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Date : 19980130


Dossier : IMM-835-97

Ottawa (Ontario), le vendredi 30 janvier 1998

EN PRÉSENCE DE M. LE JUGE GIBSON

ENTRE :

     SHERIF ABOUHALIMA,

                                         requérant,

ET :

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

                                         intimé.

     ORDONNANCE

     La demande de contrôle judiciaire est rejetée.


Frederic E. Gibson

Juge

Traduction certifiée conforme

Laurier Parenteau


Date : 19980130


Dossier : IMM-835-97

ENTRE :

     SHERIF ABOUHALIMA,

                                         requérant

ET :

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

                                         intimé.

     MOTIFS L'ORDONANCE

LE JUGE GIBSON :

[1]      Ces motifs ont trait à la demande de contrôle judiciaire visant une décision de la Section du statut de réfugié (SSR) de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, par laquelle la SSR a estimé que le requérant n'est pas un réfugié au sens de la Convention selon la définition qu'en donne le paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration1. La décision de la SSR porte la date du 29 janvier 1997. C'est la deuxième fois que la Cour est saisie de cette affaire. Une décision précédente de la SSR estimant que le requérant n'est pas un réfugié au sens de la Convention avait été annulée sur contrôle judiciaire2.

[2]      Le requérant est un ressortissant égyptien. Il est né au mois de mars 1965. Il est arrivé au Canada, plus ou moins par hasard, après avoir été refoulé par les États-Unis. Les père et mère du requérant, ainsi qu'un frère cadet, habitent en Égypte. Le requérant a deux autres frères aux États-Unis, dont un qui purge actuellement une peine de prison après avoir été condamné pour sa participation à l'attentat à la bombe perpétré contre le World Trade Centre, à New York, en février 1993. L'autre frère qui se trouve aux États-Unis est accusé d'avoir aidé le frère actuellement en prison à quitter les États-Unis après l'attentat, avant que ce dernier soit arrêté par les autorités égyptiennes en Égypte, puis remis aux autorités américaines.

[3]      À la suite de l'attentat contre le World Trade Centre, le requérant, à qui, trois mois après l'attentat, avaient rendu visite au Canada les deux frères résidant aux États-Unis, a déposé, sur place, une demande de statut de réfugié, invoquant la crainte d'être persécuté, s'il était tenu de rentrer en Égypte, du fait de son appartenance à un groupe social, en l'occurrence sa famille, et de la tendance politique qu'on pourrait lui attribuer, en l'espèce la tendance politique de ses deux frères actuellement aux États-Unis, l'intégrisme musulman.

[4]      À la suite de l'attentat à la bombe contre le World Trade Centre, le frère, condamné depuis et maintenant sous les verrous, s'est enfui des États-Unis pour se rendre en Égypte. Au mois de mars 1993, il est arrêté en Égypte. Le frère cadet du requérant, El Said, y est arrêté à la même époque. El Said a été détenu pendant huit jours, interrogé et rossé. Il est à nouveau arrêté, en 1994, alors qu'il se trouve avec des amis, mais, cette fois-ci, il ne semble pas qu'il ait été rossé pendant sa garde à vue.

[5]      La SSR a estimé que le requérant était dans une " situation analogue " à celle de son frère cadet, El Said. C'est ainsi qu'elle a écrit :

                 [Traduction]                 
                 Nous estimons qu'en rentrant en Égypte le requérant a de très fortes chances d'être traité comme l'avait été son frère, El Said. Cela veut-il dire qu'il ait de fortes chances d'être persécuté?                 

[6]      Puis, la SSR cite de larges extraits de la jurisprudence de la Cour, aussi bien en Section de première instance qu'en Cour d'appel, finissant par conclure que cette jurisprudence pose le principe que, dans un pays en proie à une vague de terrorisme, les " traitements musclés " n'équivalent pas à des persécutions. Notons particulièrement le passage suivant cité par la SSR :

                 [Traduction]                 
                 ...les insultes, les bousculades et même les agressions dont elle a été l'objet ne constituaient pas de la persécution, et ce, même en cumulant ou en totalisant les différents incidents qui avaient été relatés par elle. ...Cette conclusion de faits ne me paraît pas déraisonnable vu l'état du présent dossier.3                      [non souligné dans l'original]                 

[7]      Dans l'affaire citée, la demandeuse de statut s'en prenait au Sri Lanka.



[8]      La SSR reconnaît alors, non seulement que l'Égypte est en proie à une vague de terrorisme, mais que :

                 [Traduction]                 
                 Réagissant à la violence perpétrée par les terroristes, le gouvernement égyptien a décidé, semble-t-il, de combattre le feu par le feu :                 

[9]      La SSR en conclut que :

                 [Traduction]                 
                 La situation en Égypte est très proche de la situation dont a eu à connaître la Cour fédérale dans la jurisprudence citée [tous les précédents cités portent sur le Sri Lanka]. Cela étant, nous estimons que le requérant risque " non pas des persécutions, mais simplement de déplorables rudoiements aux mains des policiers égyptiens qui, on le comprend, sont sur les dents.' [indications de source non reprises]                 

[10]      Compte tenu de ce qui suit, il semble, aux yeux de la Cour et au vu de cet extrait des motifs de la SSR, que celle-ci en a conclu que le requérant ne subirait que de " déplorables rudoiements " s'il rentre en Égypte puisque, se trouvant dans une situation analogue à celle de son frère El Said, le requérant, à supposer qu'il soit détenu, ne serait soumis qu'aux traitements subis par El Said lorsque celui-ci a été détenu en 1994, sans être rossé. Cela est à comparer avec le traitement subi par El Said lorsqu'il a été détenu en 1993 en même temps que son frère aîné qui purge maintenant une peine de prison aux États-Unis. À l'époque, ni le frère, qui purge actuellement la peine à laquelle il a été condamné, ni le frère actuellement sous le coup d'accusations, ne se trouvaient aux mains des autorités américaines. À l'inverse, lorsque El Said a été détenu en 1994, les deux autres frères étaient, comme ils le sont maintenant, aux mains des autorités américaines. La SSR semble donc estimer que les tensions éprouvées par les autorités égyptiennes en 1993, étaient moindres en 1994, comme elles le restent aujourd'hui.

