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Date : 20040805

Dossier : IMM-3132-03

Référence : 2004 CF 1069

Ottawa (Ontario), le jeudi 5 août 2004

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE DAWSON

ENTRE :

                    LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                 demandeur

                                                                        et

                                                         SATISH SHARMA

MAYA SHARMA

                                                                                                                                 défendeurs

                           MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LA JUGE DAWSON


[1]                La présente demande de contrôle judiciaire porte sur la question de savoir si la Section d'appel de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a commis une erreur susceptible de contrôle lorsqu'elle a conclu que la manière dont les défendeurs ont adopté Yamini Sharma en Inde était conforme aux dispositions de la Hindu Adoptions and Maintenance Act, 1956 (la HAMA).

[2]                La Commission a eu raison d'appliquer les dispositions de l'ancienne loi et de l'ancien règlement sur l'immigration à l'appel. La présente demande doit elle aussi être tranchée conformément aux dispositions de l'ancienne loi et de l'ancien règlement. Voir : article 192 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, et paragraphe 348(6) du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le règlement actuel).

[3]                La définition du terme « adopté » qu'on trouve à l'article 2 du Règlement sur l'immigration de 1978, DORS/78-172 est la suivante : _ Personne adoptée conformément aux lois d'une province ou d'un pays étranger ou de toute subdivision politique de celui-ci, dont l'adoption crée avec l'adoptant un véritable lien de filiation. La présente définition exclut la personne adoptée dans le but d'obtenir son admission au Canada ou celle d'une personne apparentée. _ La question centrale que la Commission devait trancher à la lumière des faits de la présente affaire était de savoir si l'adoption était conforme aux lois de l'Inde et, plus précisément, à la HAMA, étant donné que seule la mère biologique de l'enfant, Kiran Sharma, avait consenti à l'adoption. Le père de l'enfant n'avait pas donné son consentement à l'adoption.


[4]                Les dispositions applicables de la HAMA ne sont pas contestées et sont rédigées de la façon suivante :

[traduction]

5(1) Après l'entrée en vigueur de la présente loi, toutes les adoptions effectuées par des Hindous devront se faire conformément aux dispositions du présent chapitre, et toute adoption effectuée en violation des dispositions en question sera frappée de nullité.

6 Conditions de validité d'une adoption-

Pour que l'adoption soit valide :

[...](ii) la personne qui donne l'enfant en adoption doit avoir la capacité de le faire;

9 Personnes ayant la capacité de donner un enfant en adoption -

(1) Seuls le père, la mère ou le tuteur d'un enfant ont la capacité de donner l'enfant en adoption.

(2) Sous réserve des dispositions [des paragraphes (3) et (4)], le père, s'il est en vie, peut à lui seul donner l'enfant en adoption [...]

(3) La mère peut donner l'enfant en adoption si le père est décédé ou s'il s'est totalement et définitivement retiré du monde ou a cessé d'être un Hindou ou a été déclaré aliéné mental par un tribunal compétent.

(4) Lorsque le père et la mère sont tous les deux décédés ou se sont tous les deux totalement et définitivement retirés du monde ou ont été déclarés aliénés mentaux par un tribunal compétent ou lorsque les parents de l'enfant sont inconnus, le tuteur de l'enfant peut donner l'enfant en adoption à une autre personne ou l'adopter lui-mêmeaprès avoir obtenu l'autorisation préalable de la cour. [Non souligné dans l'original.]

[5]                Dans ses motifs, la Commission a dit ce qui suit au sujet de cette question :

[29]          Deux avis juridiques indiquent que l'adoption est valide en droit. Le premier a été obtenu par Mme Sharma en 2001, après que celle-ci a été informée du refus. Les deux avis ont été formulés par des avocats en Inde, plus précisément par un avocat d'Agra et par un autre d'Aligarh; ce dernier est l'auteur de l'opinion émise en 2003. Les deux avocats soutiennent que la HAMA a été respectée et que l'adoption est valide sur le plan formel.   

