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Date : 20051209

Dossier : IMM-2201-05

Référence : 2005 CF 1675

Ottawa (Ontario), le 9 décembre 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE W. ANDREW MACKAY

ENTRE :

TSHIJUKA MPIANA

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                La demanderesse, une religieuse catholique romaine et citoyenne de la République démocratique du Congo (la R.D.C.), sollicite le contrôle judiciaire et une ordonnance en annulation d'une décision datée du 17 mars 2005 par laquelle la Section de la protection des réfugiés a rejeté sa revendication du statut de réfugié au sens de la Convention et conclu en outre qu'elle n'est pas une personne à protéger au sens de l'article 97 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.R.C. 2001, ch. 27 (la LIPR).

[2]                La demanderesse était la mère supérieure d'une congrégation de religieuses située à Lumumbashi (province du Katanga), dans la R.D.C. Dans le cadre de ses fonctions, elle se rendait souvent à la prison centrale, appelée « prison Kasapa » , à Lumumbashi, où elle emmenait de la nourriture et des vêtements et cherchait à y conseiller spirituellement les détenus. Bon nombre d'entre eux étaient censément des prisonniers politiques arrêtés et incarcérés pour de présumées activités antigouvernementales. Elle ne s'est d'abord présentée à la prison qu'occasionnellement mais, à partir du début de l'année 2001, elle s'y est rendue une fois par semaine, parfois en compagnie d'autres religieuses, mais surtout seule.

[3]                En février 2001, la police l'a convoquée à l'un de ses postes. Elle y a été interrogée pendant six heures environ, au sujet de ses visites à la prison et de ce que les détenus avaient pu lui divulguer. En raison de ses voeux, elle a refusé de dévoiler les informations obtenues des détenus et, en fin de compte, la police l'a laissée partir en l'avertissant de prendre dorénavant garde à ses activités.

[4]                Elle a continué de se rendre régulièrement à la prison malgré d'autres convocations et interrogatoires de la part de la police en octobre 2001, en mars 2002 et en décembre 2002. Chaque fois, les policiers ont voulu obtenir des renseignements qu'ils croyaient lui avoir été confiés par les détenus de la prison, mais elle a refusé de se prêter à l'exercice. Chaque fois, après des heures d'interrogatoire, les agents l'ont relâchée en l'avertissant de prendre dorénavant garde à ce qu'elle faisait.

[5]                Le traitement de la police l'inquiétait et, en mars 2002, après avoir été relâchée après une dizaine d'heures d'interrogatoire, elle a fait part de ses problèmes au vicaire général de son église. Ce dernier n'a pas offert de l'aider; il a plutôt indiqué qu'il la recontacterait, mais il ne l'a pas fait.

[6]                Quand la police l'a convoquée et interrogée en décembre 2002, on lui a dit que son aide n'était pas requise à la prison, qu'elle devait quitter la province et se rendre à la ville natale de ses parents et qu'elle devait faire plus attention si elle ne voulait pas perdre la vie. Après cela, elle a cessé de se rendre à la prison et a dit à sa congrégation de ne plus y faire de visites.

[7]                Environ sept mois plus tard, en juillet 2003, quatre agents de police ont ordonné à la demanderesse, qui se trouvait au couvent, de les suivre jusqu'à un camp militaire. Là, elle a été longuement interrogée de nouveau, et on lui a dit de révéler tout ce que les détenus de la prison lui avaient confié lors de ses visites antérieures. Elle ne l'a pas fait, mais a finalement été relâchée par les militaires, qui lui ont fait des menaces et des mises en garde au sujet de sa conduite future, comme avant.

[8]                Elle a décidé de prendre un peu de recul pendant un certain temps, et de rendre visite à une soeur qui vivait au Canada. Munie d'une lettre la dégageant de ses responsabilités religieuses et signée par le vicaire général de son église, et l'autorisant à quitter Lumumbashi pendant une période de six mois afin de se rendre au Canada, elle est partie pour le Canada, en passant par l'Afrique du Sud, où elle a séjourné un mois avant d'obtenir un visa de visiteur. Elle est arrivée au Canada le 24 septembre 2003.

[9]                Après son arrivée au pays, elle est demeurée en contact avec les autorités ecclésiastiques de la R.D.C. En décembre 2003, l'une des membres de son ordre de religieuses l'a informée que des agents de police et des agents de sécurité du gouvernement s'enquéraient de ses allées et venues. Les autorités vérifiaient si elle était revenue car elles croyaient que, durant son séjour à l'étranger, elle avait eu des contacts politiques que les autorités jugeaient inacceptables. Elle a également reçu des appels téléphoniques de deux prêtres vivant en R.D.C., qui l'ont avertie qu'ils pensaient que les autorités policières ou gouvernementales l'arrêteraient à son retour. L'un de ces deux prêtres a écrit deux lettres l'exhortant à ne pas revenir en R.D.C., où elle serait probablement maltraitée par les autorités. Les lettres étaient écrites sur du papier ordinaire, et non du papier à en-tête religieux.

[10]            Le tribunal a fondé ses conclusions sur son évaluation de la crédibilité de la demanderesse. À son avis, il n'y avait pas assez de preuves pour établir que cette dernière craignait avec raison d'être persécutée en R.D.C. pour un motif visé par la Convention, ou qu'elle était une personne à protéger.

