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Date : 20040407

Dossier : T-1057-96

Référence : 2004 CF 528

ENTRE :

                                     AMBROSE MAURICE et MERVIN MAURICE

                                                                                                                                        demandeurs

                                                                          - et -

                                   SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

                                                                 représentée par

                                    LE MINISTRE DES AFFAIRES INDIENNES ET

                                                       DU NORD CANADIEN, et

                                        LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA                

                                                                                                                                          défendeurs

                                                                          - et -

                                        LE RALLIEMENT NATIONAL DES MÉTIS

                                                                                                                                         intervenant

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE HUGESSEN

[1]                Il s'agit d'une requête par laquelle les demandeurs demandent l'autorisation de modifier leur déclaration pour une quatrième fois et de convertir l'action qu'ils ont intentée (il y a presque huit ans) en un recours collectif.


[2]                Dans leur requête, telle qu'elle a été initialement déposée, les demandeurs ont notamment cherché à ajouter la Couronne du chef de la Saskatchewan comme défendeur, mais ils ont maintenant laissé tomber cette demande.

[3]                Les modifications demandées ont une grande portée et constituent un changement complet de l'action initiale, au point de la rendre méconnaissable. Plutôt que de tout simplement ajouter, supprimer ou reformuler certains mots, certaines phrases et certains paragraphes (et d'indiquer les modifications de la manière habituelle par un soulignement ou par des points de suspension) les demandeurs ont réécrit le document au complet.

[4]                Ce qui suit est une version révisée du résumé des faits des demandeurs, lequel, selon eux, a mené au dépôt de la présente requête et en explique la raison :

[traduction]

Les faits :

1) Les demandeurs ont introduit initialement la présente action afin d'étayer la prétention que leur collectivité, la collectivité métis Sapwagamik, a subi et continue de subir des préjudices importants occasionnés par l'installation du polygone de tir aérien de Primrose Lake (polygone de tir) et par le fait qu'ils en sont exclus. Les demandeurs prétendent que la question à trancher en l'espèce concerne leur collectivité. Ils souhaitent continuer à faire valoir la revendication de leur collectivité.

[¼]

2) La demande a été modifiée d'une manière importante par trois modifications successives de telle sorte que, à la troisième et dernière déclaration, elle est devenue une action concernant deux personnes.


3) Les demandeurs étaient initialement mentionnés comme un seul demandeur, Ambrose Maurice et la Metis Society of Saskatchewan Sapwagamik Local 176, la Métis Nation of Saskatchewan et la Métis Society of Saskatchewan. Une série de requêtes ont occasionné des modifications importantes à la désignation des demandeurs. Un demandeur nommé, Mervin Maurice, le fils d'Ambrose Maurice, a été ajouté. La Metis Society of Saskatchewan Sapwagamik Local 176, la Métis Nation of Saskatchewan et la Métis Society of Saskatchewan ont été radiées.

4) Finalement, les seuls demandeurs qui restaient étaient les deux personnes nommées. Elles ont perdu leur qualité de représentant pour le compte de leur collectivité et la collectivité Sapwagamik elle-même a perdu son intérêt. Cela était important parce que la demande repose en grande partie sur le fait que les droits de récolte autochtones de la collectivité métis Sapwagamik et ses droits collectifs ont été violés d'une manière importante en raison de l'installation du polygone de tir.

5) Le fait que le nombre de demandeurs aient été réduit à deux était également important parce que la demande sollicite une déclaration que les défendeurs ont violé le droit des demandeurs à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, garanti par le paragraphe 15(1) de la Charte canadienne des droits et libertés. Depuis l'installation du polygone de tir, les demandeurs ont prétendu que, en tant que collectivité métis, ils auraient dû recevoir le même traitement que les collectivités des Indiens visés par un traité de Cold Lake et de Canoe Lake. La présente demande n'a pas reçu d'appui si on compare le traitement de deux personnes autochtones avec le traitement d'une collectivité autochtone.

6) La réparation réclamée a également été modifiée dans la troisième déclaration afin d'inclure une demande de dommages-intérêts généraux aux demandeurs nommément désignés.

[5]                Je mentionne cet extrait parce qu'il démontre, selon moi, que ce que les demandeurs tentent en effet de faire, c'est de répudier ou de révoquer l'effet de la déclaration initiale et des diverses modifications qu'ils lui ont apportées sur avis de leur avocat et avec l'autorisation de la Cour.


[6]                Les demandeurs ont également omis au moins un fait très important dans leur récit. En 2001, lorsqu'ils ont demandé l'autorisation de déposer la troisième déclaration modifiée, la Couronne a exprimé des craintes en rapport avec le fait que les demandeurs soulèvent des questions litigieuses concernant un titre autochtone pour la première fois au cours du litige. L'avocat qui représentait alors les demandeurs a répondu en m'assurant que la question des droits autochtones n'était mentionnée que comme toile de fond à la prétention de traitement inégal en contravention du paragraphe 15 de la Charte, afin de démontrer que les demandeurs ont été traités injustement en comparaison de leurs voisins qui étaient des Indiens visés par un traité. Par conséquent, en permettant la modification et, en ma qualité de juge responsable de l'instance, j'ai ordonné que l'avocat des demandeurs fasse clairement ressortir ce point et limite la portée de ce qui pourrait autrement être interprété comme étant une revendication historique très vaste (comme c'est précisément le cas dans la présente revendication) en écrivant une lettre à l'avocat de la Couronne qui servirait en effet d'exposé des précisions. Cette lettre, que l'on appelle parfois « lettre d'intention » , est ainsi libellée :

[traduction] Comme vous le savez, la plainte principale de mes clients dans le présent litige est qu'ils n'ont pas reçu un traitement égal à celui réservé aux autres autochtones déplacés de la zone du polygone de tir. Les dommages-intérêts qu'ils réclament dans le présent litige visent à les dédommager pour ce traitement inégal dans la mesure où les autres autochtones ont reçu une indemnisation plus importante quant à leur déplacement sur la foi de critères qui étaient discriminatoires à l'endroit de nos clients, et ce, à l'encontre de l'article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés.

