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Date : 20060626

Dossier : T‑1138‑05

Référence : 2006 CF 811

Ottawa (Ontario), le 26 juin 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BLAIS

 

ENTRE :

DAVID R. JOLIVET

demandeur

 

et

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

ET LE COMMISSAIRE DU SERVICE CORRECTIONNEL DU CANADA

défendeurs

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire par voie de certiorari de la décision du Service correctionnel du Canada (SCC) de fixer au 20 avril 2011 la date de libération d'office de David R. Jolivet (le demandeur) sous le régime de la Loi sur le transfèrement des délinquants, L.R.C. 1985, ch. T‑15 (la Loi).

 

 

LES FAITS PERTINENTS

[2]               Le demandeur est actuellement détenu à l'Établissement de Mission, pénitencier fédéral canadien à sécurité moyenne, pour des crimes commis au Canada aussi bien qu'aux États-Unis.

 

[3]               Le demandeur a commencé à purger sa peine fédérale canadienne le 20 mars 1979, après avoir été reconnu coupable à deux chefs de vol qualifié. Il s'est évadé le 11 novembre 1984, lors d'une permission de sortie sans escorte.

 

[4]               Le demandeur a été arrêté aux États-Unis le 6 décembre 1984. Il a été condamné en Utah pour enlèvement avec circonstances aggravantes, agression sexuelle, vol qualifié avec circonstances aggravantes et sodomie forcée. On y a prononcé contre lui le 16 avril 1985 une peine d'emprisonnement à perpétuité de durée indéterminée (la peine d'État).

 

[5]               Le 5 décembre 1994, pendant sa détention aux États-Unis, le demandeur a été reconnu coupable à un autre chef, soit celui de tentative d'évasion (la première infraction fédérale), et a été condamné à une peine de 41 mois d'emprisonnement à purger consécutivement à la peine d'État.

 

[6]               Le 5 janvier 1995, le demandeur a été déclaré coupable à deux autres chefs, soit ceux d'intimidation et représailles envers un fonctionnaire fédéral et d'envoi de lettres de menaces. Il a été condamné pour ces infractions à une peine supplémentaire de 36 mois d'emprisonnement, à purger consécutivement à ses autres peines (la deuxième peine fédérale).

[7]               Le demandeur a ensuite présenté une demande de transfèrement à un établissement canadien pour y purger le reste de ses peines canadienne et américaine. Avant le transfèrement vers le Canada, le SCC a avisé le demandeur que s'il revenait au Canada, il y purgerait une peine d'emprisonnement à perpétuité qui commencerait à courir le 18 avril 1985. Le 17 juillet 2003, le demandeur a signé la formule de vérification de son consentement au transfèrement vers le Canada pour y purger le reste de sa peine.

 

[8]               Le demandeur a été transféré au Canada le 23 juillet 2003. À ce moment, les peines américaines du demandeur étaient de durée indéterminée et étaient considérées par le SCC comme une peine d'emprisonnement à perpétuité.

 

[9]               Le 21 mai 2004, la Commission de la réhabilitation (Board of Pardons) de l'Utah a tenu une audition concernant la peine d'État prononcée contre le demandeur et a décidé que le mandat de dépôt de ce dernier expirerait le 12 février 2009, commuant ainsi sa peine de durée indéterminée en une peine de durée déterminée.

 

[10]           Par suite de la commutation de la peine américaine de durée indéterminée en une peine de durée déterminée, la date de libération d'office du demandeur été fixée au 20 avril 2011.

LES QUESTIONS EN LITIGE

[11]                    1. Le SCC a‑t‑il commis une erreur dans la détermination de la date de libération d'office du demandeur?

2. Le SCC a‑t‑il commis une erreur en décidant que les peines fédérales seraient purgées consécutivement et non concurremment à la nouvelle peine d'État?

