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Date : 20000914


Dossier : IMM-241-00

Entre :

     ELIF BICKIN,

     demanderesse,


     - et -


     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     défendeur.



     MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE DENAULT


[1]      Dans cette affaire, la Cour est appelée à décider si la demanderesse, qui a obtenu le droit d'établissement au Canada par suite d'une fausse indication sur un fait important - un fils mineur était demeuré en Turquie - a démontré des circonstances particulières justifiant qu'elle ne soit pas renvoyée du Canada.

[2]      Il s'agit en l'espèce d'une demande de contrôle judiciaire à l'encontre d'une décision de la section d'appel de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (ci-après la "section d'appel"), rejetant l'appel de la demanderesse à l'encontre d'une mesure de renvoi émise contre elle.

[3]      La demanderesse a obtenu le droit d'établissement au Canada à titre de résidente permanente le 19 juillet 1995 à Mirabel. La demanderesse, parrainée par son époux Sinasi Bickin, arriva au Canada avec ses deux filles issues de cette union: Emel Bickin, née le 10 octobre 1987, et Fatma Bickin, née le 14 février 1992. À la question 11 de sa demande de résidence permanente signée le 17 janvier 1995, la demanderesse indiqua seulement ses deux filles à titre de dépendants. Or, après avoir été admise comme immigrante, elle présenta le 1er novembre 1997 une demande de parrainage pour son fils Ferdi, le frère jumeau d'Emel, né en Turquie le 10 octobre 1987.

[4]      Le 29 avril 1999, la demanderesse a fait l'objet d'une mesure de renvoi aux termes du paragraphes 32(2) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. 1985, ch. I-2 (la Loi) au motif qu'elle était visée par l'alinéa 27(1)e) de la Loi, ayant obtenu le droit d'établissement au Canada par suite d'une fausse indication sur un fait important1. Par la suite, la section d'appel a rejeté l'appel de la demanderesse contre la mesure de renvoi. La section d'appel a conclu que la demanderesse était visée par l'alinéa 27(1)e) puisqu'elle n'a pas déclaré son fils Ferdi dans sa demande de résidence permanente et qu'aux termes de l'alinéa 70(1)b) de la Loi les circonstances ne justifiaient pas qu'elle ne soit pas renvoyée du Canada.

[5]      La section d'appel a exercé sa compétence aux termes du paragraphe 70(1) de la Loi qui se lit ainsi:

70.(1) Sous réserve des paragraphes (4) et (5), les résidents permanents et les titulaires de permis de retour en cours de validité et conformes aux règlements peuvent faire appel devant la section d'appel d'une mesure de renvoi ou de renvoi conditionnel en invoquant les moyens suivants:

a) question de droit, de fait ou mixte;

b) le fait que, eu égard aux circonstances de l'espèce, ils ne devraient pas être renvoyés du Canada.

70.(1) Subject to subsections (4) and (5), where a removal order or conditional removal order is made against a permanent resident or against a person lawfully in possession of a valid returning resident permit issued to that person pursuant to the regulations, that person may appeal to the Appeal Division on either or both of the following grounds, namely,

(a) on any ground of appeal that involves a question of law or fact, or mixed law and fact; and

(b) on the ground that, having regard to all the circumstances of the case, the person should not be removed from Canada.

[6]      Tant devant cette Cour que devant la section d'appel, la demanderesse a d'abord soutenu que la section d'appel avait erré en droit dans l'interprétation de l'alinéa 27(1)e) de la Loi en ne posant pas la question de savoir si elle avait obtenu le droit d'établissement en conséquence ("par suite de . . .") de son omission de déclarer son fils Ferdi dans sa demande d'établissement. Elle plaide qu'il y a là une erreur de droit qu'elle peut soulever aux termes de l'alinéa 70(1)a) de la Loi.

[7]      L'alinéa 27(1)e) de la Loi énonce ceci:

27.(1) L'agent d'immigration ou l'agent de la paix doit faire part au sous-ministre, dans un rapport écrit et circonstancié, de renseignements concernant un résident permanent et indiquant que celui-ci, selon le cas:

. . .

