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     Date : 19980130

     Dossier : IMM-749-97

Toronto (Ontario), le 30 janvier 1998

EN PRÉSENCE du juge Gibson

ENTRE :

     LELA MOHAMED ALI et FATHIA ABULLA HASSAN,

     requérantes,

     et

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

     ET DE L'IMMIGRATION,

     intimé.

     ORDONNANCE

     La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

                             FREDERICK E. GIBSON

                                     Juge

Traduction certifiée conforme

François Blais, LL.L.

     Date : 19980130

     Dossier : IMM-749-97

ENTRE :

     LELA MOHAMED ALI et FATHIA ABULLA HASSAN,

     requérantes,

     et

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

     ET DE L'IMMIGRATION,

     intimé.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE GIBSON

[I.]      Les présents motifs découlent d'une demande de contrôle judiciaire relative à une décision par laquelle la Section du statut de réfugié (la "SSR") de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a conclu que les requérantes n'étaient pas des réfugiées au sens de la Convention suivant le paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration .1 La décision de la SSR est datée du 21 janvier 1997.

[2]      Mme Ali (la "requérante principale") soutient qu'elle est une ressortissante de la Somalie, où elle serait née en septembre 1972. Mlle Hassan (la "requérante mineure") est la fille de la requérante principale et est née en Tanzanie en août 1989. Les requérantes craignent d'être persécutées pour un motif prévu à la Convention si elles doivent retourner, dans le cas de la requérante principale, et aller, dans le cas de la requérante mineure, en Somalie.

[3]      Le témoignage de la requérante principale peut être résumé brièvement comme suit. Elle s'est enfuie en Somalie à l'âge de huit ans en compagnie de membres de la famille, parce que tous craignaient d'être persécutés en raison des activités de son grand-père. Elle s'est établie illégalement avec eux au Kenya, où leur présence a été découverte en 1988. En 1989, ils ont tous reçu l'ordre de quitter le Kenya. Ils se sont enfuis de nouveau, cette fois en Tanzanie, où ils n'avaient encore là aucun statut. Pendant le trajet qui les menait en Tanzanie, le père de la requérante principale est décédé. Deux des frères de celle-ci ont quitté la famille pour [TRADUCTION] "... faire fortune à l'étranger", comme elle l'a expliqué. Un autre de ses frères a été arrêté par les autorités de la Tanzanie et renvoyé en Somalie. La requérante principale travaillait illégalement et c'est à la suite d'une liaison avec son employeur qu'elle a donné naissance à sa fille, laquelle naissance n'a pas été enregistrée. En octobre 1993, des agents d'immigration de la Tanzanie ont été avisés qu'elle travaillait illégalement et se sont mis à sa recherche. Elle a donc pris la fuite à nouveau et, après son arrivée au Canada, elle a déposé sa demande de statut de réfugié à la fin de 1993.

[4]      À l'ouverture de l'audience, alors que les requérantes étaient représentées par un avocat, la SSR a résumé les questions dont elle était saisie. Voici comment le président s'est exprimé :

     [TRADUCTION] La question la plus importante en l'espèce concerne votre identité, comme vous le savez probablement déjà. Lorsque des personnes viennent au Canada en utilisant des documents qui ne sont pas les leurs et qu'elles ne présentent pas leurs documents aux fonctionnaires à la frontière ou, du moins, qu'il ne s'agit pas de documents officiels, il devient très important pour la formation de s'assurer que la personne qui comparaît devant elle est effectivement la personne qu'elle soutient être. Par conséquent, la question la plus importante à trancher dans le cadre de la présente audience est celle de l'identité.         
     Dans ce contexte, la Loi sur l'immigration prévoit que, lorsque des documents sont détruits sans raison valable, il est parfois nécessaire que la formation rende une décision unanime plutôt que de suivre une procédure normale nécessitant uniquement une décision positive. Il se peut qu'il s'agisse d'une question à trancher, mais ce n'est pas nécessairement le cas.         
     Nous devrons donc chercher à comprendre pourquoi vous avez détruit les documents que vous avez utilisés pour venir au Canada.         
     Il y a aussi la question de votre enfant, qui est née en Tanzanie; à ce sujet, il y a lieu de vérifier jusqu'à quel point l'allégation relative à la résidence en Tanzanie est fondée.         
     De plus, une autre question se pose dans toutes les auditions de demande de statut de réfugié; il s'agit de la question de la crédibilité et elle signifie qu'il faut chercher à savoir si la preuve portée à l'attention de la formation est suffisamment fiable et digne de foi pour lui permettre d'en arriver à une décision. À cet égard, la façon dont vous répondrez sera importante. Si vous ne connaissez pas la réponse à une question qui vous est posée, il est important pour vous de dire [TRADUCTION] "je l'ignore".         
     Si vous avez oublié certains faits en raison du temps qui s'est écoulé, vous devez nous dire que vous avez oublié ou que vous ne pouvez vous rappeler. Ce qui importe avant tout, c'est que vous évitiez de formuler des réponses dans le simple but de nous satisfaire ou de deviner la réponse simplement parce que vous pensez que vous devez répondre.         
     Répondez aux questions qui vous sont posées et dont vous connaissez la réponse, écoutez attentivement les questions et je crois que nous nous entendrons très bien. Ça va?         
     ...         
     En ce qui trait à l'identité, Maître, il pourrait être utile de chercher à savoir de votre cliente les origines des Bajuni et les régions où ils vivent en Somalie ainsi que toute tradition pouvant caractériser cette tribu...         
     Le deuxième point qui m'intéresse, c'est sa fille mineure. Il y aurait lieu de lui demander si elle connaît le père et, dans l'affirmative, quelle en est la nationalité. De plus, il serait intéressant de savoir si elle a entrepris des démarches pour enregistrer la naissance auprès des autorités, compte tenu du fait que sa fille est née en Tanzanie.2         

