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                                                                                                                                           Date : 20030627

                                                                                                                               Dossier : IMM-456-02

                                                                                                                        Référence : 2003 CFPI 806

Ottawa (Ontario), le 27 juin 2003

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BLANCHARD

ENTRE :

                                                                 AKHTAR ARFAN

                                                                 JABEEN FAKHRA

                                                                 AKHTAR NTASHA

                                                                 AKHTAR AYISHA

                                                    AKHTAR MOHAMAD AHMAR

                                                                                                                                                   demandeurs

                                                                              - et -

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

Introduction

[1]                 Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire de la décision de rejet prononcée par la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) le 22 janvier 2002. La Commission a déclaré que les demandeurs n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention.


Les faits

[2]                 M. Akhtar Arfan (le demandeur), un citoyen pakistanais de 38 ans, a revendiqué le statut de réfugié pour le motif qu'il était persécuté en raison de ses opinions politiques, en tant que membre et partisan de la Pakistan Muslim League (PML). Les membres de sa famille revendiquent le statut de réfugié en tant que membres d'un groupe social particulier et fondent leurs revendications sur celle du demandeur. La famille du demandeur comprend son épouse, Mme Fakhra Jabeen, et trois enfants mineurs, Ntasha, Ayisha et Mohamad Akhtar.

[3]                 Dans son Formulaire de renseignements personnels (FRP), le demandeur déclare être devenu membre de la Muslim Students Federation pendant qu'il étudiait à l'université et qu'il est officiellement devenu membre de la PML en 1989. Pendant qu'il exploitait un magasin de distribution de médicaments avec son frère, le demandeur a activement appuyé le PML au cours des élections de 1990 et de 1993. En 1996, le gouvernement de Benazir Bhutto, chef du Pakistan People's Party, a annoncé qu'il y aurait des élections au mois de février 1997.

[4]                 Le demandeur affirme que le président de quartier l'a nommé responsable des candidats de la PML dans le quartier et l'a chargé de tenir des réunions, de faire du porte-à-porte et de poser des affiches. Le jour de l'élection tenue en 1997, le demandeur a travaillé en tant qu'agent de scrutin et devait veiller à empêcher les votes frauduleux. La PML a gagné les élections et Nawaz Sharif est devenu le premier ministre.


[5]                 Le 12 octobre 1999, le général Musharraf a pris le contrôle du pays et arrêté le premier ministre. Le demandeur et d'autres partisans de la PML ont publiquement protesté contre ce coup d'État le 29 novembre 1999. Les policiers ont fait une descente chez lui le 30 novembre 1999 et ils l'ont détenu pendant trois jours. Il a été torturé par des policiers qui lui ont asséné des coups de crosse de fusil sur le pied. Les médecins qui l'ont pris en charge ont décidé de lui amputer plusieurs orteils et le demandeur est resté 40 jours à l'hôpital. Le demandeur affirme que les policiers ont nié l'avoir jamais détenu.

[6]                 Le demandeur a déclaré qu'il avait pris du temps avant de pouvoir reprendre sa vie normale. Il était rempli de haine et de ressentiment à l'égard de la police et des autorités militaires.

[7]                 Le 6 avril 2000, Nawaz Sharif a été condamné à l'emprisonnement à perpétuité. La PML a décidé de manifester contre cette décision que le demandeur a critiquée publiquement. Celui-ci déclare que le 26 mai 2000, il s'est joint à une manifestation, à laquelle participait l'épouse de Nawaz Sharif, à Lahore, au cours de laquelle il a été arrêté puis remis en liberté. Le demandeur a témoigné que le 28 juillet 2000, la police lui avait demandé de cesser ses activités mais que cela ne l'a pas empêché de continuer à critiquer le régime le 28 juillet et le 20 septembre 2000.