(e) a obtenu le droit d'établissement soit sur la foi d'un passeport, visa - ou autre document relatif à son admission - faux ou obtenu irrégulièrement, soit par des moyens frauduleux ou irréguliers ou encore par suite d'une fausse indication sur un fait important, même si ces moyens ou déclarations sont le fait d'un tiers;

27.(1) An immigration officer or a peace officer shall forward a written report to the Deputy Minister setting out the details of any information in the possession of the immigration officer or peace officer indicating that a permanent resident is a person who

(e) was granted landing by reason of possession of a false or improperly obtained passport, visa or other document pertaining to his admission or by reason of any fraudulent or improper means or misrepresentation of any material fact, whether exercised or made by himself or by any other person;



[8]      En l'espèce, la demanderesse admet avoir omis de déclarer un fait important, à savoir l'existence d'un autre enfant que les deux mentionnés au formulaire de droit d'établissement. Mais elle plaide que dans cet alinéa 27(1)e), le législateur a posé trois conditions à la perte d'établissement, à savoir: une fausse déclaration, un fait important et l'obtention du droit d'établissement comme conséquence des deux autres facteurs. Or, prétend la demanderesse, n'ayant pas obtenu le droit d'établissement par suite de son omission d'avoir mentionné son fils Ferdi, cette omission n'a constitué qu'une faute "innocente", due aux circonstances et à son ignorance plutôt qu'à une intention de tromper les autorités canadiennes2; elle ajoute de plus n'avoir retiré aucun avantage de l'omission de mentionner l'existence de ce fils. Elle suggère enfin que l'utilisation par le législateur des mots par suite indique qu'il a établi une distinction entre les fausses déclarations sur un fait important ayant eu un impact sur l'obtention du droit d'établissement et les autres.3

[9]      J'estime que ce premier argument de la demanderesse ne résiste pas à l'analyse. Qu'il suffise d'abord de rappeler que la demanderesse a admis - la jurisprudence ne lui en laissait guère le choix - que le fait de ne pas avoir déclaré l'existence d'un fils constituait une omission sur un fait important. En raison même de cette admission, la demanderesse est mal venue de plaider l'innocence de sa faute, les circonstances, son ignorance et l'absence d'intention de tromper les autorités canadiennes4. Dans Brooks c. M.E.I., (1974) R.C.S. 850, la Cour suprême a jugé que la mens rea et l'intention de tromper n'étaient pas des éléments essentiels à l'application du sous-alinéa 19(1)e)(viii) de la Loi, une disposition substantiellement identique à l'alinéa 27(1)e).

[10]      Mais il y a davantage: l'argument que la demanderesse tire du libellé de la disposition législative n'a pas été retenu par la jurisprudence. Dans l'arrêt Okwe c. M.E.I., (1991) 16 Imm.L.R. (2d) 116, une affaire semblable à la présente où l'appelante, parrainée par son mari, n'avait pas mentionné dans sa demande de résidence permanente tous ses enfants nés en Ouganda, la division d'appel de cette Cour a confirmé la validité de la décision de la section d'appel à l'effet que l'appelante avait obtenu le droit d'établissement par suite d'une fausse indication sur un fait important. S'appuyant sur l'arrêt Brooks, le juge Heald, au nom de la Cour, a rejeté l'argument à l'effet que la Commission avait commis une erreur en jugeant que l'omission portait sur un fait important, un critère nécessaire de non-admissibilité de l'alinéa 27(1)e) de la Loi. Le juge Heald s'est exprimé ainsi:

Pour ce qui est de la deuxième allégation d'erreur, je conclus que la Commission a correctement appliqué la jurisprudence pertinente aux faits en l'espèce et qu'elle n'a pas commis d'erreur lorsqu'elle a conclu ce qui suit (dossier d'appel, vol. 2, p. 313):
. . . le fait que l'appelant a omis de révéler l'existence des enfants a empêché l'agent d'immigration d'enquêter sur la situation des enfants pour décider s'il y avait lieu d'approuver ou non la demande de résidence permanente de l'appelant.
Dans l'arrêt Brooks [M.E.I. c. Brooks, [1974] R.C.S. 859, à la p. 873], qui fait jurisprudence en la matière, le juge Laskin (tel était alors son titre) a énoncé le critère pour décider du caractère important dans ce cas:
Afin d'éliminer tout doute à ce sujet résultant des motifs de la Commission, je rejetterais toute prétention ou conclusion selon laquelle, pour qu'il y ait caractère important sous le régime du sous-alinéa (viii) de l'alinéa e) du paragraphe (1) de l'article 19, la déclaration contraire à la vérité ou le renseignement trompeur donné dans une réponse ou des réponses doivent être de nature à avoir caché un motif indépendant d'expulsion. La déclaration contraire à la vérité ou le renseignement trompeur peuvent ne pas avoir semblable effet et, cependant, avoir été des facteurs qui ont déterminé l'admission. La preuve faite en l'espèce suivant laquelle certaines réponses inexactes n'auraient eu aucun effet sur l'admission d'une personne, est évidemment pertinente quant à la question du caractère important. Mais est aussi pertinente la question de savoir si les déclarations contraires à la vérité ou les réponses trompeuses ont eu pour effet d'exclure ou d'écarter d'autres enquêtes, même si aucun motif indépendant d'expulsion n'eut été découvert par suite de ces enquêtes.
     (soulignement du juge Heald)
     Dans l'arrêt Juayong c. M.E.I. [C.A.F. no. A-808-85, motifs du juge Stone, aux pages 3 et 4], cette Cour a appliqué le critère énoncé dans l'arrêt Brooks, précité, à l'alinéa 27(1)e) de la Loi, qui est également la disposition pertinente en l'espèce. [Ce même critère a été appliqué par cette Cour dans le jugement Hilario c. M.E.I. [1978] 1 C.F. 697 et dans le jugement Khamsei c. M.E.I. [1981] 1 C.F. 222.] En résumé, j'en conclus que la Commission n'a pas erré lorsqu'elle a décidé que la fausse indication portait sur un fait important en l'espèce puisqu'elle avait eu pour effet d'empêcher la tenue d'enquêtes sur l'état et la situation des enfants de l'appelant en Ouganda, des faits qui pourraient bien se révéler très pertinents pour l'issue de la demande de résidence permanente présentée par l'appelant.

[11]      À mon avis, la conclusion logique qui se dégage de ces arrêts est que la simple démonstration de l'obtention du droit d'établissement par suite d'une fausse indication sur un fait jugé important par l'agent d'immigration oblige celui-ci à faire part de ces renseignements au sous-ministre dans un rapport écrit et circonstancié. Un arbitre prend alors, aux termes du paragraphe 32(2) de la Loi, une mesure d'expulsion contre cette personne, mesure que le paragraphe 70(1) lui permet de contester. En l'espèce, non seulement la jurisprudence reconnaît-elle que l'omission de déclarer un enfant porte sur un fait important mais la demanderesse elle-même a reconnu l'importance du fait.

[12]      La demanderesse soutient également que la section d'appel a erré dans son interprétation des circonstances particulières de l'espèce, circonstances dont la section d'appel devait tenir compte en vertu de l'alinéa 70(1)b) de la Loi.

[13]      Le pouvoir conféré à la section d'appel aux termes de cet alinéa est de nature discrétionnaire et le seul fait que cette Cour ne soit pas d'accord avec une décision de cette nature ne justifie pas son intervention. Dans la mesure où le pouvoir discrétionnaire a été exercé de bonne foi, sans influence d'aucune considération étrangère, ni de façon arbitraire ou illégale, aucune cour n'a le droit d'intervenir, même si cette cour eût peut-être exercé ce pouvoir discrétionnaire autrement s'il lui avait appartenu.5

[14]      Par ailleurs, dans l'affaire Canepa c. Canada, [1992] 3 C.F. 270 à la p. 286, une affaire impliquant, il est vrai, un criminel qui contestait une mesure d'expulsion rendue contre lui, la Cour d'appel fédérale a eu à interpréter les mots "compte tenu des circonstances de l'espèce" que contenait alors l'alinéa 72(1)b) de la Loi, l'ancêtre immédiat de l'alinéa 70(1)b). La Cour a alors rejeté l'appel, estimant que le tribunal, dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, devait considérer non seulement les circonstances de la personne, mais aussi les circonstances de l'affaire. Et la Cour d'ajouter: "Cette expression comprend certainement la personne dans son contexte global et elle fait intervenir le bien de la société et celui de la personne en particulier."

