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     IMM-2445-96

Ottawa (Ontario), le 27 août 1997

En présence de M. le juge Muldoon

ENTRE

     KAMIL MOHAMED,

     HANOON MOHAMED,

     SILMIYA MOHAMED,

     YUSRI MOHAMED,

    

     requérants,

     - et -

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION,

     intimé.

     ORDONNANCE

     VU l'audition de la demande à Toronto, le 31 juillet 1997, en présence des avocats des deux côtés;

     ET APRÈS avoir entendu les prétentions des avocats susmentionnés, avoir pris connaissance de tous les documents déposés et avoir décidé de surseoir au prononcé de la décision pour s"accorder une période de réflexion,


     LA COUR STATUE QUE :

     La demande visant la décision rendue par la SSR dans les dossiers U95-02054, -55, -56 et -57 est rejetée et aucune question n"est certifiée.

                             F.C. Muldoon
                                 Juge
Traduction certifiée conforme :     
                     F. Blais, LL.L.

     IMM-2445-96

ENTRE

     KAMIL MOHAMED,

     HANOON MOHAMED,

     SILMIYA MOHAMED,

     YUSRI MOHAMED,

    

     requérants,

     - et -

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION,

     intimé.

     MOTIFS DE L"ORDONNANCE

LE JUGE MULDOON

     La présente affaire a été entendue à Toronto dans l"avant-midi du jeudi 31 juillet 1997. Les deux côtés étaient représentés par avocat. Aucun de ceux-ci n'a prétendu que l'espèce soulevait une question grave de portée générale et la Cour statue qu"il n"y en a pas.

     Il s"agit d"une demande de contrôle judiciaire, présentée conformément à l"article 82.1 de la Loi sur l"immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2 (la Loi), d"une décision prononcée par la Section du statut de réfugié (la SSR) le 24 juin 1996, qui a conclu que les requérants n"étaient pas des réfugiés au sens de la Convention.

     Les requérants sont des Tamouls musulmans qui prétendent avoir raison de craindre d"être persécutés dans le pays dont ils sont citoyens, le Sri Lanka (formulaire de renseignements personnels du requérant, dossier du tribunal, à la page 24). À l"audience devant la SSR, le 1er mars 1996, le requérant a fondé sa revendication du statut de réfugié sur ses opinions politiques apparentes ou son appartenance à un groupe social, ou les deux, tandis que sa femme et ses deux enfants ont invoqué leur appartenance à un groupe social, soit leur famille (SSR , dossier du tribunal, volume I, à la page 5).

     Dans la réponse sous forme de récit qu"il a donnée à la question 37 de son formulaire de renseignements personnels (dossier du tribunal, volume I, aux pages 32 à 36), le requérant prétend avoir raison de craindre d"être persécuté tant par les Tigres tamouls (LTTE) que par les autorités gouvernementales du Sri Lanka.

     Son récit détaillé des événements sur lesquels repose sa revendication du statut de réfugié est le suivant. Avant que les requérants s"enfuient à Colombo, le requérant était un commerçant prospère qui tenait un magasin de chaussures à Kalmunai, dans la province de l"Est du Sri Lanka. Ses problèmes avec les LTTE ont commencé en octobre 1990 quand des membres armés de ce groupe sont venus chez lui pour le recruter de force. Il est parvenu à les convaincre qu"il ne pouvait se joindre à eux parce qu"il était seul à faire vivre sa famille. Par contre, ils l"ont forcé à s"engager à leur verser entre 5 000 et 10 000 roupies par mois. Ils ont menacé de les tuer, lui et sa famille, s"il ne payait pas ou s"il parlait à quiconque de leur entente.

     Son récit des événements se poursuit. Vers la fin de 1990, des soldats de l"armée sri-lankaise sont venus dans son magasin et l"ont accusé d"aider les LTTE. Il a été amené à un camp militaire situé non loin de là avec, environ, sept autres hommes de son village, dont trois étaient aussi des commerçants. Il a été relâché après trois ou quatre heures d"interrogatoire mené par des soldats pour savoir s"il appuyait ou non les LTTE. Il a nié donner de l"argent à ce groupe ou les appuyer de toute autre manière. D"après les questions qui lui ont été posées, il a supposé que l"armée n"avait aucune preuve véritable qu"il donnait de l"argent aux Tigres tamouls.

