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Date : 20030702

Dossier : T-1236-02

Référence : 2003 CF 821

Toronto (Ontario), le 2 juillet 2003

EN PRÉSENCE DE MADAME LE JUGE HENEGHAN

ENTRE :

                  ABBOTT LABORATORIES et ABBOTT LABORATORIES LIMITED

demanderesses

                                                                             et

LE MINISTRE DE LA SANTÉ et NOVOPHARM LIMITED

intimés

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Abbott Laboratories et Abbot Laboratories Limited (les « demanderesses » ) ont introduit une requête tendant à radier des parties des affidavits déposés par Novopharm Limited (l' « intimée » ) le 20 mai 2003 et sollicitant par ailleurs une ordonnance interdisant à l'intimée de ne pas se fonder, à l'audition de la présente demande, sur l'art antérieur ou sur les ressources secondaires mentionnés dans les affidavits en question.

[2]                La contestation des demanderesses vise les quatre affidavits particularisés dans son dossier de requête sous les cotes « D » , « E » , « F » et « G » . Je désignerai les affidavits par leur cote, les documents de la requête ayant été déposés sous le sceau de la confidentialité et la requête entendue à huis clos.

[3]                De façon générale, les demanderesses demandent la radiation des affidavits souscrits dans les pièces susmentionnées, au motif qu'ils prennent appui sur une preuve par ouï-dire inadmissible en violation des Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106, plus particulièrement l'article 81. Dans le cas de la pièce « G » , les demanderesses ajoutent le reproche que les déclarations figurant dans les affidavits visent irrégulièrement à élargir les allégations de fait contenues dans l'avis d'allégation qui a conduit à la présente demande sous le régime du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-133. Les demanderesses font valoir que l'intimée tente d'introduire la preuve d'antériorité qui n'a pas été mentionnée dans l'avis d'allégation. Au surplus, font-elles valoir, le contenu de la pièce « H » est fondé sur du ouï-dire, c'est-à-dire une preuve inadmissible.

[4]                L'intimée affirme de manière générale que la preuve énoncée dans les pièces « D » , « E » et « F » satisfait au critère de l'admissibilité de la preuve par ouï-dire, c'est-à-dire le critère de la fiabilité et de la nécessité. À cet égard, l'intimée invoque les arrêts R. c. Khan, [1990] 2 R.C.S. 531, R. c. Smith, [1992] 2 R.C.S. 915 et R. c. Starr, [2000] 2 R.C.S. 144.

[5]                Les demanderesses invoquent l'arrêt P.S. Partsource Inc. c. Canadian Tire Corporation, Limited (2001), 267 N.R. 135 (CAF) dans lequel la Cour d'appel fédérale a formulé le critère de la radiation des affidavits avant l'audition d'une demande, comme suit au paragraphe 18 :

Je tiens toutefois à souligner que les plaideurs ne doivent pas prendre l'habitude de recourir systématiquement à des requêtes en radiation de la totalité ou d'une partie d'un affidavit et ce, peu importe le degré de notre Cour, surtout lorsque la question porte sur la pertinence. Ce n'est que dans des circonstances exceptionnelles où l'existence d'un préjudice est démontrée et que la preuve est de toute évidence dénuée de pertinence que ce type de requête est justifié. Lorsqu'elle est fondée sur le ouï-dire, cette requête ne doit être présentée que lorsque le ouï-dire soulève une question controversée, lorsque le ouï-dire peut être clairement démontré ou lorsqu'on peut démontrer que le fait de laisser au juge du fond le soin de trancher la question causerait un préjudice.

[6]                Les décisions invoquées par les parties établissent le contexte juridique qui régit la requête introduite par les demanderesses et je passe maintenant aux affidavits litigieux.

[7]                La pièce « D » porte sur une base de données informatiques qui appartient à IMS Health et qui est maintenue par cette dernière. Le déposant décrit cette base de données, la manière par laquelle IMS obtient les informations qui y sont contenues et où elle les obtient. Toutefois, le déposant n'a aucune connaissance personnelle de la base de données, à l'exception de l'expérience acquise en travaillant avec la base de données.

