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Date : 20040713

Dossier : ITA-8785-00

Référence : 2004 CF 980

Ottawa (Ontario), le 13 juillet 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BLANCHARD

ENTRE :

                                   Affaire intéressant la Loi de l'impôt sur le revenu et

                                             une ou plusieurs cotisations établies par

                                           le ministre du Revenu national en vertu de

                       la Loi de l'impôt sur le revenu, du Régime de pensions du Canada,

de la Loi sur l'assurance-emploi ou de la Loi de l'impôt sur le revenu

contre :

                                                           Swiftsure Taxi Co. Ltd.

                                                            151 Haliburton Street

                                                                 Nanaimo (C.-B.)

                                                                      V9R 4V9

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE BLANCHARD


[1]                Dans la présente requête, la demanderesse, Swiftsure Taxi Co. Ltd., sollicite une ordonnance interdisant au ministre du Revenu national (le défendeur) d'enlever ou de saisir physiquement par ailleurs les biens de la demanderesse avant la tenue de l'instruction visant à déterminer le montant de certaines dettes fiscales dont elle est redevable. La demanderesse sollicite un sursis à l'exécution des mesures de recouvrement fondées sur trois certificats se rapportant aux années d'imposition 1997, 1998, 1999, 2000 et 2001. Au 28 mai 2004, le solde total des retenues salariales non remises de la demanderesse pour les années d'imposition en question s'élevait à 115 369 $. Les certificats ont été enregistrés à la Cour fédérale respectivement les 16 mars 1999, 25 septembre 2000 et 20 mai 2004. La requête est fondée sur l'article 398 des Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106, et ses modifications (les Règles).

[2]                Après avoir rendu un jugement sur consentement, la Cour canadienne de l'impôt a ordonné, le 18 décembre 2001, que les cotisations relatives aux années 1997, 1998 et 1999 soient renvoyées pour nouvel examen et nouvelle cotisation par le défendeur au motif que la demanderesse avait droit à un calcul des primes d'assurance-emploi fondé sur le salaire net de ses employés plutôt que sur le salaire brut. Par suite de la nouvelle cotisation, le solde de la dette de la demanderesse au titre des retenues à la source a été sensiblement réduit conformément aux avis envoyés relativement à chaque nouvelle cotisation.

[3]                Le défendeur prépare actuellement une nouvelle cotisation relative aux retenues à la source de la demanderesse pour les années d'imposition 2000 et 2001 conformément au jugement de la Cour canadienne de l'impôt en date du 18 décembre 2001, mais la finalisation des nouvelles cotisations est assujettie à la condition que la demanderesse fournisse tout nouveau renseignement qu'elle possède au plus tard le 10 juillet 2004.

[4]                Malgré la réduction importante de la dette au titre des retenues à la source par suite de la nouvelle cotisation relative aux années d'imposition 1997, 1998 et 1999 et les réductions correspondantes des pénalités et intérêts connexes, la demanderesse a toujours l'intention de contester les pénalités et intérêts exigés devant la Cour canadienne de l'impôt. À cette fin, elle invoque une lettre datée du 27 novembre 2001 dans laquelle l'avocat du ministère de la Justice a mentionné que [TRADUCTION] « les pénalités et intérêts suivent le principe [sic] ... » et que [TRADUCTION] « les pénalités et intérêts connexes dans la présente affaire devraient suivre l'issue de la cause et seront supprimés » . La demanderesse conteste également la nouvelle cotisation établie par le défendeur à l'égard des années d'imposition 2000 et 2001. Elle reconnaît néanmoins devoir un montant de 13 590,13 $ au titre des retenues à la source et est disposée à verser ce montant à la Cour.

[5]                Après l'audition de la requête de la demanderesse, le défendeur a demandé l'autorisation de présenter en preuve l'affidavit de John Bradshaw en réponse à celui d'Anup Sing Keung, lequel a été signé et déposé le jour même de l'audience suivant le consentement des parties. La demanderesse ne s'est pas opposée au dépôt de l'affidavit de John Bradshaw et celui-ci a été reçu en preuve.