 

 

ANALYSE

[12]           S'il est vrai que la Loi sur le transfèrement des délinquants a été abrogée et remplacée par la Loi sur le transfèrement international des délinquants, L.R.C. 2004, ch. 21, cette dernière n'était pas encore en vigueur lorsque le demandeur a été transféré au Canada en 2003. Par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire doit être examinée sous le régime de la Loi sur le transfèrement des délinquants. Les dispositions pertinentes de cette loi sont les suivantes :

4. Lorsqu'un délinquant canadien est transféré au Canada, sa déclaration de culpabilité et sa sentence, le cas échéant, par un tribunal de l'État étranger d'où il est transféré sont présumées être celles qu'un tribunal canadien compétent lui aurait imposées pour une infraction criminelle.

 

11. Il est tenu compte pour le délinquant canadien transféré au Canada, au jour du transfèrement, du temps véritablement passé en détention et des remises de peine que lui a accordées l'État étranger dont un tribunal l'a condamné.

 

 

11.1(1) Si le délinquant canadien transféré au Canada est détenu dans un pénitencier, la date de sa libération d'office est celle à laquelle il a purgé la partie de la peine qu'il lui reste à purger conformément à l'article 11, moins :

 

 

a) d'une part, toute réduction de peine que lui a accordée l'État étranger

 

 

b) d'autre part, le tiers de la partie de la peine qu'il lui reste à purger, une fois déduite toute réduction de peine visée à l'alinéa a).

 

(2) Si le délinquant canadien transféré au Canada est détenu dans une prison, la date de sa libération d'office est celle à laquelle il a purgé la partie de la peine qu'il lui reste à purger conformément à l'article 11, moins :

 

 

a) d'une part, toute réduction de peine que lui a accordée l'État étranger;

 

b) d'autre part, la réduction de peine méritée sur la partie de la peine qu'il lui reste à purger, une fois déduite toute réduction de peine visée à l'alinéa a).

 

12 Sous réserve des articles 11 et 11.1, le délinquant canadien transféré au Canada est assujetti à la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition ou à la Loi sur les prisons et les maisons de correction, selon le cas, comme s'il avait été condamné au Canada et si la peine lui y avait été infligée.

4. Where a Canadian offender is transferred to Canada, his finding of guilt and sentence, if any, by a court of the foreign state from which he is transferred is deemed to be a finding of guilt and a sentence imposed by a court of competent jurisdiction in Canada for a criminal offence.

 

11. A Canadian offender transferred to Canada shall, at the date of the transfer, be credited with any time toward completion of a sentence imposed by a court of a foreign state that, at that date, had actually been spent in confinement in the foreign state or that was credited, by the foreign state, towards completion of the sentence.

 

11.1(1) Where a Canadian offender transferred to Canada is detained in a penitentiary, the offender is entitled to be released on statutory release on the day on which the offender has served the portion of the sentence that remains to be served after deducting the portion of the sentence with which the offender was credited in accordance with section 11

 

a) any credits, given by the foreign state, towards release before the expiration of the sentence; and

 

b) one third of the portion of the sentence that remains to be served after deducting the portion referred to in paragraph (a).

 

(2) Where a Canadian offender transferred to Canada is detained in a prison, the offender is entitled to be released on the day on which the offender has served the portion of the sentence that remains to be served after deducting the portion with which the offender was credited in accordance with section 11 less

 

a) any credits, given by the foreign state, towards release before the expiration of the sentence;

 

b) the amount of any remission granted, pursuant to the Prisons and Reformatories Act, on the portion of the sentence that remains to be served after deducting the portion referred to in paragraph (a).

 

12 Subject to sections 11 and 11.1, a Canadian offender transferred to Canada is subject to the Corrections and Conditional Release Act or the Prisons and Reformatories Act, as the case may be, as if the offender had been convicted and the sentence imposed by a court in Canada.

 

 

[13]           Les dispositions pertinentes de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, ch. 20, sont les suivantes :

127(3) La date de libération d'office d'un individu condamné à une peine d'emprisonnement le 1er novembre 1992 ou par la suite est, sous réserve des autres dispositions du présent article, celle où il a purgé les deux tiers de sa peine.

 

 

127(3) Subject to this section, the statutory release date of an offender sentenced on or after November 1, 1992 to imprisonment for one or more offences is the day on which the offender completes two thirds of the sentence.

