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Date : 20051129

 

Dossier : IMM-1487-05

Référence : 2005 CF 1608

 

Ottawa (Ontario), le 29 novembre 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE KELEN

 

ENTRE :

RIFAT (SULTAN) YOUSAFZAI

AYMAN (AYMANN) REHMAN

UMER REHMAN

 

demandeurs

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE MODIFIÉS

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire qui vise la décision datée du 8 février 2005 par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a jugé que les demandeurs n’étaient pas des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger pour des motifs se rapportant à leur crédibilité et pour la raison que le Pakistan est un État qui offre une protection suffisante à ses citoyens.

 

LES FAITS

 

[2]               Les demandeurs, une mère et ses deux enfants, sont citoyens pakistanais. La demanderesse principale, Mme Yousafzai (la demanderesse), affirme craindre avec raison d’être persécutée par les membres du Sippah-e-Sahaba (SSP) qui pourraient l’agresser physiquement et enlever ses enfants s’ils retournaient au Pakistan, en raison des activités exercées par son mari.

 

[3]               La demanderesse est née dans une famille musulmane chiite et est très active dans l’organisation religieuse de son Imam Bargah qui s’occupe des membres de la secte chiite qui sont dans le besoin. En octobre 2000, le mari de la demanderesse a participé au financement de la construction de l’Imam Bargah à Peshawar. Cette aide financière aurait été annoncée publiquement par leur allama (prêtre) et le SSP aurait exercé des représailles violentes contre la demanderesse et son mari. Plus précisément, la demanderesse soutient ce qui suit :

i.          le 22 décembre 2000, son mari a été agressé par des membres du SSP qui ont menacé de le tuer s’il demandait à la police de le protéger;

 

ii.          en janvier 2001, elle a reçu un appel téléphonique de membres du SSP qui menaçaient d’enlever ses enfants; son mari a demandé à la police de les protéger, mais celle‑ci n’a rien fait;

 

iii.         en avril 2001, elle a été agressée, ses assaillants lui ont déclaré que c’était parce qu’elle avait essayé de déposer un rapport de police contre le SSP et elle a dû être hospitalisée pendant deux jours; son mari a demandé la protection de la police qui n’a rien fait et des policiers lui ont conseillé de ne pas s’en prendre au SSP;

 

iv.         le 19 juin 2001, des membres du SSP ont agressé son mari, qui a dû être soigné à l’hôpital pendant deux jours; ils n’ont pas demandé à la police de les protéger, pensant qu’une telle demande serait inutile;

 

v.         le 30 juillet 2001, des membres du SSP ont agressé la demanderesse et son mari dans leur résidence, qui a été saccagée; ils n’ont pas demandé l’aide de la police, pensant qu’une telle demande serait inutile; après cet incident, l’époux de la demanderesse a décidé qu’ils devaient quitter le Pakistan.

 

 

[4]               Le 26 août 2001, la demanderesse et ses enfants sont arrivés au Canada par les États-Unis et ont présenté une demande d’asile.

 

LA DÉCISION

 

[5]               La Commission a rejeté la demande de la demanderesse parce que celle‑ci n’était pas suffisamment crédible et parce que le Pakistan était en mesure de leur accorder une protection étatique suffisante. Elle a jugé que le témoignage de la demanderesse n’était pas crédible ou digne de foi, et que, par conséquent, la demanderesse n’avait pas une crainte subjective d’être persécutée. La Commission en est arrivée à ses conclusions pour les motifs suivants :

a)         la demanderesse n’était pas aussi connue dans les milieux religieux qu’elle le prétendait;

 

b)         la demanderesse a décidé de quitter le Pakistan parce qu’on avait menacé d’enlever ses enfants en janvier 2001, mais elle a attendu huit mois pour quitter le pays sans fournir d’explications à ce sujet; ce retard indique qu’elle n’avait pas de crainte subjective de persécution et compromet sa crédibilité;

 

c)         la demanderesse n’a pas été en mesure de se procurer des documents médicaux concernant son hospitalisation consécutive à l’agression dont elle avait fait l’objet en avril 2001 ni des documents scolaires concernant ses enfants, documents qui démontreraient qu’elle se trouvait au Pakistan pendant les périodes pertinentes; l’omission de la part de la demanderesse de fournir ces documents permet de tirer une conclusion qui lui est défavorable;

