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     Date : 19990421

     Dossier : IMM-3849-98

ENTRE

     CHANG WEN HSU,

     demandeur,

     et

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     intimé.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE TEITELBAUM

[1]      Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire de la décision d'une agente des visas en date du 15 juillet 1998, rejetant la demande d'établissement du demandeur dans la catégorie des entrepreneurs. L'intéressé veut obtenir une ordonnance annulant la décision en question, et un bref de mandamus prescrivant à l'intimé de traiter sa demande conformément à la loi.

LES FAITS

[2]      C'est au Consulat général du Canada à Buffalo que le demandeur a demandé, le 8 avril 1997, le statut de résident permanent en qualité de travailleur autonome. Le 12 février 1998, il a passé une entrevue de sélection avec une agente des visas en présence d'un interprète, du fait qu'il ne parlait pas l'anglais. Il a alors manifesté à l'agente des visas le souhait d'être évalué en tant qu'entrepreneur. Aux termes de l'article 2 du Règlement sur l'immigration de 1978 , le mot entrepreneur est défini comme

         Un immigrant         
         a)      qui a l'intention et qui est en mesure d'établir ou d'acheter au Canada une entreprise ou un commerce, ou d'y investir une somme importante, de façon à contribuer de manière significative à la vie économique et à permettre à au moins un citoyen canadien ou résident permanent, à part l'entrepreneur et les personnes à sa charge, d'obtenir ou de conserver un emploi, et         
         b)      qui a l'intention et est en mesure de participer activement et régulièrement à la gestion de cette entreprise ou de ce commerce.         

[3]      D'après l'affidavit de l'agente des visas daté du 8 septembre 1998, le demandeur n'a jamais terminé ses études secondaires. Il se disait mécanicien, mais n'a pu prouver ses aptitudes professionnelles dans ce domaine. Il possédait un commerce de pièces d'automobile à Taipei depuis 1984 et projetait d'installer une affaire semblable dans la région de Hamilton ou de Niagara Falls.

[4]      À l'entrevue, il a présenté son permis d'exploitation d'un commerce et ses états financiers. Même si ces documents indiquaient une constitution en société le 2 mai 1984 et faisaient état d'actionnaires, le demandeur a insisté pour dire qu'il était le seul propriétaire de l'affaire.

[5]      Son bilan pour 1994 affichait des pertes cumulées de 108 718 $NT qu'il n'arrivait pas à logiquement expliquer. Les états financiers indiquaient qu'il avait enregistré une perte en 1995, mais un profit de 10 202 $CAN en 1994 et de 15 505 $CAN en 1996. Il a déclaré avoir réalisé un bénéfice en 1997, mais ne détenait aucune preuve documentaire à l'appui de ses dires. Ses épargnes s'élevaient à 170 000 $CAN, avec lesquelles il projetait de lancer son entreprise et de subvenir aux besoins de sa famille au Canada. Il a expliqué que cet argent provenait d'investissements privés dont l'un d'eux avait pour nom « CROP » . Il lui a été impossible de fournir une preuve quelconque de ses placements, de décrire en quoi consistait « CROP » , ni de dire comment il en a fait de l'argent. Sa femme possédait un bien foncier évalué à près de 482 000 $CAN. Rien n'indiquait qu'ils avaient l'un et l'autre l'intention de vendre cette propriété pour accroître la valeur de leur investissement.

[6]      À la lumière de ces conclusions, l'agente des visas n'a pas été persuadée que le demandeur était apte à établir avec succès une entreprise au Canada qui contribuerait à l'économie du pays et, à son avis, l'intéressé ne répondait ni à la définition ni aux conditions propres à un entrepreneur.

[7]      De plus, elle a conclu qu'il ne pouvait pas parler en connaissance de cause de ses activités professionnelles quotidiennes concernant, par exemple, son stock et son budget, ses relations avec ses clients et fournisseurs et l'embauche de personnel. Il a simplement dit qu'il était propriétaire d'une petite entreprise comptant un employé/technicien qui le secondait. En conséquence, l'agente des visas l'a informé qu'il n'avait pas réussi à démontrer qu'il pouvait participer activement et régulièrement à la gestion d'une entreprise ni de quelle manière celle-ci contribuerait de manière significative à l'économie de la région où il comptait s'installer.

[8]      Le demandeur conteste la crédibilité de l'agente des visas et la conclusion qu'il n'avait pas réussi à prouver qu'il était en mesure d'exploiter une entreprise avec succès.

LA QUESTION DE CRÉDIBILITÉ

[9]      Le demandeur allègue qu'il n'a pas obtenu de l'agente des visas une évaluation équitable et approfondie. Il prétend plus particulièrement, semble-t-il, qu'elle ne l'a pas interrogé au sujet de son aptitude à gérer une affaire, de la vente éventuelle de la propriété foncière de sa femme et qu'elle ne lui a pas donné l'occasion de faire le point sur la question des actionnaires.