[8]                Je ne suis pas convaincue que l'ensemble de la pièce « D » constitue une preuve par ouï-dire. Le déposant peut être contré-interrogé de manière utile. À mon avis, seul le paragraphe 4 de l'affidavit soulève des problèmes puisqu'il porte sur la manière dont IMS obtient ses données. Toutefois, il s'agit là d'une question à examiner en contre-interrogatoire et, en fin de compte, l'affidavit et tout contre-interrogatoire pourront être attaqués sous l'angle du poids à leur accorder.

[9]                À l'audition de la requête, les demanderesses se sont concentrées sur les paragraphes 32, 33 et 34 de l'affidavit déposé comme pièce « E » jointe à l'affidavit déposé à l'appui de la présente requête.

[10]            Manifestement, le paragraphe 33 constitue du ouï-dire et devrait être radié. Je ne suis pas convaincue que les paragraphes 32 et 34 soient aussi vulnérables.

[11]            Ces paragraphes portent sur la question de l'art antérieur et devraient demeurer.

[12]            L'affidavit produit comme pièce « F » est contesté, motifs pris aussi bien de ce qu'il serait de la preuve par ouï-dire et un élargissement du fondement factuel énoncé dans l'avis d'allégation signifié par l'intimée. Les demanderesses font valoir que pour invoquer la décision rendue dans AB Hassle c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (2000), 256 N.R. 172, elles doivent contester toute allégation d'élargissement de l'avis d'allégation avant de déposer une contre-preuve. À cet égard, les demanderesses invoquent Novartis AG et al v. Apotex Inc. et al (2001), 15 C.P.R. (4th) 417 (C.F. 1re inst.), appel rejeté au motif du caractère théorique (2002), 22 C.P.R. (4th) 450 (F.C.A.).

[13]            Dans l'affaire Novartis, la première personne avait demandé et obtenu l'autorisation de déposer des preuves additionnelles en réponse aux documents supplémentaires présentés par Apotex par le truchement de son déposant, le Dr Langer. À l'audition de la demande en ordonnance d'interdiction, Novartis avait cherché à contester la présentation des preuves additionnelles émanant du Dr Langer malgré son succès antérieur dans une requête tendant à déposer des preuves supplémentaires en réponse à la preuve par affidavit d'Apotex. Aux paragraphes 72 à 75, la Cour a déclaré :

Apotex soutient donc que Novartis a manifestement renoncé à tout droit de se plaindre au sujet des documents contestés.

À mon avis, Novartis devrait avoir soulevé cette question par la voie d'une requête avant l'audience. La soulever à ce stade-ci pourrait être inéquitable à l'endroit de la défenderesse, Apotex, qui a été amenée à croire que, une fois accueillie la requête de Novartis en vue de déposer une preuve supplémentaire, les documents qui se trouvaient déjà dans le dossier après la décision de la Cour prononcée le 17 novembre 1999 ne seraient pas remis en cause.      

Ainsi qu'il a été indiqué auparavant, Novartis invoque l'arrêt AB Hassle, précité, de la Cour d'appel. Cet arrêt a été prononcé le 12 juin 2000 et le juge Stone, s'exprimant au nom de la majorité, a jugé [page 439] qu'un avis d'allégation suffisant devait contenir une liste complète des antériorités que la seconde personne entend invoquer au moment où l'avis d'allégation est envoyé et que la seconde personne ne peut, par la suite, introduire de nouvelles antériorités par la voie d'un affidavit [à la p. 288 C.P.R.] :


Je suis toutefois d'opinion que l'alinéa 5(3) a ) n'envisage pas cette possibilité. L'intention serait plutôt que tous les faits sur lesquels on se fonde devraient figurer dans l'énoncé et non pas être révélés pièce à pièce au moment où on en sent le besoin dans le cadre d'une instance relative à la demande visée à l'article 6. La présente Cour a déjà prévenu des personnes dans la position de l'intimée qu'elles assument le risque qu'une allégation en particulier puisse ne pas être conforme au Règlement et que les lacunes ne puissent pas être comblées par le tribunal dans le cadre d'une instance relative à la demande visée à l'article 6.

