Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20041006

Dossier : IMM-8285-03

Référence : 2004 CF 1369

Toronto (Ontario), le 6 octobre 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MOSLEY

ENTRE :

JENNY PERSAUD

                                                                                                                                    demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Jenny Persaud est une Guyanienne de trente-trois ans, originaire des Indes orientales, qui est entrée au Canada en août 1998. Elle a au départ présenté une demande d'asile qui a été refusée le 16 janvier 2001. Un ERAR défavorable a été complété le 9 septembre 2002.


[2]                Mme Persaud a présenté une demande de dispense de l'exigence relative au visa de résidente permanente fondée sur des raisons d'ordre humanitaire (CH) le 17 juillet 2002. Elle a été renvoyée du Canada le 4 décembre 2002 avant que la décision ait été prise. La demande a été rejetée le 7 octobre 2003. L'agent a conclu que la demanderesse ne ferait pas face à une [traduction] « difficulté inhabituelle, injustifiée ou excessive » si elle était tenue de présenter sa demande de visa d'immigrante de l'extérieur du Canada.

[3]                La principale question que j'avais à trancher était celle de savoir si l'agent a commis une erreur en ne tenant pas compte de façon appropriée de l'intérêt supérieur de l'enfant de la demanderesse, né au Canada. Pour les motifs que j'expose plus loin, j'en suis venu à la conclusion qu'il ne l'a pas fait et la demande sera accueillie.

Le contexte

[4]                Dans le formulaire de renseignements supplémentaires présenté dans le cadre de la demande et exigé pour examen en vertu de l'ancienne Loi sur l'immigration, Mme Persaud a nommé un fils, Anthony Bishamber, né au Canada le 15 juin 2001 et résidant à la dernière adresse qu'elle a occupée au Canada.


[5]                Parmi les raisons spéciales mentionnées par Mme Persaud pour lesquelles elle demandait une considération exceptionnelle, il y avait l'intérêt supérieur de son enfant né au Canada et sa crainte que celui-ci fasse face à des difficultés s'il était séparé d'elle ou s'il devait la rejoindre en Guyane. Ses principales raisons pour demander une dispense étaient le climat de violence en Guyane, dirigée contre les personnes originaires des Indes orientales, et le manque de possibilités d'emploi là-bas pour subvenir à ses besoins ainsi qu'à ceux de ses enfants.

[6]                L'avocat de Mme Persaud a précisé davantage ces préoccupations dans une lettre, datée du 6 août 2003, en réponse à une demande de « trente jours » standard du défendeur, datée du 23 juillet 2003, visant à ce que des renseignements additionnels soient fournis et que les nouveaux formulaires relatifs à la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés soient remplis. L'avocat a fait remarquer que Mme Persaud n'était plus au pays, cela faisant en sorte qu'il était difficile pour elle de satisfaire à l'exigence de trente jours et il a demandé que la décision soit rendue en se basant sur le formulaire de demande antérieur ou qu'on lui accorde plus de temps pour que les formulaires soient remplis en Guyane et qu'ils soient retournés au Canada. Il n'y a pas eu de réponse à cette demande.

[7]                La lettre de l'avocat faisait remarquer que, selon Mme Persaud, le père d'Anthony n'était pas intéressé à prendre soin de son fils et de subvenir à ses besoins. Le père n'est aucunement impliqué dans la vie de l'enfant et n'a pas démontré de volonté d'élever l'enfant.


[8]                L'agent CH a préparé une brève lettre, un compte rendu détaillé écrit à la main et des notes au SSOBL, desquelles on peut glaner les motifs du refus. Ces notes indiquent que l'agent s'est interrogé sur les liens de parenté de l'enfant Anthony Bishamber et a conclu que l'enfant avait été laissé au Canada, avec le père. De toute façon, selon l'agent, l'enfant était assez jeune pour s'adapter à n'importe quelle situation, notamment de vivre avec sa mère en Guyane dans les conditions auxquelles elle ferait face dans ce pays.

Analyse

[9]                La demanderesse a fait valoir que l'agent a commis une erreur en concluant que l'enfant avait été laissé au Canada avec le père en se basant sur les observations du 6 août 2003 de l'avocat. Cela était tout à fait contraire au contenu des observations et révélait l'insensibilité avec laquelle l'agent a examiné la demande.

[10]            Mme Persaud soutient en outre que l'agent a également commis une erreur en concluant que le père pouvait prendre soin de son enfant. Le seul élément de preuve concernant le père était qu'il n'était pas intéressé à s'occuper de l'enfant ou à s'impliquer dans la vie de celui-ci. L'agent n'a pas fourni de motifs de douter de cet élément de preuve et la conclusion était déraisonnable : Hilo c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1991), 130 N.R. 236, et Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817.


[11]            Bien que l'intérêt supérieur de l'enfant ne soit pas déterminant, il s'agit d'un facteur important et l'examen doit se révéler compatissant et minutieux. Lorsqu'il n'y a pas d'examen compatissant, comme en l'espèce, les conclusions de l'agent sont incomplètes : Hawthorne c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] 2 C.F. 555 (CAF); Malekzai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CF 1099, et Qureshi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2000), 196 F.T.R. 85.