     Au cours des quatre années qui ont suivi, il prétend avoir été détenu à dix ou onze reprises par les patrouilles militaires, qui lui posaient toujours les mêmes questions au sujet de ses liens avec les LTTE. À une occasion au cours de l"été 1993, il a été amené pour interrogatoire avec douze autres personnes environ. Seulement neuf d"entre elles ont été relâchées par la suite. L"une des personnes qui ne sont jamais revenues était un de leurs voisins, un commerçant tamoul musulman.

     En octobre 1994, raconte-t-il, les Tigres tamouls sont venus le voir et lui ont demandé trois cents paires de souliers de toile. La livraison devait se faire au temple Kalara, à Kalmunai. Le requérant a dû passer une commande spéciale pour cette quantité de chaussures. Après les avoir reçues, il s"affairait à les charger dans sa fourgonnette, lorsqu"est passée une patrouille de l"armée. Les soldats lui ont demandé sa licence d"importation spéciale qui, pour des motifs de sécurité, est normalement requise dans les cas d"importation d"une aussi grande quantité de marchandises. Comme il ne pouvait ni produire cette licence, ni expliquer pourquoi il n"en avait pas, son employé, un Tamoul hindou, et lui, ont été immédiatement mis en état d"arrestation et amené au camp militaire, où ils ont été séparés.

     Le requérant a raconté qu"il a été amené dans une pièce, qu"il a été entièrement déshabillé et que ses papiers d"identité lui ont été retirés. Cinq officiers l"ont interrogé sur ses liens avec les Tigres. Ils l"ont battu, lui ont donné des coups de pied et l"ont frappé avec la crosse de leurs fusils. Puis, selon le requérant, ils ont menacé de lui brûler les testicules avec des cigarettes. Finalement, réalisant que la seule façon d"empêcher qu"ils le maltraitent davantage était d"avouer, il a admis avoir des contacts avec les LTTE. Ensuite, dit-il, les coups ont cessé, mais les soldats n"étaient pas intéressés à entendre ses explications à propos de son association avec les LTTE. Ils lui ont redonné ses vêtements et lui ont dit qu"il serait transféré dans un autre camp dans la matinée.

     Le lendemain matin, toujours selon le requérant, il a été amené devant un officier de l"armée qui lui a dit qu"il serait relâché s"il se conformait à quatre conditions : i) faire rapport à l"armée toutes les fois qu"un membre des LTTE se rendait à son magasin, ii) ne pas quitter la province de l"Est sans le consentement écrit de l"armée, iii) n"engager en aucun cas une personne parlant tamoul pour travailler dans son magasin (seulement sa femme et lui pouvaient le faire), et iv) se présenter à l"armée toutes les deux semaines. Ils ont ensuite pris ses empreintes digitales et l"ont photographié, mais ils ne lui ont pas rendu sa carte d"identité nationale. Par la suite, il a appris que sa femme, avec l"aide du Grama Sevaka - le chef du village - avait obtenu sa libération en versant un pot-de-vin à l"officier en question. (Si ce renseignement est vrai, c"est une situation qui déshonore le gouvernement du Sri Lanka, qui devrait être informé de la mauvaise conduite de ses serviteurs.) L"employé hindou n"a jamais été relâché. La libération du requérant est la meilleure preuve que l"armée n"a jamais considéré qu"il était de mèche avec les terroristes.

     Après avoir été mis en liberté, le requérant a estimé que sa famille et lui devaient quitter la province de l"Est parce qu"il avait donné le nom de certains membres des LTTE à l"armée. Il se sentait coincé dans un dilemme : si les LTTE venaient le voir, soit eux, soit les soldats le tueraient. S"il allait faire rapport à l"armée, les LTTE le tueraient. S"il s"en abstenait, il croyait, a-t-il dit, que les soldats l"arrêteraient et probablement le tueraient. Avec l"aide du Grama Sevaka, il a réussi à vendre sa maison et son magasin dans les dix jours qui ont suivi sa mise en liberté. La transcription, le formulaire de renseignements personnels et la décision ne sont pas tout à fait clairs quant à savoir si la maison et le magasin ont été vendus au chef du village, à perte, ou si celui-ci les a simplement aidés à trouver un acheteur (voir les pages 299 à 301 du dossier du tribunal, volume II). Le requérant a donné suffisamment d"argent à ses parents pour leur permettre de vivre, il a trouvé une maison pour les loger et en a payé la location.