 

 

1. Le SCC a‑t‑il commis une erreur dans la détermination de la date de libération d'office du demandeur?

[14]           Comme on l'a vu plus haut, le paragraphe 127(3) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition dispose que la date de libération d'office d'un détenu est celle où il a purgé les deux tiers de sa peine. Le demandeur soutient que la période dont il faudrait soustraire les deux tiers est celle qui a commencé avec le début de sa peine en Utah. Le SCC aurait donc selon lui commis une erreur en soustrayant les deux tiers de la période ayant commencé au moment de son arrivée au Canada par suite du transfèrement.

 

[15]           C'est exactement la même question que la Cour d'appel fédérale a récemment examinée dans Charron c. Canada (Procureur général) 2005 CAF 442. La Cour d'appel a expliqué les dispositions législatives régissant les dates de libération d'office et exposé ses conclusions sur cette question aux paragraphes 18, 19, 25, 26 et 28 :

L'article 4 de la Loi sur le transfèrement établit une présomption selon laquelle, lors du transfert d'un détenu des États-Unis au Canada, la peine imposée aux États-Unis devient une peine canadienne. En outre, l'article 12 de cette Loi prévoit que le détenu transféré au Canada, sous réserve des articles 11 et 11.1, est assujetti, inter alia, à la Loi sur le système correctionnel, comme s'il avait été condamné au Canada et comme si la peine lui y avait été infligée.

 

Par ailleurs, l'article 11.1 de la Loi, en dérogation du régime applicable à un détenu condamné au Canada, prévoit que la date de libération d'office d'un détenu condamné aux États-Unis sera non pas la date où il aura purgé les deux tiers de sa peine (paragraphe 127(3) de la Loi sur le système correctionnel), mais plutôt la date qui correspondra aux deux tiers du temps à purger entre la date du transfèrement, soit l'arrivée du détenu au Canada, et sa date de fin de mandat, une fois soustraites les remises de peine et les réductions de peine (article 11 et 11.1) accordées par l'État étranger.

 

Je commence par l'article 11.1 de la Loi sur le transfèrement, qui constitue une exception en ce qui concerne le calcul de la date d'éligibilité d'un détenu à la libération d'office. En effet, selon cette disposition, le calcul de la date d'éligibilité à la libération conditionnelle d'un détenu canadien, condamné aux États-Unis et transféré au Canada avant l'expiration de sa peine, correspondra non pas aux deux tiers de sa sentence, comme le prévoit le paragraphe 127(3) de la Loi sur le système correctionnel, mais correspondra plutôt aux deux tiers du temps restant à purger entre la date de son arrivée au Canada et la date de fin de mandat, calculées selon les articles 11 et 11.1 de cette Loi.

 

En raison de cette exception à la règle prévue au paragraphe 127(3) de la Loi sur le système correctionnel, la date de libération d'office d'un détenu canadien transféré au Canada sera toujours postérieure à son transfèrement. Sans cette exception, un tel détenu qui, par exemple, aurait purgé plus des deux tiers de sa peine américaine avant d'être transféré au Canada, serait libéré automatiquement lors de son arrivée au Canada, s'il était assujetti au paragraphe 127(3) de la Loi sur le système correctionnel.

 

Il est bon de se rappeler qu'en vertu de l'article 4 de la Loi sur le transfèrement, la peine américaine est gérée comme si elle avait été imposée par un tribunal canadien. Nonobstant cette présomption que la peine est  réputée être une peine canadienne, elle est néanmoins assujettie, en raison de l'article 12 de la Loi sur le transfèrement, aux articles 11 et 11.1 de cette Loi pour le calcul de la date d'éligibilité à la libération d'office.

 

[16]           Vu la conclusion de la Cour d'appel selon laquelle les deux tiers doivent être soustraits de la période commençant avec l'arrivée du détenu au Canada, je conclus que le SCC n'a pas commis d'erreur dans sa détermination de la date de libération d'office du demandeur.

 

2. Le SCC a‑t‑il commis une erreur en décidant que les peines fédérales seraient purgées consécutivement et non concurremment à la nouvelle peine d'État?

