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Date : 20020625

Dossier : IMM-5567-01

Référence neutre : 2002 CFPI 712

ENTRE :

                                                 MARGARITA BASTIDA MANABAT

                                                                                                                                              demanderesse

                                                                              - et -

                                               LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                           ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

                                                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE GIBSON

Introduction

[1]                 Les présents motifs découlent d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision rendue par le premier secrétaire, Immigration, de l'ambassade du Canada aux Philippines (l'agent des visas) dans laquelle ce dernier a rejeté la demande de résidence permanente de la demanderesse au Canada en tant que demanderesse indépendante. La décision examinée est datée du 5 novembre 2001.


Contexte

[2]                 La demanderesse est une jeune femme qui est citoyenne des Philippines. Elle affirme qu'elle lit et écrit l'anglais couramment. Au printemps 1994, elle a obtenu un baccalauréat en enseignement secondaire, spécialisé en orientation scolaire et en enseignement moral. Elle a poursuivi ses études en vue de l'obtention d'une maîtrise en art en études religieuses supérieures, mais n'a pas rempli les exigences de la maîtrise. Au cours des dernières années, elle a terminé un certain nombre de petits cours dans les domaines du commerce, de la gestion et de l'informatique.

[3]                 Depuis avril 1994, elle est employée par C.A.C. Commercial Forwarders Inc., d'abord en tant que conseillère à l'exploitation puis, depuis janvier 1995, en tant de chef de l'exploitation.

[4]                 Dans sa demande de résidence permanente au Canada, la demanderesse a demandé à être appréciée dans les catégories d' « agent du personnel ou recruteur » (CNP 1223.0) et d' « agent aux achats » (CNP 1225.0). Elle a également demandé que, dans l'éventualité où elle ne réussirait pas à obtenir le nombre requis de points d'appréciation pour l'établissement au Canada, l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire d'acceptation en sa faveur soit envisagé en vertu du paragraphe 11(3) du Règlement sur l'immigration, 1978[1]. Ce paragraphe est ainsi rédigé :



11(3) L'agent des visas peut

a) délivrer un visa d'immigrant à un immigrant qui n'obtient pas le nombre de points d'appréciation requis par les articles 9 ou 10 ou qui ne satisfait pas aux exigences des paragraphes (1) ou (2), ou

b) refuser un visa d'immigrant à un immigrant qui obtient le nombre de points d'appréciation requis par les articles 9 ou 10,

s'il est d'avis qu'il existe de bonnes raisons de croire que le nombre de points d'appréciation obtenu ne reflète pas les chances de cet immigrant particulier et des personnes à sa charge de réussir leur installation au Canada et que ces raisons ont été soumises par écrit à un agent d'immigration supérieur et ont reçu l'approbation de ce dernier.

[je souligne]

11(3) A visa officer may

(a) issue an immigrant visa to an immigrant who is not awarded the number of units of assessment required by section 9 or 10 or who does not meet the requirements of subsection (1) or (2), or

(b) refuse to issue an immigrant visa to an immigrant who is awarded the number of units of assessment required by section 9 or 10,

if, in his opinion, there are good reasons why the number of units of assessment awarded do not reflect the chances of the particular immigrant and his dependants of becoming successfully established in Canada and those reasons have been submitted in writing to, and approved by, a senior immigration officer.

[emphasis added]


La décision examinée

[5]                 Dans sa lettre de décision, l'agent des visas a d'abord fait remarquer que la demanderesse a été appréciée à l'égard de la profession envisagée d' « agent du personnel » . Il a noté que cette appréciation découlait de l'octroi à la demanderesse de 57 points d'appréciation, 13 de moins que le nombre de 70 normalement requis pour avoir droit d'immigrer au Canada. La lettre de décision mentionnait les points d'appréciation accordés pour chacune des catégories pertinentes en rapport avec la profession envisagée d' « agent du personnel » . La demanderesse n'a obtenu aucun point d'appréciation pour le facteur professionnel et le facteur de l'expérience.

