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Date : 20060404

Dossier : IMM-3991-05

Référence : 2006 CF 433

Ottawa (Ontario), le 4 avril 2006

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE LAYDEN-STEVENSON

 

ENTRE :

ERVIN GONDI et CSILLA MARIA KOVACS

demandeurs

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Bien que les demandeurs aient soulevé trois motifs de contrôle judiciaire, je suis convaincue que l’affaire se rapporte à un manquement au principe d’équité procédurale et que la demande de contrôle judiciaire devrait être accueillie pour cette raison.

 

I. Le contexte

[2]               Les demandeurs sont un homme et son épouse et sont tous les deux citoyens de la Hongrie. Ils prétendent être des réfugiés au sens de la Convention ou des personnes à protéger en raison de leur origine rome. La Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (CISR) a rejeté la demande d’asile parce que le demandeur principal « n’a pas fourni de preuve claire et convaincante que la Hongrie ne pouvait ni ne voulait le protéger ». En d’autres mots, les demandeurs n’ont pas réfuté la présomption d’existence de la protection de l’État.

 

[3]               Les demandeurs s’étaient déjà vu refuser l’asile au Canada auparavant et étaient retournés en Hongrie. À la suite de divers incidents – qui sont décrits en détail dans leurs formulaires de renseignements personnels (FRP) et qui comprennent, entre autre, ce qui leur est arrivé avec les policiers et leurs efforts afin d’obtenir de l’aide – ils sont revenus au Canada, après n’être restés en Hongrie que trois mois, et ont déposé une nouvelle demande.

 

II. L’audience

[4]               La transcription de l’audience devant la SPR comporte à peine plus de 18 pages. Les neuf premières pages comprennent des observations préliminaires, des questions de procédure et d’autres détails. Quatre pages et demie comprennent ensuite des discussions entre le commissaire et soit l’agent de la protection des réfugiés (APR), soit l’avocat des demandeurs. La transcription de la preuve se trouve dans les quatre pages et demie restantes. La preuve est constituée des réponses du demandeur aux questions de l’APR.

 

[5]               Les questions de l’APR portaient sur les sujets suivants :

·                       de quoi et de qui les demandeurs ont peur;

·                       si les autres Tziganes en Hongrie se trouvent dans la même situation;

·                       si les demandeurs ont de la famille en Hongrie, quel contact ils ont avec les membres de leur famille, si ceux-ci ont aussi des problèmes, et pourquoi ils restent en Hongrie;

·                       si les demandeurs avaient tenté d’obtenir une protection à leur retour en Hongrie, comment, quand, ce qui s’est passé, s’ils ont obtenu de l’aide, s’ils ont obtenu des conseils et s’ils ont obtenu des documents [corroborants];

·                       si les demandeurs sont au courant qu’il existe [TRADUCTION] « beaucoup plus de services depuis 2001 »;

·                       si les demandeurs croient qu’ils pourraient obtenir une protection s’ils se rendaient à tous les bureaux qui existent maintenant ou dans une des quatre villes dont le maire est rom.

 

[6]               L’APR a présenté de brèves observations à la fin de l’audience, a fait référence au rapport du Home Office dans la trousse documentaire de la CISR et a posé la question suivante : [TRADUCTION] « Le demandeur a-t-il fourni une preuve claire et convaincante pour réfuter toutes les présomptions de protection que soulève la documentation? »

 

[7]               L’avocat des demandeurs a demandé l’autorisation de présenter des observations écrites, et cette autorisation lui a été accordée. Ces observations comptaient 19 pages et comprenaient de nombreuses références à la preuve documentaire, y compris les rapports de 2003 du Département d’État, le rapport de 2004 d’Amnistie Internationale, un rapport de 2001 de la Direction des recherches de la CISR et les commentaires écrits du Centre européen des droits des Roms au sujet de la Hongrie présentés à la 74e séance du Comité des droits de l’homme des Nations Unies.

 

[8]               Présentées de façon synoptique, les observations des demandeurs faisaient référence à des renseignements, énoncés en partie dans la liste non exhaustive des facteurs suivants, portant sur les Roms en Hongrie :

·                       les programmes existants sont considérés comme inadéquats;

·                       le gouvernement a décidé de ne pas régler certains aspects du problème;

·                       le gouvernement n’a pas une idée claire des problèmes auxquels les Roms font face;

·                       le fait d’accorder plus de financement aux programmes générerait des sentiments négatifs envers les Roms et entraînerait une diminution des suffrages à la prochaine élection;

·                       les organismes non gouvernementaux et les collectivités autonomes romes dénoncent le manque de contrôle sur la mise en application du programme de ciblage des Roms;

·                       le racisme est systématique au sein des forces policières;

·                       des programmes de sensibilisation existent mais il n’y a aucune volonté de garantir que les fonds alloués à ces programmes sont dépensés correctement; et ainsi de suite.

 

III. La décision

[9]               Les motifs de la Commission sont brefs (moins de trois pages). La première page décrit les « faits allégués ». Il semble, au vu de ces motifs, que la SPR a accepté les faits tels que les demandeurs les ont énoncés. Le défendeur reconnaît que la crédibilité ne pose pas de problème. L’analyse commence au bas de la première page et débute par un commentaire dans lequel la SPR affirme que les demandeurs ont établi leur identité à sa satisfaction. Puis, la déclaration suivante est faite :

On a présenté au demandeur d’asile principal de la documentation crédible tirée du Cartable national de la Hongrie, pièce A-1, paragraphe 2.4, Direction de l’immigration et de la nationalité du ministère de l’Intérieur, Operational Guidance Notes, « Hungary », alinéa 3.6.2, dans laquelle on constate que le degré de discrimination éprouvé par les Roms en Hongrie ne constitue pas de la persécution, de la torture ou des traitements dégradants ou inhumains.

