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Date : 20050624     

Dossier : T-1955-02

Référence : 2005 CF 900

Ottawa (Ontario), le 24 juin 2005

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE SNIDER

ENTRE :

ISAAC AMANKWAH

KWABENA POKU AMANKWAH

demandeurs

et

SA MAJESTÉ LA REINE

Dr BLANKSON et MEDLAB LTD. (GHANA)

défendeurs

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LA JUGE SNIDER

[1]         Dans la présente requête, la défenderesse, Sa Majesté la Reine (Sa Majesté), demande à la Cour de rendre un jugement sommaire rejetant la demande présentée par les demandeurs contre Sa Majesté.

[2]         Pour les motifs qui suivent, je suis d'avis que la requête doit être accueillie.


Le contexte

[3]         Les demandeurs sont Isaac Amankwah, un citoyen canadien, et son fils, Kwabena Poku Amankwah. Par souci de commodité, je vais désormais les désigner comme le père et le fils.

[4]         En 1997, le père a parrainé son fils pour qu'il vienne le rejoindre au Canada. Dans le cadre des formalités habituelles d'immigration, le fils a été examiné par le docteur Blankson, qui exerce la médecine au Ghana et qui est codéfendeur dans la présente action. Avant son examen, le fils s'est présenté au laboratoire défendeur Medlab, au Ghana, pour un prélèvement sanguin. Après avoir analysé les résultats de l'examen sanguin, le docteur Blankson a conclu que le fils était porteur du VIH.

[5]         Le dossier médical a été transmis pour examen et évaluation au docteur Lapointe, un médecin et conseiller spécialiste canadien qui travaillait à la Direction générale des services médicaux de Citoyenneté et Immigration Canada (CIC). Le docteur Lapointe a établi que le fils n'était pas admissible au Canada pour des raisons médicales parce qu'il était infecté par le VIH. On a accordé aux demandeurs 60 jours suivant la communication des résultats en août 1997 pour réagir en soumettant de nouvelles preuves médicales. Le père a informé le Haut-commissariat du Canada au Ghana qu'ils ne contestaient pas les résultats du laboratoire. La demande d'immigration du fils a été rejetée.

[6]         En mars 2001, le fils a subi de nouveaux tests à la suite desquels il a été déterminé qu'il était séronégatif. Le 12 mars 2002, un visa a été délivré au fils.


[7]         Le 22 novembre 2002, les demandeurs ont introduit la présente action contre les défendeurs.

Analyse

Critère applicable en matière de jugements sommaires

[8]         Le paragraphe 213(2) des Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106 dispose :

(2) Requête du défendeur - Le défendeur peut, après avoir signifié et déposé sa défense et avant que l'heure, la date et le lieu de l'instruction soient fixés, présenter une requête pour obtenir un jugement sommaire rejetant tout ou partie de la réclamation contenue dans la déclaration.

(2) Where available to defendant - A defendant may, after serving and filing a defence and at any time before the time and place for trial are fixed, bring a motion for summary judgment dismissing all or part of the claim set out in the statement of claim.

[9]         Pour juger la présente requête, « il ne s'agit pas de savoir si une partie a des chances d'obtenir gain de cause au procès, mais plutôt de déterminer si le succès de la demande est tellement douteux que celle-ci ne mérite pas d'être examinée par le juge des faits dans le cadre d'un éventuel procès » (Granville Shipping Co. c. Pegasus Lines Ltd., [1996] 2 C.F. 853, au paragraphe 8 (C.F. 1re inst.)).

[9]         Le paragraphe 216(1) des Règles prévoit ce qui suit :

(1) Absence de véritable question litigieuse -Lorsque, par suite d'une requête en jugement sommaire, la Cour est convaincue qu'il n'existe pas de véritable question litigieuse quant à une déclaration ou à une défense, elle rend un jugement sommaire en conséquence.

(1) Where no genuine issue for trial -Where on a motion for summary judgment the Court is satisfied that there is no genuine issue for trial with respect to a claim or defence, the Court shall grant summary judgment accordingly.


Fardeau imposé aux demandeurs/intimés   

[10]       Pour répondre à la requête en jugement sommaire, les demandeurs sont tenus de présenter leurs meilleurs arguments et, comme le prévoit l'article 215 des Règles, la réponse à la requête en jugement sommaire « ne peut être fondée uniquement sur les allégations ou les dénégations contenues dans les actes de procédure déposés par le requérant. Elle doit plutôt énoncer les faits précis démontrant l'existence d'une véritable question litigieuse » . Les demandeurs doivent présenter les éléments de preuve spécifiques et pertinents auxquels ils peuvent raisonnablement avoir accès et qui sont susceptibles d'aider la Cour à déterminer s'il existe une question sérieuse à instruire (Feoso Oil Ltd.c. Sarla (Le) (1995), 184 N.R. 307, au paragraphe 15 (C.A.F.)). Je constate qu'hormis l'affidavit du père, qui se contente de reprendre les faits allégués dans la déclaration, les demandeurs n'ont soumis aucun élément de preuve.