[7]                La présente lettre contraste vivement avec les modifications actuellement demandées. La troisième déclaration modifiée était essentiellement une demande fondée sur l'article 15 de la Charte et sur le traitement discriminatoire de la part du gouvernement à l'égard des demandeurs dans les années1990 quand il a refusé d'accorder aux Métis la même indemnité pour l'expropriation antérieure de leurs terres traditionnelles que celle qu'il consent aujourd'hui à donner aux Indiens. La quatrième déclaration modifiée envisagée est une revendication de titre et de droits autochtones ainsi qu'une revendication d'obligation fiduciaire découlant de l'expropriation initiale du polygone de tir de Primrose Lake en 1954.


[8]                De plus, bien que les demandeurs semblent maintenant souhaiter autrement, la revendication telle qu'elle a initialement été présentée n'était pas un recours collectif, mais plutôt une réclamation en dommages-intérêts faite par des individus. On souhaite maintenant la convertir en recours collectif.

[9]                Un fait additionnel important qui a été omis dans le récit des demandeurs est que, à la suite des modifications de 2001, les parties, sous ma gouverne, ont tenu des interrogatoires au préalable après lesquels une conférence préparatoire a été tenue et à laquelle le nombre de témoins, experts et profanes, les types de preuve envisagée et la durée probable de l'instance ont été examinés. À la fin de cette conférence, une ordonnance visant à faire inscrire l'instance au rôle a été délivrée. Le seul motif pour lequel une date d'instruction n'a pas été fixée est que les demandeurs, ayant changé d'avocat, m'ont demandé de surseoir à l'affaire de telle sorte qu'ils puissent examiner la nécessité d'apporter des modifications à la lumière d'une décision de la Cour suprême du Canada.


[10]            Malgré que la Cour soit, en règle générale, ouverte aux demandes de modification d'actes de procédure, l'autorisation d'appel n'est pas automatique. Une modification ne sera pas accordée si elle cause un préjudice à la partie adverse et que ce préjudice ne peut pas être rapidement compensé par une adjudication de dépens. La tardiveté de l'étape à laquelle une modification est proposée, le nombre et l'importance des modifications, la mesure dans laquelle des positions antérieures sont abandonnées ou modifiées feront manifestement partie des facteurs dont il faudra tenir compte. Il existe également certaines formes de préjudice qui ne peuvent simplement pas être compensées lors de l'adjudication des dépens, même si, contrairement à ce qui se passe d'ordinaire, ces dépens ont été appréciés sur une base avocat-client.


[11]            En l'espèce, selon moi, il ne peut faire de doute que l'accueil des modifications envisagées serait très préjudiciable à la Couronne. À peu près tout le travail qui a été effectué dans la présente action au cours des huit dernières années, les actes de procédure, les documents, les enquêtes préalables et même la préparation de l'instruction, seraient perdus et devraient être refaits ou à tout le moins réévalués. On voit mal comment une ordonnance relative aux dépens pourrait compenser cela. De plus, comme l'objectif principal de l'action a changé d'une manière très importante et que son approche historique est passée des années 1990 aux années 1950, mon expérience dans d'autres causes en matière de droits autochtones me dit que de nombreuses nouvelles recherches historiques, comportant la retenue de services d'expert et des recherches documentaires élaborées, seront presque certainement nécessaires. Les modifications auraient pour effet d'occasionner l'annulation de la lettre de l'ancien avocat que j'ai citée plus haut et qui constituait une condition des modifications de 2001. La proposition de convertir l'instance en un recours collectif soulèvera toute une gamme de nouvelles questions qui devront être étudiées et évaluées. Enfin, les modifications envisagées soulèvent une question sérieuse quant à une restriction possible de l'ensemble ou d'une partie de la revendication des demandeurs; bien que ce fait, en lui-même, ne justifie pas que l'on refuse les modifications, étant donné que la restriction présumée pourrait encore être plaidée en défense, elle constitue un facteur nouveau qui vient compliquer la situation dans une action qui, avant la présente requête, était à la veille d'être instruite.

[12]            La requête sera rejetée. Si la Couronne sollicite des dépens, j'entendrai l'avocat sur cette question lors de la prochaine conférence sur la gestion de l'instance qui se tiendra par audience téléphonique.

                                                                ORDONNANCE

La requête est rejetée, les dépens suivront.

« James K. Hugessen »

Juge

Ottawa (Ontario)                                                                                              

Le 7 avril 2004

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B., trad. a.


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     T-1057-96

INTITULÉ :                                                    AMBROSE MAURICE et al.

c.

SA MAJESTÉ LA REINE et al.

REQUÊTE DÉPOSÉE PAR ÉCRIT CONFORMÉMENT À L'ARTICLE 369 DES RÈGLES

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                    LE JUGE HUGESSEN

DATE DES MOTIFS :                                   LE 6 AVRIL 2004                   

REPRÉSENTATIONS ÉCRITES PAR :

Jean Teillet                                                        POUR LES DEMANDEURS

Cynthia Dickins et Linda Maj                 POUR LA DÉFENDERESSE, la Couronne

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pape & Salter

Vancouver (C.-B.)                                            POUR LES DEMANDEURS

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada                    POUR LA DÉFENDERESSE, la Couronne

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