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     Date : 1997.12.11

     T-2575-96

E n t r e :

     AFFAIRE INTÉRESSANT LA LOI SUR LA CITOYENNETÉ,

     L.R.C. (1985), ch. C-29

     ET un appel d'une décision

     d'un juge de la citoyenneté

     ET WU FONG SAMMY LIU,

     appelant.

     JUGEMENT

LE JUGE ROULEAU

[1]      L'appel est accueilli.

     " P. Rouleau "

                                         JUGE

OTTAWA (Ontario)

Le 11 décembre 1997.

Traduction certifiée conforme     

                                     François Blais, LL.L.

     Date : 1997.12.04

     T-2427-96

E n t r e :

     AFFAIRE INTÉRESSANT LA LOI SUR LA CITOYENNETÉ,

     L.R.C. (1985), ch. C-29

     ET un appel d'une décision

     d'un juge de la citoyenneté

     ET WU FONG SAMMY LIU,

     appelant.

     MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE ROULEAU

[1]      La Cour est saisie d'un appel interjeté d'une décision par laquelle un juge de la citoyenneté a, le 12 novembre 1996, rejeté la demande de citoyenneté canadienne présentée par l'appelant. Il a été jugé que M. Liu ne satisfaisait pas à la condition de résidence prévue à l'alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté, qui exige que le candidat à la citoyenneté canadienne ait résidé au Canada pendant au moins trois ans en tout pendant les quatre années qui ont précédé la date de sa demande. Le juge de la citoyenneté a conclu que l'appelant avait été absent du Canada pendant 1 027 jours au cours des quatre années qui avaient précédé la date de sa demande de citoyenneté.

[2]      Le juge de la citoyenneté s'est dit d'avis que la qualité des liens de l'appelant avec Taïwan et la durée de ses absences du Canada démontraient que le Canada n'était pas le pays où il vivait régulièrement, normalement et habituellement. Suivant le paragraphe 15(1), le juge de la citoyenneté n'a par ailleurs pas constaté l'existence d'un des motifs énumérés aux paragraphes 5(3) et 5(4) de la Loi qui l'auraient justifié de recommander au ministre d'exercer son pouvoir discrétionnaire en faveur de l'appelant. Au cours de la même audience, le juge de la citoyenneté a également rejeté la demande de citoyenneté présentée par la femme de l'appelant pour les mêmes motifs (T-2576-96).

[3]      Dans son avis d'appel, l'appelant déclare ce qui suit :

     [TRADUCTION]         
     Le juge de la citoyenneté a mal interprété les faits et s'est mépris quant aux règles de droit applicables. Il a fait fi des règles de droit pertinentes à mon cas, et a assimilé à tort la présence physique à la résidence.         

[4]      L'appelant a comparu devant moi à Toronto le 18 novembre 1997. Il était accompagnée de sa femme, qui est également une appelante. Il a été convenu qu'il témoignerait et que son témoignage s'appliquerait aux deux appels.

[5]      L'appelant est née à Hsinchu, à Taïwan, le 20 juin 1943. Il est arrivé au Canada le 16 janvier 1993 en compagnie de sa femme et de leurs deux filles et il a obtenu le droit d'établissement le même jour. L'appelant a été admis au Canada comme résident permanent sous le régime du programme des investisseurs. M. Liu possède une entreprise de distribution de machinerie à Taïwan. Cette entreprise ne compte qu'une seule personne. Il assume toutes les responsabilités relatives à son entreprise et il voyage beaucoup pour s'approvisionner et pour gagner sa vie. M. Liu a exprimé le désir de vendre son entreprise et il aimerait le faire, mais la conjoncture n'est pas favorable pour le moment.

[6]      L'appelant est propriétaire de la maison familiale à North York. Il a payé ses taxes municipales et a soumis des factures relatives aux meubles et aux appareils ménagers qu'il a achetés pour meubler la maison familiale. Depuis son arrivée au Canada, l'appelant a également pris et conservé des ententes bancaires avec la Banque Royale et la Banque Toronto-Dominion; il a également des placements à la Banque Royale et à la Saskatchewan Government Growth Ltd. Il est titulaire d'une carte d'assurance-maladie de l'Ontario (RASO ou OHIP), d'une carte d'abonnement à une bibliothèque et il est membre de la Taiwan Merchant Association de Toronto. Il a produit des déclarations de revenus pour les années 1993 et 1995 au Canada.

[7]      L'appelant invoque comme autre raison pour expliquer ses absences du Canada le fait qu'il doit s'occuper de ses parents, qui résident à Taïwan et qui ont besoin de soins constants. Il précise qu'il partage cette responsabilité avec sa femme et son frère, qui réside toujours à Taïwan. Suivant l'appelant, ses parents ne sont pas admissibles au Canada pour des raisons d'ordre médical et, en tant que fils, il a le devoir de s'occuper de leurs besoins. L'appelant fait également valoir que, pendant ses absences, il a conservé des liens très étroits avec le Canada, en particulier avec ses deux filles, qui sont toutes les deux citoyennes canadiennes et qui fréquentent présentement l'université York.