[6]                 L'agent des visas a poursuivi sa lettre de décision ainsi :

[traduction]

Vous n'avez pas été convoquée à une entrevue parce que, conformément à l'article 11.1 du Règlement sur l'immigration, il n'est pas nécessaire de procéder à des entrevues à moins que, selon un examen de la demande et des documents justificatifs présentés, au moins 60 points d'appréciation aient été accordés, y compris au moins un point d'appréciation pour les facteurs professionnel et de l'expérience.


Les paragraphes 11(1) et 11(2) du Règlement sur l'immigration ne permettent pas la délivrance d'un visa à des demandeurs qui n'ont pas obtenu au moins un point d'appréciation pour les facteurs professionnel et de l'expérience. Vous n'avez pas obtenu de point pour le facteur professionnel parce que je ne suis pas convaincu que vous respectez les exigences d'emploi au Canada établies par la Classification nationale des professions et que je ne suis pas convaincu que vous avez rempli un nombre considérable de fonctions principales prévues par la Classification nationale des professions. En conséquence, vous n'avez pas obtenu de point pour le facteur de l'expérience parce que vous n'avez pas réussi à démontrer que vous possédiez au moins une année d'expérience obligatoire pour cette profession définie par la CNP.

Le sous-alinéa 9(1)b)(ii) et l'alinéa 10(1)b) du Règlement sur l'immigration ne permettent pas la délivrance d'un visa d'immigrant à des demandeurs qui ont obtenu moins de 70 points d'appréciation. [...]

Vous avez également été appréciée à l'égard des professions suivantes :

Agent aux achats, CNP 1225.0    Votre demande ne pouvait être acceptée pour ce motif parce que je ne suis pas convaincu qui vous respectez les exigences d'emploi au Canada ou que vous avez rempli un nombre considérable de fonctions principales prévues par la Classification nationale des professions.

Directeur de service d'expédition de fret, CNP 0713.2; Commis de bureau général, CNP 1411.0; Commis aux achats et à l'inventaire, CNP 1474. Votre demande ne pouvait être approuvée pour l'un de ces motifs puisque le facteur professionnel pour ces professions, tant maintenant qu'au moment de la présentation de votre demande, était zéro.

Comme vous l'avez demandé, votre cause a été examinée de nouveau afin qu'il soit déterminé si l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire d'acceptation peut être justifié. Malheureusement, toutefois, je crois que les points d'appréciation susmentionnés indiquent précisément votre capacité à vous établir au Canada.

. . .                                                                                                         [Souligné dans l'original.]

Il convient de remarquer que les points d'appréciation mentionnés dans la lettre de décision l'ont été uniquement en rapport avec la profession « agent du personnel » et non avec celle d' « agent aux achats » pour laquelle la demanderesse a demandé à être appréciée ou celle de toute autre profession pour laquelle l'agent des visas a examiné la demande de la demanderesse.

Les questions en litige

[7]                 Dans le mémoire des faits et du droit produit au nom de la demanderesse, les points en litige sont ainsi déterminés :

1.          La façon avec laquelle la présente demande a été traitée crée-t-elle une crainte raisonnable de partialité?


2.          L'agent des visas a-t-il commis une erreur en n'appréciant pas la demanderesse en tant qu' « agent aux achats » (CNP 1225) ou que « directeur de service d'expédition de fret » (CNP 0713.2)?

3.          L'agent des visas a-t-il commis une erreur de droit en imposant des exigences supplémentaires à la définition d' « agent du personnel » (CNP 1223), limitant ainsi l'exercice de son pouvoir discrétionnaire?

4.          L'agent des visas a-t-il commis une erreur de droit en n'appréciant pas correctement la demanderesse en vertu du paragraphe 11(3) du Règlement sur l'immigration?

