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Date : 20050304

Dossier : T-588-00

Référence : 2005 CF 323

Vancouver (Colombie-Britannique), le 4 mars 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE RUSSELL

ENTRE :

                                         EARLY RECOVERED RESOURCES INC.

                                                                                                                                    demanderesse

                                                                             et

                                               SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF

DE LA PROVINCE DE LA COLOMBIE-BRITANNIQUE,

                                        LE MINISTRE DES FORÊTS, JIM DOYLE,

                                      COAST FOREST PRODUCTS ASSOCIATION

                          et INDEPENDENT TIMBER MARKETING ASSOCIATION

                                                                                                                                          défendeurs

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]         La demanderesse a demandé que la preuve d'expert de M. Maser ne porte que sur les deux dernières des quatre questions qu'il soulève dans son rapport déposé sous forme d'affidavit. Les présents motifs et ordonnance écrits reprennent essentiellement ceux qui ont été prononcés à l'audience le 3 mars 2005.


[2]         Je crois, aux fins de mes conclusions sur cette question, que les sources pertinentes font une distinction claire entre l'admissibilité de la preuve d'expert et le poids à y accorder.

[3]         Avant qu'un certain poids puisse lui être accordé, il faut déterminer si la preuve d'expert est admissible conformément aux principes généraux énoncés par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt R. c. Mohan, [1994] 2 R.C.S. 9; 29 C.R. (4th) 243. En d'autres termes, la preuve d'expert :

a)          doit être pertinente relativement à une question en litige;

b)          doit être nécessaire pour aider le juge des faits;

c)          ne doit pas être visée par une règle d'exclusion;

d)          doit être présentée par un témoin suffisamment qualifié.

[4]         Dans la première question de son rapport, M. Maser indique clairement ce à quoi il veut répondre et ce qu'il cherche à offrir à la Cour en qualité d'expert :

[traduction] Quel était l'état écologique des estuaires du nord-ouest du Pacifique, notamment du fleuve Fraser, avant l'arrivée des Européens?

Cette question a une dimension écologique et une dimension historique.


[5]         Pour établir les faits historiques, M. Maser se sert de plusieurs sources secondaires qui font référence au récit circonstancié du capitaine Vancouver et au journal du lieutenant Peter Puget. Il se fonde en outre sur des données historiques tirées de certaines enquêtes américaines qui traitent du nord-ouest du Pacifique en général. Ces sources font état de la présence de grandes quantités de bois flotté de grande dimension dans les estuaires et sur les plages à l'embouchure de ceux-ci.

[6]         Ces sources amènent M. Maser à tirer certaines conclusions concernant toute la côte du nord-ouest du Pacifique, y compris le fleuve Fraser.

[7]         Le problème en l'espèce vient du fait que M. Maser ne fait guère plus que de se référer à un nombre limité de sources (dont la plupart sont bien connues) qui, suppose-t-il, présentent une image exacte du fleuve Fraser (la région en cause en l'espèce), tel qu'il était avant l'arrivée des Européens, et il n'est pas en mesure de donner une opinion sur le contexte de ces sources ou sur la question de savoir si celles-ci sont complètes, exactes ou fiables.

[8]         En outre, il n'est pas mieux placé que la Cour pour évaluer les implications historiques de ce que ses sources révèlent. Il accepte simplement leur contenu comme une évidence et en tire des conclusions générales.

[9]         Aussi, il semble à la Cour que, pour ce qui est de la première question à laquelle il cherche à répondre, il ne remplit pas le critère établi dans l'arrêt Mohan parce qu'il ne possède pas les connaissances nécessaires pour évaluer les conclusions historiques auxquelles il arrive. Il n'est pas vraiment mieux placé que la Cour pour tirer des conclusions des sources dont il se sert et de ce qu'elles nous apprennent au sujet du fleuve Fraser avant l'arrivée des Européens.


