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Date : 20040624

Dossier : T-1894-03

Référence : 2004 CF 907

Vancouver (Colombie-Britannique), le jeudi 24 juin 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE FINCKENSTEIN

ENTRE :

                                                    IDDI RAMADHANI YUSSUF

                                                                                                                                          demandeur

                                                                             et

                                        LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Dans la présente demande, le demandeur sollicite un bref de certiorari annulant la décision de la Commission nationale des libérations conditionnelles (la CNLC) de lui refuser une réhabilitation.

[2]                Le demandeur possède un casier judiciaire relatif à des infractions de contrefaçon, vol et fraude. Sa dernière déclaration de culpabilité remonte à mai 1993. En mai 2000, il a été accusé de fraude et de supposition intentionnelle de personne. Plus particulièrement, il a été allégué qu'il avait tenté d'acheter une caméscope au moyen d'une fausse carte de crédit Sears.


[3]                Dans la preuve qui a été présentée au procès, un gardien de sécurité a formellement identifié le demandeur. Il a également été identifié par un commis de magasin qui n'avait pas pu l'identifier lors d'une séance antérieure d'identification par photographie. Toutefois, par la suite lors du procès, le commis de magasin a admis que d'autres personnes lui avaient ordonné d'identifier le demandeur. À la suite de ce témoignage, lequel donnait à entendre que la preuve d'identification était viciée, la Couronne a ordonné la suspension des procédures le 7 mars 2001.

[4]                Le 9 avril 2000, le demandeur a fait une demande de réhabilitation en vertu de la Loi sur le casier judiciaire, L.R.C. 1985, ch. C-47 (la Loi). Dans une lettre datée du 28 mars 2003, la Commission a informé le demandeur qu'elle avait l'intention de refuser sa demande parce qu'il n'avait pas fait preuve d'une « bonne conduite » en raison des procédures intentées contre lui en 2001.

[5]                Le demandeur a répondu dans une argumentation datée du 29 avril 2003 en déclarant qu'il avait toujours nié toute implication dans la présumée infraction et que les accusations avaient été suspendues en raison de faiblesses importantes dans la preuve de la Couronne contre lui.

[6]                Dans une décision datée du 12 septembre 2003, la Commission a informé le demandeur que son argumentation avait été examinée mais que sa demande avait néanmoins été refusée. Le demandeur demande maintenant à la Cour d'examiner la décision de la Commission.

LES QUESTIONS EN LITIGE

[7]                Le demandeur soulève deux questions :

i)           Quelle norme de contrôle convient-il d'appliquer?

ii)          La CNLC a-t-elle commis une erreur en concluant que le demandeur n'avait pas fait preuve d'une bonne conduite depuis sa condamnation?

LES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES ET LES POLITIQUES PERTINENTES

[8]                Les dispositions législatives et les politiques suivantes sont pertinentes en l'espèce :

Loi sur le casier judiciaire, L.R.C. 1985, ch. C-47

3. (1) Toute personne condamnée pour une infraction à une loi fédérale ou à ses règlements peut présenter une demande de réhabilitation à la Commission à l'égard de cette infraction [...]

4. La période consécutive à l'expiration légale de la peine, notamment une peine d'emprisonnement, une période de probation ou le paiement d'une amende, pendant laquelle la demande de réhabilitation ne peut être examinée est de :

a) cinq ans pour les infractions punissables par voie de mise en accusation [...]

4.1 (1) Pour les infractions punissables par voie de mise en accusation et pour les infractions d'ordre militaire visées à l'alinéa 4a), la Commission peut octroyer la réhabilitation lorsqu'elle est convaincue, pendant le délai de cinq ans, de la bonne conduite du demandeur et qu'aucune condamnation, au titre d'une loi du Parlement ou de ses règlements, n'est intervenue.

4.2 (1) Sur réception de la demande de réhabilitation dans le cas des infractions visées à l'alinéa 4a), la Commission fait procéder aux enquêtes pour connaître la conduite du demandeur depuis la date de sa condamnation.


Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C-46

579. (1) Le procureur général ou le procureur mandaté par lui à cette fin peut, à tout moment après le début des procédures à l'égard d'un prévenu ou d'un défendeur et avant jugement, ordonner au greffier ou à tout autre fonctionnaire compétent du tribunal de mentionner au dossier que les procédures sont arrêtées sur son ordre et cette mention doit être faite séance tenante; dès lors, les procédures sont suspendues en conséquence et tout engagement y relatif est annulé.

(2) Les procédures arrêtées conformément au paragraphe (1) peuvent être reprises sans nouvelle dénonciation ou sans nouvel acte d'accusation, selon le cas, par le procureur général ou le procureur mandaté par lui à cette fin en donnant avis de la reprise au greffier du tribunal où les procédures ont été arrêtées; cependant lorsqu'un tel avis n'est pas donné dans l'année qui suit l'arrêt des procédures ou avant l'expiration du délai dans lequel les procédures auraient pu être engagées, si ce délai expire le premier, les procédures sont réputées n'avoir jamais été engagées.

