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Date: 20040727

Dossier : T-2242-03

Référence : 2004 CF 1040

ENTRE :

                                                               CHRIS HUGHES

                                                                                                                                          demandeur

                                                                             et

                            AGENCE DES DOUANES ET DU REVENU DU CANADA

                                                                                                                                      défenderesse

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE PROTONOTAIRE HARGRAVE

[1]                Le demandeur, un fonctionnaire non représenté par avocat, requiert le contrôle judiciaire d'une décision rendue sur la possibilité de se prévaloir de droits de recours en rapport, semble-t-il, avec une promotion possible, après la prise d'une mesure corrective.


[2]                Selon le demandeur, la décision en cause a été prise et lui a été communiquée par lettre le 5 novembre 2003. L'avocate de la défenderesse soutient quant à elle que la décision remonte plutôt en 2001, et que la lettre du 5 novembre 2003 n'était qu'une mesure de courtoisie et non une nouvelle décision. Pour statuer sur la présente requête visant le dépôt d'un affidavit complémentaire et de 162 pièces sous le régime de la règle 312, je n'ai pas à déterminer la date effective de la décision. Il semble en effet établi que des documents que M. Hugues cherche maintenant à verser au dossier n'ont pas été soumis au tribunal ayant rendu la décision. D'autres documents ne sont pas pertinents. Les nouveaux éléments de preuve ne serviraient pas les intérêts de la justice pas plus qu'ils ne seraient utiles à la Cour et, s'ils étaient acceptés à cette date tardive, ils causeraient un grave préjudice à la défenderesse. La requête est rejetée. J'examinerai maintenant la question plus en détail.

Analyse

[3]                La présente instance de contrôle judiciaire a débuté le 27 novembre 2003. Elle fait partie d'une série d'instances dont M. Hughes s'occupe, pour lui-même ou, dans un cas, pour sa belle-soeur. Il est évident que M. Hughes n'en mène pas large, à tout le moins, en ce qui concerne la présente demande. Il appert de la preuve qu'il ne s'est rendu compte que le 18 mai 2004, lors d'une audience relative à une autre demande de contrôle judiciaire, qu'il devait appuyer chacune des allégations qu'il voulait avancer de documents joints en annexe à un affidavit. À cette date, le demandeur avait déjà déposé sa preuve par affidavit et son dossier depuis un certain temps, et le Juge en chef avait déjà fixé, le 28 avril précédent, l'audition de la demande de contrôle judiciaire au 3 et 4 août 2004.


[4]                Le 7 juillet 2004, M. Hughes a entrepris de corriger les lacunes qu'il avait découvertes le 18 mai précédent, et il a produit et signifié une requête pour autorisation de déposer des documents complémentaires. Il ne s'agissait pas, je le souligne, de documents fournis en réponse, mais véritablement de documents complémentaires. La requête ne faisait pas état du volume du matériel complémentaire que le demandeur voulait déposer. Or il s'agit d'un renseignement capital pour une requête fondée sur la règle 312. Non seulement permet-il à la partie adverse de comprendre la teneur et la nature des documents visés, mais encore il renseigne la Cour ainsi que la partie adverse sur la façon d'aborder la question et sur le droit applicable.

[5]                L'autorisation de déposer des affidavits complémentaires visée à la règle 312 - qui doit être demandée sans délai - ne peut, il va de soi, être accordée dans le vide. Lorsque les nouveaux documents ne sont pas complexes, le requérant peut, comme l'indique la décision Wright c. Directeur de l'Établissement de Mission (1998), 159 F.T.R. 104 (où l'exemple d'une transcription qui se faisait attendre a été évoqué), demander l'autorisation sans produire le projet d'affidavit. Dans cette décision, toutefois, la Cour a refusé l'autorisation car le requérant n'avait pas même donné d'explication sur les nouveaux documents qui seraient soumis. Je n'ignore pas que la juge Reed a indiqué, dans Walker c. Randall (1998), 157 F.T.R. 113, à la p. 114, qu'il n'est pas nécessaire que les nouvelles pièces existent lorsque la demande d'autorisation est faite et que l'affidavit peut être produit plus tard, comme ce fut le cas dans Eli Lilly & Co. c. Apotex Inc. (1998), 137 F.T.R. 226. Toutefois, ces deux dernières affaires portaient sur des affidavits en réponse et non sur des affidavits complémentaires comportant des pièces supplémentaires, comme en l'espèce.