Analyse

1)          Crainte raisonnable de partialité

[8]                 Il est bien établi, et cela n'a certainement pas été contesté devant moi, que les critères de la crainte raisonnable de partialité sont exprimés dans les motifs dissidents de Monsieur le juge de Grandpré dans l'arrêt Committee for Justice c. L'Office national de l'énergie[2] où il a indiqué ce qui suit à la page 394 :

La Cour d'appel a défini avec justesse le critère applicable dans une affaire de ce genre. Selon le passage précité, la crainte de partialité doit être raisonnable et le fait d'une personne sensée et raisonnable qui se poserait elle-même la question et prendrait les renseignements nécessaires à ce sujet. Selon les termes de la Cour d'appel, ce critère consiste à se demander « à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique. Croirait-elle que, selon toute vraisemblance, [le preneur de décision], consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste? »


[9]                 Les notes du STIDI qui font partie du dossier du tribunal déposé devant la Cour révèlent que la demande de la demanderesse a d'abord été examinée par un adjoint aux programmes de l'ambassade canadienne à Manille et non par une personne autorisée à rendre une décision relative à la demande de la demanderesse. L'adjoint aux programmes a noté les professions envisagées indiquées par la demanderesse. Elle ou il a ensuite indiqué ce qui suit :

[traduction]

La PI [personne intéressée, la demanderesse] ne possède pas d'expérience ni ne respecte les exigences de la CNP relativement à l'une des deux professions.

Cette indication est datée du 22 mars 2001.

[10]            L'entrée suivante, qui a été effectuée précisément deux mois plus tard et apparemment par un autre adjoint aux programmes, prévoit ce qui suit : [traduction] « ébauche de refus préparée » . Cette entrée est suivie par une autre à la même date, apparemment préparée par le même adjoint aux programmes, qui est ainsi rédigée : [traduction] « - note que les compétences du sujet ne sont pas suffisantes pour la profession de directeur de service d'expédition de fret, 0713.2 - demande - zéro » .

[11]            La première entrée dans les notes du STIDI par l'agent des visas dont la décision est examinée est la suivante et est datée du 15 août 2001. Elle commente brièvement les compétences de la demanderesse dans les deux classifications des professions pour lesquelles la demanderesse effectuait une demande. Elle prévoit également ce qui suit :

[traduction]


Me Chapman [l'avocat de la demanderesse devant moi] demande l'exercice du pouvoir discrétionnaire d'acceptation dans sa lettre d'introduction (R11)(3). Toutefois, dans ce cas, cela n'est pas justifié. [...] PA n'a pas de parents au Canada. Elle a peu d'argent disponible, n'a pas d'habiletés en demande ni d'offre d'emploi informelle. Je suis convaincu qu'il s'agit d'un cas moyen et que les points attribués (57) reflètent précisément ses chances d'établissement.

[12]            Le reste des notes du STIDI, en substance, consiste ensuite simplement en la lettre de refus qui est examinée en l'espèce.

[13]            L'avocat de la demanderesse a soutenu qu'un examen des notes du STIDI amènerait une personne informée, qui considérerait la question de façon réaliste et pratique et qui y aurait réfléchi, à conclure que la décision examinée a été essentiellement prise par des adjoints aux programmes qui n'avaient pas le pouvoir de rendre une décision, et non par l'agent des visas qui avait les notes des agents des programmes en main lorsqu'il a examiné le dossier ainsi qu'une ébauche de la lettre de refus. En conséquence, a-t-on soutenu, on pouvait raisonnablement craindre que l'agent des visas était partial en fonction des avis qui lui étaient donnés.