 

d)         le témoignage de la demanderesse selon lequel son époux se tient caché au Pakistan est invraisemblable;

 

e)         les preuves documentaires énoncent : les seuls cas de meurtres de femmes et d’enfants se sont produits à l’occasion d’attaques lancées contre des mosquées; l’interdiction des groupes fondamentalistes lancée au Pakistan en janvier 2002 a amené l’État à détenir les chefs militants et à suivre leurs activités, ce qui a amélioré la situation des minorités insulaires; le Pakistan s’efforce de sensibiliser les policiers aux droits de la personne dans le cadre de leur formation et s’est engagé à empêcher toute violence sectaire;

 

f)          le Pakistan possède une magistrature, des forces de police, une armée visible et des tribunaux antiterroristes, ce qui a réduit la violence sectaire et permet à l’État d’accorder à la population une protection suffisante.

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

 

[6]               La présente demande soulève deux questions :

1.         La Commission a-t-elle tiré une conclusion manifestement déraisonnable en matière de crédibilité à l’égard d’un aspect essentiel de la demande d’asile présentée par la demanderesse?

 

2.         La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que la demanderesse peut bénéficier de la protection de l’État au Pakistan?

 

L’ANALYSE

 

Question en litige no 1 :   La Commission a-t-elle tiré une conclusion manifestement déraisonnable en matière de crédibilité à l’égard d’un aspect essentiel de la demande d’asile présentée par la demanderesse?

 

 

[7]               La demanderesse soutient que la conclusion cumulative relative à la crédibilité à laquelle en est arrivée la Commission est manifestement déraisonnable. Plus précisément, la demanderesse soutient que la Commission a commis les erreurs suivantes :

a)         elle a conclu que la demanderesse avait quitté le Pakistan pour le motif qu’on avait menacé d’enlever ses enfants en janvier 2001 et a tiré une conclusion défavorable de son omission d’expliquer le fait qu’elle ait attendu huit mois avant de quitter ce pays;

b)         elle a tiré des conclusions défavorables des omissions contenues dans le Formulaire de renseignements personnels (FRP) de la demanderesse concernant les activités particulières qu’elle exerçait quotidiennement pour son organisation religieuse, les activités de financement de son mari et le fait que ses enfants aient été exclus de leur école;

c)                  elle a estimé invraisemblable que son mari qui se tient caché au Pakistan n’ait pas été retrouvé par le SSP;

d)         elle a tiré une conclusion défavorable de l’absence de documents, plus précisément de l’absence des documents suivants : les dossiers médicaux concernant son hospitalisation en avril 2001, sa carte d’identité nationale et les dossiers scolaires de ses enfants.

 

 

[8]               La Cour n’a pas pour rôle de réviser le bien-fondé des conclusions de fait de la Commission. La Cour intervient lorsque ces conclusions sont manifestement déraisonnables, mais elle ne modifiera pas des conclusions raisonnables pour la seule raison que la Cour en serait arrivée à des conclusions différentes. Voir la décision Chen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 1194, aux paragraphes 4 et 5, dans laquelle j’ai déclaré :

¶ 4      La Commission est un tribunal spécialisé en ce qui a trait aux revendications du statut de réfugié. En 2001, la Commission a instruit plus de 22 000 revendications du statut de réfugié, elle en a admis 13 336 et elle en a refusé 9 551. Par ailleurs, la Commission a un accès direct aux dépositions des témoins, et elle est la mieux placée pour évaluer la crédibilité des témoins. Par conséquent, la norme de contrôle applicable aux conclusions de crédibilité tirées par la Commission est celle de la décision manifestement déraisonnable. Voir l'arrêt Aguebor c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1993), 160 N.R. 315 (C.A.F.). Dans cette affaire, la Cour d'appel fédérale s'était exprimée ainsi :

 

Qui, en effet, mieux que la section du statut de réfugié, est en mesure de jauger la crédibilité d'un récit et de tirer les inférences qui s'imposent? Dans la mesure où les inférences que le tribunal tire ne sont pas déraisonnables au point d'attirer notre intervention, ses conclusions sont à l'abri du contrôle judiciaire.

