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Date : 20060413

Dossier : IMM-3908-05

Référence : 2006 CF 484

Ottawa (Ontario), le 13 avril 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE KELEN

 

ENTRE :

JANOSNE KERTES et

JANOS ROBERT KERTES

demandeurs

 

 

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu, le 25 mai 2005, que les demandeurs n’étaient pas des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger parce qu’il existait, en Hongrie, une protection adéquate accordée par l’État.

 

LES FAITS

[2]               Les demandeurs, une mère âgée de 42 ans (la demanderesse principale) et son fils de 20 ans, sont des citoyens hongrois d’origine rome. Ils ont d’abord revendiqué le statut de réfugié au Canada au mois de février 1998 et sont retournés en Hongrie après que leur revendication eut été refusée, au mois de mars 2000. La demanderesse affirme qu’à son retour en Hongrie, elle a été persécutée à cause de son origine ethnique rome et que la protection de l’État lui a été refusée lorsqu’elle l’a demandée. Plus précisément, la demanderesse affirme ce qui suit :

[traduction]

1.         À son retour en Hongrie le 23 mars 2000, les autorités, à l’aéroport, l’ont insultée, l’ont humiliée et ont procédé à une fouille à nu.

 

2.                  Le 5 ou 6 juin 2000, deux hommes l’ont harcelée pendant qu’elle assistait au match de soccer de son fils. Les hommes l’ont suivie chez elle, l’ont agressée et ont tenté de la violer avant que son fils crie au secours. Elle a demandé la protection de la police, qui a refusé de l’aider parce qu’elle ne croyait pas son histoire. Elle a reçu des soins médicaux et a demandé un compte rendu d’examen qui lui a été refusé. Cet événement a amené la demanderesse à fuir la Hongrie et à demander de nouveau la protection au Canada.

 

 

[3]               Mme Kertes s’est enfuie de la Hongrie avec son fils et est entrée au Canada le 24 juin 2000; à son arrivée, elle a revendiqué le statut de réfugié. Le 19 juillet 2001, la demanderesse a entamé une relation avec M. George Vanyo, qu’elle a épousé à Toronto, le 16 septembre 2001.

 

[4]               L’ancien mari de Mme Kertes, M. Zoltan Lakatos, a appris qu’elle était revenue au Canada; or, il voulait qu’elle vive avec lui. M. Lakatos, qui était resté illégalement au Canada après le rejet de sa revendication de réfugié, a été arrêté par les autorités canadiennes et il a été expulsé et renvoyé en Hongrie, où il a été incarcéré pendant deux ans en raison d’accusations criminelles antérieures. Après avoir été mis en liberté en Hongrie en 2004, M. Lakatos a menacé de tuer leur fille de 24 ans, Timea, qui résidait en Hongrie, si Mme Kertes continuait à vivre avec son nouveau mari au Canada. Il a exigé qu’elle retourne vivre avec lui en Hongrie.

 

La décision visée par l’examen

 

[5]               La Commission a conclu que Mme Kertes avait établi son identité et qu’elle était un témoin crédible; c’est pourquoi la Commission a retenu la preuve que celle-ci avait présentée, à savoir qu’en Hongrie, on la harcelait à cause de son origine ethnique, qu’à un moment donné, elle avait demandé en vain, en Hongrie, la protection de la police et qu’elle craignait que son ancien mari ne fasse du mal à leur fille à moins qu’elle ne retourne vivre avec lui en Hongrie. Le tribunal a rejeté la demande d’asile de Mme Kertes parce qu’il a conclu que l’État offrait une protection en Hongrie, que Mme Kertes avait omis de réfuter la présomption relative à la protection accordée par l’État et qu’elle était obligée de se réclamer de la protection des autorités hongroises avant de demander l’asile au Canada, la seule plainte qu’elle avait déposée devant la police n’étant pas suffisante, et qu’elle ne l’avait pas fait.

 

LES POINTS LITIGIEUX

 

[6]               Deux questions sont soulevées dans la présente demande :

1.         La Commission a‑t‑elle commis une erreur en concluant à l’existence, en Hongrie, d’une protection adéquate accordée par l’État?

 

2.         La Commission a‑t‑elle omis d’évaluer la demande de Mme Kertes, qui affirmait être une personne à protéger, indépendamment de la revendication du réfugié au sens de la Convention que celle-ci avait faite?

 


ANALYSE

La norme de contrôle

 

[7]               La norme de contrôle applicable à une décision rendue par la Commission sur la question de la protection de l’État est celle de la décision raisonnable simpliciter (Chaves c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2005), 45 Imm. L.R. (3d) 58 (C.F.), paragraphe 11, juge Danièle Tremblay-Lamer). En l’absence d’un effondrement complet de l’appareil étatique, il incombe au demandeur de fournir une preuve claire et convaincante en vue de réfuter la présomption de la protection de l’État selon la prépondérance de la preuve (Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, paragraphe 50, juge La Forest).

