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     Date : 19981119

     Dossier : IMM-5451-97

OTTAWA (ONTARIO), LE JEUDI 19 NOVEMBRE 1998

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE TEITELBAUM

Entre

     THANASINGAM BALASINGAM,

     demandeur,

     - et -

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     défendeur

     ORDONNANCE

     Pour les motifs énoncés dans mes motifs, la Cour déboute le demandeur de son recours en contrôle judiciaire.

     Signé : Max M. Teitelbaum

     ________________________________

     J.C.F.C.

Traduction certifiée conforme

Bernard Olivier, LL.B.

     Date : 19981119

     Dossier : IMM-5451-97

Entre

     THANASINGAM BALASINGAM,

     demandeur,

     - et -

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     défendeur

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE TEITELBAUM

INTRODUCTION

[1]      Il y a en l'espèce recours en contrôle judiciaire contre l'avis donné par le délégué du ministre en application de l'alinéa 53(1)d) et du paragraphe 70(5) de la Loi sur l'immigration, que le demandeur, Thanasingam Balasingam, est un danger pour le public au Canada. Par ce recours, le demandeur conclut à ordonnance portant annulation de cet avis, permission de donner suite à l'appel formé devant la Commission de l'immigration et du statut de réfugié contre la mesure d'expulsion en date du 10 septembre 1997 ou, subsidiairement, à ordonnance portant renvoi de l'affaire au délégué du ministre avec les directives qui s'imposent.

LES FAITS DE LA CAUSE

[2]      Le demandeur, citoyen du Sri Lanka où il est né le 18 avril 1969, est arrivé le 13 février 1992 au Canada où il s'est fait reconnaître le statut de réfugié au sens de la Convention par la section du statut de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, le 6 avril 1992. Il a obtenu le statut de résident permanent en mai 1993. Le 19 mars 1997, il a plaidé coupable des chefs de complot d'enlèvement, que réprime l'alinéa 465(1)c), et de voies de fait causant des lésions corporelles, que réprime l'alinéa 267(1)b) du Code criminel, et de ce fait, encourait une peine d'emprisonnement maximal de dix ans en application de l'alinéa 465(1)c) susmentionné. Le défendeur fait savoir que le demandeur a été également reconnu coupable de l'infraction prévue à l'alinéa 279(1)a) (enlèvement), donc d'un acte criminel passible, selon l'alinéa 279(1.1)b) du même Code, de l'emprisonnement à perpétuité. Le demandeur soutient que ce dernier élément d'information, qui était à l'origine de la mesure d'expulsion, est erroné puisqu'il n'a plaidé coupable qu'à deux chefs d'accusation, respectivement visés aux alinéas 267(1)b) et 465(1)c). Le 28 avril 1997, il a été condamné à un an d'emprisonnement et à deux ans de probation pour chacun des deux chefs de condamnation, à purger simultanément. Le 10 septembre 1997, il a fait l'objet, à l'issue d'une enquête tenue en la matière, d'une mesure d'expulsion fondée sur l'alinéa 27(1)d) de la Loi, du fait qu'il avait été condamné à une peine d'emprisonnement de plus de six mois et aurait pu être condamné à un emprisonnement d'au moins cinq ans. Le même jour, c'est-à-dire le 10 septembre 1997, il a interjeté appel de la mesure d'expulsion devant la section d'appel de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié. Le 14 octobre 1997, il s'est vu signifier l'avis de l'intention d'obtenir l'avis du ministre en application du paragraphe 70(5) et de l'alinéa 53(1)d) de la Loi sur l'immigration, avec indication qu'il pouvait présenter des observations écrites, ce qu'il a fait par lettre datée du 5 novembre 1997. Le 25 novembre 1997, le délégué du ministre a donné l'avis que le demandeur constitue un danger pour le public au Canada. Celui-ci en a été informé lorsque son avocat a reçu notification d'une " Requête pour défaut de compétence " par le Centre d'immigration du Canada, qui faisait valoir que la section du statut n'avait plus compétence une fois le demandeur a été déclaré danger pour le public au Canada.

ARGUMENTATION

[3]      Le demandeur propose les arguments suivants :

     1)      L'avis du ministre est entaché de mauvaise foi, de parti pris, de préjugé et de considérations étrangères à l'affaire; il va à l'encontre du principe de justice fondamentale et est entaché d'erreurs de droit;         
     2)      Le ministre a commis une erreur faute d'avoir considéré l'applicabilité de l'article 7 de la Charte des droits et libertés, ce qui suscite une question non résolue d'intérêt général (le demandeur n'a présenté aucune argumentation de vive voix à ce sujet);         
     3)      Le ministre n'a rien fait pour évaluer le risque que représente le renvoi d'un réfugié au sens de la Convention dans un pays où ce dernier craint encore d'être persécuté.         

[4]      Dans ses conclusions écrites, le défendeur soutient que l'avis du ministre ne déclenche pas l'application de l'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés puisqu'il n'équivaut pas à une ordonnance d'expulsion. Et en outre que les conclusions du ministre sur les faits sont fondées au regard des preuves et des principes définis par la jurisprudence en la matière. En bref, le défendeur soutient que le ministre n'a pas commis une erreur susceptible de contrôle judiciaire en concluant que le demandeur constitue un danger pour le public au Canada.