[15]      En l'occurrence, s'appuyant sur les facteurs énoncés dans l'affaire Ribic6, une décision de la Commission d'appel de l'immigration, la section d'appel a fait une étude exhaustive de la preuve en regard des facteurs suivants: a) l'infraction ayant entraîné la mesure de renvoi; b) les circonstances du défaut par madame Bickin de satisfaire aux conditions d'admission; c) le temps passé au Canada par madame Bickin et son degré d'enracinement; d) la présence des membres de la famille au Canada et la séparation qui résulterait du renvoi. Jugeant le témoignage de l'appelante incohérent et peu crédible, la section d'appel a rejeté son appel. Elle a particulièrement accordé peu de crédibilité à la version de l'appelante dans la mesure où celle-ci, arrivée au Canada en juillet 1995, prétend avoir été abandonnée par son époux un mois plus tard, alors qu'elle aurait accouché, par la suite, de deux autres enfants dont il serait le père. Contrainte à recevoir de l'assistance sociale depuis son arrivée puisqu'elle ne reçoit rien de son époux - il visite parfois les enfants et leur apporte des cadeaux - elle affirme pourtant être en contact avec lui . . . sans savoir où il demeure.

[16]      À mon avis, dans la mesure où la décision reflète largement la preuve au dossier, constituée essentiellement du témoignage de la demanderesse, et qu'on n'a pas démontré que le tribunal avait agi de mauvaise foi ou de façon arbitraire ou illégale, j'estime qu'il n'était pas déraisonnable que la section d'appel conclue au rejet de l'appel.

[17]      L'avocate de la demanderesse s'en prend pourtant à une phrase de la décision qu'elle trouve discriminatoire. Le tribunal, dans son analyse du degré d'enracinement de la demanderesse au Canada, a noté que son conjoint qui l'avait parrainée et devait la supporter, elle et ses enfants, ne rencontrait pas ses obligations et qu'en conséquence elle avait dû avoir recours à l'aide sociale depuis son arrivée au Canada. Le tribunal a alors écrit: "Comme madame Bickin met des enfants au monde qu'elle ne maintient elle viole ses obligations parentales.11" Dans sa note 11 en bas de page, l'auteur de la décision a référé à l'article 599 du Code civil du Québec qui stipule: "Les père et mère ont, à l'égard de leur enfant, le droit et le devoir de garde, de surveillance et d'éducation. Ils doivent nourrir et entretenir leur enfant."

[18]      Cette phrase peut, il est vrai, sembler déplacée et, sortie de son contexte, paraître discriminatoire à l'égard des prestataires d'aide sociale. Mais, de toute évidence, le tribunal ne portait pas ici un jugement de valeur sur la société; il rappelait à la demanderesse tout autant qu'à son mari, qui de plus la parrainait, que l'obligation première de nourrir et d'entretenir leurs enfants incombe d'abord aux parents. Ce rappel ne m'apparaît, en l'occurrence, nullement discriminatoire. Au contraire, il démontre que le tribunal tenait aussi compte, dans l'analyse des circonstances, de l'impact de la situation de la demanderesse sur la société, comme c'était son devoir de le faire.7

[19]      L'avocate de la demanderesse s'en prend à un autre passage de la décision de la section d'appel où, prétend-elle, le tribunal aurait erré en fait et en droit, plus précisément dans l'analyse du critère de l'intérêt supérieur des enfants que l'arrêt Baker c. Canada, (1999) 2 R.C.S. 817, l'oblige maintenant à tenir compte. Je crois opportun, pour la compréhension de l'argument soulevé par la demanderesse, de reproduire in extenso cette partie de la décision où le tribunal considérait le facteur suivant: "la présence de membres de la famille au Canada et la séparation qui résulterait du renvoi": (D.T., pp. 07 et 08)