[8]                 Le 12 octobre 2000, un an après le coup d'État militaire, le demandeur a participé à une marche de protestation sur Islamabad. La police a arrêté le défilé et a demandé aux marcheurs de rentrer chez eux. Lorsque les marcheurs ont poursuivi leur route, les policiers ont lancé sur eux des gaz lacrymogènes. Le demandeur s'est rendu à Lahore pour demeurer avec des membres de sa famille. Il a découvert par la suite que la police s'était rendue chez lui et qu'il avait fait l'objet d'un mandat d'arrestation et d'un rapport de renseignements préliminaires pour avoir incité la foule à manifester contre le gouvernement. Le demandeur et sa famille ont alors quitté le pays et sont arrivés au Canada le 25 octobre 2000.

La décision de la Commission

[9]                 La Commission a conclu que le demandeur n'était pas un réfugié au sens de la Convention. Elle a conclu que le témoignage du demandeur avait manqué de spontanéité tout au long de l'audience, qu'il avait fallu lui poser plusieurs fois les mêmes questions et qu'il n'avait pas été possible d'obtenir des réponses claires. Lorsque la Commission a interrogé le demandeur au sujet de ses activités en tant qu'organisateur de campagne pour les élections de 1997, il a répondu en termes généraux en disant qu'il avait fait du porte-à-porte, qu'il avait posé des affiches et organisé des réunions. La Commission mentionne que le demandeur n'a pu dire combien il y avait de bureaux de scrutin dans le district de Sialkot où son candidat se présentait mais que « [il avait] par la suite modifié son récit, puis ajouté qu'il était seulement responsable de son quartier » .

[10]            La Commission a noté que le demandeur avait donné une description un peu plus crédible de ses activités alléguées d'agent de bureau de scrutin. Le tribunal n'a toutefois pas conclu que la façon dont le revendicateur avait décrit ces activités indiquait qu'il représentait une menace pour ses adversaires politiques ou pour le gouvernement. La Commission a mentionné que le demandeur avait peut-être agi en qualité d'agent de scrutin mais ne pensait pas qu'il était un membre actif de la PML, comme il le prétendait.


[11]            La Commission a noté que l'événement qui a incité le demandeur à quitter son pays était la manifestation du 12 octobre 2000. La Commission a noté que cette manifestation faisait suite à une interdiction des manifestations publiques par le gouvernement et a demandé au demandeur comment un tel défilé pouvait être « pacifique » , étant donné qu'il était interdit et elle mentionne que le demandeur « est resté muet » .

[12]            La Commission a noté que le demandeur avait déclaré qu'il avait été bouleversé et terrifié lorsqu'il a appris que la police avait déposé un rapport de renseignements préliminaires contre lui. La Commission lui a demandé pourquoi il n'avait pas essayé de quitter le pays après avoir été torturé et mutilé en 1999. La Commission affirme avoir été étonnée d'entendre la réponse du demandeur, à savoir qu'il n'était pas facile de quitter sa famille et son entreprise, et que « l'avenir ne lui paraissait pas aussi sombre à ce moment-là » . La Commission a estimé que le demandeur n'était pas crédible sur ce point; elle a déclaré à la page 3 de sa décision :

... Il semble plutôt invraisemblable qu'à la suite d'une agression physique aussi traumatisante nécessitant une convalescence de plus d'un mois à l'hôpital et une réadaptation de plusieurs mois, le revendicateur ne pense qu'à « reprendre une vie normale » et à recommencer ses activités politiques publiques à peine trois mois plus tard, courant dans les rues, esquivant sans cesse les attaques policières (le 6 avril, le 25 mai, le 28 juillet, le 10 septembre et le 12 octobre 2000) » tout en marchant avec des béquilles et en continuant d'exploiter parallèlement une importante entreprise de distribution de médicaments...