LES POINTS LITIGIEUX

[5]      Le demandeur soulève les points suivants, à savoir :

     a)      par écrit, si l'avis donné par le ministre qu'un réfugié au sens de la Convention constitue un danger pour le public au Canada déclenche l'application de l'article 7 de la Charte des droits et libertés;         
     b)      si l'avis donné par le délégué du ministre est entaché de mauvaise foi, de préjugé et de considérations étrangères à l'affaire, ou va à l'encontre des principes de justice naturelle;         
     c)      si le ministre a commis une erreur de fait ou de droit en concluant que le demandeur constitue un danger pour le public au Canada.         

ANALYSE

[6]      Il s'agit en premier lieu d'examiner si la Cour peut tenir pour preuves " nouvelles " les documents figurant en pages 80 à 120 du dossier du demandeur, en ce qu'aucun d'eux n'était à la disposition du ministre lorsque celui-ci examinait les preuves soumises avant de conclure, en application de l'alinéa 53(1)d) et du paragraphe 70(5) de la Loi, que le demandeur constitue un danger pour le public au Canada.

[7]      L'avocate du défendeur s'oppose à la production de ces documents dans le dossier du demandeur et soutient que je n'ai pas compétence pour prendre en considération ces documents ou leur teneur.

[8]      Je conviens que sur recours en contrôle judiciaire, seuls les documents produits à l'origine devant l'office fédéral peuvent être pris en considération.

[9]      Dans Sergey Asafov et al. c. M.E.I., IMM-7425-93, décision non rapportée en date du 14 mai 1994, le juge Nadon s'est prononcé en ces termes aux pages 1 et 2 :

         Les requérants ont déposé une demande d'autorisation et de contrôle judiciaire visant la décision rendue à leur encontre, le 9 décembre 1993, par la Section du statut de réfugié ("la Section"). Les requérants demandent l'autorisation de verser au dossier des preuves dont ne disposait pas la Section lorsqu'elle rendit sa décision.         
         Le contrôle judiciaire permet d'examiner la décision rendue par la Section, à la lumière des preuves dont celle-ci disposait à l'audience, et de décider s'il existe des raisons justifiant la révision de la décision initiale. Cela étant, les preuves que les requérants entendent maintenant produire sont dénuées de pertinence. En accueillant la demande, je ferais de la procédure de contrôle judiciaire, une procédure d'appel.         
         C'est pourquoi la requête en autorisation de présenter de nouvelles preuves doit être rejetée.         

[10]      De même, dans Wlodzimierz Lemiecha et al. c. M.E.I. (1993), 72 F.T.R. 49, à la page 51, le juge Gibson a tiré la conclusion suivante :

     Il est bien établi en droit que le contrôle judiciaire d'une décision que rend un office, une commission ou un autre tribunal d'instance fédérale doit être fondé sur les éléments de preuve dont le décisionnaire était saisi.         

[11]      Voir aussi Bakhtawar Singh c. M.E.I., IMM-1794-96, Paban Kumar Bara c. M.E.I., IMM-3286-97, et Franz c. M.E.I. (1995), 80 F.T.R. 79.

[12]      Par ces motifs, je fais droit à l'objection de l'avocate du demandeur.

[13]      L'avis que le demandeur constitue un danger pour le public au Canada a été donné par le délégué du ministre en application de l'alinéa 53(1)d) et du paragraphe 70(5) de la Loi sur l'immigration, que voici :


53. (1) Notwithstanding subsections 52(2) and (3), no person who is determined under this Act or the regulations to be a Convention refugee, nor any person who has been determined to be not eligible to have a claim to be a Convention refugee determined by the Refugee Division on the basis that the person is a person described in paragraph 46.01(1)(a), shall be removed from Canada to a country where the person's life or freedom would be threatened for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion unless

     (d) the person is a person described in paragraph 27(1)(d) who has been convicted of an offence under any Act of Parliament for which a term of imprisonment of ten years or more may be imposed and the Minister is of the opinion that the person constitutes a danger to the public in Canada.

53. (1) Par dérogation aux paragraphes 52(2) et (3), la personne à qui le statut de réfugié au sens de la Convention a été reconnu aux termes de la présente loi ou des règlements, ou dont la revendication a été jugée irrecevable en application de l'alinéa 46.01(1)a), ne peut être renvoyée dans un pays où sa vie ou sa liberté seraient menacées du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques, sauf si, selon le cas_:

     d) elle relève, pour toute infraction punissable aux termes d'une loi fédérale d'un emprisonnement maximal égal ou supérieur à dix ans, du cas visé à l'alinéa 27(1)d) et que, selon le ministre, elle constitue un danger pour le public au Canada.

70(1) Subject to subsections (4) and (5), where a removal order or conditional removal order is made against a permanent resident or against a person lawfully in possession of a valid returning resident permit issued to that person pursuant to the regulations, that person may appeal to the Appeal Division on either or both of the following grounds, namely,

     (a) on any ground of appeal that involves a question of law or fact, or mixed law and fact; and
     (b) on the ground that, having regard to all the circumstances of the case, the person should not be removed from Canada.