 

Avant qu'une conclusion de la Commission en matière de crédibilité ne soit annulée (et avant que ne soit accordée l'autorisation de présenter une demande touchant une conclusion en matière de crédibilité), l'un des critères suivants doit être rempli (ou suffisamment défendable dans le cas d'une demande d'autorisation) :

 

1. la Commission n'a pas validement motivé sa conclusion selon laquelle un requérant n'était pas crédible;

 

2. les conclusions tirées par la Commission sont fondées sur des constats d'invraisemblance qui, de l'avis de la Cour, ne sont tout simplement pas justifiés;

 

3. la décision était fondée sur des conclusions qui n'étaient pas autorisées par la preuve; ou

 

4. la décision touchant la crédibilité reposait sur une conclusion de fait qui était arbitraire ou abusive ou qui ne tenait aucun compte de la preuve.

 

Voir l'affaire Bains c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] A.C.F. n1144, au paragraphe 11 (Madame le juge Reed).

 

¶ 5   Les décisions de la Commission en matière de crédibilité appellent le plus haut niveau de retenue de la part des tribunaux, et la Cour n'annulera une décision de ce genre, ou n'autorisera une demande de contrôle judiciaire d'une telle décision, qu'en accord avec le critère susmentionné. La Cour ne doit pas substituer son opinion à celle de la Commission en ce qui a trait à la crédibilité ou à la vraisemblance, sauf dans les cas les plus manifestes. C'est pourquoi les demandeurs qui veulent faire annuler des conclusions touchant leur crédibilité doivent s'acquitter d'une très lourde charge, à la fois au stade de la demande d'autorisation et au stade de l'audience si l'autorisation est accordée.

 

 

Les événements à l’origine du départ du Pakistan et le retard mis à le faire

 

 

[9]               En l’espèce, la Commission a conclu, à la page 6 de ses motifs, que la demanderesse n’avait pas une crainte subjective de persécution parce que son témoignage n’était pas crédible :

Dans son témoignage, la demandeure d’asile a précisé qu’elle a quitté le Pakistan en raison des appels de menaces en ce qui a trait au kidnappage de ses enfants. Elle a aussi déclaré que l’appel téléphonique avait eu lieu une seule fois en janvier 2001, et pourtant elle est restée au Pakistan jusqu’en août 2001. Elle n’a fourni aucune explication pour justifier ce retard à quitter le pays. Le fait d’avoir pris tant de temps à quitter le Pakistan a une incidence négative sur sa crainte subjective et mine sa crédibilité.

 

À l’audience, la demanderesse a été invitée à répondre à la question directe suivante : [traduction] « Quelle est l’incident qui vous a amenée à quitter le Pakistan? » Elle a répondu que c’était les [traduction] « avertissements donnés au sujet de nos enfants (en janvier 2001) ». La demanderesse a omis de mentionner dans son FRP l’allégation selon laquelle sa maison avait été attaquée le 30 juillet 2001 par des hommes de main du SSP, qui les avaient battus elle et son mari et avaient saccagé sa maison. Cette omission dans son témoignage de vive voix est un motif raisonnable qui permet de mettre en doute sa crédibilité, qu’il s’agisse du retard mis à quitter le Pakistan après les menaces d’enlèvement reçues par téléphone en janvier 2001 ou qu’il s’agisse d’une contradiction flagrante et d’une omission dans son témoignage de vive voix en ce qui concerne son FRP.

 

[10]           Cette conclusion relative à la crédibilité est un élément central et essentiel de la décision. C’est pourquoi la Cour ne devrait pas modifier la décision de la Commission. Il n’est donc pas nécessaire d’examiner les autres questions en litige.

 

[11]           Les avocats ont informé la Cour que la présente demande ne soulève pas de question grave de portée générale qui devrait être certifiée en vue d’un appel. La Cour souscrit à cette opinion et aucune question ne sera certifiée.

ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE :

 

 

La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 

« Michael A. Kelen »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-1487-05

 

INTITULÉ :                                       RIFAT (SULTAN) YOUSAFZAI

                                                            AYMAN (AYMANN) REHMAN

UMER REHMAN

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 22 NOVEMBRE 2005

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       LE JUGE KELEN

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 29 NOVEMBRE 2005

 

 

COMPARUTIONS :

 

Chantal Desloges

Avocate

 

POUR LES DEMANDEURS

Stephen H. Gold

Ministère de la Justice

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Chantal Desloges

Green and Spiegel

 

POUR LES DEMANDEURS

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

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