[11]       Les demandeurs font valoir qu'ils ne peuvent produire d'autres éléments de preuve en ce qui concerne les agissements de Sa Majesté ou du mandataire de celle-ci, étant donné qu'il s'agit d'éléments de preuve qui relèvent de Sa Majesté et qu'ils n'ont pas pu obtenir. Je signale toutefois que les demandeurs n'ont pas demandé à interroger au préalable les défendeurs comme ils avaient le droit de le faire. Les demandeurs pouvaient et auraient dû exercer leur droit d'exiger l'interrogatoire préalable. Il ne serait pas équitable, à cette étape-ci, de permettre aux demandeurs de se fonder sur leurs propres omissions pour renforcer leur position en ce qui concerne la présente requête.


Réclamation fondée sur la négligence

[12]       Ainsi que je l'ai déjà mentionné, les demandeurs affirment que la responsabilité civile délictuelle de Sa Majesté est engagée. Il faut donc démontrer qu'un préposé de Sa Majesté a commis un acte ou une omission, qu'il y a lieu en l'occurrence à une action contre ce préposé et que Sa Majesté serait responsable du fait de ce préposé en raison des circonstances de l'espèce (Loi sur la responsabilité civile de l'État et le contentieux administratif, L.R.C. 1985, ch. C-50, art. 3 et 10). En l'espèce, ainsi qu'il a été précisé (en partie) lors du débat sur la présente requête, les demandeurs affirment que le docteur Lapointe, qui était le médecin de CIC, et le laboratoire MedLab ont fait preuve de négligence en posant un faux diagnostic, en l'occurrence que le fils était séropositif. La demande visant Sa Majesté découle, selon eux, du fait que :

1.         Le docteur Lapointe est un employé de Sa Majesté.

2.                   Comme les fonctionnaires du Ministère exigeaient que les demandeurs recourent aux services du laboratoire MedLab, celui-ci était un mandataire de Sa Majesté.

[13]       Pour établir le bien-fondé de leur réclamation fondée sur la négligence, les demandeurs doivent démontrer que :

a) les défendeurs avaient une obligation de diligence envers eux;

b) les défendeurs ont manqué à cette obligation;


c) ce manquement est la cause immédiate du dommage subi;

d) le dommage qui en est résulté était prévisible.

[14]       Aux fins de la présente analyse, je vais présumer, sans trancher la question, que MedLab est un mandataire de Sa Majesté.

[15]       Sans obligation de diligence, il ne peut y avoir de responsabilité. En l'espèce, les demandeurs n'ont pas plaidé ou précisé la nature de l'obligation de diligence à laquelle ils prétendent avoir droit ni en quoi Sa Majesté a manqué de façon négligente à cette obligation lorsqu'elle a examiné la demande de résidence permanente au Canada du fils. Ils n'ont pas non plus présenté au soutien de la présente requête d'éléments de preuve sur l'obligation de diligence à laquelle le docteur Lapointe ou MedLab étaient tenus envers eux. Il ne suffit pas de se contenter d'affirmer qu'un mauvais diagnostic constitue de la négligence. Ainsi qu'il est précisé dans l'arrêt Anns c. Merton London Borough Council, [1978] A.C. 728 (C.L.), pour que l'on conclue à l'existence d'une obligation de diligence pesant sur un organisme public, il devait y avoir une proximité suffisante pour créer une obligation de diligence prima facie et il faut ensuite déterminer s'il y a des facteurs écartant cette obligation de diligence. La Cour suprême du Canada a confirmé à de nombreuses reprises que cette méthode convenait dans le contexte canadien (Cooper c. Hobart, [2001] 3 R.C.S. 537, [2001] C.S.J. 76, au paragraphe 24). En l'espèce, les demandeurs n'ont soulevé aucun argument pour me persuader qu'ils sont en mesure d'établir l'un ou l'autre volet de ce critère. En conséquence, sur ce seul fondement, la demande devrait être rejetée.