(5) No appeal may be made to the Appeal Division by a person described in subsection (1) or paragraph (2)(a) or (b) against whom a deportation order or conditional deportation order is made where the Minister is of the opinion that the person constitutes a danger to the public in Canada and the person has been determined by an adjudicator to be

     (a) a member of an inadmissible class described in paragraph 19(1)(c), (c.1), (c.2) or (d);
     (b) a person described in paragraph 27(1) (a.1); or
     (c) a person described in paragraph 27(1)(d) who has been convicted of an offence under any Act of Parliament for which a term of imprisonment of ten years or more may be imposed.

70. (1) Sous réserve des paragraphes (4) et (5), les résidents permanents et les titulaires de permis de retour en cours de validité et conformes aux règlements peuvent faire appel devant la section d'appel d'une mesure de renvoi ou de renvoi conditionnel en invoquant les moyens suivants_:

     a) question de droit, de fait ou mixte;
     b) le fait que, eu égard aux circonstances particulières de l'espèce, ils ne devraient pas être renvoyés du Canada.

(5) Ne peuvent faire appel devant la section d'appel les personnes, visées au paragraphe (1) ou aux alinéas (2)a) ou b), qui, selon la décision d'un arbitre_:

     a) appartiennent à l'une des catégories non admissibles visées aux alinéas 19(1)c), c.1), c.2) ou d) et, selon le ministre, constituent un danger pour le public au Canada;
     b) relèvent du cas visé à l'alinéa 27(1)a.1) et, selon le ministre, constituent un danger pour le public au Canada;
     c) relèvent, pour toute infraction punissable aux termes d'une loi fédérale d'un emprisonnement maximal égal ou supérieur à dix ans, du cas visé à l'alinéa 27(1)d) et, selon le ministre, constituent un danger pour le public au Canada

Le caractère raisonnable de l'avis du délégué du ministre

[14]      L'avocat du demandeur soutient que l'avis du délégué du ministre est entaché de mauvaise foi, de parti pris, de préjugé et de considérations étrangères à l'affaire, va à l'encontre du principe de justice fondamentale et est entaché d'erreurs de droit. En bref, que cet avis est fondé sur des éléments non pertinents comme les coupures de presse, lesquelles ne sont pas dignes de foi, sont incendiaires et constituent une preuve indéniable de parti pris, qu'il n'y avait aucune évaluation du risque de récidive ou du danger pour le public ni aucune expertise psychologique, et enfin qu'une assertion faite dans le rapport de la police, que le demandeur est un " petit King qui fait la loi à la Plaza Côte des Neiges ", est dénuée de tout fondement.

[15]      Le défendeur s'appuie de son côté sur la jurisprudence Williams c. Canada, [1997] 2 C.F. 646 (C.A.), selon laquelle il n'y a erreur susceptible de contrôle judiciaire que si la décision discrétionnaire est abusive ou si les preuves produites imposent une autre conclusion, et le juge siégeant en appel ne peut substituer sa conclusion à celle de l'office fédéral sur le point de savoir si le justiciable représente un danger pour le public au Canada.

[16]      Certains faits et points litigieux de la cause Williams sont pratiquement identiques à ceux de l'affaire en instance. Le demandeur y faisait appel d'une mesure d'expulsion prise en application du paragraphe 27(1) mais, avant que son appel ne fût entendu, le délégué du ministre a, en application du paragraphe 70(5), donné l'avis qu'il constituait un danger pour le public au Canada, ce qui lui enlevait le droit d'appel contre l'ordonnance d'expulsion. L'avis du délégué du ministre, annulé par la Section de première instance de la Cour fédérale, a été rétabli sur appel par la Cour d'appel fédérale. Tout comme dans l'affaire en instance, l'un des principaux points litigieux consistait en la question de savoir si le délégué du ministre commettait une erreur en donnant un avis en application du paragraphe 70(5). Le juge Strayer, rendant le jugement de la Cour d'appel, s'est prononcé en ces termes au paragraphe 17, pages 663 et 664 :

         Il est frappant que le paragraphe 70(5) dispose que ne peut faire appel l'intéressé qui constitue un danger " selon le ministre " et non " selon le juge ". Par ailleurs, le législateur n'a pas formulé la disposition de manière objective, c'est-à-dire en prescrivant qu'une attestation interdisant un autre appel peut uniquement être délivrée s'il est " établi " ou " décidé " que l'appelant constitue un danger pour le public au Canada. Le législateur a plutôt eu recours à une formulation subjective pour énoncer le pouvoir de tirer une telle conclusion : le critère n'est pas celui de savoir si le résident permanent constitue un danger pour le public , mais celui de savoir si, " selon le ministre " [soulignement ajouté], il constitue un tel danger. Il existe une jurisprudence abondante selon laquelle, à moins que toute l'économie de la Loi n'indique le contraire en accordant par exemple un droit d'appel illimité contre un tel avis, ces décisions subjectives ne peuvent pas être examinées par les tribunaux, sauf pour des motifs comme la mauvaise foi du décideur, une erreur de droit ou la prise en considération de facteurs dénués de pertinence. En outre, lorsque la Cour est saisie du dossier qui, selon une preuve non contestée, a été soumis au décideur, et que rien ne permet de conclure le contraire, celle-ci doit présumer que le décideur a agi de bonne foi en tenant compte de ce dossier.         