[6]                Lorsqu'une partie cherche à déposer, comme en l'espèce, un grand nombre de nouvelles pièces (162, ici) en annexe à un affidavit complémentaire, en particulier, après la tenue du contre-interrogatoire et après la fixation de la date d'audience, il irait à l'encontre du but recherché qu'elle ait à décrire relativement précisément les pièces, puis que la partie adverse ait à s'assurer, en y mettant le temps et l'énergie, qu'elle a les bons documents; il vaut mieux joindre à la requête une copie ou une ébauche de l'affidavit, accompagnée des pièces en cause. De fait, il ne serait pas judicieux d'opter pour la méthode de la description du contenu de l'affidavit complémentaire. Mais ici, le demandeur s'est heurté à une difficulté procédurale dont il n'était pas responsable : le greffe a refusé qu'il dépose le projet d'affidavit à l'appui de sa requête. La Cour a alors déclaré le dossier de requête incomplet, ce qui a obligé le demandeur à obtenir une directive puis à improviser à la main, au comptoir du greffe, des pièces complémentaires. À part un peu de travail supplémentaire, la méconnaissance de la procédure par le fonctionnaire du greffe n'a pas occasionné de préjudice, heureusement, car le greffe, s'il n'avait pas accepté le dépôt du projet d'affidavit, en avait néanmoins gardé une copie et a pu, après en avoir reçu la directive, l'envoyer sans délai au ministère de la Justice le 7 juillet 2004. La requête a ensuite été examinée aussi rapidement que le permettaient les horaires de toutes les personnes concernées. Elle a été présentée oralement le 26 juillet 2004. Je ferais remarquer ici qu'idéalement, le demandeur aurait dû entreprendre ses correctifs en mai ou en juin, peu après avoir pris conscience des lacunes de sa preuve documentaire. Toutefois, la présentation tardive de la requête, si elle est fâcheuse, n'a pas joué de rôle déterminant dans le refus de l'autorisation. C'est la jurisprudence, telle qu'elle a été établie dans les arrêts Mazhero c. Industrial Relations Board (Canada) (2002), 292 N.R. 187 (C.A.F.), à la p. 188, et Atlantic Engraving Ltd. c. Lapointe Rosenstein (2002) 299 N.R. 244 (C.A.F.), à la p. 246, qui a déterminé la décision.

[7]                En effet, le juge Evans a signalé dans l'arrêt Mazhero , précité, que « ... le pouvoir discrétionnaire de la Cour de permettre le dépôt de documents additionnels devrait être exercé avec une grande circonspection » , puis il a repris un passage de la décision Deigan c. Canada (1999), 168 F.T.R. 277, p. 278:

Les nouvelles Règles de la Cour fédérale permettent le dépôt d'un affidavit et d'un dossier supplémentaires; cependant, cela ne doit être permis que dans un nombre restreint de cas et dans des circonstances exceptionnelles : en faisant autrement, on violerait l'esprit de l'instance de contrôle judiciaire, qui a été conçue en vue d'accorder rapidement une réparation par l'entremise d'une procédure sommaire. Bien que le critère général applicable au dépôt de tels documents supplémentaires soit de savoir si le fait de déposer de tels documents sera dans l'intérêt de la justice, aidera la Cour, et ne causera pas de préjudice grave à la partie adverse, il est également important que tout affidavit ou dossier supplémentaire ne porte pas sur des documents qui auraient pu être communiqués à une date antérieure et ne retarde pas indûment l'instance

La Section de première instance a confirmé la décision Diegan ((1999) 165 F.T.R. 12). Dans l'arrêt Atlantic Engraving, précité, le juge Nadon a précisé les principes qui devraient guider l'exercice du pouvoir discrétionnaire de la Cour d'admettre des éléments de preuve supplémentaires, à la p. 246:

i) Les éléments de preuve vont dans le sens des intérêts de la justice;

ii) Les éléments de preuve aideront la Cour;

iii) Les éléments de preuve ne causeront pas de préjudice grave à la partie adverse (voir Eli Lilly & Co. c. Apotex Inc. (1997), 76 C.P.R. (3d) 15 (1re inst.); Robert Mondavi Winery c. Spagnol's Wine & Beer Making Supplies Ltd. (2001), 10 C.P.R. (4th) 331 (1re inst.)).


La Cour a également ajouté dans cet arrêt l'exigence qu'il soit démontré qu'il n'a pas été possible d'obtenir les documents complémentaires avant le contre-interrogatoire, car une partie ne peut avoir recours à la règle 312 pour scinder sa preuve. Chaque partie est tenue de présenter la meilleure preuve dont elle dispose dès que cela est possible :

De plus, lorsqu'il sollicite l'autorisation de déposer des documents complémentaires, le demandeur doit démontrer que les éléments de preuve qu'il cherche à produire n'étaient pas disponibles avant le contre-interrogatoire relatif aux affidavits de la partie adverse. Une partie ne peut se servir de la règle 312 pour diviser sa cause et elle est tenue de présenter la meilleure preuve le plus tôt possible (voir Salton Appliances (1985) Corp. c. Salton Inc. (2000), 181 F.T.R. 146, 4 C.P.R. (4th) 491 (1re inst.); Inverhuron & District Ratepayers Assn. c. Canada (Ministre de l'Environnement) (2000), 180 F.T.R. 314 (1re inst.)).                                                                

[loc. cit.]