[6]                Dans son affidavit, John Bradshaw confirme qu'il était l'huissier ayant exécuté contre la débitrice par jugement, la demanderesse aux présentes, un bref de saisie et de vente de la Cour fédérale conformément aux certificats susmentionnés. Les biens saisis ont été laissés à la demanderesse lorsque celle-ci a signé un engagement par lequel elle convenait de détenir les biens pour le compte de l'huissier et de les délivrer sur demande.

[7]                Il appert de l'affidavit de Bradshaw que la demanderesse avait vendu deux véhicules figurant sur la liste de l'engagement du dépositaire sans que l'huissier soit avisé ou y consente, contrairement à l'engagement en question.

[8]                En réponse, la demanderesse soutient que les véhicules ont été vendus à leur valeur de rebut, parce qu'ils avaient atteint la fin de leur vie utile. Elle admet qu'elle a eu tort de vendre les véhicules sans le consentement de l'huissier et affirme que les véhicules en question ont été remplacés par de nouveaux véhicules qui ont une plus grande valeur et qui pourraient également être saisis par le défendeur. En conséquence, elle fait valoir que le défendeur n'a pas été lésé par la vente.


[9]                La Cour fédérale a déjà décidé ce qui suit : « Une requête en sursis, comme celle qui nous intéresse en l'espèce, n'est accueillie que dans le seul cas où il y a saisie des biens meubles ou immeubles d'un contribuable qui s'est opposé à la cotisation ou a interjeté appel dans les délais, et où la vente des biens saisis, intervenue avant le jugement définitif sur le montant dû, peut être préjudiciable au contribuable » [voir R. c. Rumball, [1981] C.C.I. 9 (C.F. 1re inst.). Dans la présente affaire, j'estime que la demanderesse s'est opposée à la cotisation dans les délais prescrits. Comme je l'indique également plus loin dans mon analyse, je suis également d'avis que la saisie et la vente des biens de la demanderesse causeront un préjudice à la contribuable avant la détermination définitive de la dette réelle.

[10]            Pour déterminer s'il y a lieu de faire droit à une demande de sursis, la Cour applique le critère en trois étapes énoncé dans RJR-MacDonald Inc. c. Canada (P.G.), [1994] 1 R.C.S. 311. La demanderesse doit démontrer qu'il existe une question sérieuse à trancher, qu'un préjudice irréparable sera causé si la réparation n'est pas accordée et que la prépondérance des inconvénients la favorise.

[11]            Au cours de l'audience, l'avocat du défendeur a admis que la demanderesse avait établi l'existence d'une question sérieuse à trancher en l'espèce. Après avoir examiné sommairement le fond du litige, je suis d'avis que la question du montant de la dette au titre des retenues à la source est effectivement une question réelle que doit trancher la Cour canadienne de l'impôt, notamment en ce qui a trait aux années d'imposition 2000 et 2001. Bien que la validité des certificats ne soit pas contestée devant la Cour, je reconnais que la décision finale que la Cour canadienne de l'impôt prendra à ce sujet peut toucher le montant des certificats actuellement enregistrés à la Cour fédérale.


[12]            Pour les besoins de la présente demande d'injonction interlocutoire, j'accepterai l'engagement de la demanderesse à déposer des procédures visant à contester la validité des certificats enregistrés à la Cour fédérale. Étant donné que le défendeur a indiqué clairement son intention de poursuivre ses démarches relatives au recouvrement, j'estime que l'affaire est suffisamment urgente pour justifier l'utilisation de la procédure prévue aux articles 372 et 373 des Règles. Compte tenu de l'engagement de la demanderesse, je suis d'avis que j'ai compétence pour statuer sur la demande d'injonction interlocutoire dont je suis saisi.