[17]      Le juge Strayer a conclu que l'avis du délégué du ministre était fondé sur des preuves et des considérations pertinentes, et que la Cour n'était pas appelée à se prononcer sur le bien-fondé de cette décision, mais seulement à examiner si le contrôle judiciaire était justifié en droit en l'occurrence.

[18]      En l'espèce, les documents soumis à l'examen du délégué du ministre sont énumérés dans l'avis d'intention d'obtenir l'avis du ministre, daté du 4 février 1998 (dossier du demandeur, page 20). Il ressort de ces preuves que le demandeur a été reconnu coupable de complot d'enlèvement, prévu à l'alinéa 465(1)c), et de voies de fait causant des lésions corporelles, prévues à l'alinéa 267(1)b), et condamné sous chacun de ces chefs à un an d'emprisonnement et deux ans de probation, les peines respectives devant être purgées simultanément. En outre, un rapport émanant du Service de renseignement, Gestion du programme, Région du Québec, indique qu'il était impliqué, comme victime et suspect, sans plus, dans un certain nombre d'agissements illégaux entre 1993 et 1996. Le demandeur affirme cependant que sur les huit incidents cités dans ce rapport, il a été reconnu coupable dans un seul, acquitté dans un autre, et a été la victime dans deux incidents et n'avait rien à voir avec les autres. Le même rapport conclut que le demandeur, son frère et d'autres tamouls se livrent à des activités criminelles. Le demandeur affirme que cette conclusion n'est pas fondée. Il conteste aussi une lettre signée de L. Castonguay, enquêteur en service au Centre d'immigration du Canada à Montréal. Cette lettre rapporte les incidents dont il a plaidé coupable et indique qu'il était impliqué dans sept autres cas de menaces et de voies de fait, lesquels n'ont pas abouti aux poursuites en justice puisque les victimes refusaient de témoigner. La lettre indique aussi qu'il fait partie de la bande " Gandhi Power " qui est affiliée aux " Liberation Tigers of Tamil Eelam ". À ce propos, le demandeur soutient que cette information n'est pas digne de foi puisque la source n'en est pas identifiée et qu'elle est pure fantaisie.

[19]      Le demandeur soutient encore que les preuves soumises à l'examen du délégué du ministre ne représentaient pas la totalité des documents qui auraient dû être pris en considération. Il n'y avait aucune évaluation du risque de récidive ou du danger pour le public, ni expertise psychologique. Il se plaint aussi de l'absence, dans les documents soumis au délégué du ministre, de considérations humanitaires, eu égard à son statut de réfugié au sens de la Convention et au risque réel de persécution s'il devait être renvoyé au Sri Lanka.

[20]      Les lignes directrices dont fait état le demandeur énumèrent les facteurs qui entrent en ligne de compte lorsqu'il s'agit de demander l'avis de ministre. Il s'agit de la nature et des circonstances de l'infraction, de la peine appliquée, de la multiplicité des infractions, ainsi que des considérations humanitaires. Je dois cependant faire observer, comme l'a fait la Cour d'appel dans Williams, précité, en page 671, que " les lignes directrices ne sont pas des règles de droit, ne sont pas impératives et ne sont pas supposées être exhaustives ". Toujours dans cette dernière cause, la Cour d'appel a conclu, aux pages 668 et 669, qu'il n'était pas nécessaire de prouver que l'intéressé récidiverait et que rien ne permettait de dire que tel ou tel document devait être soumis au délégué du ministre, appelé à se prononcer sur le danger qu'une personne représenterait pour le public :

         Point n'est besoin de prouver - à vrai dire, on ne peut pas prouver - que cette personne récidivera. Selon moi, cette disposition oriente convenablement la pensée du ministre vers la question de savoir si, compte tenu de ce que le ministre sait de l'intéressé et des observations que l'intéressé a faites en son propre nom, le ministre peut sincèrement croire que l'intéressé est un récidiviste potentiel dont la présence au Canada crée un risque inacceptable pour le public. J'insiste sur le mot " inacceptable " parce que, vu l'impossibilité de prouver une conduite future, il y a toujours un risque, et la mesure dans laquelle la société devrait être prête à accepter ce risque peut faire intervenir des considérations politiques qui ne sont pas inappropriées de la part d'un ministre. Celui-ci peut bien conclure, par exemple, que les personnes reconnues coupables d'infractions reliées aux stupéfiants sont plus susceptibles de récidiver et que le trafic des stupéfiants constitue une menace particulière pour la société canadienne. Je conviens avec le juge Gibson dans l'affaire Thomson que le " danger " doit être interprété comme un " danger présent ou futur pour le public ". J'hésite toutefois à affirmer que le ministre doit avoir en main un type particulier de document pour tirer une conclusion de danger présent ou futur. J'ai du mal à comprendre pourquoi il n'est pas loisible à un ministre de prévoir une inconduite future à partir d'une inconduite passée, particulièrement eu égard aux circonstances des infractions et, comme en l'espèce, aux commentaires faits par l'un des juges qui ont prononcé les peines. Il se peut qu'une cour de contrôle ne soit pas du même avis que le ministre, ou considère qu'on aurait dû donner plus de poids à certains documents, mais cela ne veut pas dire que le critère législatif est d'une imprécision inadmissible simplement parce qu'il permet au ministre de parvenir à une conclusion différente de celle de la Cour.         