[14]            Au contraire, l'avocate du défendeur a renvoyé à l'affidavit de l'agent des visas produit à l'égard de cette question et à la transcription de son contre-interrogatoire portant sur cet affidavit et a soutenu que je devrais accepter l'assurance assermentée de l'agent des visas selon laquelle il a apprécié de façon indépendante la demande de la demanderesse et a pris sa propre décision qui, par hasard, correspondait exactement à la position adoptée par les adjoints aux programmes. L'avocate a soutenu que, étant donné les pressions placées sur les agents des visas à l'ambassade du Canada à Manille, le recours aux adjoints aux programmes pour aider à la gestion d'une charge de travail très lourde n'était que raisonnable et que, par conséquent, une personne informée, qui considérerait la question de façon réaliste et pratique et qui y aurait réfléchi, ne croirait pas que l'agent des visas, consciemment ou inconsciemment, n'aurait pas rendu une décision équitable.

[15]            Je préfère la position mise de l'avant au nom du défendeur. Les stratégies adoptées par l'ambassade du Canada à Manille afin de gérer la charge de travail en matière d'immigration étaient, et j'en suis convaincu, tout à fait raisonnables. Je ne vois aucune raison pour mettre en doute l'assurance donnée par l'agent des visas selon laquelle il, et lui seul, a pris la décision qui est examinée en l'espèce. En outre, je conclus qu'on ne pouvait raisonnablement croire qu'il était partial en le faisant.

2)          Défaut d'apprécier officiellement la demanderesse en tant qu'agent aux achats


[16]            Rien dans la lettre de décision examinée, les notes du STIDI, en fait le dossier du tribunal dans son entier, ainsi que l'affidavit de l'agent des visas ne fournit la preuve que ce dernier a officiellement apprécié la demanderesse à l'égard de la profession d' « agent aux achats » , malgré la demande de la demanderesse à être appréciée à l'égard de cette profession. La transcription du contre-interrogatoire de l'agent des visas relativement à son affidavit fournit l'assurance qu'il a « officiellement » apprécié la demanderesse pour ce poste[3]. Toutefois, cette assurance est plutôt mitigée. Je conclus que la preuve déposée devant la Cour ne démontre simplement pas que l'agent des visas a procédé à une appréciation « point par point » de la demanderesse en tant qu' « agent aux achats » et qu'il n'a dont pas « officiellement » apprécié la demanderesse à l'égard de cette profession.

[17]            Dans l'arrêt Uy c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)[4], le juge Mahoney a, au nom de la Cour, déclaré ce qui suit au paragraphe 6 :

À mon avis, l'article 6 de la Loi oblige l'agent des visas à apprécier tout immigrant qui sollicite le droit d'établissement de la manière prescrite par la Loi et le Règlement. Le paragraphe 8(1) du Règlement impose, à titre obligatoire, un devoir d'apprécier. Or, je ne trouve rien dans la Loi ou dans le Règlement qui permette à l'agent des visas de refuser d'apprécier l'immigrant (ou son conjoint) à l'égard de la profession principale ou des professions subsidiaires qu'il déclare avoir l'intention d'exercer au Canada. L'agent des visas a commis une erreur de droit et a excédé sa compétence en refusant d'apprécier l'appelant, aux fins de son admission au Canada, à titre de technologue médical.

  

[18]            Dans l'arrêt Issaeva c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)[5], Monsieur le juge Rothstein, alors à la Section de première instance de cette Cour, en référence au passage précité de l'arrêt Uy, a déclaré ce qui suit aux paragraphes 8 à 10 :

J'estime que ce passage [le passage précité de l'arrêt Uy] précise qu'un immigrant éventuel est en droit d'être apprécié dans sa profession envisagée.

En l'espèce, la requérante n'a pas été appréciée conformément à la Loi sur l'immigration et au Règlement. Les paragraphes 8(1) et (2) du Règlement prévoient dans leur partie applicable :

8.(1) Sous réserve de l'article 11.1, afin de déterminer si un immigrant [...] pourront réussir leur installation au Canada, l'agent des visas apprécie l'immigrant [...]


a) dans le cas d'un immigrant qui n'est pas visé aux alinéas b) ou c), suivant chacun des facteurs énumérés à la colonne I de l'annexe I;

. . .