 

[10]           Le reste de la première page et la première partie de la page 2 résument le contenu de quatre paragraphes du rapport du Home Office.

 

[11]           À la page 2, la SPR déclare :

Lorsqu’on l’a confronté, le demandeur d’asile a déclaré que la collectivité autonome rome n’avait pas pu lui communiquer l’adresse ni le numéro de téléphone de l’ombudsman.

 

 

[12]           Ce commentaire est suivi de quatre courts paragraphes portant sur des extraits du témoignage du demandeur à l’audience. La rédaction qu’a fait la Commission de ces paragraphes suppose que le demandeur avait répondu à des questions au sujet de la preuve documentaire. La SPR déclare ensuite que :

Le tribunal conclut que le demandeur d’asile n’a pas fourni de preuve claire et convaincante que la Hongrie ne pouvait ni ne voulait le protéger.

 

 

 

[13]           À la fin du document se trouve la « conclusion » selon laquelle les demandeurs ne sont ni des réfugiés au sens de la Convention, ni des personnes à protéger.

 

IV. Analyse

[14]           Il existe deux motifs principaux justifiant ma conclusion selon laquelle il y a eu manquement au principe d’équité procédurale en l’espèce. Premièrement, au cours de l’audience, la preuve documentaire n’a pas été mentionnée au demandeur et ce dernier n’a pas eu à répondre à des questions à ce sujet. Le défendeur soutient que, en gros, les questions de l’APR traitaient du contenu des documents produits au sujet de la situation du pays. J’ai examiné la transcription soigneusement plusieurs fois, ce qui n’a pas été long, et ce n’est tout simplement pas le cas. L’APR a posé ses questions au demandeur en termes très généraux et il n’a fait absolument aucune référence à l’un ou l’autre des documents. Les motifs présentent de manière inexacte ce qui s’est passé à l’audience. Bien que cette inexactitude ait pu être involontaire, les motifs ne reflètent pas l’évaluation attentive de la situation que la SPR, une entité qui est chargée d’importantes responsabilités décisionnelles, aurait dû effectuer.

 

[15]           Deuxièmement, la SPR était saisie d’une grande quantité de preuves documentaires. L’avocat des demandeurs a expressément renvoyé la Commission à divers extraits des documents qui faisaient partie de la trousse documentaire de la CISR et à d’autres documents que les demandeurs avaient présentés. Il ne s’agit pas d’une situation dans laquelle la Commission a déclaré dans ses motifs qu’elle avait examiné toute la preuve avant de tirer une conclusion. En effet, la Commission ne mentionne que le rapport du Home Office et aucun autre document. Le défendeur allègue que ce document, sur lequel la SPR s’est appuyée, comprend de toute façon le contenu des documents sur lesquels les demandeurs se sont appuyés. Cette affirmation n’est guère utile. Le rapport du Home Office ne comprend qu’un seul paragraphe au sujet des difficultés des Roms. Le reste du rapport porte sur les diverses initiatives qui ont été entreprises afin d’améliorer leur situation.

 

[16]           Il est bien établi que la Commission est réputée avoir examiné tous les documents dont elle était saisie et qu’elle n’est pas tenue de mentionner tous les éléments de preuve ni d’expliquer la façon dont elle les a traités : Hassan c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), (1992), 147 N.R. 317 (C.A.F.). Cependant, le besoin de mentionner et d’analyser certains éléments de preuve augmente avec l’importance de ceux-ci : Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), (1998), 157 F.T.R. 35 (1re inst.). En l’espèce, rien ne donne à penser que la preuve mentionnée par les demandeurs n’était pas importante. Dans les circonstances, il revenait à la Commission de mentionner dans ses motifs l’existence de la preuve qui contredisait sa conclusion et d’expliquer l’incidence, le cas échéant, que cette preuve avait sur la demande.

 

[17]           L’obligation d’équité de la SPR se trouve au sommet de l’échelle de l’équité procédurale : Geza et al. c. Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2006 CAF 124. En l’espèce, il y a eu manquement à cette obligation. Ceci dit, je suis consciente que les demandeurs ont l’obligation de soulever la question d’un manquement au principe d’équité procédurale le plus tôt possible. Je suis convaincue que les demandeurs ne pouvaient pas être au courant du manquement tant qu’ils n’avaient pas reçu les motifs de la Commission.

 

[18]           Comme je l’ai signalé au tout début, l’affaire se rapporte à un manquement au principe d’équité procédurale et je n’ai pas à traiter des autres erreurs alléguées, y compris les arguments de poids de l’avocat des demandeurs quant au critère à appliquer au sujet de la protection de l’État et quant à savoir si la SPR l’a appliqué correctement en l’espèce. Il s’ensuit que la question que l’avocat a énoncée pour la certification au sujet de la protection de l’État ne sera pas certifiée.

 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE : la demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée devant un tribunal de la Section de la protection des réfugiés différemment constitué pour un nouvel examen.

 

 

« Carolyn Layden-Stevenson »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-3991-05

 

INTITULÉ :                                       ERVIN GONDI et CSILLA MARIA KOVACS

                                                            c.

                                                            MCI

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 30 mars 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              La juge Layden-Stevenson

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 4 avril 2006

 

 

COMPARUTIONS :

 

Rocco Galati

 

POUR LES DEMANDEURS

Kristina Dragaitis

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Rocco Galati

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

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