                                                     [non souligné dans l'original]

[21]      À mon avis, les preuves produites font bien état des multiples incidents dans lesquels le demandeur était impliqué ou soupçonné d'être impliqué, et je ne peux conclure que l'avis était vicié du fait que les documents ne comprenaient une évaluation formelle du risque de récidive en soi ou une expertise psychologique. En outre, je conclus des preuves documentaires soumises au délégué du ministre que les considérations humanitaires y figurent effectivement. Par exemple, celui-ci avait à sa disposition la formule de renseignements personnels produite par le demandeur lors de sa revendication du statut de réfugié au sens de la Convention, ainsi que l'avis de décision en date du 6 avril 1992 qui lui reconnaissait ce statut. Le délégué du ministre avait encore à sa disposition les informations soumises par l'avocate du demandeur au sujet du risque que représente le retour dans son pays d'origine. Je ne vois pas sur quoi je pourrais me fonder pour décider que ces preuves documentaires n'ont pas été prises en considération par le délégué du ministre. À mon avis, ce qui est crucial c'est que cette information était à la disposition de ce dernier afin qu'il pût former une opinion informée à la lumière de la totalité des documents requis eu égard aux conditions qui s'attachent à pareil avis. Ainsi qu'on peut le voir dans la jurisprudence Williams, précitée, page 670, les conditions qui régissent cet avis sont les suivantes :

         Il est une fois de plus important de rappeler les conditions applicables à la formulation d'un tel avis : la perpétration d'une infraction par un non-citoyen, la prise d'une mesure d'expulsion contre celui-ci en conformité avec les lois fédérales et l'application régulière de la loi, le fait que l'infraction commise doit être particulièrement grave et punissable d'au moins dix ans d'emprisonnement, et la confirmation de l'avis du ministre uniquement après que les exigences d'équité ont été respectées grâce à la présentation d'observations par l'intéressé.         

[22]      Comme indiqué précité, il est constant que dans ses décisions, le délégué du ministre jouit d'un pouvoir discrétionnaire étendu et qu'il n'est pas tenu aux facteurs énumérés dans les lignes directrices; v. Nguyen c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 18 Imm. L.R. (2d) 165 (C.A.F.); Thompson c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1996), 37 Imm. L.R. (2d) 9 (C.F. 1re inst.); Williams c. Canada, op. cit.

[23]      Vu les preuves produites et les conclusions du demandeur, je ne pense pas qu'il y ait lieu de toucher à la décision du délégué du ministre. À mon avis, les preuves soumises à son examen fondent raisonnablement son avis que le demandeur représente un danger pour le public. En outre, j'ai examiné les coupures de presse qui n'auraient aucun rapport avec l'affaire en instance et les allégations de conclusions sans preuve, et je ne suis pas persuadé par l'argument du demandeur que l'avis du délégué du ministre soit illégal de quelque manière que ce soit. À cet égard, je vois que le demandeur soutient, à la lumière de la décision Sam c. Canada, [1997] A.C.F. 1640, que les articles de journaux sont peu fiables et hautement partiaux. Cependant, dans cette décision, Mme le juge Reed a trouvé l'article en question très préjudiciable pour le requérant parce qu'il rapportait l'incident du point de vue de la victime. En l'espèce, l'article de journal visé ne parle que de membres de bande d'origine sri-lankaise et ne mentionne pas du tout le demandeur. C'est pourquoi je ne peux conclure que cet article soit très préjudiciable pour celui-ci; je conclus en outre qu'il n'est pas un facteur déterminant en l'espèce. Faute de preuve contraire, le délégué du ministre est présumé agir en bonne foi. La charge de preuve dont doit s'acquitter le demandeur pour réfuter cette présomption est très rigoureuse, et je ne pense pas qu'il s'en soit acquitté.

L'argument tiré de l'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés (non développé à l'audience, sans pour autant retiré)

[24]      Le demandeur soutient aussi que l'avis donné par le délégué du ministre en application du paragraphe 70(5) de la Loi sur l'immigration au sujet d'un réfugié au sens de la Convention, fait entrer en jeu l'article 7 de la Charte. En d'autres termes, l'avis du ministre qui le prive du droit d'appel par application du paragraphe 70(5) de la Loi sur l'immigration, porte atteinte du coup à son droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne.