[5]      La SSR a rendu une décision défavorable aux requérantes et s'est exprimée comme suit :

     [TRADUCTION] Les principales questions à trancher à l'audience étaient l'identité et la crédibilité des demandeures ainsi que leur statut au Kenya et en Tanzanie.         
     ...         
     Les membres de la formation estiment que la preuve présentée à l'audience n'était ni crédible ni digne de foi.         

[6]      La SSR a relevé les éléments du passeport de la requérante principale qui lui semblaient être irréguliers. Elle a conclu que la requérante principale n'avait fourni aucune explication raisonnable à ce sujet et n'a donc nullement tenu compte du passeport.

[7]      La SSR a jugé peu utile le témoignage qu'une personne a présenté pour confirmer "l'identité" des demandeures et n'a donc accordé aucune importance à ce témoignage.

[8]      La SSR a été préoccupée par le fait que la requérante principale ne pouvait s'exprimer en langage somali ou en langage bajuni, même si elle a dit au cours de son témoignage que sa mère était issue du clan des Bajuni. La SSR a rejeté les explications que la requérante a fournies à cet égard et a également exprimé des préoccupations au sujet des connaissances limitées que la requérante principale avait en ce qui a trait au clan des Ogaden, le clan de son père, et à celui des Bajuni. Elle a donc conclu que la requérante principale n'avait pas prouvé qu'elle était une ressortissante de la Somalie, que ce soit comme membre du clan des Ogaden ou à titre de personne issue du clan des Bajuni qui avait vécu parmi les Bajuni.

[9]      En se fondant sur le témoignage de la requérante principale et sur la preuve documentaire, la SSR a conclu que la requérante mineure était née en Tanzanie et qu'elle était ressortissante de ce pays plutôt que de la Somalie.

[10]      La SSR a souligné que la Tanzanie est un pays signataire tant de la Convention de 1951 sur les réfugiés que du protocole connexe de 1967. Se fondant sur l'arrêt Ilie c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration),3 elle a dit que la requérante principale n'avait pas fourni d'explication satisfaisante au sujet de la raison pour laquelle elle n'avait pas demandé le statut de réfugié en Tanzanie pendant qu'elle vivait là-bas. Voici comment elle s'est exprimée à ce sujet :

     [TRADUCTION] De l'avis des membres de la formation, les véritables réfugiés au sens de la Convention cherchent à obtenir une protection lorsqu'ils sont hors de la portée des oppresseurs et il est raisonnable qu'il en soit ainsi.         

[11]      La SSR en est finalement arrivée à la conclusion suivante :

     [TRADUCTION] Après avoir examiné l'ensemble de la preuve, les membres de la formation en arrivent à la conclusion que la demandeure principale n'a pas prouvé qu'elle était citoyenne de la Somalie. Ils estiment également que la demandeure mineure est une ressortissante de la Tanzanie et qu'elle n'a pas prouvé qu'elle avait raison de craindre d'être persécutée si elle devait retourner en Tanzanie.         

[12]      L'avocat des requérantes a soutenu que la SSR a commis une erreur en omettant d'appliquer à celles-ci les principes d'équité procédurale et de justice naturelle, tant sur le plan de la façon générale dont l'audience a été menée que sur des aspects plus précis, et qu'elle a commis une erreur de droit susceptible de révision relativement à plusieurs conclusions qu'elle a tirées pour rejeter les demandes des requérantes.

