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                                                                                                                      Date: 20000824

                                                                                                                Dossier: T-1161-00

OTTAWA (ONTARIO), LE 24 AOÛT 2000

EN PRÉSENCE DE MADAME LE JUGE DOLORES M. HANSEN

ENTRE:

                                             DOLE FOOD COMPANY INC.

                                          DOLE FOODS OF CANADA LTD.,

                                                                                                                     demanderesses,

                                                                                       défenderesses reconventionnelles,

                                                                    - et -

                                                          NABISCO LTD.,

                                                                                                                         défenderesse,

                                                                                          demanderesse reconventionnelle

                                            MOTIFS DE L'ORDONNANCE

                              Prononcés oralement par conférence téléphonique,

                                                    le vendredi 18 août 2000

[1]         Comme il est important pour les parties que la décision soit rendue dans un très court délai, je ne ferai pas de revue détaillée des faits.

[2]         Je suis saisie d'une requête pour injonction provisoire fondée sur la règle 374 des Règles de la Cour fédérale (1998).


[3]         Les deux parties sont sur le point de lancer des produits pratiquement identiques au Canada, qu'elles décrivent comme une portion unique de fruits transformés, présentés dans une coupe de plastique transparent, portant la même marque de commerce : « Fruit Bowls » .

[4]         Le 10 juillet 1998, Nabisco Ltd. (Nabisco) a demandé l'enregistrement de la marque « Fruit Bowls » , lequel a été effectué le 22 mars 2000 sans opposition.

[5]         Dole Food Company Inc. et Dole Foods of Canada Ltd. (Dole) ont intenté une poursuite devant cette Cour, le 30 juin 2000, pour faire radier l'enregistrement de Nabisco et pour obtenir une injonction provisoire, interlocutoire et permanente interdisant à Nabisco d'utiliser sa marque de commerce « Fruit Bowls » .

[6]         Nabisco a déposé une défense et demande reconventionnelle par laquelle elle demandait elle aussi une injonction provisoire, interlocutoire et permanente contre Dole.

[7]         Le 9 août 2000, Nabisco a déposé et signifié la présente requête pour injonction provisoire présentable le 14 août 2000. Compte tenu de ce très court délai, aucune partie n'a eu la possibilité de contre-interroger les auteurs des affidavits déposés à l'appui de leurs prétentions respectives.


[8]         Le 14 août 2000, Dole a demandé l'ajournement de la requête pour permettre la tenue d'un contre-interrogatoire sur les affidavits déposés par Nabisco. Cette dernière s'est énergiquement opposée à la demande d'ajournement.

[9]         Parce qu'il s'agissait d'une question urgente, j'ai consenti à entendre la requête. Il n'est donc pas nécessaire que je revienne, dans les présents motifs, sur la question de l'urgence.

[10]       Les normes applicables à l'octroi d'une injonction interlocutoire ont été énoncées, sous la forme d'un critère en trois volets, par la Chambre des Lords dans la décision American Cyanamid Co. c. Ethicon Ltd., [1975] A.C. 396, acceptée par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt R.J.R. McDonald Inc. c. Canada, [1994] 1 R.C.S. 311, à la page 334.

[11]       La partie requérante doit convaincre la Cour :

1)          qu'il existe une question sérieuse à juger;

2)          qu'elle subira un préjudice irréparable s'il n'est pas fait droit à sa demande;

3)          que la prépondérance des inconvénients favorise l'octroi de l'injonction.


question sérieuse à juger

[12]       Dole exhorte la Cour à apliquer ce qu'il est maintenant convenu d'appeler « l'exception Woods » , laquelle obligerait Nabisco à établir prima facie le bien-fondé de sa demande. Je n'examinerai pas cette question car j'estime que l'issue de la présente requête repose sur les deux autres volets du critère. Il suffira donc de préciser que je suis convaincue de l'existence d'une question sérieuse à juger.

préjudice irréparable

[13]       Nabisco fonde son allégation de préjudice irréparable sur ses droits de propriété sur la marque de commerce « Fruit Bowls » et sur les droits conférés par la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. (1985), ch. T-13 (la Loi). Plus particulièrement, l'article 19 de la Loi prévoit que le propriétaire d'une marque de commerce a droit à l'emploi exclusif de la marque enregistrée. L'article 20 interdit en outre la contrefaçon présumée, savoir l'emploi de marques de commerce similaires au point de créer de la confusion avec des marques enregistrées.