[13]            La Commission a estimé que le fait que le revendicateur ait attendu avant de quitter son pays après de telles tortures affaiblissait son allégation de crainte subjective et jetait un sérieux doute sur sa version des faits. La Commission a déclaré qu'elle ne croyait pas que le demandeur avait perdu ses orteils parce qu'il avait été torturé par la police, ni qu'il avait participé aux événements mentionnés ci-dessus.

[14]            La Commission a déclaré qu'elle ne croyait pas que la police ou les autorités militaires voulaient arrêter le demandeur, et que, par conséquent, elle n'accordait aucune valeur probante aux documents présentés à cet effet. Elle a rejeté la revendication présentée par le demandeur et les membres de sa famille.

Questions en litige

[15]            Le demandeur soulève les questions suivantes dans le cadre de la demande de contrôle judiciaire :

a)         La Commission a-t-elle rendu une décision manifestement déraisonnable lorsqu'elle a conclu :

(i)          que le demandeur avait fourni des réponses « générales » au sujet des responsabilités qu'il avait assumées au cours de la campagne électorale de 1997?

(ii)        que le demandeur avait « modifié » son récit décrivant ses responsabilités à l'égard du scrutin?

(iii)       que la manifestation du 12 octobre 1999 n'était pas « pacifique » ?


(iv)       qu'il était impossible que le demandeur ait repris ses activités politiques trois mois après avoir subi ses blessures?

(v)        qu'il était invraisemblable et difficile à croire que le demandeur n'ait pas quitté son pays après avoir subi de graves blessures au pied et qu'il l'ait fait après qu'on ait déposé contre lui de fausses accusations et émis un mandat d'arrestation?

b)         La Commission a-t-elle commis une erreur en basant sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des preuves présentées?

La norme de contrôle

[16]            Le demandeur conteste les conclusions de fait et les conclusions portant sur sa crédibilité. L'appréciation de la crédibilité doit être assimilée à une question de fait et il est bien établi que la norme de contrôle applicable à une conclusion de fait est celle du caractère manifestement déraisonnable de la conclusion en question. Conkova c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. n ° 300 (QL), Syndicat canadien de la fonction publique, section local 302 c. Ville de Montréal, [1997] 1 R.C.S. 793, à la page 844. Pour ce qui est de la norme de contrôle applicable aux conclusions en matière de crédibilité fondées sur l'appréciation de la vraisemblance d'une déclaration, la Cour d'appel fédérale a déclaré dans Aguebor c. M.E.I. [1993] A.C.F. n ° 732 (QL), (1993), 160 N.R. 315, à la page 316 : « ... dans la mesure où les inférences que le tribunal tire ne sont pas déraisonnables au point d'attirer notre intervention, ses conclusions sont à l'abri du contrôle judiciaire » .


Analyse

[17]            Au sujet de la conclusion de la Commission selon laquelle son témoignage était imprécis et pas suffisamment détaillé, le demandeur soutient qu'il a répondu correctement et de façon détaillée à toutes les questions que lui a posées la présidente du tribunal. Le demandeur fait remarquer que la transcription contient des éléments qu'il n'est pas possible de qualifier de « généraux » . Le demandeur déclare qu'il a relaté qu'il avait fait du porte-à-porte pour demander aux gens d'appuyer son candidat, qu'il avait organisé des réunions et qu'il avait fait ce que lui demandait son candidat, avec l'aide d'autres membres actifs de son organisation. Le demandeur soutient que, dans les circonstances, la présidente de l'audience ne peut attaquer sa crédibilité pour le motif que son témoignage n'était pas suffisamment détaillé.

[18]            J'ai lu les passages de la transcription des débats concernant la façon dont le demandeur a décrit ses activités politiques et j'estime que la Commission a commis une erreur lorsqu'elle a conclu que le demandeur avait fourni des réponses « générales » . Le demandeur a répondu aux questions que lui a posées la présidente et celle-ci n'a pas indiqué à l'audience qu'elle souhaitait avoir d'autres détails. En fait, la présidente a demandé à plusieurs reprises au demandeur, dans son préambule aux questions qu'elle lui posait, de répondre « brièvement » . Par conséquent, après avoir examiné la transcription des débats de la Commission, je conclus que le tribunal a commis une erreur lorsqu'il a conclu que la description qu'avait faite le revendicateur de ses activités politiques était « générale » et par conséquent, insuffisante.