     Le requérant a trouvé un chauffeur pour les conduire, lui et sa famille, à Colombo. Ils ont voyagé de nuit. À leur arrivée dans la capitale, le matin, ils ont essayé de se loger à plusieurs hôtels, mais il leur a été répondu qu"ils ne pouvaient rester sans un certificat de la police. Ils ont fini par trouver un hôtel dont le propriétaire acceptait de les héberger pour une nuit, à la condition qu"ils obtiennent un certificat le lendemain matin. Le jour suivant, le requérant s"est rendu à la station de police locale afin de demander l"autorisation de séjourner à Colombo. Comme il n"a pu présenter sa carte d"identité nationale et que la police a appris qu"il venait de la province de l"Est, il a immédiatement été arrêté.

     Le lendemain, le chauffeur qui les avait conduits à Colombo est venu à la station de police avec l"épouse du requérant et ce dernier a pu partir après que le chauffeur a payé à l"officier de service un pot-de-vin de 10 000 roupies.

     S"il est vrai que les autorités militaires et policières extorquent des pots-de-vin, alors, le gouvernement du Sri Lanka, en ne réprimant pas ces actes d"inconduite (en dépit de la guerre civile) se vautre dans le déshonneur et le requérant et sa femme ne sont pas réellement soupçonnés d"être des terroristes Tamouls puisqu"ils ont été relâchés.

     Le requérant a reçu l"ordre de ne pas quitter l"hôtel où ils logeaient jusqu"à ce que la police ait procédé à des vérifications auprès des autorités de Kalmunai et le rappelle pour un autre interrogatoire. Craignant ce qui arriverait si la police locale découvrait que le requérant n"avait pas respecté les conditions de sa mise en liberté à Kalmunai, les requérants ont estimé qu"ils devaient quitter le Sri Lanka.

     Le chauffeur les a mis en contact avec un agent qui les ferait sortir du pays. Après avoir passé une nuit chez le chauffeur, ils sont allés chez l"agent, où ils se sont restés cachés pendant trois mois, jusqu"à leur départ du Sri Lanka. Ils ne sont sortis de la demeure de l"agent que pour se rendre à l"aéroport afin de quitter le pays. Ils sont arrivés au Canada le 12 février 1995. C"est une semaine plus tard, soit le 20 février 1995, qu"ils ont indiqué pour la première fois leur intention de réclamer le statut de réfugié (dossier du tribunal, volume II, à la page 29).

     La SSR a décidé de rejeter la revendication du statut de réfugié présentée par les requérants parce qu"elle a conclu qu"ils n"étaient pas crédibles. Selon elle, plusieurs éléments de l"histoire des requérants étaient invraisemblables et " [TRADUCTION] d"autres aspects de l"histoire des demandeurs étaient incompatibles avec la documentation présentée au tribunal au sujet des Tamouls musulmans au Sri Lanka " (dossier du tribunal, volume I, à la page 13). L"avocat des requérants accuse la SSR de ne pas reconnaître qu"" [TRADUCTION] il pourrait y avoir des circonstances atténuantes dans le cas d"une personne ". La formation a conclu qu"il n"avait pas assez d"éléments de preuve crédibles et sûrs pour lui permettre de rendre une décision favorable à la revendication des requérants. Bien qu"elle ait statué qu"une décision défavorable quant à la crédibilité des requérants suffisait pour justifier le rejet de la demande, la formation a conclu, à titre subsidiaire, que ceux-ci avaient une possibilité de refuge dans une autre partie du pays, à Colombo.

     Les requérants soulèvent plusieurs questions. Seulement trois sont importantes. La première est de savoir s"il y a eu déni de justice naturelle du fait que la SSR avait promis de considérer comme crédible le témoignage du requérant portant sur les expériences qu"il a vécues dans le Sri Lanka oriental et qu"elle a conclu, par la suite, que le requérant n"était pas crédible. La deuxième question est de savoir s"il y a eu déni de justice naturelle parce que la SSR n"a pas conservé un enregistrement fidèle de l"audition. La troisième question est de déterminer si la formation a commis une erreur en décidant que les requérants avaient une possibilité de refuge dans une autre partie du pays, à Colombo.