[12]            Mme Persaud soutient que les éléments de preuve dont disposait l'agent démontraient qu'elle avait un fils de trois ans, qu'elle en assumait seule la responsabilité et que le père n'était aucunement impliqué dans la vie de l'enfant. Ils indiquaient également que Mme Persaud n'avait ni résidence ni moyen de subsistance en Guyane. La preuve documentaire indique que la situation économique y est instable. L'agent aurait dû apprécier l'intérêt supérieur de l'enfant à la lumière de ces faits : Baker, précité, et Ek c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2003), 232 F.T.R. 305.

[13]            Le défendeur soutient que la norme de contrôle en l'espèce est celle de la décision raisonnable simpliciter : Mayburov c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2000), 183 F.T.R. 280, et Baker, précité.

[14]            Le défendeur ajoute que l'agent a tenu compte de l'intérêt supérieur de l'enfant, aussi bien qu'il le pouvait, étant donné le manque de preuve au sujet de l'enfant. La demanderesse avait le fardeau de présenter des faits pour appuyer une demande CH : Gallardo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2003), 230 F.T.R. 110.

[15]            Même si l'agent a commis une erreur en concluant que l'enfant se trouvait avec son père au Canada, fait valoir le défendeur, l'erreur n'était pas importante à l'égard de la décision : premièrement, parce qu'il n'y avait pas d'élément de preuve objectif quant à savoir qui étaient les parents de l'enfant et, deuxièmement, parce qu'il y avait des éléments de preuve selon lesquels Mme Persaud était renvoyée du Canada, mais aucun selon lequel l'enfant était renvoyé avec elle. Il n'y avait aucun fondement factuel permettant à l'agent de prendre en compte l'intérêt supérieur de l'enfant parce qu'il n'y avait aucun élément de preuve pour étayer l'affirmation selon laquelle Mme Persaud avait un enfant né au Canada. On peut donc faire la distinction d'avec les deux arrêts Baker et Hawthorne.

[16]            Je suis d'accord avec le défendeur selon lequel la demanderesse avait le fardeau de présenter des faits pour appuyer une demande CH. Il s'ensuit, à mon avis, que la demanderesse doit également présenter des éléments de preuve suffisants pour étayer ses affirmations de fait. Si, en fait, il y a une absence de fondement à la demande pour conclure que Mme Persaud avait un enfant né au Canada, l'agent des visas pouvait n'accorder que peu de poids à l'affirmation.


[17]            À mon avis, toutefois, l'agent disposait de suffisamment d'éléments de preuve, y compris la preuve corroborante, selon lesquels Mme Persaud avait un enfant né au Canada et il est évident que l'agent CH n'en a pas tenu compte. Hormis sa propre déclaration dans la demande, il y avait une lettre de l'ancien employeur de Mme Persaud qui mentionnait qu'elle était en congé de maternité de mai 2001 jusqu'au 3 octobre 2001 au plus tôt. Le certificat de naissance d'Anthony, présenté à l'agent, mentionne qu'il est né le 15 juin 2001. Bien que l'agent des visas ait prétendu avoir [traduction] « vu et pris acte » de ces éléments de preuve, il semble qu'ils aient été examinés de la façon la plus superficielle.

[18]            La considération de l'intérêt supérieur d'un enfant ne conduit pas inéluctablement à la conclusion que parent et enfant devraient demeurer au Canada. Les observations formulées au sujet du manque d'intérêt du père au Canada à l'égard de l'enfant et de son entretien, conjuguées aux éléments de preuve relatifs à une famille élargie en Guyane, auraient pu conduire à une conclusion raisonnable selon laquelle il serait en fait préférable que l'enfant soit avec sa mère en Guyane. L'agent pouvait raisonnablement conclure que Mme Persaud avait une résidence et un soutien en Guyane, pour elle-même et l'enfant. Elle avait vécu avec ses parents (et deux enfants guyaniens) ainsi que ses frères et soeurs avant de quitter pour le Canada et la preuve n'a pas démontré qu'elle ne pourrait pas le faire de nouveau.

[19]            Toutefois, puisque l'agent CH semble avoir radié la demande dès le départ en raison d'un manque de [traduction] « preuve » selon laquelle Mme Persaud avait réellement un enfant, je ne puis accepter le fait que l'intérêt supérieur de l'enfant ait fait l'objet de l'examen compatissant et minutieux requis.


                                                                ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la demande soit par la présente accueillie et que l'affaire soit renvoyée à un autre agent pour qu'il statue à nouveau sur l'affaire. Aucune question n'est certifiée.

« Richard G. Mosley »

                                                                                                                                                     Juge                         

Traduction certifiée conforme

Christian Laroche, LL.B.


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                                    IMM-8285-03

INTITULÉ :                                                                   JENNY PERSAUD

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                                            TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                                           LE 5 OCTOBRE 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                                  LE JUGE MOSLEY

DATE DES MOTIFS :                                                 LE 6 OCTOBRE 2004

COMPARUTIONS :

Lorne Waldman                                                               POUR LA DEMANDERESSE

Marcel Larouche                                                              POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Waldman & Associates                                                    POUR LA DEMANDERESSE

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg                                                            POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

                                               


                               COUR FÉDÉRALE

Date : 20041006

Dossier : IMM-8285-03

ENTRE :

JENNY PERSAUD

                                                                        demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

                                                                      

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE

                                                                      


 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.