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Date : 20001205

Dossier : IMM-5999-00

ENTRE :

                                                          GIULIAN MUNTEANU

                                                                                                                                          demandeur

                                                                             et

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE BLAIS

[1]         Il s'agit d'une requête visant à faire surseoir à l'exécution de la mesure de renvoi dont le demandeur est frappé.

[2]         La Section du statut a rejeté la revendication du demandeur le 16 février 1998.


[3]         Le demandeur a admis avoir été avisé par une lettre en date du 25 février 1998 que la mesure d'interdiction de séjour conditionnelle deviendrait une mesure d'interdiction de séjour le 26 mars 1998.

[4]         Le demandeur a été arrêté le 8 avril 1998; on lui a dit qu'il serait détenu et renvoyé en Roumanie. Il s'est évadé le 15 avril 1998 et il a quitté le pays. Il a de nouveau été arrêté par les agents d'immigration à Saskatoon le 25 octobre 2000 et il est encore détenu.

[5]         Le demandeur a sollicité, le 21 novembre 2000, soit la veille du jour où il devait être expulsé, une prorogation de délai en vue de présenter une demande d'autorisation à l'égard de la décision que la Section du statut avait rendue le 16 février 1998.

[6]         Le demandeur affirme avoir droit à un sursis en vertu de l'alinéa 49(1)c) de la Loi sur l'immigration.

[7]         En ce qui concerne la question de savoir si le sous-alinéa 49(1)c)(i) de la Loi autorise un sursis lorsque le demandeur a présenté une demande d'autorisation en vue d'un contrôle judiciaire après l'expiration du délai imparti, nous faisons face à deux courants de jurisprudence.


[8]         Dans l'arrêt Toth c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) [1988] A.C.F. no 587 (C.A.F.), le juge Heald, de la Cour d'appel fédérale, a statué que le sursis prévu au sous-alinéa 49(1)c)(i) de la Loi sur l'immigration ne s'applique pas aux demandes d'autorisation en vue du contrôle judiciaire qui ne sont pas présentées dans le délai prescrit par la Loi :

Par conséquent, je rejette la demande de l'avocate du requérant d'interpréter cet alinéa comme opérant un sursis à l'exécution de l'ordonnance d'expulsion sur dépôt de la demande du 30 mai. Cette interprétation déformerait de façon inacceptable le sens ordinaire des mots utilisés par le législateur dans cet alinéa. Il me semble que le sursis imposé en conformité avec l'alinéa 51(1)c) s'applique seulement lorsque l'appel est présenté dans le délai prescrit ou que, à tout le moins, la demande d'autorisation d'appel est présentée dans le délai prescrit. Par conséquent, je rejette les allégations de l'avocate du requérant en ce qui a trait à la compétence de la Cour en vertu de l'alinéa 51(1)c).

L'alinéa 51(1)c) est maintenant le sous-alinéa 49(1)c)(i).

[9]         Le défendeur affirme ce qui suit[1] :

[TRADUCTION]

Le principe applicable aux sursis prévus par la loi et aux demandes présentées en temps opportun qui a été énoncé dans l'arrêt Toth s'applique également aux faits de la présente espèce, c'est-à-dire qu'aucun sursis prévu au sous-alinéa 49(1)c)(i) ne s'applique lorsque la demande d'autorisation en vue du contrôle judiciaire est présentée plusieurs semaines ou plusieurs mois, et en l'espèce plusieurs années, après l'expiration du délai imparti.

[10]       De fait, en l'espèce, la demande d'autorisation en vue d'un contrôle judiciaire a été présentée deux ans et neuf mois après que la Section du statut eut rendu sa décision.

[11]       Je me fonde en outre sur la décision que Monsieur le juge Nadon a récemment rendue dans l'affaire Gustave c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) [2000] A.C.F. no 1779, 27 octobre 2000 (IMM-5287-00), qui étaye également la thèse selon laquelle aucun sursis prévu par la loi n'existe dans des cas comme celui-ci.


[12]       Dans sa décision, le juge Nadon a examiné à fond la jurisprudence et en particulier la décision que le juge MacKay avait rendue dans l'affaire Sholev c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1994), 78 F.T.R. 188 (C.F. 1re inst.). Voici ce qu'il a dit au sujet de la décision Sholev :

Il a fondé sa conclusion sur le pouvoir discrétionnaire prévu au paragraphe 82.1(5) [mod., idem, art. 73] de la Loi, aux termes duquel tout juge peut, pour des raisons spéciales, proroger le délai de demande d'autorisation d'agir en contrôle judiciaire. Le bénéfice de cette disposition serait dénié aux personnes visées par une ordonnance de renvoi si le sous-alinéa 49(1)c)(i) devait s'interpréter de façon à exclure le sursis pour la simple raison qu'elles n'ont pas fait la demande dans les délais. En d'autres termes, le pouvoir de prorogation serait vide de sens s'il ne pouvait s'exercer à l'égard de la personne qui n'est pas en mesure d'agir dans les délais, c'est-à-dire dans le seul cas où ce pouvoir a sa raison d'être.

La ministre défenderesse soutient que Sholev est mal jugé, que la conclusion qui y a été tirée signifie qu'une personne frappée d'une mesure d'expulsion par suite de la décision d'un tribunal administratif fédéral pourrait entrer dans la clandestinité jusqu'à ce qu'elle soit appréhendée, après quoi elle pourrait faire tardivement une demande d'autorisation et de contrôle judiciaire (avec demande de prorogation du délai), laquelle demande aurait pour effet d'empêcher son renvoi immédiat hors du Canada. Pareil résultat récompenserait la non-observation des obligations légales et ne saurait être voulu par le législateur.