Manuel des politiques de la CNLC, ch. 14.1 : Clémence et réhabilitations

[...] Aux fins de l'application de la LCJ, la bonne conduite est définie comme l'absence de condamnations pendant une période fixée, sans que des soupçons ou allégations d'ordre criminel ne pèsent contre le demandeur.

La Commission octroie la réhabilitation à l'égard d'une infraction punissable par voie de mise en accusation (acte criminel) dans les cas où elle n'a reçu des organismes d'application de la loi aucun renseignement négatif concernant un comportement criminel présumé ou prétendu de la part du demandeur depuis sa dernière condamnation ou peine.

Dans les cas contraires, la Commission examine les renseignements et détermine si la réhabilitation doit être octroyée ou refusée [...]


La question en litige i) : la norme de contrôle

[9]                Dans la décision Conille c. Canada (Procureur général), [2003] A.C.F. no 828, au paragraphe 14, le juge Blanchard a conclu que la norme de contrôle applicable aux décisions de la CNLC quant à savoir si un demandeur avait fait preuve d'une « bonne conduite » était celle de l'erreur manifestement déraisonnable. Voici ce qu'il a affirmé :

Il est établi en vertu de la jurisprudence (Re Therrien, [2001] 2 R.C.S. 3) et de l'article 2.1 de la Loi que la Commission a compétence exclusive en matière d'octroi, de délivrance, de refus et de révocation des réhabilitations. Les dispositions de la Loi font en sorte que la Commission a le pouvoir d'octroyer de façon discrétionnaire des réhabilitations. Il ne s'agit pas d'un droit acquis par le demandeur dès que le lapse de temps requis pour faire une demande est passé. La notion de bonne conduite, retrouvée à l'article 4 de la Loi, n'est pas définie; il s'agit essentiellement d'une question d'appréciation des faits qui relève de l'expertise même de la Commission. Ceci étant dit, la norme de contrôle applicable sera l'erreur manifestement déraisonnable devant une question de fait.

[10]            Dans la décision Tanner c. Canada (Procureur général), [2003] A.C.F. no 361, conf. [2004] A.C.F. no 24, le juge O'Keefe a également appliqué la norme de l'erreur manifestement déraisonnable pour contrôler la décision de la CNLC de révoquer une réhabilitation. J'estime que cette jurisprudence est conforme aux facteurs de l'analyse pragmatique et fonctionnelle qui ont été prescrits par la Cour suprême dans l'arrêt Dr Q c. College of Physicians and Surgeons of British Colombia, [2003] A.C.S. no 18. Par conséquent, la présente affaire sera examinée au regard de la norme de l'erreur manifestement déraisonnable.


La question en litige ii) : la CNLC a-t-elle commis une erreur en concluant que le demandeur n'avait pas fait preuve d'une « bonne conduite » depuis sa condamnation?

[11]            Premièrement, le demandeur prétend que, en vertu du paragraphe 579(2) du Code criminel, les procédures qui ont été suspendues en 2001 sont maintenant réputées n'avoir jamais été engagées en raison de l'expiration du délai d'un an. Par conséquent, il prétend que la Commission a commis une erreur en se fiant sur les procédures en rendant sa décision.

[12]            Cet argument n'est pas soutenable. Bien que les procédures soient réputées n'avoir jamais été engagées en vertu du paragraphe 579(2) du Code criminel, l'enquête qui les a précédées et les allégations entourant l'infraction reprochée existent toujours dans les dossiers de la police et la CNLC peut les prendre en compte lorsqu'elle rend une décision quant à la « bonne conduite » du demandeur. Ce ne sont que les procédures, c'est-à-dire les étapes devant les tribunaux, qui sont réputées n'avoir jamais été engagées.


[13]            Deuxièmement, le demandeur prétend qu'il n'était pas loisible à la Commission de conclure qu'[Traduction] « il avait tenté d'acheter une caméscope au moyen d'une fausse carte de crédit Sears » , compte tenu qu'il a toujours nié avoir commis l'infraction et a souligné d'importantes lacunes dans la preuve de la Couronne. Le demandeur prétend que, en se fiant à certains aspects de la preuve de la police, la Commission n'a pas fondé sa décision sur des faits exacts et n'a pas tenu compte de l'ensemble des circonstances de l'affaire. Il fait une distinction entre les faits de l'espèce et ceux de la décision Conille, précitée, en ce sens que, dans cette décision, il existait des éléments de preuve fiables et le demandeur est demeuré le principal suspect dans une enquête en cours relativement à un meurtre au premier degré.