 

[17]           Le demandeur soutient que tous les participants au processus de transfèrement international avaient auparavant convenu que ses peines fédérales américaines de six ans et demi seraient confondues avec sa peine d'emprisonnement à perpétuité de l'Utah au moment de son transfèrement vers le Canada. Il devait donc selon lui purger sa peine fédérale concurremment avec sa peine d'État d'emprisonnement à perpétuité. Cependant, une fois que le demandeur eut été transféré au Canada, sa peine d'État a été commuée en une peine de 25 ans. Le demandeur fait valoir que, bien que sa peine d'État eût changé, les participants au processus de transfèrement international avaient déjà convenu qu'il purgerait sa peine fédérale concurremment à sa peine d'État. Par conséquent, conclut‑il, le SCC a commis une erreur en décidant qu'il devrait purger ses peines fédérales consécutivement et non concurremment à ladite peine d'État.

 

[18]           Je ne puis souscrire au raisonnement du demandeur. Au moment de son transfèrement, il avait été condamné à une peine d'État de durée indéterminée et à deux peines fédérales. Or, comme il n'existe pas au Canada de peine de durée indéterminée, son transfèrement était subordonné à la condition qu'il purgeât au Canada une peine d'emprisonnement à perpétuité. La question de savoir s'il purgerait les peines fédérales consécutivement ou concurremment à la peine d'État ne se posait donc pas. Les deux peines fédérales additionnelles étaient dénuées d'effet concret, puisqu'il avait été condamné à une peine d'emprisonnement à perpétuité. Cependant, après le transfert du demandeur au Canada, l'Utah a commué sa peine de durée indéterminée en une peine de durée déterminée de 25 ans. L'Utah a le droit de changer la peine d'État du demandeur. Selon le paragraphe 11.1(1) de la Loi sur le transfèrement des délinquants, le Canada doit se conformer à la réduction de la peine d'État prononcée par l'Utah.

 

[19]           Les mandats de dépôt portent expressément que la première et la deuxième peines fédérales doivent être purgées consécutivement à la peine d'État. Le demandeur fait valoir qu'il n'aurait pas consenti au transfèrement s'il avait su qu'il devrait purger les peines fédérales consécutivement à ladite peine d'État. Cependant, cet argument est sans objet puisque le demandeur, au moment du transfèrement, avait à purger une peine d'emprisonnement à perpétuité et non une peine de durée déterminée de 25 ans. Cette dernière n'a été prononcée qu'après le transfèrement. La question de savoir si le demandeur aurait ou non consenti au transfèrement sachant que les peines fédérales devraient être purgées consécutivement à la peine d'État est sans conséquence, étant donné que la peine d'État de durée déterminée n'entrait même pas en ligne de compte au moment du transfèrement.

 

[20]           La décision de l'Utah de commuer la peine du demandeur en une peine de durée déterminée a été rendue après son transfèrement au Canada. Le demandeur a admis à l'audience que, une fois transféré au Canada, il était tout à fait improbable que, après sa libération, il soit jamais autorisé à retourner aux États-Unis. L'État d'Utah avait connaissance de ce fait au moment où il a décidé de commuer la peine du demandeur en une peine de durée déterminée. Le demandeur ne fait que spéculer en faisant valoir que, s'il était resté aux États-Unis, il aurait été libéré plus tôt.

 

[21]           Le SCC n'a pas commis d'erreur dans l'application de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition en établissant la date de libération d'office du demandeur.

 


 

JUGEMENT

 

 

La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 

 

 

 

« Pierre Blais »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIER :                                        T‑1138‑05

 

INTITULÉ :                                       DAVID R. JOLIVET

                                                            c.

                                                            LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA ET LE COMMISSAIRE DU SERVICE CORRECTIONNEL DU CANADA

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                 VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

 

DATE DE L'AUDIENCE :               LE 17 MAI 2005

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LE JUGE BLAIS

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 26 JUIN 2006

 

COMPARUTIONS :

 

David Jolivet (plaidant pour lui-même)

 

POUR LE DEMANDEUR

Edward Burnet

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

David Jolivet (plaidant pour lui-même)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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