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Date : 20040714    

Dossier : T-1000-03

Référence : 2004 C 985

CALGARY (Alberta), le mercredi 14 juillet 2004.

En présence de Monsieur le juge Campbell

ENTRE :

                                                             ROBERT BARNES

                                                                                                                                          demandeur

                                                                             et

              LE MINISTRE DU DÉVELOPPEMENT DES RESSOURCES HUMAINES

ET LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeurs

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                J'estime qu'en l'espèce, la décision rendue le 6 juin 2003 par la déléguée du ministre du Développement des ressources humaines (la décision), sous le régime de la Loi sur le régime de pensions du Canada, L.R.C. 1985, ch. C-8 (la Loi), est entachée d'une erreur de droit susceptible de révision. Étant donné la nature de l'erreur, je conclus, pour les raisons que j'exposerai plus bas, que la décision est manifestement déraisonnable.

[2]                La présente affaire porte sur des prestations d'invalidité versées au demandeur depuis 1986, par suite d'une blessure grave. Le versement des prestations a été suspendu en 1998, après détermination par le ministre que le demandeur n'y avait plus droit depuis le mois de février 1988 parce qu'il touchait un revenu d'emploi. À la suite de cette décision, le ministre a exigé, en mars 2000, le remboursement des prestations excédentaires versées, savoir 101 780,80 $.

[3]                La décision en cause est l'aboutissement d'un processus d'examen à étapes multiples, dont la dernière consiste en l'examen de la question des prestations excédentaires par un tribunal de révision sous le régime de l'article 82 de la Loi. L'étendue de l'obligation du ministre de statuer sur la question des prestations excédentaires et la compétence du tribunal de révision relativement à cette question ont suscité de nombreux arguments sur lesquels les parties sont parvenues à des ententes au cours de la plaidoirie.

[4]                Les parties ont convenu que l'alinéa 66(3)d) de la Loi donne au ministre compétence pour rendre une décision en matière d' « avis erroné » . Voici le texte de cette disposition :



Abandon d'une créance

(3) Nonobstant l'alinéa 61(2)b) et les paragraphes (1) et (2) du présent article, lorsqu'une personne a reçu ou obtenu une prestation à laquelle elle n'a pas droit ou une prestation supérieure à celle à laquelle elle a droit et que le ministre est convaincu que, selon le cas :

a) le montant ou l'excédent de la prestation ne peut être récupéré dans un avenir prévisible;

b) les frais administratifs de récupération du montant ou de l'excédent de la prestation seraient vraisemblablement égaux ou supérieurs au montant à récupérer;

c) le remboursement du montant ou de l'excédent de la prestation causerait un préjudice abusif au débiteur;

d) le montant ou l'excédent de la prestation résulte d'un avis erroné ou d'une erreur administrative attribuable au ministre ou à un fonctionnaire du ministère du Développement des ressources humaines agissant dans le cadre de ses fonctions en application de la présente loi,

le ministre peut, sauf dans les cas où cette personne a été condamnée, aux termes d'une disposition de la présente loi ou du Code criminel, pour avoir obtenu la prestation illégalement, faire remise de tout ou partie des montants versés indûment ou en excédent.

Remission of amount owing

(3) Notwithstanding paragraph 61(2)(b) and subsections (1) and (2) of this section, where a person has received or obtained a benefit payment to which he is not entitled, or a benefit payment in excess of the amount of the benefit payment to which he is entitled, and the Minister is satisfied that

(a) the amount or excess of the benefit payment cannot be collected within the reasonably foreseeable future,

(b) the administrative costs of collecting the amount or excess of the benefit payment are likely to equal or exceed the amount to be collected,

(c) repayment of the amount or excess of the benefit payment would cause undue hardship to the debtor, or

(d) the amount or excess of the benefit payment is the result of erroneous advice or administrative error on the part of the Minister or an official of the Department of Human Resources Development acting in an official capacity in the administration of this Act,

the Minister may, unless that person has been convicted of an offence under any provision of this Act or of the Criminal Code in connection with the obtaining of the benefit payment, remit all or any portion of the amount or excess of the benefit payment.


[Non souligné dans l'original]

[5]                Voici le texte de la décision rendue :

[traduction] Concernant : Robert Barnes

NAS : 629-789-009

Objet :    Fin de l'admissibilité aux prestations en mars 1988

M. Misak [l'avocat du demandeur],


Vu la décision du tribunal de révision et la recommandation qu'il a faite au ministre de reconsidérer notre position au sujet de l'avis erroné que M. Barnes prétend avoir reçu, nous avons passé en revue le dossier de M. Barnes pour déterminer si un tel avis lui avait été donné.

Comme l'indique la lettre de Maureen Killaran en date du 20 novembre 2000, « le ministre peut faire remise de tout ou partie des montants versés indûment ou en excédent, si le versement résulte d'un avis erroné [...] attribuable au ministre ou à un fonctionnaire du ministère du DRH agissant dans le cadre de ses fonctions en application de la présente loi » .

Après examen des renseignements au dossier, y compris la décision du tribunal de révision, nous avons conclu qu'il est très peu probable que M. Barnes ait reçu un tel renseignement. Par conséquent, aucune erreur n'a été démontrée.

Il convient de signaler que M. Barnes pouvait faire appel de la décision du 16 décembre 2002 du tribunal de révision.

