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     Date : 19981123

     Dossier : IMM-989-98

Entre

     YOULIA ALEXANDROVNA KENIG,

     demanderesse,

     - et -

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     défendeur

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

Le juge GIBSON

[1]      Les présents motifs se rapportent au recours en contrôle judiciaire introduit par la demanderesse contre la décision d'un agent des visas en poste à l'ambassade canadienne de Moscou, qui lui a refusé un visa de visiteur au Canada. Cette décision, prise le 5 février 1998 à la conclusion d'une entrevue avec la demanderesse, n'était pas motivée par écrit.

[2]      La demanderesse habite avec sa mère et son frère à Pavlodar, au Kazakhstan dont elle est citoyenne. Elle s'est liée, par correspondance électronique, avec un dentiste célibataire au Canada (le répondant). Celui-ci l'a invité à venir lui rendre visite à lui et à sa mère, à ses frais. À la suite de cette invitation, la demanderesse a fait en l'espace d'un an quatre demandes de visa, la dernière étant celle qui fait l'objet du recours en instance. Elle n'a jamais voyagé hors de la Fédération des États indépendants, qui comprend des pays de la défunte Union soviétique. Elle témoigne qu'au moment de la décision en cause, elle avait un emploi régulier d'infirmière depuis trois ans.

[3]      Après l'échec des trois premières demandes de visa, la demanderesse, son répondant et leur conseiller juridique ont proposé de nombreuses garanties pour convaincre l'agent des visas qu'elle reviendrait au Kazakhstan à la fin de la visite. Elle a offert de produire une déclaration solennelle d'intention. Le répondant a offert de venir la chercher au point d'entrée au Canada et de constituer un cautionnement qui serait confisqué si elle ne quittait pas le Canada à la date prévue. Le conseiller juridique de la demanderesse et son répondant ont présenté de nombreuses assurances avec pièces jointes, à l'appui de la demande de visa.

[4]      " Visiteur " est défini au paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration1 comme suit :

     " visiteur " désigne toute personne qui, à titre temporaire, se trouve légalement au Canada ou cherche à y entrer, à l'exclusion         
         a) des citoyens canadiens,         
         b) des résidents permanents,         
         c) des titulaires de permis, ou         
         d) des immigrants visés aux alinéas 14(2)b), 23(1)b) ou 32(3)b).         

[5]      Le paragraphe 9(2.1) de la même loi prévoit ce qui suit :

     (2.1) Le cas du demandeur de visa de visiteur est apprécié par l'agent des visas qui détermine si le demandeur et chacune des personnes à sa charge qui l'accompagne semblent répondre aux critères de l'autorisation de séjour.         

[6]      Le paragraphe 13(2) du Règlement sur l'immigration de 19782 porte :

     (2) L'agent des visas peut délivrer un visa de visiteur à toute personne qui satisfait aux exigences de la Loi et du présent règlement, si cette personne prouve d'une façon jugée satisfaisante par l'agent des visas, qu'elle pourra         
         a) retourner dans le pays d'où elle sollicite l'admission au Canada; ou         
         b) se rendre dans un autre pays.         

[7]      Le problème qui se posait pour la demanderesse n'était pas, à la lumière des faits de la cause, qu'elle ne remplissait pas les conditions prévues par la Loi sur l'immigration et le Règlement sur l'immigration de 1978, mais se réduisait à la question de savoir si, une fois au Canada, elle rentrerait au Kazakhstan.

[8]      Dans De La Cruz et al. c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration)3, le juge en chef adjoint Jerome a fait l'observation suivante :

     " la délivrance d'un visa de visiteur est une décision discrétionnaire. Le devoir de l'agent des visas est d'examiner toute demande de façon appropriée, mais il n'est tenu de délivrer un visa de visiteur que s'il est convaincu que le requérant respecte les exigences législatives.         

[9]      Ni l'une ni l'autre partie ne conteste que la charge de la preuve incombe à la demanderesse dans sa demande de visa de visiteur et que le passage ci-dessus représente l'exposé exact du pouvoir et des responsabilités de l'agent des visas. Ce qui est en litige, c'est le point de savoir si l'agent des visas a instruit comme il convenait la demande, c'est-à-dire s'il n'a pas entravé son propre pouvoir discrétionnaire par la décision en question.