[19]            Le demandeur soutient qu'il n'a pas « modifié » sa version comme l'affirme la Commission et que l'exposé narratif de son FRP est conforme au témoignage qu'il a fourni à l'audience. Le demandeur affirme qu'il a déclaré dans son FRP qu'il était responsable de la campagne électorale des candidats de la PML dans son quartier et que, le jour de l'élection, il a été nommé agent de scrutin pour les candidats de la PML qui se présentaient dans les bureaux de scrutin de son secteur. À l'audience, le demandeur mentionne qu'il ne connaissait pas le nombre total des bureaux de scrutin de son quartier mais qu'il était responsable de deux bureaux de scrutin, un pour chaque sexe.

[20]            Dans sa décision, la Commission a déclaré :

Le revendicateur a dit qu'il avait organisé ces réunions sur les conseils de son président. Le revendicateur a été incapable de réponse à la question de savoir combien il y avait de bureaux de scrutin dans le district de Sialkot où son candidat se présentait. Il a par la suite modifié son récit, puis ajouté qu'il était seulement responsable de son quartier.

[21]            La transcription de l'audience indique que le demandeur a déclaré que « son quartier était le numéro 25 » et qu'il était responsable de la campagne électorale des deux candidats qui se présentaient dans sa circonscription électorale, l'un sur le plan provincial et l'autre sur le plan national. Il a déclaré qu'on lui avait confié les fonctions d' « agent électoral, pour le jour de l'élection » . Il a également déclaré qu'il avait été chargé de veiller à ce que le scrutin commence à l'heure prévue le jour de l'élection.

[22]            La transcription de l'audience contient l'échange suivant :

[traduction]

(Présidente) Q. : Combien y avait-il de bureaux de scrutin pour ce candidat?


R. : Vous voulez savoir dans mon quartier?

Q. : Eh bien, pour ce candidat, combien y avait-il de bureau de scrutin, si vous le savez?

R. : Deux.

(Avocat du revendicateur) Q. : À quel secteur faites-vous référence lorsque vous dite « deux » , monsieur?

R. : Il y a deux écoles. L'une était réservée aux hommes et l'autre aux femmes.

Q. : Dans quel secteur se trouvaient-elles?

R. : Dans mon quartier, monsieur.

Q. : Dans votre quartier, il y en avait deux : un pour les hommes et un pour les femmes.

R. : Oui.

Q. : Très bien.

...

(La présidente)

Q. : Ce n'était pas la question que j'ai posée il y a un instant. Je demandais combien il y avait de bureaux de scrutin pour votre - eh bien, (inaudible) suivent deux prénoms, mais disons (inaudible), l'assemblée provinciale, vous étiez agent de ce candidat, comme vous le dites ici. Il y avait donc deux bureaux de scrutin dans votre quartier. Combien y avait-il de bureaux de scrutin pour ce candidat en général?

(La commissaire)

Q. : Connaissez-vous ce chiffre?

R. : Je ne sais pas, madame.

[23]            La preuve documentaire n'indique pas vraiment la façon dont les élections étaient organisées. Il semble que la Commission ait pensé que le demandeur aurait dû connaître le nombre des bureaux de scrutin qui avait été prévus pour le jour de l'élection, étant donné qu'il participait à la campagne électorale de ses candidats. Le demandeur a déclaré que son quartier était le numéro 25 et qu'il était responsable de deux bureaux de scrutin le jour de l'élection. La Commission voulait savoir combien il y avait de bureaux de scrutin dans le « district de Sialkot » , où était enregistré son candidat. La preuve n'indique pas comment les districts, les quartiers et les bureaux de scrutin étaient répartis le jour de l'élection.


