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Date : 20060713

Dossier : T-1050-05

Référence : 2006 CF 877

ENTRE :

SIMONE SHERMAN

demanderesse

et

 

AGENCE DES DOUANES ET DU REVENU DU CANADA

défenderesse

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE SIMPSON

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire visant la décision prise par la défenderesse, le 19 mai 2005, de ne pas verser à la demanderesse un salaire correspondant à un travail à temps plein pendant la période où elle apporterait les changements découlant des mesures d’adaptation requises pour le handicap de celle‑ci. La demanderesse demande à la Cour de déclarer que la défenderesse n’a pas mis en œuvre la décision d’un réviseur indépendant en refusant de lui accorder un salaire et des avantages correspondant à un travail à temps plein depuis sa réintégration et d’enjoindre à la défenderesse, par voie de mandamus, d’appliquer cette décision.

 


LE CONTEXTE

 

[2]               Entrée au service de la défenderesse en 1985, la demanderesse travaillait comme spécialiste de la vérification du commerce électronique (SVCE) depuis 1988. En 1994, elle est devenue incapable d’effectuer son travail à cause de lésions dues à des efforts répétés au bras, aux épaules et au cou. Elle a quitté son travail et a reçu des indemnités pour accident du travail. Lorsqu’elle a fait savoir qu’elle était prête à retourner au travail en 1995, la défenderesse et la Commission des accidents du travail de l’Ontario (CAT) ont voulu l’affecter à un autre poste, mais elle a refusé.

 

[3]               En janvier 1996, un agent de réintégration de la CAT a ordonné que la demanderesse reprenne son ancien poste de SVCE. Cet agent a statué que la défenderesse avait l’obligation de prendre des mesures d’adaptation pour permettre la réintégration de la demanderesse dans ce poste.

 

[4]               La demanderesse a repris le travail à la suite de cette décision. Elle travaillait quatre heures par jour en attendant que les mesures d’adaptation soient prises. Son gestionnaire a retenu les services d’une firme d’experts en ergonomie, la Neil Squire Foundation (NSF). Cette firme a rédigé deux rapports sur la situation de la demanderesse qui contenaient des recommandations détaillées sur les changements requis en fonction de son handicap. La demanderesse a continué de travailler quatre heures par jour en attendant la mise en œuvre de ces recommandations.

 

[5]               En 1996, le gestionnaire de la demanderesse a été remplacé par une personne qui a refusé de mettre en œuvre les recommandations de la NSF parce que, d’après elle, les mesures d’adaptation qui y étaient proposées n’étaient pas nécessaires. La nouvelle gestionnaire a aussi essayé de convaincre la demanderesse d’accepter un autre poste. Le 3 septembre 1997, la défenderesse a réduit le salaire de la demanderesse de 7,5 heures par jour à 4 heures par jour afin de tenir compte des heures réellement travaillées. Cette décision a fait l’objet d’un grief qui est toujours en instance.

 

[6]               La défenderesse a ensuite chargé un expert‑conseil, Mike Arnold, de donner suite aux recommandations de la NSF. M. Arnold a fait savoir à la défenderesse que la demanderesse ne serait jamais en mesure de reprendre le travail à temps plein. Se fondant sur cette opinion, la défenderesse a ordonné à la demanderesse de quitter son travail et d’obtenir une évaluation médicale. La demanderesse a été suspendue sans traitement pour [traduction] « manque de précision sur le plan médical ». Cette décision a aussi fait l’objet d’un grief qui est toujours en instance.

 

[7]               La nouvelle gestionnaire voulait que la demanderesse se soumette à une évaluation de ses capacités fonctionnelles (ECF), mais celle‑ci a refusé parce qu’elle n’était pas d’accord avec les exigences professionnelles sur lesquelles cette évaluation devait être fondée. La demanderesse a plutôt proposé de passer un test qui mesurerait sa capacité d’effectuer les tâches qui, d’après elle, étaient celles d’une SVCE.

 

[8]               En avril 1999, la demanderesse a été congédiée pour avoir refusé de se soumettre à l’ECF. Elle a déposé un grief concernant son congédiement et a été réintégrée par la haute direction parce qu’elle n’avait pas été avisée qu’elle serait congédiée si elle ne se soumettait pas à l’ECF. La demanderesse a continué de refuser l’ECF et elle a été congédiée une deuxième fois en août 2000. Elle a déposé un grief concernant son congédiement et a demandé, en avril 2001, que son cas fasse l’objet d’une révision par un tiers indépendant, une procédure constituant essentiellement un arbitrage régi par la Loi sur l’Agence des douanes et du revenu du Canada, L.C. 1999, ch. 17.