[13]            Les certificats sont enregistrés à la Cour fédérale sur la foi de cotisations établies par le ministre. La demanderesse a contesté avec succès devant la Cour canadienne de l'impôt les cotisations se rapportant à certaines des années d'imposition en cause. Par conséquent, les certificats découlant des nouvelles cotisations s'y rapportant ont été modifiés, c'est-à-dire que les montants des certificats ont été abaissés en fonction des nouvelles cotisations. Les autres années d'imposition en litige sont également contestées devant la Cour canadienne de l'impôt. Dans ces circonstances, j'estime que la demande visant à contester la validité des certificats devant la Cour soulève une question sérieuse à trancher.


[14]            Le défendeur admet également que la demanderesse subira un préjudice si la demande de sursis est refusée, mais ajoute que le préjudice en question ne serait pas irréparable, puisque la demanderesse pourrait recouvrer des dommages-intérêts et une indemnisation complète si la décision éventuelle sur le fond n'est pas conforme au résultat de la demande d'injonction interlocutoire. Je ne suis pas d'accord avec le défendeur. Il appert de la preuve de la demanderesse que les biens susceptibles d'être saisis comprennent de l'ameublement de bureau, l'immeuble abritant l'entreprise, du matériel radio et des plaques d'immatriculation de véhicules automobiles. Il est coûteux et difficile de remplacer des plaques d'immatriculation perdues. La demanderesse soutient, avec raison selon moi, que la saisie de ces biens l'obligera à fermer ses portes. À mon avis, il s'agit d'un préjudice qu'il est difficile de quantifier en termes pécuniaires et qui ne peut être réparé par l'octroi de dommages-intérêts. La demanderesse a donc établi le deuxième volet du critère, soit l'existence d'un préjudice irréparable.

[15]            Dans Manitoba (Procureur général) c. Metropolitan Stores (MTS) Ltd., [1987] 1 R.C.S. 110, à la page 111, le juge Beetz a décrit comme suit le troisième volet du critère à appliquer : « ...consiste à déterminer laquelle des deux parties subira le plus grand préjudice selon que l'on accorde ou refuse une injonction interlocutoire en attendant une décision sur le fond » .

[16]            En vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu, L.R.C. 1985 (5e suppl.), ch. 1 (la Loi), l'autorité publique, le ministre, a pour mission de promouvoir et de protéger l'intérêt public en veillant à ce que les dispositions de la Loi soient appliquées de manière équitable et uniforme. L'activité de recouvrement reprochée a été entreprise dans le cadre de cette responsabilité. En vertu de la Loi, les retenues à la source doivent être déduites et remises. Les rédacteurs de la Loi ont spécifiquement exempté la dette au titre des retenues à la source de l'application des dispositions relatives à la suspension de 90 jours (paragraphe 225.1(6)). Compte tenu de la nature de la disposition législative et du traitement précis des suspensions dans la Loi, j'estime que l'application continue de celle-ci crée manifestement un avantage favorable à l'intérêt public.

[17]            Il importe de contrebalancer l'intérêt public susmentionné avec le préjudice que la demanderesse subira, soit la probabilité qu'elle perde son entreprise si les biens sont saisis. À prime abord, il semble s'agir en l'espèce d'un cas d' « exemption » plutôt que d'un « cas de suspension » , comme l'a dit le juge Beetz dans Metropolitan Stores, précité. La demanderesse demande une exemption de l'application des dispositions de la Loi qui concernent le recouvrement jusqu'à ce que l'affaire soit tranchée de façon définitive. Il appert de la jurisprudence susmentionnée que les facteurs liés à l'intérêt public ont moins de poids dans les cas d'exemption que dans les cas de suspension, où l'application de la disposition de la loi ou du règlement est effectivement suspendue. Tel n'est pas le cas en l'espèce, puisque les circonstances sont propres à la demanderesse. La Cour canadienne de l'impôt a déjà ordonné au défendeur d'établir une nouvelle cotisation à l'encontre de la demanderesse relativement à trois des années d'imposition en cause et ces nouvelles cotisations ont donné lieu à une diminution considérable de la dette de la demanderesse au titre des retenues à la source. À mon avis, le fait de soustraire la demanderesse aux activités de recouvrement du défendeur jusqu'à la décision définitive ne nuira pas dans ces circonstances à l'application générale de la loi.