[24]            J'estime que la Commission a commis une erreur lorsqu'elle a conclu que le demandeur avait « modifié sa version » au sujet du nombre des bureaux de scrutin se trouvant dans son district. Après avoir examiné la preuve, j'estime qu'elle ne contient pas de contradictions qui justifieraient d'en arriver à une conclusion défavorable relative à la crédibilité du demandeur en se fondant sur ce point mineur.

[25]            Dans sa décision, la Commission déclare que le défilé du 12 octobre 1999 (organisé pour marquer le premier anniversaire du régime militaire) devait être « pacifique » , d'après le demandeur, mais que la police avait lancé des gaz lacrymogènes et procédé à des arrestations. La Commission a déclaré :

À la question de savoir si le défilé avait été autorisé, considérant que le gouvernement venait d'interdire les manifestations politiques, le revendicateur a hésité avant de répondre par la négative. Invité à expliquer comment un tel rassemblement pouvait être « pacifique » s'il n'était pas autorisé, le revendicateur est resté muet.

(Non souligné dans l'original)

[26]            Le demandeur soutient que l'affirmation qu'a faite la Commission selon laquelle une manifestation interdite ne peut être pacifique est manifestement déraisonnable. Je retiens cet argument. Le fait qu'une manifestation soit interdite ne veut pas dire qu'elle ne puisse être pacifique. Le demandeur a déclaré que l'intention était de défiler pacifiquement mais que les policiers avaient utilisé des gaz lacrymogènes et procédé à des arrestations. De toute façon, la qualification exacte de la manifestation du 12 octobre ne semble pas être un élément déterminant pour la revendication du demandeur.


[27]            La Commission a déclaré qu'il était invraisemblable que le demandeur ait subi une grave blessure à son pied, demeure à l'hôpital pendant plus d'un mois et reprenne ensuite ses activités politiques publiques « en courant dans les rues, esquivant sans cesse les attaques policières » trois mois seulement après ces faits, à partir du 6 avril 2000. La Commission a également noté que le demandeur se déplaçait avec des béquilles et exploitait parallèlement une entreprise de distribution de médicaments.

[28]            Le demandeur soutient que l'événement du 6 avril 2000 n'était pas un défilé, puisqu'il a déclaré dans l'exposé narratif de son FRP que le 6 avril, la Pakistan Muslim League avait décidé de manifester contre la décision [de condamner Nawaz Sharif à l'emprisonnement à perpétuité] et qu'il avait ouvertement critiqué cette décision et demandé à tous ceux qui l'écoutaient de se joindre à la lutte pour le rétablissement de la démocratie. Le demandeur affirme qu'il ne s'agissait pas d'un « défilé » . Il note qu'à l'audience il a déclaré que son pied avait pris quatre à cinq mois pour guérir et que la manifestation du 25 mai 2000 était la première à laquelle il participait depuis le 30 novembre 1999, date à laquelle il avait subi ses blessures.


[29]            Entre le 30 novembre 1999 et le 6 avril 2000, il s'est écoulé plus de quatre mois, et non trois mois comme l'a noté la Commission. D'après le demandeur, il lui a fallu quatre à cinq mois pour guérir de ses blessures et pour récupérer. Le tribunal a trouvé difficile de croire que le demandeur ait vraiment pu exercer ses activités politiques et participer à ces manifestations comme il l'a relaté, en plus d'exploiter son entreprise familiale. J'estime que la Commission a mal apprécié la preuve sur laquelle elle a fondé sa conclusion relative à la vraisemblance de son témoignage. Le demandeur n'a pas participé à une manifestation et celle-ci a eu lieu quatre et non trois mois après son amputation. Le tribunal en serait peut-être arrivé à une conclusion différente s'il avait correctement apprécié la preuve. J'estime que la Commission a commis une erreur lorsqu'elle a tiré cette déduction négative à l'égard de la vraisemblance du témoignage du demandeur.