[11]      Cette interprétation est confirmée par les derniers paragraphes des motifs de la SSR. On y lit que :

                 [Traduction]                 
                 Il ressort du dossier que l'arrestation et le passage à tabac d'El Said, se sont produits avant que Mahmud soit arrêté en Égypte, puis remis aux autorités des États-Unis. El Said a, plus tard, été détenu à nouveau mais rien n'indique qu'à cette occasion il ait été rossé et l'on constate qu'il n'a pas été détenu par les autorités depuis 1994. Cela est conforme à la preuve documentaire à laquelle on vient de faire référence. Depuis le procès, la condamnation et l'incarcération de son frère Mahmud, est-il vraisemblable qu'il serait lui-même détenu et torturé afin d'obliger Mahmud à se rendre? Bien sûr que non.                 
                 Le Tribunal estime qu'en raison de ses liens avec Mahmud et de son long séjour en dehors d'Égypte, le requérant risque fort d'être détenu et interrogé s'il rentre en Égypte. Son interrogatoire s'accompagnera peut-être de " déplorables rudoiements ". Mais, compte tenu des éléments dont nous disposons quant à ce qui s'est passé à son frère El Said, et la jurisprudence qui s'impose en l'espèce, nous n'estimons pas que le requérant risque vraisemblablement d'être persécuté.                 

[12]      C'est dire que la décision de la SSR est étroitement liée à sa conclusion que le requérant se trouve dans une situation analogue à celle de son frère El Said. L'avocat du requérant a soulevé plusieurs autres questions à l'égard des motifs de la SSR, mais j'estime que la seule question qu'il reste à trancher est celle de savoir si, en concluant que le requérant et son frère cadet se trouvent dans une situation analogue, la SSR a commis une erreur invitant le contrôle judiciaire.

[13]      Il existe, entre la situation du requérant et celle de son frère cadet, plusieurs différences. Le requérant a environ 12 ans de plus que son frère cadet et, à l'époque de l'attentat contre le World Trade Centre, il était déjà adulte alors que son cadet n'était à l'époque qu'un adolescent. Le requérant vit hors d'Égypte depuis assez longtemps et il est donc largement inconnu des services égyptiens, alors que son frère n'a pas quitté l'Égypte, a été déjà par deux fois détenu, et l'on peut donc penser qu'il est assez connu des services en question. À l'époque de l'attentat, et au cours de l'année qui l'a précédé, le requérant, qui se trouvait alors aux États-Unis, vivait assez près de ses frères. Ajoutons que dans les trois mois précédant l'attentat contre le World Trade Centre, le requérant a reçu la visite de ses frères qui habitaient alors les États-Unis. Le dossier ne révèle pas si, au cours de la période en question, El Said se trouvait hors d'Égypte ou s'il a rencontré ses frères.

[14]      D'après moi, ce qui importe le plus ici, c'est ce que le requérant a en commun avec son frère. Ni l'un ni l'autre ne reconnaît avoir participé à l'attentat contre le World Trade Centre, et ils ne semblent d'ailleurs pas en avoir été soupçonnés. Ni l'un ni l'autre ne reconnaît faire partie de groupements musulmans intégristes radicaux et rien dans le dossier de la SSR ne portait à mettre cela en doute.

[15]      L'avocate de l'intimé a fait valoir qu'il ne s'agissait nullement de dire si la Cour aurait pu aboutir à une conclusion différente sur la question de savoir si le requérant et son frère cadet se trouvaient dans une situation analogue. Elle a soutenu que cette conclusion est une question de fait qui est tranchée en fonction de la preuve et qu'il s'agit là d'une fonction appartenant en propre à la SSR. C'est aussi mon avis. J'estime qu'en décidant que si le requérant rentrait en Égypte, sa situation serait, aux yeux des autorités égyptiennes, analogue à celle de son frère cadet El Said, la SSR est parvenue à une conclusion raisonnable compte tenu du dossier. Cela étant, et vu mon interprétation de la démarche suivie par la SSR, j'en conclus qu'elle pouvait raisonnablement décider que le requérant ne courrait vraisemblablement pas le risque d'être persécuté s'il rentrait en Égypte.

[16]      Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Ni l'une ni l'autre des avocates n'a demandé à la Cour de certifier une question.


Frederic E. Gibson

Juge

Ottawa (Ontario)

Le 30 janvier 1998

Traduction certifiée conforme

Laurier Parenteau

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

NUMÉRO DU GREFFE :          IMM-835-97
INTITULÉ :                  SHERIF ABOUHALIMA c. MCI
LIEU DE L'AUDIENCE :          Toronto (Ontario)
DATE DE L'AUDIENCE :          le 23 janvier 1998

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE M. LE JUGE GIBSON

DATE :                  le 30 janvier 1998

ONT COMPARU :

Me Arlene Tinker              POUR LE REQUÉRANT
Me Sally Thomas              POUR L'INTIMÉ

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

Arlene Tinker              POUR LE REQUÉRANT

Toronto (Ontario)

George Thompson              POUR L'INTIMÉ

Sous-procureur général du Canada

__________________

1      L.R.C. (1985), ch. I-2

2      [1996] J.C.F. no 1017 (Q.L.)

3      Ihaddadene c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1996] J.C.F. no 75 (Q.L.), A-546-91

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