[25]      Le point de savoir si l'avis donné par le ministre en application du paragraphe 70(5) fait entrer en jeu l'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés a été examiné dans Williams, précité. La Cour d'appel a répondu à cette question par la négative. Prononçant le jugement de la Cour, le juge Strayer a tiré les conclusions suivantes aux pages 665 à 667 :

             Premièrement, pour les motifs exposés plus haut, je ne suis pas disposé à présumer qu'un avis donné en vertu du paragraphe 70(5) devrait être assimilé à une mesure d'expulsion. Au pire, l'avis remplace un appel sur le droit et les faits par un contrôle judiciaire, remplace le pouvoir discrétionnaire de la section d'appel par le pouvoir discrétionnaire dont le ministre est investi d'accorder une dispense pour des raisons d'ordre humanitaire et remplace la certitude d'un sursis d'exécution d'origine législative par l'éventualité d'un sursis d'exécution judiciaire.         
             Deuxièmement, même en acceptant la prémisse du juge des requêtes selon laquelle c'est l'avis du ministre qui est la cause de l'expulsion de M. Williams, je ne suis pas convaincu que cela fait intervenir un droit à la " liberté " ou à la " sécurité de la personne " prévu à l'article 7 de la Charte.         
             Il est nécessaire d'établir une distinction entre la présente espèce et des affaires comme l'arrêt Singh et autres c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration dans lequel trois des six juges ont statué que l'article 7 entrait en jeu dans le règlement d'une revendication du statut de réfugié. Le fait qu'un revendicateur du statut de réfugié risque d'être renvoyé dans un pays dans lequel il serait, selon lui, menacé de mort ou d'emprisonnement a été fondamental pour parvenir à cette conclusion. En l'espèce, M. Williams n'a pas laissé entendre qu'il ne peut pas retourner en Jamaïque en toute sécurité, même s'il préférerait ne pas y retourner. Il n'a aucun des " droits " reconnus par la Convention sur les réfugiés [Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés , 28 juillet 1951, [1969] R.T. Can no 6], telle qu'elle est mise en oeuvre par la Loi sur l'immigration, que trois des juges de la Cour suprême ont invoqués pour conclure que les droits garantis par l'article 7 avaient été violés, et que trois autres juges ont invoqués pour conclure que l'alinéa 2e) de la Déclaration canadienne des droits entrait en jeu.         
             La jurisprudence de cette Cour sur ce point manque de cohérence. Dans une série de décisions, il a été clairement statué qu'une expulsion n'entraîne pas une perte de liberté et, partant, que l'article 7 n'entre pas en jeu. Des opinions contraires ont été exprimées. Lorsque cette Cour a été saisie de l'affaire Chiarelli, les juges sont tous arrivés à la conclusion que l'expulsion d'un résident permanent pouvait entraîner une perte de liberté, mais la Cour suprême, qui a infirmé cette décision pour d'autres motifs, n'a pas jugé nécessaire de traiter cette question. Dans l'arrêt Nguyen c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), le juge Marceau, J.C.A., a déclaré à un moment donné qu'une déclaration d'irrecevabilité de la revendication d'un requérant ne porte pas en elle-même atteinte à la vie, à la liberté ou à la sécurité de la personne. Il a ensuite affirmé que lorsque cette déclaration est combinée à l'exigence voulant que les non-citoyens qui commettent des crimes graves soient expulsés, c'est tout le cadre législatif qui se rapporte à la " perte de liberté ". On ne sait pas très bien dans quelle mesure cette observation tient au fait que l'intéressé était un demandeur du statut de réfugié qui pouvait, par définition, affirmer que sa vie serait en danger s'il retournait dans son pays. De plus, il semble que ces conclusions étaient inutiles puisque la Cour a conclu qu'il n'y a pas eu d'entorse à la justice fondamentale.         
             Sans prétendre trancher la question à l'égard des réfugiés, j'ai du mal à comprendre comment on peut considérer que le refus d'accorder une dispense discrétionnaire de l'exécution d'une mesure d'expulsion légale prise contre un non-réfugié auquel la loi ne reconnaît pas le droit d'être au Canada entraîne une perte de liberté. À moins de considérer que la " liberté " comprend la liberté d'être partout où l'on veut, sans égard à la loi, comment l'exécution légale d'une mesure d'expulsion peut-elle faire perdre cette liberté?         
             L'avocat de l'intimé a invoqué des arrêts de la Cour suprême qui n'ont pas grand-chose à voir avec l'immigration pour revendiquer une interprétation plus large de la " liberté " et de la " sécurité de la personne ". Il a cité des remarques faites par le juge Wilson dans l'arrêt R. c. Morgentaler , à savoir que le droit à la liberté comprend une garantie générale " d'autonomie personnelle sur les décisions importantes touchant intimement à [la] vie privée [d'un individu] ". Je me contenterai de dire que quatre juges qui ont accepté le résultat ont refusé d'examiner l'application de la " liberté " dans ce contexte et ont fondé leur décision sur la " sécurité de la personne ". De toute évidence, leur conclusion selon laquelle l'article 7 entrait en jeu se rapportait directement au caractère très importun du recours à l'avortement et au fait que des sanctions pénales pouvaient être imposées. Deux juges ont conclu que l'article 7 n'avait pas été violé. L'avocat nous a renvoyés à un autre arrêt dans lequel l'" autonomie personnelle " est considérée comme un aspect de la " liberté ", soit B.(R.) c. Children's Aid Society of Metropolitan Toronto . Dans cet arrêt, quatre juges de la Cour suprême ont considéré que la " liberté " garantie par l'article 7 donne aux parents le droit de refuser un traitement médical pour leurs enfants. Il convient de faire remarquer que quatre autres juges ont refusé de donner à la " liberté " cette portée et qu'un juge n'a pas estimé nécessaire de trancher la question puisqu'il a conclu que les exigences de justice fondamentale prévues à l'article 7 n'ont pas été violées.         
             Eu égard aux décisions rendues jusqu'à ce jour, donc, je suis incapable de conclure que la " liberté " comprend le droit pour les résidents permanents de faire le choix personnel de demeurer au Canada lorsque, comme la Cour suprême l'a déclaré dans l'arrêt Chiarelli :         
             [ils] ont manqué volontairement à une condition essentielle devant être respectée pour qu'il leur soit permis de demeurer au Canada.             
         Par conséquent, je répondrais à la question 1 par la négative.         