     En ce qui a trait à la première question, la jurisprudence de la Cour d"appel fédérale pose clairement que l"appréciation de la crédibilité est du ressort de la SSR. À titre d"exemple, dans l"affaire Aguebor c. Ministre de l"Emploi et de l"Immigration, (1993), 160 N.R. 313, à la page 316, le juge Décary déclare :

         Il ne fait aucun doute que le tribunal spécialisé qu"est la section du statut de réfugié a pleine compétence pour apprécier la plausibilité d"un témoignage. Qui, en effet, mieux que lui, est en mesure de jauger la crédibilité d"un récit et de tirer les inférences qui s"imposent? Dans la mesure où les inférences que le tribunal tire ne sont pas déraisonnables au point d"attirer notre intervention, ses conclusions sont à l"abri du contrôle judiciaire.                 

Contrairement à ce que prétendent les requérants, la SSR n"a pas dit que la seule question dont elle était saisie était celle de la possibilité de refuge dans une autre partie de leur pays. Jamais elle ne leur a été promis d"ajouter foi à leur histoire. Au contraire, comme l"indique l"extrait suivant tiré de la transcription de l"audience, la formation a clairement indiqué que la crédibilité n"était pas une question réglée :

         [TRADUCTION] Simeon : Je vous remercie. Je n"ai rien à ajouter en ce qui concerne les questions en litige, toutefois, je vous signale qu"une question essentielle, et je crois que mes deux collègues partagent mon opinion, la question essentielle est la possibilité de refuge dans une autre partie de leur pays. L"avocat nous a fourni un récit détaillé et, maître, nous acceptons ce récit comme s"il avait été présenté oralement par le requérant ce matin. Le tribunal sait bien ce qui se passe au Sri Lanka à l"heure actuelle et il est disposé à accepter qu"il existe un fondement pour une crainte justifiée d"être persécuté dans la province de l"Est, aussi, peut-être, pourriez-vous commencer votre interrogatoire au moment où ils se sont enfuis à Colombo et poser des questions sur la situation pendant qu"ils étaient à Colombo.                 
             Pour ce qui est de la question des agents de persécution, ce point pourrait être clarifié, mais il est généralement admis que les Tamouls craignent les services de sécurité au Sri Lanka. Aussi, il pourrait y avoir quelques questions à ce sujet. Par ailleurs, la question de la crédibilité peut se poser au cours de la présente audience. Il y a, je pense, un délai d"environ huit jours, ou quelque chose du même ordre, et il pourrait y avoir quelques questions à ce sujet aussi (dossier du tribunal, volume II, à la page 295).                 

Le fait que la SSR accepte la prétention des requérants relativement à la crainte d"être persécutés dans la province de l"Est du Sri Lanka ne l"empêchait pas de se faire une idée de la crédibilité générale des requérants d"après les renseignements détaillés fournis par le requérant sur ce qu"il avait vécu dans la province de l"Est. Les requérants n"ont pas été trompés en l"espèce. C"est leur histoire personnelle que la formation n"a pas trouvé crédible. Ils ne leur avait jamais été accordé d"immunité à l"égard d"une telle conclusion.

     La Cour estime tout à fait injustifiée la conclusion de la SSR selon laquelle il est totalement invraisemblable que le requérant soit, tout à coup, allé chercher les certificats de naissance des membres de sa famille à Colombo. Rien dans la preuve, ni dans la nature humaine, ne rend cette histoire invraisemblable.

     En ce qui concerne la deuxième question, la Cour fait remarquer que la Cour d"appel fédérale a statué que l"absence de transcription ne vicie pas en elle-même la décision de la SSR (voir l"arrêt Kandiah c. M.E.I. , A-113-90, le 13 avril 1992). En l"espèce, la transcription ne pouvait être consultée, mais il était possible d"écouter les bandes magnétiques. Les requérants prétendent que la bande est incomplète. Ils ne précisent pas à quel endroit elle l"est, mais après examen de la transcription de celle-ci, il ressort qu"il n"y a qu"une seule coupure (dossier du tribunal, volume II, à la page 310). Dans son affidavit, le requérant affirme sous serment que la transcription ne fait jamais état de la question du " [TRADUCTION] certificat de naissance "et que la coupure dans les bandes porte probablement sur le moment où cette question était abordée à l"audience. Les requérants signalent qu"il s"agit d"un des points que la SSR a jugé invraisemblables et qui l"ont amenée à douter de la crédibilité du requérant. Il y a lieu de faire remarquer que ce n"était pas le seul motif justifiant la conclusion de cette dernière en matière de crédibilité. En effet, sa conclusion est ainsi rédigée (dossier du tribunal, volume I, à la page 13) :