[18]            Eu égard à la preuve, j'en arrive donc à la conclusion que la prépondérance des inconvénients favorise la demanderesse.


[19]            La nouvelle preuve que le défendeur a présentée au sujet de la vente des deux véhicules à leur valeur de rebut ne touche pas mon appréciation des circonstances ou ma conclusion. En tout état de cause, ce n'est pas dans le cadre de la présente requête que la faute de la demanderesse peut être examinée.


[20]            La demanderesse ayant établi le critère en trois étapes énoncé dans l'arrêt RJR-Macdonald Inc., précité, j'accueillerai la requête en partie dans le cadre de l'exercice de mon pouvoir discrétionnaire. Les biens saisis et tous les biens pouvant être saisis en application des certificats demeureront saisis conformément aux conditions de l'engagement du dépositaire. Il est interdit au défendeur de vendre ou d'aliéner par ailleurs les biens avant l'issue de l'instance que la demanderesse engagera devant la Cour fédérale pour contester la validité des certificats enregistrés auprès de celle-ci. La demanderesse pourra continuer à utiliser les biens saisis dans le cadre de ses activités commerciales, comme c'est le cas à l'heure actuelle. De plus, l'ordonnance faisant partiellement droit à la requête est assujettie aux conditions suivantes : (1) la demanderesse doit, dans les dix jours suivant la présente ordonnance, engager une instance devant la Cour afin de contester la validité des certificats enregistrés à la Cour fédérale et déposer en même temps un engagement conformément au paragraphe 373(2) des Règles de la Cour fédérale (1998); (2) la demanderesse doit procéder rapidement dans l'instance engagée devant la Cour canadienne de l'impôt et celle qui le sera devant la Cour fédérale. En cas de retard indu de la demanderesse à cet égard, le défendeur pourra présenter une requête devant un juge de la Cour fédérale afin de faire lever la présente injonction interlocutoire; (3) de plus, la demanderesse doit payer au défendeur, dans les dix jours suivant la présente ordonnance, la somme de 13 590,13 $, soit le montant que la demanderesse a reconnu devoir au titre de ses retenues à la source. Si la Cour ne reçoit pas une attestation écrite de ce paiement dans les dix jours qui suivent, l'injonction deviendra automatiquement nulle.

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.         La requête est accueillie en partie.

2.          Les biens saisis et tous les autres biens pouvant être saisis en application des certificats demeureront saisis conformément aux conditions de l'engagement du dépositaire. Le défendeur ne peut vendre ou aliéner par ailleurs les biens avant l'issue de l'instance que la demanderesse engagera devant la Cour fédérale pour contester la validité des certificats enregistrés auprès de celle-ci. La demanderesse pourra continuer à utiliser les biens saisis dans le cadre de ses activités commerciales, comme c'est le cas à l'heure actuelle.

3.          La présente ordonnance est assujettie aux conditions énoncées au paragraphe [20] des motifs de l'ordonnance qui précèdent.

                                                                                                                      « Edmond P. Blanchard »             

                                                                                                                                                     Juge                              

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                        ITA-8785-00

INTITULÉ :                                                       Affaire intéressant la Loi de l'impôt sur le revenu

et

Swiftsure Taxi Company Ltd.

LIEU DE L'AUDIENCE :                                 Vancouver (C.-B.)

DATE DE L'AUDIENCE :                               le 5 juillet 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                       LE JUGE BLANCHARD

DATE DES MOTIFS :                                      le 13 juillet 2004

COMPARUTIONS :

Stanley Foo                                                          POUR LA DEMANDERESSE

Dave Everett                                                        POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Foo & Company                                                  POUR LA DEMANDERESSE

Avocats

Vancouver (C.-B.)

Morris Rosenberg                                                 POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ont.)


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