[14]       Nabisco fait valoir que si Dole est autorisée à continuer la mise en marché de son produit, Nabisco en subira un préjudice irréparable car sa marque de commerce légitimement enregistrée perdra son caractère distinctif, des dommages seront causés à son achalandage, la réputation de son entreprise subira un préjudice irréparable de même que ses relations avec les concessionnaires, les marchands détaillants et les clients et elle souffrira une perte de marché permanente.

[15]       L'allégation de préjudice irréparable suppose la validité de la marque de commerce. Or Dole conteste avec vigueur cette validité.

[16]       En matière d'injonction provisoire préventive (quia timet) comme celle qui nous occupe, la Cour peut, en s'appuyant sur la preuve, conclure par inférence à l'existence d'un préjudice irréparable. Si, toutefois, le fondement juridique de l'argument du préjudice irréparable est lui-même contesté, comme en l'espèce, il me semble alors que toute évaluation de ce préjudice serait de nature hypothétique.

[17]       En outre, en concluant en l'espèce à l'existence d'un préjudice irréparable, on statuerait effectivement sur le fond du litige en affirmant le droit de propriété de Nabisco sur la marque de commerce.

[18]       À mon avis, l'exposé du juge Heald dans l'arrêt Syntex Inc. c. Novopharm Ltd., (1991) 36 C.P.R. (3d) 129 (C.A.F.) s'applique directement aux faits à l'origine de la présente requête. Selon le juge Head :

En l'espèce, c'est la validité même de la marque de l'intimée qui est contestée et qui est en cause. À mon avis, une décision au fond qui nécessite des preuves et témoignages considérables sur des points litigieux touchant à la question cruciale de la validité de la marque ne saurait être rendue au stade de l'injonction interlocutoire.


Le juge a ajouté :

La juridiction qui décide, par voie d'injonction interlocutoire, qu'un plaignant a des « droits de propriété sur une marque de commerce » , décide de ce fait du litige qui doit être tranché au procès. À mon avis, pareille décision ne doit pas être rendue au stade de l'injonction interlocutoire où, comme en l'espèce, la question de validité est vigoureusement disputée par les deux parties.

prépondérance des inconvénients

[19]       En l'espèce, deux parties expérimentées, averties et bien informées font chacune des allégations sur lesquelles il est impossible de se prononcer si chacune d'elle n'a pas la possibilité de présenter une preuve complète et de mettre à l'épreuve celle de la partie adverse au moyen du contre-interrogatoire. Dans ces circonstances, la prépondérance des inconvénients favorise le maintien du statu quo.

retard

[20]       Des commentaires supplémentaires s'imposent relativement à la question du retard. Nabisco a reconnu qu'elle est au courant, depuis au moins la troisième semaine de juin 2000, des activités de Dole, mais qu'elle n'a pris aucune mesure avant le dépôt de la présente requête le 9 août 2000.


[21]       Dans l'intervalle, Dole a passé des contrats avec d'importants détaillants canadiens et a dépensé plus d'un million de dollars en ententes relatives au volume de présentation en étalage avec ces derniers. Dole est déjà présente dans le marché canadien et s'est engagée à expédier son produit dans la semaine. Une injonction provisoire, à l'heure actuelle, causerait un préjudice à Dole. Si Nabisco avait présenté cette requête sans attendre, ce préjudice à Dole aurait pu être considérablement réduit. Elle ne l'a pas fait, et son défaut incline la Cour à refuser ce recours.

[22]       Pour ces motifs, la requête en injonction provisoire est rejetée avec dépens en faveur des demanderesses Dole Food Company, Inc. et Dole Foods of Canada Ltd.

    « Dolores M. Hansen »   

J.C.F.C.

Traduction certifiée conforme

                                     

Ghislaine Poitras, LL.L.

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