[14]            Les arguments du demandeur se résument à l'argument fondamental suivant : la CNLC ne devrait pas être autorisée à se fier, dans une instance criminelle, à des renseignements policiers et à des accusations criminelles qui n'ont pas été prouvés.

[15]            Toutefois dans l'arrêt Mooring c. Canada (Commission nationale des libérations conditionnelles), [1996] 1 R.C.S. 75, le juge Sopinka, au nom de la majorité, a conclu ce qui suit au paragraphe 29 :

[...] Le texte de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition confère à la Commission un vaste mandat d'inclusion de renseignements. Non seulement elle n'est pas tenue d'appliquer les règles de preuve classiques, mais elle doit tenir compte de « toute l'information pertinente disponible » .

[16]            Se fondant sur ce principe, la Cour a conclu dans de nombreuses causes que la CNLC est tenue de tenir compte d'un grand éventail d'éléments de preuve pertinents et fiables lorsqu'elle rend ses décisions. Par exemple, dans la décision Prasad c. Canada (Commission nationale des libérations conditionnelles) (1991), 5 Admin.L.R. (2d), le juge Rouleau a conclu, aux pages 255 et 256, qu'il était loisible à la CNLC de tenir compte, lors d'une audience de révision des motifs de la détention, des accusations pour lesquelles il n'y a pas eu déclaration de culpabilité :


Il faut se rappeler qu'au cours d'un examen de maintien en incarcération la culpabilité ou l'innocence du requérant n'est pas en cause. Il s'agit plutôt de décider s'il existe ou non des motifs sur lesquels la Commission peut se fonder pour décider que le requérant, s'il est libéré avant l'expiration de sa peine, poserait un risque indu pour le public. Les règles d'équité ou de justice naturelle qui s'appliquent dans ces instances ne seront pas nécessairement les mêmes que celles qui s'appliquent à un procès criminel. À l'instar de la Commission, j'estime que les renseignements sur ces accusations sont pertinents dans la mesure où ils nous informent sur le mode de vie du requérant et sur ses fréquentations.

En résumé, je suis d'avis que ces renseignements sont pertinents et sûrs; le fait de les utiliser au cours d'un examen de maintien en incarcération ne contrevient pas à l'obligation de l'intimée d'agir équitablement.

[17]            La CNLC était tenue, en appliquant à la présente affaire le principe susmentionné, de tenir compte de l'ensemble des éléments de preuve pertinents et fiables ayant trait au comportement du demandeur durant la période pertinente de cinq ans. Cela comprenait les deux accusations portées, les éléments de preuve ayant trait à ces accusations et la résolution des procédures.

[18]            C'est précisément ce que la Commission a fait en l'espèce. Après avoir reconnu dans sa lettre du 28 mars 2003 qu'une suspension avait été enregistrée, la CNLC a conclu ce qui suit dans sa lettre du 12 septembre 2003 :

[traduction]

[...] Nous avons examiné l'ensemble de renseignements pertinents se rapportant aux circonstances entourant les accusations de fraude et de supposition intentionnelle de personne portées contre vous en 2001. Bien qu'un témoin oculaire ait été incapable de vous identifier, un autre témoin oculaire, l'agent de sécurité du magasin, vous a formellement identifié sur les lieux. Après avoir examiné l'ensemble des renseignements pertinents compris dans votre dossier, nous ne sommes pas convaincus que vous satisfaites aux critères de la bonne conduite et nous rejetons votre demande réhabilitation.


[19]            La CNLC a examiné l'ensemble des circonstances de l'espèce et elle a conclu que le témoignage de l'agent de sécurité était suffisamment fiable et pertinent pour qu'elle estime que le demandeur n'a pas fait preuve d'une « bonne conduite » . Je ne vois rien de manifestement déraisonnable dans cette conclusion.

CONCLUSION

[20]            Par conséquent, la présente demande sera rejetée.

                                        ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la demande soit rejetée.

« Konrad W. von Finckenstein »

        Juge

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B., trad. a.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                  T-1894-03

INTITULÉ :                                 IDDI RAMADHANI YUSSUF

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                     

LIEU DE L'AUDIENCE :          VANCOUVER (C.-B.)

DATE DE L'AUDIENCE :         LE 23 JUIN 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                LE JUGE VON FINCKENSTEIN

DATE DES MOTIFS :               LE 24 JUIN 2004

COMPARUTIONS :

Mark Jetté                                     POUR LE DEMANDEUR

Naomi Wright                                POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Donaldson Jetté                             POUR LE DEMANDEUR

Vancouver (C.-B.)

Morris Rosenberg                          POUR LE DÉFENDEUR

Sous procureur général du Canada                                

Ottawa (Ontario)


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