(2) Un agent des visas doit donner à l'immigrant qui est apprécié suivant les facteurs énumérés dans la colonne I de l'annexe I le nombre voulu de points d'appréciation pour chaque facteur , en s'en tenant au maximum fixé à la colonne III, conformément aux critères visés dans la colonne II de cette annexe vis-à-vis de ce facteur.

Une appréciation n'est pas une détermination informelle ou préliminaire d'un agent des visas. Les termes « apprécier » ou « appréciation » s'entendent du processus d'application, à l'égard de l'immigrant éventuel, des facteurs énumérés dans la colonne I de l'annexe I du Règlement. Le fait que cela n'a pas été fait à l'égard de la profession d' « économiste générale » déclarée par la requérante est confirmée par la décision de l'agent des visas qui dit que la requérante a été appréciée seulement à l'égard des professions de « directeur administratif » et d' « administrateur des finances » .

Puisque la requérante était en droit d'être appréciée dans la profession qu'elle a déclarée dans sa demande, celle d' « économiste générale » , et qu'aucune appréciation n'a été faite conformément à la Loi sur l'immigration et au Règlement, l'agent des visas a commis une erreur de droit et a outrepassé sa compétence.

On a cité certaines décisions de la Section de première qui laissent entendre que si l'agent des visas fait une détermination préliminaire selon laquelle un immigrant éventuel n'est pas qualifié dans sa profession réclamée, il n'y a pas lieu de faire une appréciation relativement à cette profession, ou qu'une telle détermination constitue une appréciation... Bien entendu, chaque cas doit être tranché selon ses propres faits. Toutefois, comme je l'ai dit, une appréciation n'est pas une détermination informelle. Je suis lié par la décision Uy (supra), qui exige qu'une appréciation selon la Loi sur l'immigration et le Règlement soit faite à l'égard d'une profession réclamée par un immigrant éventuel.

La Cour pourrait envisager des cas où un immigrant éventuel pourrait déclarer une profession particulière pour laquelle il est clair qu'il n'est pas qualifié. Dans ces cas, une appréciation dans cette profession semblerait inutile. Toutefois, l'économie de la Loi et du Règlement est claire. Une appréciation doit être faite en premier lieu.

                                                                                                        [Citations omises.]

  


[19]            Voici d'autres décisions allant dans le même sens rendues par la Section de première instance : Olajuwon c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)[6] et Khalaque c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)[7]. Au contraire, Madame le juge Reed dans l'arrêt Goussev c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)[8] a déclaré ce qui suit au paragraphe 14 :

L'avocate du défendeur m'a référée à des arrêts dans lesquels il a été statué qu'une appréciation officieuse ou préliminaire par un agent des visas ne constitue pas une appréciation et que l'agent des visas est tenu d'apprécier le demandeur à l'égard de la profession envisagée; [...] Selon moi, ces arrêts n'exigent pas que l'agent des visas poursuive son appréciation à l'égard d'une profession donnée une fois qu'il est clair que le demandeur ne peut pas obtenir le nombre nécessaire de points pour se voir accorder le droit d'établissement. Ainsi, s'il existe une exigence selon laquelle au moins un point doit être attribué à l'égard d'un facteur donné, et si l'agent des visas conclut que l'intéressée n'obtiendra pas de points à l'égard de ce facteur, l'agent des visas n'est pas tenu de continuer à effectuer une démarche inutile en appréciant les autres facteurs. Une appréciation a été effectuée.

                                                                                                                           [Citations omises.]