[10]       La deuxième question sur laquelle M. Maser veut donner une opinion d'expert est la suivante :

[traduction] Qu'est-ce que les Européens ont fait aux fleuves et aux estuaires, notamment au fleuve Fraser et à ses estuaires, pendant les premières années de la colonisation?

[11]       M. Maser aborde cette question à peu près de la même façon dont il aborde la première. Il tire des conclusions historiques générales qui, d'après lui, sont applicables au fleuve Fraser à partir de récits et d'enquêtes historiques concernant d'autres fleuves et estuaires ainsi que la côte nord-ouest du Pacifique en général.

[12]       Encore une fois cependant, les conclusions qu'il tire relativement à ce que les Européens ont fait au fleuve Fraser ne viennent pas d'une personne qualifiée devant la Cour pour évaluer les sources historiques dont il se sert. M. Maser n'est pas mieux placé que la Cour pour tirer des conclusions des sources qu'il cite et pour se former des opinions à partir de celles-ci.

[13]       En fait, lorsqu'il répond aux deux premières questions dans son rapport, M. Maser ne fait guère plus que de dépeindre la situation en se servant des sources qu'il a choisies (et que la Cour ne peut d'aucune façon évaluer ou placer dans leur contexte) et de mentionner ce que celles-ci indiquent.


[14]       Je ne crois pas que cela remplisse le critère fondamental établi dans l'arrêt Mohan relativement à l'admissibilité d'une preuve d'expert. En ce qui concerne les deux premières questions abordées dans le rapport, M. Maser n'aide pas réellement la Cour comme un expert devrait le faire. Il demande à la Cour d'accepter un point de vue historique particulier sur l'état du fleuve Fraser, mais il n'explique pas pourquoi il est qualifié pour présenter ce point de vue. Aussi, accepter le portrait historique que M. Maser cherche à dépeindre équivaudrait, pour la Cour, à accepter la confirmation de faits historiques par une personne qui n'est pas suffisamment qualifiée pour établir ces faits devant elle.

[15]       Par conséquent, la Cour estime qu'elle ne peut accepter en tant que preuve d'expert les conclusions et les opinions exprimées à l'égard des deux premières questions du rapport de M. Maser.

ORDONNANCE

Les conclusions et les opinions exprimées à l'égard des deux premières questions du rapport de M. Maser ne sont pas admissibles à titre de preuve d'expert en l'espèce.

          « James Russell »          

         Juge

Traduction certifiée conforme

Christian Laroche, LL.B.


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                                                                                                                                             

                                               AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                         T-588-00

INTITULÉ :                                                             EARLY RECOVERED RESOURCES INC.

c.

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF

DE LA PROVINCE DE LA

COLOMBIE-BRITANNIQUE ET AL.

LIEU DE L'AUDIENCE :                                   VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

DATE DE L'AUDIENCE :                                     LE 3 MARS 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                         LE JUGE RUSSELL

DATE DES MOTIFS :                                        LE 4 MARS 2005

COMPARUTIONS:

Margot Venton                                                       POUR LA DEMANDERESSE

Devon Page

Nancy E. Brown                                                     POUR LES DÉFENDEURS Sa Majesté la Reine

Nerys Poole                                                           du chef de la province de la Colombie-Britannique

Elizabeth Rowbotham                                             et le ministre des Forêts, Jim Doyle

David F. McEwen                                                  POUR LES DÉFENDERESSES Coast Forest Products Association et Independent Timber Marketing Association

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Sierra Legal Defence Fund                                      POUR LA DEMANDERESSE

Vancouver (Colombie-Britannique)

Geoff Plant                                                             POUR LES DÉFENDEURS Sa Majesté la Reine

Procureur général de la Colombie-Britannique         du chef de la province de la Colombie-Britannique

Vancouver (Colombie-Britannique)                         et le ministre des Forêts, Jim Doyle

McEwen, Schmitt & Co.                                        POUR LES DÉFENDERESSES Coast Forest

Vancouver (Colombie-Britannique)                        Products Association and Independent Timber Marketing Association


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