[8]      Dans la décision Papadogiorgakis, [1978] 2 C.F. 208, le juge en chef adjoint Thurlow a posé le principe suivant lequel la présence physique à temps plein au Canada n'est pas une condition de résidence essentielle. Il a également conclu qu'une personne qui a établi son foyer au Canada ne cesse pas d'y résider lorsqu'elle le quitte temporairement que ce soit par affaires, pour des vacances ou pour poursuivre des études.

[9]      Dans le jugement Huang, [1997] F.C.J. No. 112, qui portait sur le rejet, pour des motifs liés à la résidence, d'une demande de citoyenneté présentée par un résident permanent appartenant à la catégorie des entrepreneurs le juge Dubé a déclaré ce qui suit :

     Lorsqu'un candidat à la citoyenneté a clairement et indubitablement établi un foyer au Canada, avec l'intention transparente de maintenir des racines permanentes dans ce pays, on ne devrait pas le priver de la citoyenneté simplement parce qu'il doit gagner sa vie et celle de sa famille en faisant affaires à l'étranger. Certains résidents canadiens peuvent travailler à partir de leur propre maison, d'autres retournent à la maison après le travail quotidien, d'autres y retournent chaque semaine et d'autres après de longues périodes à l'étranger.         

[10]      Il est devenu évident que ses absences étaient longues et fréquentes en raison de la mauvaise santé de ses parents. Sa femme l'accompagnait parce qu'elle avait une mère malade qui vit également à Taïwan. L'amicus curiae s'est dit quelque peu troublé par le fait que l'appelant et sa femme avaient tous les deux des frères et soeurs qui vivaient toujours à Taïwan qui ne pouvaient pas s'occuper davantage de leur parents malades. Il ressort de la preuve que, malgré le fait qu'ils ont essayé de s'occuper de leurs parents pendants leurs vacances, ces membres de la famille sont des personnes qui travaillent et qui vivent à quelque 200 kilomètres du lieu où habitent les parents et la belle-famille.

[11]      Quels sont les facteurs établis qui m'aideraient à en venir à la conclusion que l'appelant satisfait aux exigences de l'alinéa 5(1)c)? Il n'a plus de maison, si l'on fait abstraction de celle de Toronto; à son arrivée au Canada et au cours des trois premières semaines de son séjour au Canada et avant de retourner à Taïwan, il a cherché une école et a inscrit ses deux filles dans une école secondaire canadienne; les filles n'ont jamais quitté le pays, sauf pour de très brèves périodes et elles sont inscrites à temps plein à l'université York; elles ont depuis obtenu la citoyenneté canadienne; il a payé l'impôt sur le revenu au Canada; le but de ses nombreux séjours à l'étranger était de s'occuper de ses parents et de gagner sa vie; les possibilités de se défaire de son entreprise de Taïwan ne sont pas favorables pour le moment. Pour justifier ses absences, ses relations d'affaires se trouvent pour la plupart en Extrême-Orient.

[12]      Ainsi que le juge Dubé l'a écrit dans le jugement Siu Chung Hung, [1996] F.C.J. No. 107, on ne devrait pas priver quelqu'un de la citoyenneté simplement parce qu'il doit gagner sa vie et celle de sa famille en faisant affaires à l'étranger.

[13]      Existait-il des liens suffisants entre l'appelant et le Canada? A-t-il centralisé son mode de vie au Canada? Je suis convaincu que les absences sont de nature temporaire, que l'appelant a clairement exprimé sa volonté de revenir au Canada et qu'il existe des liens factuels suffisants avec le Canada pour affirmer sa résidence pendant les périodes d'absence. Ainsi qu'il a été souvent dit, la condition de résidence ne se traduit pas nécessairement par une présence physique effective au Canada, mais elle est également constituée des périodes d'absence du Canada lorsque des liens suffisants existent entre l'appelant et le Canada.

[14]      Compte tenu des éléments de preuve que j'ai exposés, je suis convaincu que l'appelant a centralisé son mode de vie au Canada et j'accueille en conséquence son appel et celui de Mme Liu.

     " P. Rouleau "

                                         JUGE

OTTAWA (Ontario)

Le 11 décembre 1997

Traduction certifiée conforme     

                                     François Blais, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                  T-2575-96
INTITULÉ DE LA CAUSE :          Loi sur la citoyenneté
                         et Wu Fong Sammy Liu
LIEU DE L'AUDIENCE :              Toronto (Ontario)
DATE DE L'AUDIENCE :          18 novembre 1997

MOTIFS DU JUGEMENT prononcés par le juge Rouleau le 11 décembre 1997

ONT COMPARU :

     Me Sheldon M. Robins                  pour l'appelante
     Me Peter K. Large                      pour l'amicus curiae

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

     Me Sheldon M. Robins                  pour l'appelante
     Toronto (Ontario)
     Me Peter K. Large                      pour l'amicus curiae
     Toronto (Ontario)
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