         [TRADUCTION] Des parties essentielles du témoignage du requérant sont nettement incompatibles avec la documentation produite devant la formation. D"autres aspects de son témoignage concernant la délivrance de leurs certificats de naissance et le fait que la requérante n"ait pas de carte d"identité nationale sont invraisemblables compte tenu de son témoignage et de la documentation produite devant la formation. Par conséquent, la formation conclut que les requérants ne lui ont pas présenté de preuves crédibles et sûres. Faute de preuve suffisante et sûre, la formation ne peut se prononcer favorablement à l"endroit des présentes revendications.                 

En somme, la conclusion de la SSR en matière de crédibilité vient de ce qu"elle a trouvé l"histoire du requérant incompatible avec la documentation produite. Comme l"indique la Cour d"appel fédérale dans l"arrêt M.E.I. c. Zhou , (A-492-91), le 18 juillet 1994 (C.A.F.), la SSR peut conclure ainsi :

         Nous ne sommes pas persuadés que la section du statut a commis une erreur justifiant notre intervention. Les documents sur lesquels s"est appuyée la Commission ont été régulièrement produits en preuve. La Commission a le droit de s"appuyer sur la preuve documentaire de préférence au témoignage du demandeur de statut. La Commission n"a aucune obligation générale de préciser expressément les éléments de preuve documentaire sur lesquels elle pourrait se fonder. Les autres points soulevés sont aussi sans bien-fondé. L"appel sera rejeté.                 

La SSR pouvait raisonnablement penser que les requérants auraient obtenu une carte d"identité nationale pour la femme du requérant. Devant de telles conclusions, par conséquent, la position du requérant est fortement ébranlée.

     À titre subsidiaire, la SSR a conclu, à juste titre, que les requérants avaient une possibilité de refuge dans une autre partie du même pays. Dans l"affaire Thirunavukkarasu , [1994] 1 C.F. 598 (C.A.F.), aux pages 597-598, le juge Linden écrit :

             Ainsi, le demandeur du statut est tenu, compte tenu des circonstances individuelles, de chercher refuge dans une autre partie du même pays pour autant que ce ne soit pas déraisonnable de le faire. Il s"agit d"un critère souple qui tient compte de la situation particulière du demandeur et du pays particulier en cause. C"est un critère objectif et le fardeau de la preuve à cet égard revient au demandeur tout comme celui concernant tous les autres aspects de la revendication du statut de réfugié. Par conséquent, s"il existe dans leur propre pays un refuge sûr où ils ne seraient pas persécutés, les demandeurs de statut sont tenus de s"en prévaloir à moins qu"ils puissent démontrer qu"il est objectivement déraisonnable de leur part de le faire.                 
             Permettez-moi de préciser. Pour savoir si c"est raisonnable, il ne s"agit pas de déterminer si, en temps normal, le demandeur choisirait, tout compte fait, de déménager dans une autre partie plus sûre du même pays après avoir pesé le pour et le contre d"un tel déménagement. Il ne s"agit pas non plus de déterminer si cette autre partie plus sûre de son pays lui est plus attrayante ou moins attrayante qu"un nouveau pays. Il s"agit plutôt de déterminer si, compte tenu de la persécution qui existe dans sa partie du pays, on peut raisonnablement s"attendre à ce qu"il cherche refuge dans une autre partie plus sûre de son pays avant de chercher refuge au Canada ou ailleurs. Autrement dit pour plus de clarté, la question à laquelle on doit répondre est celle-ci : serait-ce trop sévère de s"attendre à ce que le demandeur de statut, qui est persécuté dans une partie de son pays, déménage dans une autre partie moins hostile de son pays avant de revendiquer le statut de réfugié à l"étranger?                 
             La possibilité de refuge dans une autre partie du même pays ne peut pas être seulement supposée ou théorique; elle doit être une option réaliste et abordable. Essentiellement, cela veut dire que l"autre partie plus sûre du même pays doit être réalistement accessible au demandeur. S"il y a des obstacles qui pourraient se dresser entre lui et cette autre partie de son pays, le demandeur devrait raisonnablement pouvoir les surmonter. On ne peut exiger du demandeur qu"il s"expose à un grand danger physique ou qu"il subisse des épreuves indues pour se rendre dans cette autre partie ou pour y demeurer. Par exemple, on ne devrait pas exiger des demandeurs de statut qu"ils risquent leur vie pour atteindre une zone de sécurité en traversant des lignes de combat alors qu"il y a une bataille. On ne devrait pas non plus exiger qu"ils se tiennent cachés dans une région isolée de leur pays, par exemple dans une caverne dans les montagnes, ou dans le désert ou dans la jungle, si ce sont les seuls endroits sûrs qui s"offrent à eux. Par contre, il ne leur suffit pas de dire qu"ils n"aiment pas le climat dans la partie sûre du pays, qu"ils n"y ont ni amis ni parents ou qu"ils risquent de ne pas y trouver de travail qui leur convient. S"il est objectivement raisonnable dans ces derniers cas de vivre dans une telle partie du pays sans craindre d"être persécuté, alors la possibilité de refuge dans une autre partie du même pays existe et le demandeur de statut n"est pas un réfugié.                 
             En conclusion, il ne s"agit pas de savoir si l"autre partie du pays plaît ou convient au demandeur, mais plutôt de savoir si on peut s"attendre à ce qu"il puisse se débrouiller dans ce lieu avant d"aller chercher refuge dans un autre pays à l"autre bout du monde. Ainsi, la norme objective que j"ai proposée pour déterminer le caractère raisonnable de la possibilité de refuge dans une autre partie du même pays est celle qui se conforme le mieux à la définition de réfugié au sens de la Convention. Aux termes de cette définition, il faut que les demandeurs de statut ne puissent ni ne veuillent, du fait qu"ils craignent d"être persécutés, se réclamer de la protection de leur pays d"origine et ce, dans n"importe quelle partie de ce pays. Les conditions préalables de cette définition ne peuvent être respectées que s"il n"est pas raisonnable pour le demandeur de chercher et d"obtenir la protection contre la persécution dans une autre partie de son pays.                 