[16]       Même en supposant que Sa Majesté ou ses mandataires étaient assujettis à une obligation de diligence en l'espèce, aucune preuve ne montre que les défendeurs ont manqué à cette obligation. Les demandeurs affirment catégoriquement et sans preuve à l'appui que le faux diagnostic qui a été posé à l'endroit du fils constitue de la négligence de la part du docteur Lapointe et de MedLab. Toutefois, suivant les seuls éléments de preuve sur ce point qui ont été produits par Sa Majesté, plusieurs raisons peuvent expliquer pourquoi les tests de dépistage du VIH pouvaient se solder par la conclusion que le fils était « porteur du VIH » . Le docteur Lapointe, qui a souscrit un affidavit pour le compte de Sa Majesté et qui est le médecin ayant analysé les résultats du premier examen, a évoqué trois hypothèses pour expliquer les résultats positifs :

    Au laboratoire, on a interverti par erreur les résultats d'examens de deux personnes différentes;

    Le test de transfert Western de juillet 1997 a donné un résultat faux positif;

    Les échantillons recueillis en 1997 et en 2001 provenaient de deux personnes différentes (falsification et substitution).

[17]       Les demandeurs n'ont soumis aucun élément de preuve qui permettrait à la Cour de conclure, même de prime abord, que c'est la négligence de MedLab ou du docteur Lapointe et non les autres raisons possibles qui expliquent le diagnostic de séropositivité du fils.

Les faits en litige

[18]       Lorsqu'il s'agit de décider s'il y a lieu de rendre un jugement sommaire, le rôle de la Cour est strictement délimité : il consiste à apprécier la question préliminaire de savoir s'il existe, en ce qui concerne les faits pertinents, une véritable question litigieuse exigeant la tenue d'une instruction. Si un fait n'est pas pertinent dans une action, en ce sens que le résultat de l'instance ne dépend pas de son existence ou de son inexistence, il ne peut pas se rapporter à une véritable question litigieuse (Succession MacNeil c. Canada, 2004 CAF 50, au paragraphe 38). En l'espèce, les demandeurs affirment que certains faits pertinents sont en litige. Ils évoquent le désaccord qui existe sur la question de savoir si le premier test de dépistage du VIH était, comme ils le prétendent, « erroné » ou s'il était « contradictoire » pour reprendre l'épithète employée par Sa Majesté. À mon avis, cette divergence est sans intérêt en ce qui concerne la question de savoir si Sa Majesté a manqué à son obligation de diligence. Les demandeurs soulèvent par ailleurs la question des rapports qui existaient entre MedLab et Sa Majesté. Là encore, la réponse à cette question est sans intérêt car, indépendamment de l'existence ou de la non-existence d'un mandat, les demandeurs n'ont pas présenté le moindre élément de preuve montrant que MedLab manque ou a manqué à une obligation de diligence envers eux.

Le dispositif

[19]       Pour ces motifs, je conclus que le succès de la présente demande est tellement douteux qu'elle ne mérite pas d'être examinée par le juge des faits dans le cadre d'un éventuel procès. En conséquence, conformément au paragraphe 216(1) des Règles, je suis convaincue que la déclaration des demandeurs ne soulève pas de véritable question litigieuse. Sa Majesté défenderesse a droit à un jugement sommaire avec dépens, lesquels devront être taxés en fonction de la colonne III du tableau du tarif B des Règles de la Cour fédérale(1998).


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.        La requête en jugement sommaire est accueillie et la demande présentée par les demandeurs contre Sa Majesté la Reine est rejetée;

2.          Les dépens de la présente requête et de l'action sont adjugés à Sa Majesté, et les dépens en question seront taxés en fonction de la colonne III du tableau du tarif B des Règles de la Cour fédérale(1998).

     « Judith A. Snider »

_____________________________

                                                                                                                     Juge

Traduction certifiée conforme

David Aubry, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

                                                                       

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         T-1955-02

INTITULÉ :                                        ISAAC AMANKWAH et autre

                                                            c.

                                                          SA MAJESTÉ LA REINE et autres

LIEU DE L'AUDIENCE :                  TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                LE 22 JUIN 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       LA JUGE SNIDER

DATE DES MOTIFS           

ET DE L'ORDONNANCE : LE 24 JUIN 2005

COMPARUTIONS:

V. Charles Anipare                                POUR LES DEMANDEURS / INTIMÉS

Marina Stefanovic                                  POUR LES DÉFENDEURS / REQUÉRANTS

Neeta Logsetty

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

V. Charles Anipare                               POUR LES DEMANDEURS / INTIMÉS

Toronto (Ontario)                                

John H. Sims, c.r.                                  POUR LES DÉFENDEURS / REQUÉRANTS

Ministère de la Justice

Toronto (Ontario)

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