C'est uniquement dans des cas exceptionnels que les tribunaux vont accorder des requêtes interlocutoires en radiation, lorsque les demandes n'ont aucune chance d'être accueillies (David Bull Laboratories (Canada) Inc. c. Pharmacia Inc., [1995] 1 C.F. 588 (C.A.)). Il est clair qu'une demande qui n'est pas de la compétence de la Cour n'a « aucune chance d'être accueillie » et qu'elle doit être radiée. Selon moi, la demande de contrôle judiciaire déposée par M. Pieters se situe dans le cadre de cette exception.


[13]            Le défendeur soutient que la Cour n'a pas compétence pour entendre la demande de contrôle judiciaire de M. Pieters, au motif que les mécanismes internes prévus en vertu de la LRTFP constituent un code complet régissant les relations en milieu de travail entre la Couronne et ses employés.

[14]            Comme j'en ai parlé dans mes motifs de décision accueillant la requête de la défenderesse, Sa Majesté la Reine, pour obtenir la radiation de la déclaration de M. Pieters (Référence : 2004 C.F. 26; dossier : T-1681-03), notre Cour doit d'abord définir l'essence du litige entre les parties. Si l'essence de la réclamation se situe dans le cadre d'un régime prévu par la loi, alors ce régime prive la Cour de compétence (Weber c. Ontario Hydro, [1995] 2 R.C.S. 929, aux pages 956 à 958).


[15]            En l'espèce, M. Pieters soulève des questions de procédure au sujet du traitement de la plainte de harcèlement de Mme Cassano. Les objections de M. Pieters à la conduite de Mme Brouillette ne sont rien d'autre qu'un grief au sujet du respect des procédures internes en milieu de travail. Il est clair qu'il s'agit là sans aucune ambiguïté d'une question relative au milieu de travail. Pour les mêmes motifs que j'ai exprimés dans Pieters 2003 no 1, précité, il s'ensuit que la Cour est privée de compétence du fait de l'existence d'un code complet pour le règlement des disputes en milieu de travail, qui se trouve dans la convention collective et dans la LRTFP. Même si cette requête porte sur une demande de contrôle judiciaire, plutôt que sur une action comme c'est le cas dans Pieters 2003 no 1, précité, le raisonnement et les principes exposés dans ces motifs de décision sont également applicables ici.

[16]            M. Pieters s'appuie aussi sur l'article 64 des Règles de la Cour fédérale (1998), qui est rédigé comme suit :


Jugement déclaratoire - Il ne peut être fait opposition à une instance au motif qu'elle ne vise que l'obtention d'un jugement déclaratoire, et la Cour peut faire des déclarations de droit qui lient les parties à l'instance, qu'une réparation soit ou puisse être demandée ou non en conséquence. (Non souligné dans l'original.)

Declaratory relief available - No proceeding is subject to challenge on the ground that only a declaratory order is sought, and the Court may make a binding declaration of right in a proceeding whether or not any consequential relief is or can be claimed. (Emphasis added.)


[17]            Selon moi, l'article 64 des Règles n'appuie pas la position du demandeur. Cet article porte que la Cour ne peut refuser une demande pour le seul motif qu'une partie ne vise que l'obtention d'un document déclaratoire. Toutefois, cet article des Règles ne peut être utilisé en l'absence d'une demande sous-jacente. L'article 64 porte sur la réparation et non sur la procédure. En d'autres mots, il doit y avoir un fondement sur lequel la demande s'appuie et non seulement une sorte de désir abstrait d'obtenir une clarification ou bien une arme pour prolonger la négociation. Le rôle de la Cour est d'assurer un contrôle judiciaire face à certaines actions. En l'absence d'un foncement factuel qui est de la compétence de notre Cour, les réparations n'ont pas de sens. En l'espèce, la Cour ne peut exercer le contrôle judiciaire de la décision puisqu'elle est privée de compétence par l'opération de la convention collective et de la LRTFP. La nature de la réparation recherchée par M. Pieters est une question d'ordre secondaire et il n'y a lieu de l'examiner que si la Cour est convaincue qu'elle a la compétence pour examiner la conduite de Mme Brouillette.


Conclusions

[18]            Au vu de ma conclusion que notre Cour n'a pas compétence pour se saisir de cette question, il n'est pas nécessaire que j'examine si la demande de M. Pieters a un caractère théorique ou si notre Cour peut octroyer des dommages dans le cadre d'un contrôle judiciaire.

[19]            Pour ces motifs, la requête du défendeur est accueillie. Le défendeur demande la somme de 750 $ pour les dépens. Dans les circonstances en l'espèce, j'accorde les dépens demandés.

                                                                     ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que :

1.          La demande initiée par un avis de demande déposé le 29 septembre 2003 est rejetée, sans autorisation de modifier;

2.          Le défendeur a droit aux dépens, pour la somme de 750 $.

                                                                                                                                       _ Judith A. Snider _             

                                                                                                                                                                 Juge                          

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                          COUR FÉDÉRALE

                                   Date : 20040109

                                          Dossier : T-1789-03

ENTRE :

                          SELWYN PIETERS

                                                                       demandeur

                                            et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL

DU CANADA

                                                                        défendeur

ligne

             MOTIFS DE L'ORDONNANCE

                          ET ORDONNANCE

ligne


                                                                 COUR FÉDÉRALE

                                                 AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                        T-1789-03

INTITULÉ :                                                       SELWYN PIETERS

c.

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                                                       

LIEU DE L'AUDIENCE :                                TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                              LE 6 JANVIER 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                      LA JUGE SNIDER

DATE DES MOTIFS :                                     LE 9 JANVIER 2004

COMPARUTIONS :

Selwyn Pieters                                                     POUR LE DEMANDEUR

Joseph Cheng                                                        POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Selwyn Pieters                                                     POUR LE DEMANDEUR

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg                                                 POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada


 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.