[26]      Le demandeur se fonde sur le précédent Nguyen c. M.E.I. (1993), 18 Imm. L.R. (2d) 165, pour soutenir que le renvoi de quelqu'un dans un pays où il risque d'être persécuté, va à l'encontre des articles 7 et 12 de la Charte. Et que la conclusion tirée dans Williams, précité, que l'avis donné par le ministre en application du paragraphe 70(5) ne fait pas entrer en jeu l'article 7 de la Charte, ne résout pas le point litigieux en l'espèce, puisque à la différence du demandeur, l'appelant dans Williams n'était pas un réfugié au sens de la Convention.

[27]      De son côté, l'avocate du défendeur invoque la jurisprudence Williams pour soutenir que l'avis du ministre ni n'opère expulsion ni n'est la cause du renvoi ou de l'expulsion de l'intéressé, ce qui fait que pareilles mesures d'exécution ne peuvent pas lui être assimilées.

[28]      Aux termes du paragraphe 53(1) de la Loi sur l'immigration, une personne reconnue réfugié au sens de la Convention ne peut être renvoyée du Canada dans un pays où sa vie ou sa liberté serait menacée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, sauf si, selon le cas :

         c) elle relève du cas visé au sous-alinéa 27(1)a.1)(i) et que, selon le ministre, elle constitue un danger pour le public au Canada;         
         d) elle relève, pour toute infraction punissable aux termes d'une loi fédérale d'un emprisonnement maximal égal ou supérieur à dix ans, du cas visé à l'alinéa 27(1)d) et que, selon le ministre, elle constitue un danger pour le public au Canada.         

[29]      À ce que je vois, l'argument du demandeur est subordonné à la prémisse que le réfugié au sens de la Convention tient des droits et privilèges de cette Convention et, à ce titre, doit être distingué du non-réfugié. S'il est vrai que les réfugiés au sens de la Convention jouissent de droits particuliers en vertu de leur statut reconnu en application de la Loi sur l'immigration, leurs droits et privilèges ne sont pas les mêmes que ceux qui sont reconnus aux citoyens canadiens. Les droits de ces réfugiés ont été définis en ces termes dans Bouen-Leua c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1981] 1 C.F. 259, pages 263 et 264 :

         D'autre part, ni le droit de résider en permanence au Canada ni celui d'y demeurer pour une durée déterminée ne sont accordés à un réfugié au sens de la Convention. Son droit de séjour dépend du fait qu'il est un réfugié qui a dû fuir son pays d'origine. Si, pour quelque raison que ce soit, il ne remplit les conditions d'un réfugié au sens de la Convention, il s'expose à une ordonnance de renvoi ou d'expulsion. La durée de son séjour, en tant que réfugié au sens de la Convention, ne peut être fixée que par un permis délivré par le Ministre conformément à l'article 37 de la Loi. Si aucun permis n'est délivré et qu'il appartient à une catégorie inadmissible, il peut faire l'objet d'une ordonnance de renvoi ou d'expulsion. Un réfugié au sens de la Convention se voit accorder les seuls droits suivants, à savoir, en premier lieu, de ne pas être renvoyé dans un pays où sa vie et sa liberté seraient menacées (article 55 de la Loi) et, en second lieu, d'interjeter appel d'une ordonnance de renvoi ou d'expulsion rendue contre lui en invoquant un moyen d'appel comportant une question de droit ou de fait ou une question mixte de droit et de fait et en faisant valoir que " compte tenu de considérations humanitaires ou de compassion ", il ne devrait pas être renvoyé du Canada (articles 72(2)a) et b) et 72(3)).         
         Ce qui précède me force à conclure que le fait que le Ministre décide qu'une personne est un réfugié au sens de la Convention ne confère pas à cette personne, contrairement à ce qu'a prétendu l'avocat du requérant, un statut quelconque. La décision du Ministre ne lui accorde que les droits que j'ai mentionnés. En l'espèce, le requérant étant un réfugié en France, il peut retourner en ce pays dans la mesure où le visa que lui a délivré ce pays est toujours valide. Puisque la France l'a considéré comme un réfugié, le Canada, en tant que signataire de la Convention des Nations-Unies relative au statut des réfugiés, pourrait difficilement lui refuser cette qualité. Mais là n'est pas la question. Puisque l'intéressé peut retourner en France, qui n'est pas son pays d'origine ou un pays où sa vie et sa liberté seraient menacées, le Ministre n'est nullement obligé de l'autoriser à demeurer au Canada. Le séjour au Canada du requérant n'est fondé sur aucun droit. Par conséquent, à mon avis, l'avocat du requérant échoue dans sa prétention selon laquelle le fait que le Ministre ait décidé de son client était un réfugié au sens de la Convention lui donne le droit de demeurer au Canada.         