Espérant le tout à votre satisfaction,

P. O. Brien

Directrice, AC, Division du traitement des prestations d'invalidité

[Dossier du demandeur, p. 10]

[6]                Les parties ont convenu que le tribunal de révision n'avait pas compétence pour statuer sur la question de l'avis erroné mais qu'il l'a fait de façon gratuite, et que, sans prendre en considération si le tribunal avait compétence en cette matière, la déléguée du ministre a tenu compte de ses conclusions sur la question pour rendre sa décision.

[7]                Relativement à ce qu'avait compris le demandeur ainsi qu'à sa crédibilité, le tribunal de révision s'est exprimé en ces termes :

[traduction] Le tribunal estime que la crédibilité de l'appelant s'est maintenue pendant toute l'audience et qu'il appert des documents en preuve qu'il a fait preuve de bonne foi en fournissant l'autorisation médicale requise en 1997 et en confirmant qu'il travaillait. Le tribunal est d'avis que l'appelant a coopéré pleinement en fournissant les renseignements énumérés dans les demandes envoyées à sa bonne adresse.


L'appelant a également fait valoir que le ministre a commis une erreur administrative. Sa mère et lui ont déclaré dans leur témoignage que l'appelant s'est rendu à une rencontre avec un représentant de Développement des ressources humaines Canada, tenue à l'édifice Harry Hays en 1986. Selon le témoignage de l'appelant, il s'y est fait explicitement dire qu'il avait droit aux prestations à vie. Il a indiqué qu'il avait expressément demandé s'il pouvait faire un travail intellectuel et continuer d'être considéré comme invalide et s'était fait répondre que c'était correct. Il a cité sa mère, Mme H. Barnes, comme témoin; celle-ci avait assisté à la rencontre à l'édifice Harry Hays, et elle a dit se rappeler qu'on avait dit à son fils qu'il avait droit aux prestations à vie.

...

Le Tribunal est d'avis que l'appelant a toujours fait preuve de bonne foi et il estime qu'il y a clairement eu un malentendu et que le témoignage de la mère de l'appelant pourrait laisser entendre que l'appelant avait, en sortant de la rencontre, une impression qui ne correspondait pas à ce qui était possible en vertu de la loi.

[Dossier du demandeur, p. 14 - 15]

[8]                Cinq éléments essentiels de la décision doivent être examinés pour déterminer si celle-ci est entachée d'erreur. Les quatre premiers sont les suivants :

1.         pendant tout le processus, le demandeur a soutenu qu'on lui avait donné un avis erroné, savoir qu'il recevrait ses prestations d'invalidité à vie;

2.         il n'existe dans le dossier aucune preuve directe pouvant permettre de conclure qu'il ne s'est pas fait donner cet avis;

3.         pendant tout le processus, le ministre a choisi de croire qu'il n'était pas vraisemblable que le demandeur ait reçu un avis erroné;

4.         après avoir posé des questions au demandeur et à sa mère, le tribunal de révision a conclu que l'appelant était crédible et avait agi de bonne foi.

[9]                Le cinquième élément essentiel à examiner est la déclaration qu'a faite la déléguée du ministre dans son affidavit, que je traite comme faisant partie de la décision. Cette déclaration se trouve au paragraphe 23 de l'affidavit; en voici le texte :

[traduction] J'ai conclu que M. Barnes n'avait fourni aucune preuve qu'il avait reçu un avis erroné du ministre. Rien n'appuyait ses allégations.

[Non souligné dans l'original]

[Dossier du demandeur, p. 23]

[10]            Il est clair que le dossier comporte des éléments de preuve selon lesquels un avis erroné a été donné. Il s'agit des propres dépositions non contredites du demandeur, dont la dernière, appuyée par le témoignage de sa mère, a été donnée devant le tribunal de révision, lequel a conclu que le témoin était crédible. La déléguée du ministre aurait certainement pu prendre acte de cet élément de preuve et, ensuite, en apprécier la valeur probante. Selon moi, affirmer qu'il n'existait « pas d'élément de preuve » constitue une erreur manifeste. Cette erreur rend donc la décision manifestement déraisonnable.

                                   O R D O N N A N C E

En conséquence, j'annule la décision et je renvoie l'affaire à un autre délégué du ministre pour reconsidération en fonction des directives suivantes :


1.         le délégué du ministre devra examiner particulièrement toute la preuve relative à la compréhension que M. Barnes avait du fondement et des conditions de l'octroi des prestations d'invalidité;

2.         le délégué du ministre devra examiner particulièrement les conclusions du tribunal de révision relativement à la crédibilité de M. Barnes et de sa mère.

Puisque le demandeur a obtenu gain de cause, il a droit aux dépens suivant la colonne 3 du tarif B.

« Douglas R. Campbell »                                                                       

                                                                                                   JUGE           

TRADUCTION CERTIFIÉE CONFORME

Ghislaine Poitras, LL.L.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER:                 T-1000-03

INTITULÉ :               Robert Barnes c. Développement des ressources humaines et Procureur général du Canada

                                                     

LIEU DE L'AUDIENCE:                               Calgary (Alberta)

DATE DE L'AUDIENCE:                             13 juillet 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE DE MONSIEUR LE JUGE CAMPBELL

EN DATE DU :         14 juillet 2004

COMPARUTIONS:

M. Michael D. Mysak                                       POUR LE DEMANDEUR

M. Michel Mathieu

MmeRose-Gabrielle Birba                                             POUR LES DÉFENDEURS

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Bennett Jones LLP

Calgary (Alberta)                                               POUR LE DEMANDEUR

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada                                POUR LES DÉFENDEURS


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