[30]            La Commission a déclaré qu'elle ne trouvait pas plausible ni crédible que ce soit au moment où le rapport de renseignements préliminaires a été remis au revendicateur, à son domicile, que celui-ci ait senti que sa « vie était en danger » et non au moment où il aurait été torturé et subi l'amputation de ses orteils l'année précédente.

[31]            Le demandeur soutient que la conclusion de la Commission est manifestement déraisonnable, parce que la délivrance d'un rapport de renseignements préliminaires et d'un mandat d'arrestation voulait dire que la police avait désormais le pouvoir de le placer en détention. Le demandeur soutient que sa crainte d'être détenu était justifiée, compte tenu du traitement qu'il avait subi aux mains de la police au cours de sa détention précédente, ce qui l'avait amené à craindre pour sa vie.

[32]            J'estime que la conclusion à laquelle en est arrivée la Commission au sujet de la vraisemblance de son témoignage est arbitraire et abusive. En novembre 1999, le demandeur avait une connaissance directe du genre de traitement qu'il subirait s'il était détenu, de sorte que lorsque le rapport et le mandat ont été délivrés en 2000, il est raisonnable que le demandeur ait pu s'attendre à un traitement semblable voire pire dans le cas où il serait détenu, et, par conséquent, sa crainte subjective était fondée à ce moment-là.


[33]            Le demandeur a indiqué qu'il pensait à sa famille et à son entreprise et qu'il n'est pas facile de quitter son pays. La Commission n'a pas retenu cette explication. La Commission est tenue de prendre en considération les explications fournies par le demandeur. Ce n'est pas ce qu'elle a fait et sa conclusion est par conséquent erronée.

[34]            La Commission a déclaré qu'il n'était pas vraisemblable que le demandeur décide de s'enfuir du Pakistan lorsqu'il a appris la délivrance du rapport de renseignements préliminaires et du mandat d'arrestation, compte tenu de la façon dont il avait été traité par les policiers antérieurement et du fait qu'il avait été torturé. J'ai déjà décidé que cette conclusion au sujet de la vraisemblance du témoignage du demandeur était arbitraire et abusive et n'était pas compatible avec la preuve présentée à la Commission. Étant donné que cette conclusion erronée est une des principales raisons pour lesquelles la Commission a décidé de rejeter la revendication du statut de réfugié présentée par le demandeur, et compte tenu des autres erreurs contenues dans ses motifs, j'estime que notre Cour se doit d'intervenir. Par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie.

[35]            Les parties ont eu la possibilité de poser une question grave de portée générale comme l'envisage l'alinéa 74d) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, chapitre 27, et ne l'ont pas fait. Je ne certifierai donc pas de question grave de portée générale.


                                                                     ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.         La demande de contrôle judiciaire de la décision de la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié prononcée le 22 janvier 2002 est accueillie.

2.         L'affaire est renvoyée à un tribunal constitué différemment.

3.         Aucune question de portée générale n'est certifiée.

                                                                                                                             « Edmond P. Blanchard »           

                                                                                                                                                                 Juge                             

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                                    COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                               SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                                 AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                               IMM-456-02

INTITULÉ :                                              Akhtar Arfan et al. c. MCI

LIEU DE L'AUDIENCE :                      Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                    le 28 mai 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                           Monsieur le juge Blanchard

DATE DES MOTIFS :                           le 27 juin 2003

COMPARUTIONS :

M. Jean-François Bertrand                                                            POUR LE DEMANDEUR

Jocelyne Murphy                                                                           POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jean-François Bertrand                                                                  POUR LE DEMANDEUR

Montréal (Québec)

Morris Rosenberg                                                                           POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Ministère de la Justice

Montréal (Québec)


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