L'argument de la ministre n'est pas sans fondement. On peut trouver ce fondement dans les termes du sous-alinéa 49(1)c)(i), où il est question du « délai normal » de demande d'autorisation, lequel délai normal est de 15 jours. La prorogation de délai prévue au paragraphe 82.1(5) s'applique aux circonstances extraordinaires, et elle est différente du délai normal. Eussé-je jugé moi-même cette affaire en première instance, je ne serais peut-être pas parvenu à la même conclusion que mon distingué collègue.

[13]       Le juge Nadon a également dit ce qui suit :

Lorsque la Cour d'appel a rendu sa décision dans Toth, précité, les affaires d'immigration et, plus particulièrement, les décisions de la Section du statut de réfugié relevaient de sa compétence. À cette époque, les contestations des décisions de la Commission étaient introduites par voie d'appel, et non pas par voie de demande de contrôle judiciaire. Même si le texte du sous-alinéa 49(1)c)(i) de la Loi actuelle n'est pas identique à celui du sous-alinéa 51(1)c) de la Loi sur l'immigration de 1976, je suis d'avis que les différences sont mineures et que la décision de la Cour d'appel devrait être suivie par la Section de première instance. Je ne vois rien dans le texte du sous-alinéa 49(1)c)(i) de la Loi actuelle qui me permettrait de faire une distinction entre la présente affaire et l'affaire Toth, précitée. Au contraire, il me semble que le sous-alinéa 49(1)c)(i) prévoit, en termes clairs, qu'il y a sursis de l'exécution d'une mesure de renvoi uniquement lorsque le demandeur dépose sa demande d'autorisation dans le délai prescrit par la Loi. Lorsque le délai prescrit par la Loi pour le dépôt d'une demande d'autorisation est expiré, un dépôt tardif ne sursoit pas à une mesure de renvoi. Il n'y a pas lieu que j'examine maintenant la question de savoir si la prorogation de délai accordée par un juge par autorisation donnée au demandeur entraîne l'application du sous-alinéa 49(1)c)(i) à la demande.


[14]       Je conclus donc qu'il n'y a pas de sursis qui soit prévu par la loi.

[15]       Néanmoins, comme mon collègue le juge Nadon, j'estime que le demandeur qui présente une demande tardive a néanmoins un recours, contrairement à ce qui a été décidé dans l'arrêt Toth, supra. En l'espèce, le demandeur a droit à un sursis selon le critère à trois volets énoncé dans la jurisprudence.

[16]       Le demandeur doit donc démontrer qu'il existe une question sérieuse à trancher, qu'il pourrait subir un préjudice irréparable s'il était expulsé et que la prépondérance des inconvénients le favorise.

[17]       J'ai minutieusement examiné les observations écrites du demandeur; le demandeur n'a pas énoncé de question sérieuse à trancher.

[18]       Le demandeur n'a pas fourni de motif valable indiquant pourquoi il a fallu près de trois ans pour présenter la demande visant à faire proroger le délai dans lequel il peut déposer une demande d'autorisation.

[19]       Le demandeur se fonde uniquement sur la thèse selon laquelle [TRADUCTION] « un déni fondamental de justice naturelle a peut-être été commis » , étant donné que la Commission et le demandeur ne comprenaient pas bien les questions que chacun soulevait au cours de l'audience et les réponses y afférentes.


[20]       Il s'agit d'une pure conjecture, qui est fondée sur ce dont le demandeur se souvient trois ans plus tard.

[21]       Quant à la question du préjudice irréparable, le seul élément de preuve dont dispose la Cour est la décision de la Section du statut, dans laquelle il a été conclu ce qui suit :

[TRADUCTION]

Toutefois, la formation a conclu, en notant encore une fois la propre expérience de l'intéressé dans l'armée, qu'elle ne disposait pas d'un nombre suffisant d'éléments de preuve pour conclure qu'il était raisonnablement possible qu'une peine disproportionnée soit infligée à l'intéressé du fait qu'il a déserté parce qu'il était en partie d'origine ethnique hongroise. Aucun élément de preuve n'a été présenté en vue de montrer qu'une peine disproportionnée serait infligée à l'intéressé pour l'un des motifs énumérés dans la définition de « réfugié au sens de la Convention » du fait qu'il avait déserté.

[22]       Le demandeur n'a pas réussi à convaincre la Cour qu'il subirait un préjudice irréparable s'il était expulsé.

[23]       Enfin, à mon avis, il est évident que la prépondérance des inconvénients favorise le ministre dans l'exercice des fonctions qui lui sont conférées par la loi, conformément à l'article 48 de la Loi sur l'immigration.


[24]       À ces motifs, la requête visant à faire surseoir à l'exécution de la mesure de renvoi est rejetée.

                             Pierre Blais                                                                                                                                     Juge

OTTAWA (ONTARIO)

Le 5 décembre 2000

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, LL.L., trad. a.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE LA PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU DOSSIER :                                        IMM-5999-00

INTITULÉ DE LA CAUSE :                         GIULIAN MUNTEANU c. MCI

LA REQUÊTE VISANT À L'OBTENTION D'UN SURSIS A ÉTÉ EXAMINÉE PAR TÉLÉCONFÉRENCE ENTRE OTTAWA, SASKATOON ET TORONTO.

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DU JUGE BLAIS EN DATE DU 5 DÉCEMBRE 2000.

ONT COMPARU :

John Hardy                                                       POUR LE DEMANDEUR

Amina Riaz                                                       POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

John Hardy                                                       POUR LE DEMANDEUR

Saskatoon (Saskatchewan)

Morris Rosenberg                                              POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada



[1] Observations écrites du défendeur, p. 5, par. 15.

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