  

[20]            Le juge Reed semblerait avoir nuancé sa déclaration précédente dans l'arrêt Jain c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)[9]. Au paragraphe 5, le juge Reed a déclaré ce qui suit :

Il se fonde sur la décision Uy c. Canada (Ministre de l'emploi et de l'Immigration) [...] pour soutenir que quand bien même une réévaluation ne produirait pas un total de 70 points, il est des cas où il conviendrait de renvoyer l'affaire pour nouvelle instruction de la demande, parce que les agents des visas tiennent du paragraphe 11(3) du Règlement sur l'immigration le pouvoir discrétionnaire d'accorder le visa même si le total des points d'appréciation est inférieur à 70 points.

                                                                                                                              [Citation omise.]

  


[21]            Je suis convaincu qu'il s'agit d'une demande où les circonstances imposent le renvoi de cette question pour nouvelle appréciation, parce que l'agent des visas aurait pu exercer son pouvoir discrétionnaire en vertu du paragraphe 11(3) du Règlement et, qu'en fait, on le lui a précisément demandé de le faire dans la lettre accompagnant la demande de la demanderesse. La preuve déposée devant moi n'établit tout simplement pas qu'une appréciation « officielle » a été effectuée, et j'utilise ce terme pour indiquer une appréciation, qui comprend une appréciation point pas point conformément aux paragraphes 8(1) et 8(2) du Règlement, de la demanderesse à l'égard de la profession d' « agent aux achats » . Les documents déposés devant la Cour démontrent que la demanderesse possédait un niveau d'études élevé ainsi qu'une importante expérience du commerce. En l'absence d'une appréciation « officielle » à l'égard de chacune des professions pour lesquelles la demanderesse souhaitait être appréciée et peut-être d'autres professions déterminées par l'agent des visas pour lesquelles la demanderesse pouvait être qualifiée, je ne suis pas convaincu que l'agent des visas était dans une position pour effectuer une appréciation d'un « pouvoir discrétionnaire d'acceptation » d'une façon équitable et significative. Nous nous pencherons davantage sur la détermination du « pouvoir discrétionnaire d'acceptation » de l'agent des visas plus loin dans les présents motifs.

3)          Ajout d'exigences supplémentaires dans la définition d'agent du personnel


[22]            L'avocat de la demanderesse a soutenu que l'agent des visas avait révélé dans son contre-interrogatoire portant sur son affidavit qu'il avait ajouté dans les fonctions d'un « agent du personnel » une exigence qui ne reflète tout simplement pas la description de la CNP des fonctions de cette profession[10]. Cette question n'a pas été discutée à fond devant moi et je suis convaincu qu'il ne s'agit tout simplement pas d'une question déterminante. Avec beaucoup de respect en ce qui concerne cette question, je suis convaincu que l'avocat de la demanderesse épluchait le témoignage de l'agent des visas rendu en contre-interrogatoire d'une manière qui n'était pas justifiée.

4)          Défaut d'exercer correctement le pouvoir discrétionnaire d'acceptation en vertu du paragraphe 11(3) du Règlement sur l'immigration

[23]            Dans l'arrêt Kwong c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)[11], Monsieur le juge Cullen a déclaré ce qui suit au paragraphe 14 :

Des motifs d'ordre économique sous-tendent l'exercice du pouvoir discrétionnaire prévu au paragraphe 11(3). Les motifs économiques ont trait à la capacité du demandeur de gagner sa vie et de s'établir au Canada, ce qui est un exercice de prospection : [...]

                                                                                                                              [Citation omise.]

  

[24]            Dans l'arrêt Crisologo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)[12], Madame le juge Heneghan a déclaré ce qui suit au paragraphe 35, bien que ce soit une remarque incidente ainsi que l'avocat de la demanderesse l'a souligné :

À mon avis, l'agent des visas a correctement exercé son pouvoir discrétionnaire dans le cas qui nous occupe, étant donné que les facteurs dont il devait tenir compte se rapportent de façon générale aux candidats à l'immigration et non à une profession déterminée.