[10]      Dans son affidavit, l'agent des visas témpoigne notamment comme suit :

     [TRADUCTION]

     2.      En ma qualité de deuxième secrétaire à l'ambassade du Canada à Moscou, j'ai pour attributions entre autres d'instruire les demandes de visa de visiteur de la part des touristes qui envisagent d'aller au Canada. J'analyse la documentation produite et au besoin interroge les demandeurs afin de juger s'ils justifient de liens suffisants avec leur pays de résidence pour être considérés comme visiteurs de bonne foi"         

     "

     8.      J'ai dit à la demanderesse que je ne pensais pas qu'elle eût des motivations suffisantes pour rentrer au Kazakhstan"         
     9.      Pour finir, j'ai dit à Mme Kenig que je ne pensais pas qu'elle eût des liens solides avec le Kazakhstan"         
     10.      Je n'étais pas convaincu que la demanderesse n'envisageât pas d'immigrer au Canada"         

                                                     [non souligné dans l'original]

[11]      Je conclus des preuves produites et des conclusions de l'avocate de la demanderesse que l'agent des visas a entravé à tort son propre pouvoir discrétionnaire et, de ce fait, a commis une erreur susceptible de contrôle judiciaire.

[12]      La demanderesse lui a soumis suffisamment de quoi prouver qu'elle n'avait nulle intention d'immigrer au Canada. Elle a produit de nombreuses preuves de soutien de sa visite de la part de plus d'un citoyen ou résident permanent du Canada et, conformément au paragraphe 13(2) du Règlement sur l'immigration de 1978, la preuve qu'elle pourrait " retrourner dans le pays d'où elle sollicite l'admission au Canada ".

[13]      Les liens entre un demandeur et son pays de résidence sont un facteur, mais il ressort de l'affidavit de l'agent des visas qu'en l'espèce, c'était le seul facteur qu'il prît en considération à l'exclusion de nombreuses preuves sur le caractère temporaire de la visite projetée de la demanderesse. Le fait qu'il s'est concentré sur les liens de la demanderesse avec le Kazakhstan et n'a même pas pris en considération tous les éléments de preuve à cet égard, essentiellement du fait qu'il excluait les autres preuves produites, vaut entrave au pouvoir discrétionnaire et, partant, erreur susceptible de contrôle judiciaire.

[14]      Par ces motifs, la Cour fera droit au recours en contrôle judiciaire. Ni l'un ni l'autre des avocats en présence n'a recommandé une question à certifier. Aucune ne sera donc certifiée.

[15]      Il y a lieu de noter deux points qui se sont fait jour dans ce recours.

[16]      L'agent des visas affirme dans son affidavit qu'il a lu et examiné les pièces soumises par la demanderesse et le répondant à l'appui de la demande de visa de visiteur. Ces pièces n'ont pas été versées au dossier déposé par l'autorité administrative fédérale. Étant donné le témoignage de l'agent des visas qu'il les a lues et examinées, elles auraient dû faire partie de ce dossier.

[17]      En outre, il ressort du dossier soumis à la Cour que durant l'entrevue entre l'agent des visas et la demanderesse, quelqu'un qui y assistait a exprimé l'avis que la demande devait être rejetée parce que la demanderesse était " une jeune femme célibataire ". J'ai exclu la preuve relative à cette allégation parce qu'elle est visiblement contradictoire. Par suite, je n'ai pas du tout pris en considération l'argument contenu dans le mémoire de la demanderesse qu'il y a eu discrimination contre elle en raison de son âge, de son sexe et de son état de célibataire.

     Signé : Frederick E. Gibson

     ________________________________

     Juge

Toronto (Ontario),

le 23 novembre 1998

Traduction certifiée conforme,

Laurier Parenteau, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER No :              IMM-989-98

INTITULÉ DE LA CAUSE :      Youlia Alexandrovna Kenig

                         c.

                         Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration

DATE DE L'AUDIENCE :      Jeudi 19 novembre 1998

LIEU DE L'AUDIENCE :          Toronto (Ontario)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉS PAR LE JUGE GIBSON

LE :                          Lundi 23 novembre 1998

ONT COMPARU :

Mme Mary K. E. Joseph              pour la demanderesse

M. Toby Hoffman                  pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mary K. E. Joseph                  pour la demanderesse

Avocate

181 avenue University, Bureau 2200

Toronto (Ontario) M5H 3M7

Morris Rosenberg                  pour le défendeur

Sous-procureur général du Canada

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     Date 19981123

     Dossier : IMM-989-98

Entre

YOULIA ALEXANDROVNA KENIG,

     demanderesse,

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     défendeur

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE


__________________

1      L.R.C. (1985), ch. I-2.

2      DORS/78-172 (modifié).

3      (1989), 7 Imm. L.R. (2d) 75, page 79 (C.F. 1re inst.).

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