[30]          En me fondant sur ces opinions, même si le droit de donner un enfant en adoption est conféré au père naturel, je suis d'avis que ce droit n'est pas absolu. L'article 9 de la HAMA indique que les personnes aptes à donner leur enfant en adoption sont le père et la mère ou bien le tuteur de l'enfant, mais il prévoit aussi des exceptions. Je conclus à l'existence d'une preuve crédible montrant que la garde légale complète et la tutelle appartiennent exclusivement à la mère naturelle.

[31]          En l'espèce, je conclus, en me fondant sur la preuve tirée des deux avis juridiques, que la mère naturelle a la capacité de donner la requérante en adoption.


[6]                Selon mon interprétation de sa décision, la Commission a conclu que le père naturel ne jouissait pas d'un droit absolu de consentir à l'adoption de son enfant en vertu de la HAMA. La Commission a conclu que lorsque la garde légale et la tutelle appartiennent exclusivement à la mère biologique, celle-ci peut consentir à l'adoption. En se fondant sur les avis juridiques qui lui avaient été soumis, la Commission a donc conclu que la mère biologique de Yamini avait la capacité de consentir à l'adoption de sa fille.

[7]                Le droit étranger constitue une question de fait (voir, par exemple, Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Saini, [2002] 1 C.F. 200 (C.A.), paragraphe 26). Il s'ensuit que les conclusions de la Commission selon lesquelles en application de la HAMA un père n'a pas le droit absolu de consentir à l'adoption de son enfant et une mère biologique qui détient exclusivement la garde légale et la tutelle d'un enfant a la capacité de consentir à l'adoption de celui-ci sont des conclusions de fait. Il faut donc faire preuve d'une grande retenue à leur égard. La Cour ne peut substituer ses propres conclusions aux conclusions de fait de la Commission que si ces dernières ont été tirées de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont la Commission disposait.


[8]                Je me pencherai donc maintenant sur la question de savoir si la conclusion principale de la Commission selon laquelle une mère biologique qui détient exclusivement la garde légale et la tutelle d'un enfant a la capacité de consentir à l'adoption de celui-ci est étayée par la preuve dont elle disposait.

[9]                La preuve invoquée par la Commission à l'appui de sa conclusion consistait en deux avis juridiques émanant d'avocats indiens. Le premier avis portait sur trois questions, et une de ces questions a été décrite comme étant de savoir si [traduction] _ seul le père a la capacité de donner l'enfant en adoption _. Le passage pertinent de l'avis est reproduit intégralement ci-dessous :

[traduction]

POINT No 2 : Les personnes ayant la capacité de donner un enfant en adoption sont énumérées à l'article 9 de la Hindu Adoption and Maintenance Act 1956. Le père, la mère ou le tuteur d'un enfant ont la capacité de donner l'enfant en adoption. Dans la présente affaire, le père a abandonné l'enfant et sa mère. Le mariage a été dissous par un décret portant le numéro de pétition matrimoniale 378/1986 en date du 23.07.1987 : Balendra Sharma c. Smt Kiran. Le père ne s'est jamais occupé de l'enfant. L'enfant a été élevé et éduqué par la mère seulement, même avant la prise d'effet du décret de dissolution. Les dossiers scolaires le confirment clairement. Le père n'ayant pas rencontré l'enfant et n'ayant pas donné signe de vie au cours des sept années qui ont suivi la prise d'effet du décret en question, il serait présumé décédé au moment de l'adoption. La mère est la tutrice de l'enfant et en a la garde en application de l'article 4 de la Guardians and Wards Act et de l'article 10 de la Hindu Adoption and Maintenance Act. La mère naturelle a toujours eu la garde de l'enfant avant l'adoption, et elle a le droit de transférer l'enfant conformément à l'article 11 de la Hindu Adoption and Maintenance Act 1956.