Néanmoins, la décision interlocutoire de la présente Cour a été rendue le 17 novembre 1999, des mois avant que ne soit prononcé l'arrêt de la Cour d'appel, et il ne serait pas raisonnable, à mon avis, de permettre aux demanderesses de soulever cette question maintenant, alors qu'une décision a déjà été rendue par la Cour précisément sur cette question, il y deux ans.

[14]            À mon avis, il n'est pas certain que l'affidavit dans la pièce « F » va à l'encontre de la règle énoncée par la Cour d'appel fédérale dans AB Hassle, précité, motif pris de ce qu'il serait un élargissement du fondement factuel énoncé dans l'avis d'allégation et que les questions abordées dans cet affidavit sont pertinentes quant aux questions ultimes à régler dans la présente demande d'interdiction. Il est préférable de laisser la question de la suffisance de l'avis d'allégation au juge du procès qui entendra la demande.

[15]            Le juge du procès sera saisi du dossier complet et sera mieux à même d'apprécier l'admissibilité de la preuve et la suffisance de l'avis d'allégation. De plus, Novopharm ne subira aucune injustice si l'affidavit dans la pièce « F » devait être éventuellement radié par le juge du procès puisque cette requête met clairement Novopharm en garde contre cette possibilité. En conséquence, dans l'exercice de mon pouvoir discrétionnaire, je refuse de radier l'affidavit dans la pièce « F » soit parce qu'il constituerait de la preuve par ouï-dire, soit parce qu'il élargit irrégulièrement l'avis d'allégation. Cette conclusion est manifestement sans préjudice aux droits des demanderesses de soulever ces objections devant le juge du procès.

[16]            Enfin, je passe à la pièce « G » . Il s'agit manifestement d'un affidavit fondé sur la preuve par ouï-dire et sans grande explication de la raison pour laquelle les renseignements demandés n'avaient pas été produits.

[17]            En conclusion, j'accueille en partie la requête des demanderesses et les affidavits et parties d'affidavits suivants seront radiés pour le motif qu'ils contreviennent à l'article 81 des Règles de la Cour fédérale (1998) :

i)           le paragraphe 33 de la pièce « E » ;

ii)          l'ensemble de la pièce « G » .

[18]            Il est loisible aux demanderesses de contester les autres affidavits et de soulever des arguments quant à la suffisance de l'avis d'allégation, s'agissant de l'affidavit dans la pièce « F » , à l'audience sur le fond de la présente affaire. Dans l'exercice de mon pouvoir discrétionnaire, j'ordonne que la question des dépens de la présente requête sera tranchée par le juge du procès.

                                        ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la requête est accueillie en partie, seront radiés le paragraphe 33 de l'affidavit dans la pièce « E » du dossier de requête des demanderesses et l'affidavit dans la pièce « G » dans son ensemble. La question des dépens de la présente requête sera tranchée par le juge du procès.

   « E. Heneghan »

                                                                                               J.C.F.C.

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL.L.           


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                     AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         T-1236-02

INTITULÉ :                                        ABBOTT LABORATORIES et ABBOTT LABORATORIES LIMITED

demanderesses

et

LE MINISTRE DE LA SANTÉ

et NOVOPHARM LIMITED

intimés

LIEU DE L'AUDIENCE :                  TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                LE 23 JUIN 2003   

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                        LE JUGE HENEGHAN

DATE DES MOTIFS :                       LE 2 JUILLET 2003

COMPARUTIONS :

Steve Mason

Marcus Klee                                         pour les demanderesses

Anthony Prenol

Michael Vaillancourt                              pour l'intimée

                                                                                                           

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

McCarthy & Tetrault

Toronto (Ontario)                                              pour les demanderesses

Blake Cassels & Graydon LLP

Toronto (Ontario)                                              pour l'intimée


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                                                        Date : 20030702

                                                                               Dossier : T-1236-02

ENTRE :

ABBOTT LABORATORIES et ABBOTT LABORATORIES LIMITED

demanderesses

                                                             

et

LE MINISTRE DE LA SANTÉ et NOVOPHARM LIMITED

intimés

                                                                                                     

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

                                                                                                     


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