[25]            Plus tôt dans les présents motifs, j'ai indiqué que j'étais convaincu que l'agent des visas avait commis une erreur susceptible de révision en n'appréciant pas complètement la demanderesse à l'égard d'une profession pour laquelle elle avait demandé une appréciation et pouvait avoir limité son pouvoir discrétionnaire en n'appréciant pas complètement la demanderesse à l'égard d'autres professions déterminées par lui comme des professions pour lesquelles la demanderesse aurait pu être compétente ou pour lesquelles elle l'était vraiment. La limitation du pouvoir discrétionnaire, si cela s'est réellement produit, et je suis convaincu que je n'ai pas à trancher cette question compte tenu de mes conclusions antérieures, découlerait de la limitation de la capacité de l'agent des visas à évaluer complètement et efficacement la capacité de la demanderesse, pour l'avenir, à gagner sa vie et à s'établir au Canada, par rapport à des critères économiques qui transcendent ses compétences et son expérience pour une profession en particulier. Si j'étais invité à le faire, je conclurais que, selon les faits en l'espèce, l'agent des visas avait limité son pouvoir discrétionnaire.

Conclusion

[26]            Sur la base de l'analyse qui précède, je conclus que la présente demande de contrôle judiciaire devrait être accueillie, que la décision examinée devrait être annulée et que la demande de résidence permanente au Canada de la demanderesse devrait être renvoyée au défendeur pour qu'un autre agent statue sur la question.


Certification d'une question

[27]            À la conclusion de l'audition de la présente demande de contrôle judiciaire, j'ai indiqué que je mettrais ma décision en délibéré. Les avocats ont demandé d'avoir l'occasion d'évaluer leur position quant à la certification d'une question grave de portée générale. Les présents motifs seront publiés et diffusés. Les avocats auront quatorze (14) jours à partir de la date de la publication et de diffusion des présents motifs pour échanger entre eux et présenter des observations quant à la certification d'une question. Les avocats devraient s'assurer que toutes les observations sont échangées de manière opportune afin de permettre qu'elle soient admissibles, si elles sont considérées appropriées, dans le délai accordé en l'espèce.

  

« Frederick E. Gibson »

Juge

Vancouver (Colombie-Britannique)

Le 25 juin 2002

  

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL. L.


                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                        IMM-5567-01

INTITULÉ :                       MARGARITA BASTIDA MANABAT

demanderesse

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

LIEU DE L'AUDIENCE :                                Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L'AUDIENCE :                              Le 12 juin 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PAR MONSIEUR LE JUGE GIBSON

DATE DES MOTIFS :     Le 25 juin 2002

COMPARUTIONS :

Peter A. Chapman                                                POUR LA DEMANDERESSE

Pauline Anthoine                                                   POUR LE DÉFENDEUR

   

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Chapman & Company Law Corporation

Vancouver (Colombie-Britannique)                                               POUR LA DEMANDERESSE

  

Morris Rosenberg                                                 POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada



[1]            DORS/78-172, dans sa version modifiée.

[2]            [1978] 1 R.C.S. 369.

[3]            Dossier de la demanderesse, page 74, lignes 12 et 13; page 75, lignes 10 à-25; et page 76, lignes 3 à 11.

[4]            [1991] 2 C.F. 201, (1991) 12 Imm. L.R. (2d) 172 (C.A.F.).

[5]            (1996), 37 Imm. L.R. (2d) 91 (C.F. 1re inst.).

[6]            (1998), 47 Imm. L.R. (2d) 249.

[7]            (2000), 9 Imm. L.R. (3d) 53 (C.F. 1re inst.).

[8]            (1999), 174 F.T.R. 140.

[9]              [2000] A.C.F. no 977 (C.F. 1re inst.).

[10]           Voir le dossier de la demanderesse, page 92, ligne 13 jusqu'à la page 93, ligne 14.

[11]              [1999] A.C.F. no 1357 (Q.L.), (C.F. 1re inst.).

[12]           [2002] A.C.F. no 484 (Q.L.), (C.F. 1re inst.).

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