[13]      Il est vrai que la façon dont les demandes des requérantes ont été traitées devant la SSR laissait beaucoup à désirer. Cependant, peu de reproches peuvent être adressés à la SSR à cet égard. L'audition de la demande des requérantes a débuté le 13 avril 1995 et s'est poursuivie à quelques reprises jusqu'à l'automne 1996. À la fin de l'audience, il était entendu que l'avocat des requérantes remettrait des observations écrites. La SSR n'avait pas encore reçu ces observations lorsqu'elle a rendu sa décision le 21 janvier 1997, soit bien après l'expiration du délai supplémentaire accordé pour la remise des observations écrites.

[14]      Les requérantes ont été très mal représentées par deux avocats distincts. Le premier a été suspendu indéfiniment pendant l'instance par le Barreau du Haut-Canada et n'a donc pu continuer à les représenter. L'affaire a alors piétiné pendant quelque temps sans qu'une faute puisse être reprochée aux membres de la formation de la SSR, jusqu'à ce que les requérantes retiennent les services d'un autre avocat. Apparemment, celui-ci ne s'était pas informé de ce qui s'était produit auparavant, si bien que, lorsqu'il a comparu avec ses clientes, il ne s'est pas opposé à ce que la formation déclare l'audience close alors que la preuve indiquait qu'elle n'aurait pas dû le faire et s'est engagé à fournir des observations écrites qu'il n'a pas remises.

[15]      Quant à la SSR elle-même, le résumé qu'elle a présenté au début de l'audience au sujet des questions qu'elle s'apprêtait à examiner était essentiellement sans reproche. Même si les préoccupations qu'elle a finalement relevées dans ses motifs n'ont pas toutes été mentionnées au cours de cet exposé, elles étaient toutes visées de façon générale par les questions en litige formulées et un avocat compétent aurait pu présenter sa cause en conséquence, tant au moyen de témoignages que d'observations, écrites ou verbales.

[16]      L'avocat des requérantes a soutenu que ni la requérante principale ni son témoin n'ont eu la possibilité de terminer leur témoignage ou, à tout le moins, de répondre aux préoccupations exprimées par les membres de la formation et consignées au dossier tout au long de l'instance. Néanmoins, lorsque la SSR a proposé de clore l'audience, sous réserve de la réception d'observations écrites, l'avocat, qui était mal préparé, ne s'est pas opposé et a donc privé à toutes fins pratiques l'avocat qui est devant la Cour aujourd'hui de tout recours pouvant être fondé sur cet argument.4

[17]      Par conséquent, je ne puis conclure que la SSR a commis un manquement aux principes d'équité procédurale ou de justice naturelle à l'endroit des requérantes.

[18]      De plus, malgré l'argument valable de l'avocat des requérantes, qui souhaitait un examen microscopique des motifs de la décision de la SSR, compte tenu de tous les éléments de preuve portés à sa connaissance, je ne puis que conclure que, dans l'ensemble, la décision qu'elle a prise à l'encontre des requérantes était raisonnable. Tel étant le cas, je n'ai pas l'intention, dans les présents motifs, de passer en revue l'un ou l'autre des différents points qui, d'après l'avocat, constituaient des erreurs de droit de la part de la SSR.

[19]      Pour les motifs exposés ci-dessus, la présente demande de contrôle judiciaire sera malheureusement rejetée, en raison de la conduite lamentable des avocats dont les requérantes ont retenu les services, la conduite des membres de la SSR en l'espèce n'étant pas en cause.

[20]      Aucun avocat n'a recommandé la certification d'une question. Par conséquent, aucune question ne sera certifiée.

                             FREDERICK E. GIBSON

                                     Juge

Ottawa (Ontario)

Le 30 janvier 1998

Traduction certifiée conforme

François Blais, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :              IMM-749-97

INTITULÉ DE LA CAUSE :          Lela Mohamed Ali et al c. MCI

LIEU DE L'AUDIENCE :          Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :          21 janvier 1998

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DU JUGE GIBSON

EN DATE DU :              30 janvier 1998

ONT COMPARU :

Me Michael Brodzky                  pour les requérantes

Me Andrea Horton                      pour l'intimé

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Michael Brodzky                  pour les requérantes

Toronto (Ontario)

Me George Thomson                      pour l'intimé

Sous-procureur général

du Canada

__________________

     1      L.R.C. (1985), ch. I-2.

     2      Dossier du tribunal, p. 341 et 342.

     3      (1994), 88 F.T.R. 220.

     4      Voir Yassine c. Canada (ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1994), 27 Imm. L.R. (2d) p. 135 à 139 (C.A.F.).

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