[10]      L'agente des visas déclare dans son affidavit que ces points ont été discutés à l'entrevue. Le demandeur allègue qu'il ne faudrait pas se fier à cet affidavit vu que le souvenir que l'agente des visas en conserve manque de fiabilité. Elle a tenu l'entrevue le 12 février 1998 et pris des notes à ce moment-là. Elle a ensuite revu le dossier le 15 juin 1998 et rendu sa décision le même jour. Quatre mois séparent donc l'entrevue de la prise de décision. Un agent des visas procède normalement à quatre entrevues par jour. D'après le demandeur, le souvenir que l'agente des visas conserve à ce propos n'est donc pas fiable, à moins d'être fondé sur les notes prises à l'entrevue. Il s'appuie sur les propos du juge Reed dans l'affaire Parihar c. M.E.I.1 concernant la façon dont un agent d'immigration perçoit une entrevue par opposition à un requérant. Elle dit :

         De plus, il est toujours plutôt inquiétant de constater que des affidavits, comme celui dont il s'agit en l'espèce, soient préparés assez longtemps après l'événement par des fonctionnaires qui interviewent certainement un grand nombre de personnes sur une période de plusieurs mois. Quant à la mémoire des événements, on s'attendrait bien sûr à ce que les individus interviewés se souviennent plus clairement de l'entrevue (c'est pour eux une expérience unique) que la personne qui la mène.         
         [...] Après un examen minutieux des documents, j'ai décidé d'accepter la version des événements contenus dans l'affidavit déposé à l'appui de la requête des parties requérantes. Tel que mentionné plus haut, les parties requérantes se souviennent probablement mieux des événements que l'agent d'immigration. L'affidavit de M. Akerstrom n'est appuyé par aucun élément de preuve objectif recueilli au moment de l'entrevue. Il faut préciser que je ne doute pas que M. Akerstrom a tenté de reconstituer exactement les événements. Je conclus simplement que les parties requérantes en ont vraisemblablement gardé un souvenir plus clair.         

[11]      Le demandeur prétend qu'au contre-interrogatoire, l'agente des visas n'arrivait pas à se souvenir de la durée de l'entrevue, cette information ne figurant pas dans ses notes. Pourtant, elle a pu témoigner qu'elle avait étudié l'ensemble des éléments de preuve alors qu'elle n'a pas pris note de ce point. Il allègue en outre que rien n'indique dans les notes en question qu'il a été suffisamment et minutieusement interrogé sur ses aptitudes à la gestion et aux affaires ni sur ses activités de tous les jours. Les notes n'indiquent pas si l'agente des visas a voulu savoir du demandeur si sa femme serait disposée à vendre sa propriété foncière, ni si l'agente a pris en considération la valeur de cette propriété. Rien ne révèle dans ses notes qu'elle a donné au demandeur l'occasion de faire le point sur les actionnaires dont il a fait état ni sur son affirmation qu'il était le seul propriétaire de son affaire. Enfin, l'agente des visas a déclaré dans son affidavit que le demandeur n'a pas réussi à expliquer logiquement la perte cumulée qu'il a subie en 1994, mais elle n'a pas été en mesure de se rappeler, au contre-interrogatoire, ce que cette explication avait d'illogique.

[12]      Pour évaluer la crédibilité, il faut nécessairement mettre en regard l'une et l'autre des versions respectives de l'agente des visas et du demandeur. Dans le cadre de la présente procédure, le demandeur a déposé, le 25 août 1998, un bref affidavit consistant en une série de questions que lui aurait posées l'agente des visas. Or, les points mentionnés ci-dessus n'y figurent pas. Je constate que la version du demandeur au sujet des questions que l'agente des visas lui a posées ne concorde pas avec les notes plus détaillées que celle-ci a prises à l'entrevue. Ces notes contiennent des renseignements qui n'auraient pu être réunis si les questions posées au demandeur avaient eu une portée aussi limitée qu'il le prétend. À titre d'exemple, le demandeur ne mentionne pas qu'il a été interrogé sur la provenance de son fonds d'investissement. Pourtant, les notes de l'agente des visas font état du plan « CROP » et d'autres investissements financiers ainsi que de l'employé du demandeur et des profits et pertes d'entreprise, alors qu'aux dires du demandeur, les questions relatives à ses affaires portaient uniquement sur la nature de son travail et sur l'aspect fiscal. Il allègue aussi dans son affidavit qu'il ne sait pas où il compte installer son entreprise au Canada, alors que sa demande de résidence permanente et les notes de l'agente des visas indiquent qu'il cherchait à s'établir à Hamilton ou dans la région de Niagara Falls. Enfin, il ressort des notes en question que le requérant a été interrogé au sujet d'une demande d'immigration au Canada qu'il avait soumise précédemment, que son affidavit passe sous silence. Il est clair que l'entrevue avait une bien plus large portée que ne l'affirme le demandeur dans son affidavit. Pour cette raison, j'accepte la version de l'agente des visas.