[10]            À première vue, l'avis était donc fondé sur la prémisse voulant que le père biologique, dont on n'avait pas eu de nouvelles depuis plusieurs années, soit présumé décédé. Ceci serait compatible avec le paragraphe 9(3) de la HAMA, qui permet à la mère de consentir à l'adoption si le père est décédé. Toutefois, le dossier dont était saisie la Commission comprenait des notes prises par un agent des visas lors de l'entrevue de Kiran Sharma, la mère de Yamini. Au cours de cette entrevue, Kiran Sharma a dit que le père de Yamini s'était remarié, avait des enfants et [traduction] _ vivait avec sa famille _. À mon humble avis, il était abusif de la part de la Commission de se fonder sur le premier avis sans à tout le moins se demander si la présomption de décès sur laquelle il reposait avait été réfutée par le fait qu'il avait été reconnu que le père était en vie et était donc en mesure de consentir à l'adoption de son enfant. À cet égard, la Commission a déjà conclu dans d'autres affaires que la présomption de décès constituait une question de procédure et était ainsi régie par le droit canadien. Voir : Gill c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1991] D.S.A.I. no 40; Parhar c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] D.S.A.I. no 221. En droit canadien, la présomption de décès est réfutable, et le fait de prouver que la personne concernée est en vie est suffisant pour la réfuter.

[11]            Le second avis sur lequel s'est fondée la Commission émanait d'un avocat dont les services avaient été retenus pour mener à bien l'adoption. Cet avis énonce résolument que l'enfant a été adopté conformément aux dispositions de la HAMA. On y ajoute que l'avocat [traduction] _ a examiné les documents de divorce ainsi que le document conférant la garde de Yamini Sharma à Kiran Sharma _. Cet avis est silencieux sur la question de savoir comment on a satisfait aux exigences du paragraphe 9(3) de la HAMA et, compte tenu du libellé particulier du paragraphe 9(3) de la HAMA, il n'étaie pas la conclusion de la Commission selon laquelle une mère qui détient exclusivement la garde légale et la tutelle d'un enfant a la capacité de consentir à l'adoption de l'enfant lorsque le père biologique de celui-ci est en vie et n'a pas consenti à l'adoption.


[12]            Il s'ensuit donc, à mon avis, que la conclusion de la Commission voulant qu'une mère qui détient exclusivement la garde légale et la tutelle d'un enfant ait la capacité de consentir à l'adoption n'était pas étayée par la preuve. La décision de la Commission doit par conséquent être annulée, et l'affaire doit être renvoyée à un tribunal différemment constitué de la Commission pour nouvel examen.

[13]            Avant d'en finir avec la présente demande, je tiens à souligner que le nouvel examen sera assujetti aux dispositions de l'ancienne loi et de l'ancien règlement (voir le paragraphe 350(5) du règlement actuel). Selon toute vraisemblance, une telle audition serait une procédure de novo, dans le cadre de laquelle la Commission pourrait tenir compte d'éléments qui n'étaient pas à la disposition de l'agent des visas. Voir : Pabla c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), (2000), 98 F.T.R. 112 (C.F. 1re inst.), qui renvoie à Rattan c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1995), 73 F.T.R. 195 (C.F. 1re inst.). Dans les circonstances, il serait sage de la part des défendeurs de déterminer s'ils auront le droit de soumettre de nouveaux éléments de preuve à la Commission et, le cas échéant, d'étudier la possibilité d'obtenir un avis juridique plus convaincant afin d'aider la Commission dans sa tâche.

[14]            Les parties n'ont proposé aucune question aux fins de certification, et je suis convaincue que le présent dossier ne soulève aucune question de portée générale.


ORDONNANCE

[15]            LA COUR ORDONNE :

1.          La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

2.          La décision de la Section d'appel de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié en date du 27 mars 2003 est annulée, et l'affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour qu'il l'examine à nouveau.

_ Eleanor R. Dawson _

                                                                                                                                           Juge                         

Traduction certifiée conforme

Aleksandra Koziorowska, LL.B.


                                                        COUR FÉDÉRALE

                                         AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                           IMM-3132-03

INTITULÉ :                                          LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

c.

SATISH SHARMA, MAYA SHARMA

LIEU DE L'AUDIENCE :                   REGINA (SASKATCHEWAN)

DATE DE L'AUDIENCE :                  LE 17 JUIN 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                         LA JUGE DAWSON

DATE DES MOTIFS :                        LE 5 AOÛT 2004

COMPARUTIONS:

Glennys Bambridge                                 POUR LE DEMANDEUR

Henri Chabanole                                     POUR LES DÉFENDEURS

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada          POUR LE DEMANDEUR

Merchant Law Group                              POUR LES DÉFENDEURS

Regina (Saskatchewan)

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