 

La décision du réviseur indépendant

 

[9]               La révision indépendante a débuté le 5 novembre 2001 et l’audition des dépositions orales a duré 19 jours. Des observations écrites ont ensuite été déposées et la décision a été rendue le 26 février 2003. Le réviseur indépendant a conclu sa décision par l’ordre suivant :

[traduction] … j’ordonne que Mme Simone Sherman soit réintégrée dans son poste d’origine en qualité de vérificatrice SVCE, à la date du 28 août 2000. Il y a également lieu de noter qu’il découle de mes conclusions que les obligations qu’avait l’employeur de prendre des mesures d’adaptation pour que Mme Sherman occupe ce poste n’ont pas été remplies et que, par conséquent, ces obligations demeureront en vigueur après sa réintégration.

 

Je conclus également que cette réintégration doit s’accompagner du versement de tous les salaires et avantages auxquels aurait eu droit Mme Sherman si elle n’avait pas été mise à pied et avait continué de travailler à titre de vérificatrice au sein de l’ADRC après le 28 août 2000. (p. 89 du dossier de la demanderesse)

 

[10]           La défenderesse était d’avis que la demanderesse devait, suivant la décision du réviseur indépendant, être rémunérée à un taux de quatre heures par jour. L’avocat de la demanderesse a demandé au réviseur de clarifier son ordre. Le réviseur a apporté les précisions suivantes le 5 février 2004 :

[traduction] … elle doit être réintégrée dans son poste initial qui était un poste à temps plein et le salaire rétroactif et les avantages doivent être calculés en conséquence.

 

[11]           La demanderesse a demandé à la Cour fédérale de rendre une ordonnance de mandamus obligeant la défenderesse à lui verser un salaire rétroactif pour la période précédant sa réintégration, conformément à la décision du réviseur indépendant, calculé en fonction d’un travail à temps plein, soit 7,5 heures par jour. Le juge von Finckenstein a accueilli cette demande le 3 février 2005. La demanderesse a intenté une action pour outrage relativement à l’exécution de cette décision par la défenderesse.

 

La période suivant la réintégration

 

[12]           Dans une lettre datée du 22 janvier 2004, la défenderesse a demandé à la demanderesse de retourner au travail le 2 février 2004 (la date de retour). Le 28 janvier 2004, le médecin de la demanderesse a écrit à la défenderesse pour lui dire qu’il serait déconseillé et imprudent pour la demanderesse de retourner au travail avant que ses besoins en matière ergonomique aient été correctement évalués et que des mesures d’adaptation aient été prises. La demanderesse n’est pas retournée travailler parce qu’aucune mesure d’adaptation n’avait été prise.

 

[13]           En juin 2004, la défenderesse a retenu les services d’une spécialiste de l’adaptation, Marla Rosenfeld. Celle‑ci a déterminé que, comme la demanderesse ne travaillait pas depuis juin 1998, elle était gravement déconditionnée et avait besoin de temps pour se réadapter au travail à temps plein. Sur les conseils de Mme Rosenfeld, la demanderesse a entrepris une formation sur le maintien de l’employabilité. De plus, Mme Rosenfeld a effectué une évaluation ergonomique du poste de travail de la demanderesse et a conclu que l’équipement et les installations existants ne convenaient pas et devaient être remplacés. Les travaux nécessaires à cette fin ont été effectués.

 

[14]           La demanderesse est retournée au travail en janvier 2005. Elle travaillait alors 2 heures par jour, 3 jours par semaine, sous la direction de Mme Rosenfeld. Le 4 avril 2005, elle a commencé à travailler 2,5 heures par jour, 3 jours par semaine, et le 16 mai suivant, 3 heures par jour, 3 jours par semaine. Dans l’affidavit qu’elle a signé le 3 juillet 2005, elle déclare qu’elle dispose d’un poste de travail comprenant une chaise et un ordinateur adaptés à ses besoins. Mme Rosenfeld indique dans son affidavit du 29 juin 2005 que, bien que son but soit d’aider la demanderesse à atteindre son potentiel fonctionnel maximal, elle ignore toujours ce que sera ce potentiel. Aussi, elle n’a pas encore pensé aux adaptations qui pourraient devoir être apportées ailleurs que dans l’environnement de travail immédiat de la demanderesse.