[13]      En premier lieu, et en l'absence d'erreur manifeste, il faut supposer que l'agente a tenu compte de tous les éléments de preuve pertinents dont elle disposait. Le fait que ces notes n'indiquent pas expressément qu'elle a examiné tous les documents ne constitue pas en soi une erreur.

[14]      L'agente des visas a déclaré qu'elle avait donné au requérant l'occasion d'expliquer sa référence à des actionnaires et la perte cumulée en 1994 et qu'elle l'a interrogé sur l'origine de son fonds d'investissement, ce que confirme le passage suivant de ses notes :

                 [TRADUCTION]

                 L'intéressé déclare qu'il investira 170 000 $CAN dans son entreprise. Il a produit quatre récépissés de dépôts bancaires s'élevant à 122 257,04 $US. Il n'a pu dire comment il a réuni cette somme. Il possède une petite entreprise qui lui laisse entre 10 000 et 15 000 $ de profit. Il dit perdre parfois de l'argent. Participe aussi à un plan d'investissement privé « crop » (?) ou à un autre investissement financier.                 

[15]      L'agente des visas a confirmé, au contre-interrogatoire, qu'elle a interrogé le demandeur au sujet de son travail de tous les jours, ce que confirment apparemment ses notes, rédigées comme suit :

         [TRADUCTION]         
         L'intéressé soutient qu'il a un seul employé, un mécanicien/technicien. Il se dit lui-même mécanicien, mais ne peut le prouver. Il n'a pu fournir plus de détails sur son activité quotidienne.         

[16]      Bien que les notes ne disent pas expressément que le demandeur a été questionné au sujet des clients, des fournisseurs, du stock et du budget, l'agente des visas déclare que ce sont là des questions qu'elle pose tous les jours à tout requérant de cette catégorie. Je n'ai aucune raison de ne pas la croire.

[17]      Elle croit avoir demandé au demandeur si la propriété de sa femme serait mise en vente, afin de décider si le produit serait inclus ou non dans l'évaluation. Ses notes sont muettes là-dessus. De toute façon, le souvenir qu'elle en conserve est sans objet. Le demandeur a dit dans sa demande de résidence permanente son intention d'investir 170 000 $ dans son entreprise canadienne et il redit cela dans son affidavit du 25 août 1998. Toute prétendue intention de vendre la propriété en vue d'accroître la valeur de l'investissement est démentie dans l'affidavit; par conséquent, toute omission à tenir compte de la propriété pour les besoins de l'évaluation est sans conséquence.

[18]      Le demandeur a bénéficié, à mon avis, d'une évaluation complète et ses prétentions ne sont pas fondées.

CARACTÈRE DÉRAISONNABLE

[19]      L'agente des visas a conclu que le demandeur n'a nullement réussi à prouver qu'il était capable de diriger une entreprise avec succès ni qu'il avait exploité une affaire prospère à Taïwan. Aux dires du demandeur, cette conclusion ne concorde pas avec l'aveu de l'agente des visas qu'il a dirigé avec profit un commerce de pièces d'automobile à Taipei, ni avec les documents versés par lui au dossier. Ces pièces comprenaient des balances de vérification, des états de revenus, des bilans et un permis d'exploitation d'un commerce. Elles étaient revêtues du sceau du requérant et leur authenticité n'a jamais été mise en doute.

[20]      L'agente des visas n'a pas tiré une conclusion déraisonnable. Le demandeur a réalisé des profits relativement modestes et a subi une perte en 1995. Il a affiché, en 1994, une perte cumulée appréciable et inexpliquée et n'a pas été en mesure de dire en quoi consistaient ses principales activités professionnelles quotidiennes. Nonobstant la documentation, il était loisible à l'agente des visas de douter de l'aptitude du demandeur à monter une entreprise qui contribuerait de façon significative à l'économie du Canada.

[21]      La demande est rejetée.

[22]      Les parties n'ont aucune question à faire certifier.

                                                 « Max M. Teitelbaum »

                                                                 Juge

TORONTO (ONTARIO

Le 21 avril 1999

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     Avocats inscrits au dossier

No DU GREFFE :              IMM-3849-98

INTITULÉ DE LA CAUSE :      CHANG WEN HSU

                                         et

                                         LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

DATE DE L'AUDIENCE :          MERCREDI 21 AVRIL 1999

LIEU DE L'AUDIENCE :          TORONTO (ONTARIO)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE      PAR LE JUGE TEITELBAUM

EN DATE DU                  MERCREDI 21 AVRIL 1999

ONT COMPARU :

Max Chaudhari,              pour le demandeur

Toby Hoffmann,              pour le défendeur

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

Chaudhary Law Office

Avocats

405-255, chemin Duncan Mill

North York (Ontario)

M3B 3H9

                                         pour le demandeur

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

                              pour le défendeur

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     Date : 19990421

     Dossier : IMM-3849-98

ENTRE

CHANG WEN HSU,

     demandeur,

     et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     défendeur.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE     


__________________

Parihar c. M.E.I., (1991) 16 Imm. L.R. (2) 144, 50 F.T.R. 236.

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