[11]            À mon avis, même si des conclusions de manque de crédibilité ne sont habituellement pas infirmées au stade du contrôle judiciaire, dans la présente espèce le tribunal s'est fondé sur certaines méprises sous-tendant son appréciation de la crédibilité, et il convient selon moi d'infirmer ses conclusions et de réexaminer le cas de la demanderesse. Voici d'après moi les principales méprises du tribunal :

1)                   La crédibilité des allégations de la demanderesse quant à la convocation, la détention et l'interrogation par la police à Lumumbashi, en raison de ses visites à la prison, aurait été minée par son défaut d'obtenir des preuves corroborantes, même si elle avait été prévenue, avant la tenue de l'audience, de fournir une preuve corroborant les éléments clés de sa revendication. En bref, sa propre déposition a été jugée non crédible, sur son élément clé, non pas à l'égard de son bien-fondé, mais parce qu'il n'y avait pas de preuve documentaire corroborante disponible pour l'étayer.

2)                   Le tribunal n'a accordé aucun poids aux deux lettres écrites sur du papier ordinaire par un prêtre de Lumumbashi qui l'exhortait à ne pas revenir de crainte qu'elle soit arrêtée car, contrairement à la lettre l'autorisant à quitter le pays pour visiter le Canada, ces documents n'avaient pas été rédigés sur du papier à en-tête religieux. Il est loisible au tribunal d'accorder de l'importance aux éléments de preuve comme il l'entend, mais des lettres provenant de personnes différentes devraient être acceptées - ou non - comme revêtant une certaine importance selon leur mérite, et non à la suite d'une comparaison des types de papier employés par leurs auteurs.

3)                   Selon le tribunal, la demanderesse a affirmé qu'il n'y avait pas de liberté de religion dans la R.D.C. Or la demanderesse dit ne pas avoir tenu de tels propos. L'évaluation que le tribunal a faite de la crédibilité de la demanderesse est influencée par sa conclusion, tirée d'éléments de preuve documentaires, selon laquelle le pays jouit de fait d'une grande liberté de religion, et en particulier peut-être pour les membres de l'église dont la demanderesse se réclame. J'admets que cette analyse concernant la liberté religieuse en R.D.C. était sans rapport avec la revendication formulée en l'espèce, puisque cet aspect n'y était pas en litige.

4)                   Il ressort de la preuve documentaire que les services d'un certain nombre d'organismes internationaux et de groupes religieux ont été fournis, sans opposition de la part du gouvernement, aux détenus de la prison de Lumumbashi, mais la demanderesse a déclaré ne pas avoir eu de rapports avec les représentants de ces organismes. Elle a plutôt soutenu n'avoir eu des contacts qu'avec les détenus. En outre, le tribunal s'est fondé sur une preuve documentaire selon laquelle le gouvernement ne ciblait pas les partis d'opposition ou leurs membres. De l'avis du tribunal, ces facteurs ont rendu peu plausible la thèse voulant que la police ou les forces de sécurité aient pris pour cible et harcelé la demanderesse en rapport avec les visites qu'elle rendait à la prison. Étant donné qu'elle n'a pas soutenu avoir fourni des services semblables à ceux d'organismes internationaux ou avoir été politiquement active comme on le serait habituellement dans le cadre d'un parti politique, la pertinence de ces facteurs dans l'examen de sa demande n'est pas selon moi des plus évidentes.

5)                   De l'avis du tribunal, la crédibilité de la demanderesse a de plus été minée par le fait, d'une part, qu'elle n'a pas revendiqué le statut de réfugié durant son séjour en Afrique du Sud, où elle a attendu un mois avant d'obtenir un visa de visiteur au Canada, et, d'autre part, qu'elle a ensuite attendu près de trois mois après son arrivée au Canada pour revendiquer ce statut. Le tribunal a conclu que le fait de n'avoir pas revendiqué le statut plus tôt rendait sa revendication peu plausible et déraisonnable. Cependant, sa revendication, prise en note mais non véritablement évaluée sur le fond par le tribunal, est essentiellement une revendication sur place, qui n'a pris naissance qu'après l'arrivée de la demanderesse au Canada quand, après avoir été renseignée par des amis membres de son église en R.D.C., elle en est venue à craindre de retourner dans son pays parce qu'elle risquait d'y être persécutée.

Il va de soi que nul n'est tenu d'accepter cette prétention, mais celle-ci doit tout de même être évaluée en fonction de la raison pour laquelle elle a été soumise.

Conclusion

[12]            Pour les motifs qui précèdent, lesquels ont trait à des méprises importantes sur la nature de la revendication de la demanderesse ou au manque de pertinence de certains facteurs sur lesquels les conclusions seraient fondées, je conclus qu'il convient d'infirmer la décision en question et de réexaminer la revendication de la demanderesse.

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la décision datée du 17 mars 2005 soit annulée et que la revendication de la demanderesse soit renvoyée à un tribunal différemment constitué de la Section de la protection des réfugiés pour un nouvel examen.

« W. Andrew MacKay »

Juge suppléant

Traduction certifiée conforme

Thanh-Tram Dang, B.C.L., LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                               IMM-2201-05

INTITULÉ :                                              TSHIJUKA MPIANA

                                                                 et

                                                                  LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                        EDMONTON (ALBERTA)

DATE DE L'AUDIENCE :                      LE 7 NOVEMBRE 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :         LE JUGE SUPPLÉANT MACKAY

DATE DES MOTIFS :                             LE 9 DÉCEMBRE 2005

COMPARUTIONS :

Michael Tilleard

POUR LA DEMANDERESSE

Rick Garvin

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

McMenemy & Tilleard

Avocats

10150, 100 Street, bureau 700

Edmonton (Alberta)

T5J 0P6

POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Ministère de la Justice

Edmonton (Alberta)

T5J 3Y4

POUR LE DÉFENDEUR

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