 

[8]               Lorsqu’elle statue sur une question concernant la protection de l’État, la Commission tire des conclusions de fait qui ne peuvent être écartées que si elles sont manifestement déraisonnables. Ces conclusions doivent être appréciées selon le critère juridique qui s’applique à la protection de l’État, ce qui est une question mixte de fait et de droit susceptible de révision selon la norme du caractère raisonnable (Muszynski c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1075, paragraphes 7 et 8, juge Eleanor Dawson).

 

Première question :   La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant à l’existence, en Hongrie, d’une protection adéquate accordée par l’État?

 

[9]               La demanderesse soutient que la Commission a commis une erreur lorsqu’elle a conclu que la demanderesse pouvait se prévaloir de la protection de l’État en Hongrie, et ce, pour les raisons suivantes :

a)         la Commission n’a pas tenu compte d’une preuve documentaire importante et pertinente qui contredisait la conclusion selon laquelle la Hongrie protège adéquatement ses citoyens roms;

 

b)         la Commission a omis d’apprécier la possibilité pour les victimes de violence familiale de se réclamer de la protection de l’État.

 

a)                  La preuve documentaire

[10]           La demanderesse affirme que l’analyse que la Commission a effectuée au sujet de la protection de l’État était inadéquate; elle a cité à cet égard la décision Mohacsi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2003] 4 C.F. 771 (1re inst.), dans laquelle le juge Luc Martineau a dit ce qui suit, au paragraphe 45 :

45            Il est clair que la Commission s’est livrée à une analyse superficielle, ce qui fait que sa conclusion au sujet de la protection de l’État est déraisonnable. Premièrement, la Commission n’a pas du tout tenu compte de la preuve documentaire contradictoire au sujet de la protection de l’État, non plus que des efforts des demandeurs pour obtenir la protection de l’État et du refus d’agir des autorités à tous les niveaux.

 

 

[11]           La Commission a examiné une documentation crédible existant sur la situation qui règne en Hongrie. Les Operational Guidance Notes on Hungary du Royaume-Uni montrent que la minorité rome est victime d’actes de discrimination qui sont presque assimilables à de la persécution. Les Country Reports on Human Rights Practices in Hungary du Département d’État américain renferment une preuve contradictoire au sujet de la protection accordée par l’État aux Roms, mais il est en général signalé que l’État essaie de protéger les Roms. En l’espèce, le commissaire n’a pas à mentionner cette preuve contradictoire parce que, selon une preuve accablante, le gouvernement de la Hongrie, notamment la police, fait des efforts sérieux pour fournir une protection de l’État aux Roms.

 

b)         Les victimes de violence familiale

[12]           La Commission n’a pas omis d’apprécier la question de la possibilité de bénéficier de la protection de l’État en ce qui concerne la crainte qu’éprouve la demanderesse d’être victime de violence conjugale ou de violence familiale. Le rapport du Département d’État constitue une preuve que le gouvernement de la Hongrie a pris des mesures sérieuses pour réprimer la violence contre les femmes et la violence familiale. En outre, la preuve en l’espèce établit que la police hongroise a pris des mesures à la suite de la plainte déposée le 1er mars 2004 par la fille de la demanderesse, qui affirmait que son père l’avait agressée. Après l’agression, la fille s’est présentée devant la police à Budapest; un rapport détaillé de police figure dans le dossier. La police a entamé une enquête à laquelle elle a mis fin huit mois plus tard parce qu’elle n’avait pas obtenu suffisamment de preuves de l’infraction. Cette preuve démontre que la police était accessible et qu’elle prend des mesures à l’encontre de la violence familiale. En outre, le mari de la demanderesse avait été emprisonné, ce qui montre que la police protège la société contre celui-ci.

 

CONCLUSION

 

[13]           Compte tenu de la preuve dont disposait la Commission, il était raisonnable de conclure que la Hongrie fournit une protection de l’État adéquate aux personnes telles que la demanderesse principale, en tant que Rome et en tant que victime possible de violence familiale. Je souscris à l’avis de l’avocat des demandeurs lorsqu’il affirme que les motifs à l’appui de la décision de la Commission comportent des lacunes, mais eu égard aux circonstances de l’espèce, je ne puis conclure que la décision elle-même aurait pu être autre. Par conséquent, je dois confirmer la décision.

 

[14]           Les parties n’ont pas proposé de question de portée générale à certifier, et aucune question n’est certifiée.

 

JUGEMENT

 

 

LA COUR ORDONNE que

 

 

la demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

 

 

 

« Michael A. Kelen »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Michèle Ali

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-3908-05

 

INTITULÉ :                                       JANOSNE KERTES ET AL.

                                                            c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 6 AVRIL 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE KELEN       

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 13 AVRIL 2006    

 

 

COMPARUTIONS :

 

Peter Ivanyi                                          POUR LES DEMANDEURS

 

Deborah Drukarsh                                POUR LE DÉFENDEUR

Mr. John Pro

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Rochon Genova                                    POUR LES DEMANDEURS

Toronto (Ontario)                                

 

John H. Sims, c.r.                                 POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada      

 

 

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