[30]      Je conçois, sans nécessairement y souscrire, qu'on puisse soutenir que le jugement des revendications du statut de réfugié ou l'expulsion d'un réfugié au sens de la Convention fait entrer en jeu l'article 7 de la Charte, mais je ne suis pas convaincu qu'il en soit de même de la conclusion tirée par le ministre qu'un réfugié au sens de la Convention constitue un danger pour le public au Canada. Dans Williams, précité, la Cour d'appel a fait la recension des deux courants jurisprudentiels en la matière et a décidé que l'avis du ministre n'est pas équivalent à une ordonnance d'expulsion et que, à supposer que cet avis eût été à l'origine du renvoi de l'appelant, elle n'était pas convaincue qu'il mît en jeu le droit à la liberté ou à la sécurité physique que garantit l'article 7 de la Charte.

CONCLUSION

[31]      Le délégué du ministre jouit d'un large pouvoir discrétionnaire pour donner l'avis en question, et il ne faut pas y toucher à la légère. Le demandeur est tenu à la charge rigoureuse de démontrer que les preuves produites appellent un autre résultat que celui auquel est parvenu celui-ci. À mon avis, le demandeur n'y a pas réussi et il n'a pas fait la preuve d'une erreur de fait ou de droit, susceptible de contrôle judiciaire.

[32]      La Cour a demandé aux parties si elles avaient une question à soumettre à la certification en application du paragraphe 83(1) de la Loi sur l'immigration, lequel porte ce qui suit :


83. (1) A judgment of the Federal Court-Trial Division on an application for judicial review with respect to any decision or order made, or any matter arising, under this Act or the rules or regulations thereunder may be appealed to the Federal Court of Appeal only if the Federal Court-Trial Division has at the time of rendering judgment certified that a serious question of general importance is involved and has stated that question.

83. (1) Le jugement de la Section de première instance de la Cour fédérale rendu sur une demande de contrôle judiciaire relative à une décision ou ordonnance rendue, une mesure prise ou toute question soulevée dans le cadre de la présente loi ou de ses textes d'application " règlements ou règles " ne peut être porté en appel devant la Cour d'appel fédérale que si la Section de première instance certifie dans son jugement que l'affaire soulève une question grave de portée générale et énonce celle-ci.

[33]      Ainsi donc, pour être certifiée, il faut que la question soit une " question grave de portée générale ".

[34]      Le demandeur a proposé à la certification les deux questions suivantes qui, à son avis, sont de portée générale, savoir :

         1.      Si un enquêteur du ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration, qui prépare un profil d'individu dangereux et la recommandation d'avis à donner en application du paragraphe 70(5) et de l'alinéa 53(1)d), est tenu de rechercher et de soumettre à l'examen du ministre tous les éléments d'information favorables et défavorables quant au profil de criminel;         
         2.      Si le défaut par le ministère de l'immigration et par l'avocat représentant la personne qui a reçu notification de l'intention visée au paragraphe 70(5) et à l'alinéa 53(1)d), de produire au ministre les éléments d'information et documents pertinents, disponibles au moment où l'avis fut envoyé et les observations faites, peut avoir pour effet d'invalider une décision et peut être pris en considération par la juridiction saisie du recours en contrôle judiciaire.         

[35]      Je conclus qu'il n'y a pas lieu de certifier ni l'une ni l'autre question. Il ressort des précédents Nguyen, précité, et Williams, précité, qu'il n'y a aucune règle formelle sur ce qui doit ou ne doit pas être soumis à l'examen du ministre pour l'aider à formuler son avis en application de l'alinéa 53(1)d) et du paragraphe 70(5) de la Loi.

[36]      La condition nécessaire est que le ministre ait à sa disposition des preuves suffisantes pour conclure que le demandeur peut être un danger pour le public au Canada, et que ce demandeur ait eu la possibilité de lui prouver le contraire.


[37]      En l'espèce, le représentant du ministre avait bien plus que des preuves suffisantes pour pour tirer la conclusion contestée, après que le demandeur eut eu la possibilité de présenter toutes les observations qu'il voulait.

     Signé : Max M. Teitelbaum

     ________________________________

     Juge

Ottawa (Ontario),

le 19 novembre 1998

Traduction certifiée conforme

Bernard Olivier, LL.B.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER No :              IMM-5451-97

INTITULÉ DE LA CAUSE :      Thanasingam Balasingam

                             c.

                             Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration

LIEU DE L'AUDIENCE :          Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :      3 novembre 1998

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉS PAR LE JUGE TEITELBAUM

LE :                          19 novembre 1998

ONT COMPARU :

Mme Joyce Yedid                  pour le demandeur

Mme Sylviane Roy                  pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mme Joyce Yedid                  pour le demandeur

Montréal (Québec)

M. Morris Rosenberg              pour le défendeur

Sous-procureur général du Canada

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