[8]                J'ai examiné la preuve par affidavit complémentaire que M. Hughes cherche à produire pour déterminer s'il servirait les intérêts de la justice de l'accepter, si elle aiderait la Cour sans causer de préjudice grave à la défenderesse et s'il s'agit de pièces qui ne pouvaient être obtenues avant le contre-interrogatoire, afin de m'assurer que la règle 312 ne soit pas utilisée comme moyen de scinder la preuve. Il appert qu'une grande partie des pièces complémentaires était disponible bien avant le contre-interrogatoire. Certaines autres portent une date beaucoup plus récente et ne peuvent donc être pertinentes.


[9]                En l'espèce, le demandeur ne s'est pas acquitté du fardeau de prouver, comme l'exige le critère établi dans l'arrêt Atlantic Engraving, que les documents complémentaires n'étaient pas disponibles plus tôt. Je précise, à cet égard, que je ne me suis pas appuyé sur le raisonnement de la défenderesse selon lequel il était impossible que beaucoup des pièces complémentaires aient été soumises au décideur puisque la décision a été rendue en 2001. Je constate toutefois qu'une grande partie du matériel porte sur huit plaintes distinctes de harcèlement déposées par le demandeur contre huit autres employés de l'Agence des douanes et du revenu du Canada, qui ont été examinées par un autre organisme et qui ne revêtent absolument aucune pertinence pour la présente demande de contrôle judiciaire.

[10]            De façon générale, je ne suis pas convaincu que les pièces complémentaires serviront les intérêts de la justice et aideront la Cour et qu'elles ne causeront pas de préjudice grave, d'autant plus que la défenderesse ne disposerait pas d'un nombre raisonnable de semaines pour prendre connaissance du matériel complémentaire et qu'elle n'aurait pas suffisamment de temps pour examiner le volume important de documents, dont beaucoup semblent d'une pertinence douteuse, organiser et effectuer un contre-interrogatoire et préparer un affidavit en réponse, avant l'audience prévue par les 3 et 4 août.

[11]            L'avocate de la défenderesse fait également valoir que la décision de prévoir deux jours d'audience reposait sur l'hypothèse que le demandeur présenterait sa preuve en une journée et demie et que la défenderesse aurait une demi-journée pour répondre. Elle souligne que si 162 nouveaux documents étaient déposés, l'audience devrait être prolongée, et je lui donne raison à cet égard. En outre, aucune requête visant à reporter l'audience n'a été présentée.

[12]            Il se peut, puisque la Cour a affaire à un plaideur profane, que ces propos paraissent sévères, mais il faut dire, d'abord, que M. Hughes s'occupe de plusieurs dossiers judiciaires, pour son propre compte et pour celui de sa belle-soeur. Ensuite, même s'il fait du mieux qu'il peut dans les circonstances, compte tenu de son horaire chargé, cela ne constitue pas une excuse. À cet égard, je m'appuie sur deux décisions. Dans Saint-Jacques c. Pike (1989), 29 F.T.R. 256, le juge Denault a signalé, à la p. 258 :

L'absence d'un procureur pour représenter le requérant ne dispense aucunement ce dernier de l'obligation de suivre les Règles de la Cour fédérale pour assurer la sanction de ses droits.

M. Hughes soutient effectivement qu'il fait de son mieux, mais un passage d'une autre décision ajoute peut-être aux propos du juge Denault dans la décision Saint-Jacques. En effet, voici ce qu'on peut lire dans la décision Nelson c. Ministre du Revenu national (1996), 111 F.T.R. 214, à la p. 217:

M. Nelson donne une excuse, savoir qu'il fait de son mieux. Je noterais qu'il ne s'agit pas là d'une excuse, mais je dirais même que M. Nelson a acquis une vaste expérience en matière de litiges fiscaux. Lorsqu'un plaideur profane recourt au système judiciaire, il peut s'attendre à une assistance raisonnable du personnel du greffe de la Cour quant aux questions de procédure.    Toutefois, le plaideur lui-même doit déployer des efforts raisonnables pour comprendre certaines des règles et des procédures fondamentales ...


Tout comme M. Nelson, qui n'avait pas paru comprendre beaucoup les règles et la procédure applicables, M. Hughes ne semble pas avoir eu le temps d'absorber les Règles de la Cour fédérale et le droit s'y rapportant et de les comprendre. Le fait que le greffe de la Cour l'ait induit en erreur, jusqu'à un certain point, n'a pas d'incidence sur l'issue de la présente requête, qui est rejetée.

[13]            La défenderesse a droit à ses dépens, établis à 400 $.

« John A. Hargrave »

       Protonotaire

Traduction certifiée conforme

Ghislaine Poitras, LL.L., Trad. a.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                T-2242-03

INTITULÉ :               CHRIS HUGHES C.         

AGENCE DES DOUANES ET DU REVENU DU CANADA

LIEU DE L'AUDIENCE :                              Vancouver (C.-B.)

DATE DE L'AUDIENCE :                            26 juillet 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : LE PROTONOTAIRE HARGRAVE

ET ORDONNANCE

EN DATE DU:          27 juillet 2004

COMPARUTIONS :

                                  

M. Chris Hughes                                                           Pour son propre compte

Mme Sarah Pearson                                                      Pour la défenderesse

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Morris Rosenberg                                              Pour la défenderesse

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ont.)


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