Il faut d"abord remarquer que l"existence d"une possibilité de refuge dans le même pays est une conclusion subsidiaire de la SSR (dossier du tribunal, volume I, à la page 14) et non, comme le déclarent les requérants " fondée sur la présomption que son témoignage n"est pas crédible *** ", (dossier du requérant, à la page 106). Deuxièmement, la conclusion de la SSR quant à l"existence d"une possibilité de refuge à Colombo s"appuie sur la preuve produite. Les requérants n"avaient et n"ont rien à craindre des autorités - certainement rien à craindre à Colombo. La SSR a accepté la preuve selon laquelle les autorités font confiance aux Tamouls musulmans en raison des traitements sauvages que les Tigres tamouls ont infligé aux musulmans. Rien ne justifie d"annuler la décision de la SSR à cet égard. L"erreur la plus flagrante commise par cette dernière a été de conclure que le requérant avait vendu son magasin et sa maison au Grama Sevaka, plutôt que par l"intermédiaire de celui-ci. Ce détail est sans importance. Rien n"étaye l"affirmation des requérants selon laquelle la SSR a utilisé des extraits " choisis " de la preuve documentaire.

     La SSR n"a tout simplement pas commis d"erreur susceptible de révision. C"est malheureux pour les requérants, mais la nature du contrôle judiciaire fait en sorte qu"il ne s"agit pas de se demander ce que la Cour aurait fait, mais bien de vérifier comment la SSR l"a fait. Cette dernière ne s"est pas écartée du droit chemin.

     Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

                             F.C. MULDOON

                                 Juge

Ottawa (Ontario)

le 27 août 1997

Traduction certifiée conforme :     
                     F. Blais, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

    

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                  Imm-2445-96
INTITULÉ DE LA CAUSE :          KAMIL MOHAMED ET AL. c. M.C.I.
LIEU DE L"AUDIENCE :              Toronto (Ontario)
DATE DE L"AUDIENCE :              le 31 juillet 1997

MOTIFS DE L"ORDONNANCE DE MONSIEUR LE JUGE Muldoon

DATE :                      le 27 août 1997

ONT COMPARU :

M. Raoul Boulakia                  POUR LE REQUÉRANT
M. Kathryn Hucal                  POUR L"INTIMÉ

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

M. Raoul Boulakia

Toronto (Ontario)                  POUR LE REQUÉRANT

M. George Thomson

Sous-procureur général du Canada          POUR L"INTIMÉ
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