 

[15]           Depuis la date de retour, la demanderesse a été rémunérée comme si elle travaillait 20 heures par semaine, même si elle n’a jamais travaillé plus de 9 heures par semaine. Elle prétend cependant avoir droit à un salaire correspondant à un travail à temps plein (7,5 heures par jour) depuis la date de retour.

 

LA QUESTION EN LITIGE

 

[16]           La question bien précise que je dois trancher en l’espèce consiste à décider si la défenderesse a l’obligation de verser à la demanderesse un salaire correspondant à un travail à temps plein (sans égard au nombre d’heures réellement travaillées) à compter de la date de retour jusqu’à ce que les changements requis en fonction de son handicap soient apportés.

 

ANALYSE

 

[17]           À mon avis, les points de vue divergents des parties sur l’effet de la décision du réviseur indépendant sont au cœur du litige. L’avocat de la demanderesse a reconnu, dans sa plaidoirie, que le réviseur indépendant n’a rien ordonné quant au montant à verser à la demanderesse après sa réintégration et, en outre, qu’un tel réviseur n’a pas compétence pour fixer cette rémunération. La demanderesse soutient cependant que, étant donné que le réviseur indépendant a conclu que la défenderesse avait agi de mauvaise foi et avait manqué à son obligation de prendre des mesures d’adaptation et qu’il a ordonné qu’elle soit réintégrée dans un poste à temps plein, il faut nécessairement en déduire qu’il a imposé à la défenderesse l’obligation de rémunérer la demanderesse comme si elle travaillait à temps plein durant la période postérieure à sa réintégration pendant laquelle on procédait aux mesures d’adaptation requises. L’avocat de la demanderesse a toutefois admis que sa thèse n’était fondée sur aucune décision judiciaire.

 

[18]           La défenderesse fait valoir qu’elle n’a pas l’obligation de verser à la demanderesse un salaire correspondant à un travail à temps plein et que, si une telle obligation existe, elle doit être claire pour que l’ordonnance de mandamus demandée puisse être rendue. Selon elle, on ne peut pas dire que la décision du réviseur indépendant crée clairement une obligation puisqu’un réviseur n’a pas compétence pour fixer la rémunération à verser après la réintégration.

 

CONCLUSION

 

[19]           Les prétentions de la demanderesse ne m’ont pas convaincue. Étant donné qu’un réviseur n’a pas compétence pour fixer la rémunération postérieure à la réintégration, il me faut nécessairement conclure que la décision rendue par le réviseur indépendant ne peut imposer une obligation à la défenderesse quant à la rémunération qui doit être versée à la demanderesse après sa réintégration. À mon avis, il faut considérer la décision du réviseur indépendant comme la dernière étape d’un processus dans le cadre duquel une faute a été évaluée et constatée et un redressement a été accordé. La décision du réviseur indépendant et la faute qu’il a constatée n’ont plus aucune importance une fois que la demanderesse a été réintégrée, qu’elle reçoit un salaire rétroactif et qu’elle a droit à des mesures d’adaptation. En d’autres termes, la demanderesse est devenue, à compter de sa réintégration, une employée ayant les mêmes droits que les employés comparables qui ont été blessés dans le lieu de travail. Son salaire, ses avantages et ses autres droits devaient être traités comme ceux de tout autre employé handicapé se trouvant dans sa situation qui est retourné au travail et à l’égard duquel des mesures d’adaptation devaient être prises.

 

[20]           Pour ces motifs, la demande de jugement déclaratoire et de mandamus sera rejetée.

 

 

 

« Sandra J. Simpson »

Juge

 

Ottawa (Ontario)

Le 13 juillet 2006

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Lynne Davidson-Fournier, traductrice-conseil


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                             T-1050-05

 

INTITULÉ :                                                           SIMONE SHERMAN

                                                                                c.

                                                            AGENCE DES DOUANES

                                                            ET DU REVENU DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                     TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                   LE 18 MAI 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                 LA JUGE SANDRA J. SIMPSON

 

DATE DES MOTIFS :                                          LE 13 JUILLET 2006

 

 

COMPARUTIONS :

 

Steven Welchner                                                       POUR LA DEMANDERESSE

 

Chris Leafloor et Joseph Cheng                                 POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Steven Welchner                                                       POUR LA DEMANDERESSE

 

John H. Sims, c.r.                                                     POUR LA DÉFENDERESSE

Sous-procureur général du Canada

 

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