     Quatre des cinq enfants de madame Bickin sont des citoyens canadiens. Ils ont le droit de rester au Canada même si leur mère doit quitter le pays. Leur père est au Canada et il peut prendre soin de ses enfants. Selon le témoignage de madame Bickin, le père des enfants vient les visiter et il leur apporte des cadeaux. Aussi, madame Bickin peut emmener ses enfants avec elle lorsqu'elle quitte le Canada. De nos jours, c'est monnaie courante que souvent des enfants quittent le pays pour s'installer dans un autre pays.
     D'après l'arrêt Baker "pour que l'exercice du pouvoir discrétionnaire respecte la norme du caractère raisonnable, le décideur devrait considérer l'intérêt supérieur des enfants comme un facteur important, lui accorder un poids considérable, et être réceptif, attentif et sensible à cet intérêt. Cela ne veut pas dire que l'intérêt supérieur des enfants l'emportera toujours sur d'autres considérations, ni qu'il n'y aura pas d'autres raisons de rejeter une demande d'ordre humanitaire même en tenant compte de l'intérêt des enfants".
     En l'espèce, je considère qu'il n'est pas dans l'intérêt supérieur des enfants qu'ils grandissent dans un milieu dont le style de vie est de dépendre sur l'assistance sociale pour supporter le ménage et où la mère prétend qu'elle est séparée de son conjoint et n'entretient pas des relations avec lui mais qu'elle enfante de lui. Les enfants ont peu à apprendre qui soit positif dans ce milieu. À son entrevue le 19 janvier l'agent d'immigration a noté que madame Bickin est seule ici, mais ne désire pas retourner en Turquie et elle cite les propos de madame Bickin à savoir: "Là-bas, personne ne prendrait soin de moi, ici j'ai ma maison et le gouvernement prend soin de ma famille."
     Sauf ses quatre enfants et un oncle qui vit à Toronto madame Bickin n'a pas de famille au Canada. Il n'y a aucune preuve qu'elle soit proche de son oncle et qu'il soit touché si sa nièce quitte le Canada. Elle prétend qu'elle est séparée de son conjoint et cela depuis des années. Un enfant et le reste de la parenté de madame Bickin vivent à l'extérieur du Canada. Donc l'expulsion de madame Bickin ne déchirerait pas la famille, si elle emmène ses enfants avec elle, mais aura l'effet de réunifier la famille.
     Il est contre l'intérêt et le bien-être de la société canadienne qu'une immigrante arrive au Canada et s'attende à ce qu'elle et sa famille soient supportées par la collectivité indéfiniment.
     L'appel est rejeté en droit et pour toutes les circonstances.

[20]      L'avocate de la demanderesse s'en prend plus particulièrement au troisième paragraphe du passage ci-haut mentionné. Elle reproche au tribunal d'avoir traité avec légèreté la séparation des enfants de l'un des parents. Elle lui reproche aussi de ne pas avoir tenu compte du fait que deux des enfants fréquentent l'école, parlent seulement le français et sont adaptés à leur environnement. Elle plaide aussi que dans le contexte particulier de cette famille, l'intérêt supérieur des enfants commandait qu'ils puissent profiter de la présence des deux parents, même si le père ne s'acquitte pas comme il le devrait de toutes ses obligations.

[21]      Je constate qu'à première vue, pour un lecteur qui n'est pas au courant de tous les faits mis en preuve, le ton utilisé par le tribunal pour juger de l'intérêt supérieur des enfants peut paraître dur et même déraisonnable. Mais en fait, existe-t-il une manière facile de dire que l'intérêt des enfants réside dans la séparation d'avec un parent et surtout, dans le renvoi de leur mère dans son pays d'origine?

[22]      En l'espèce, je répète que si j'avais été appelé à juger des circonstances de cette affaire, j'en serais peut-être venu à une conclusion différente. Mais tel n'est pas le test à appliquer. En l'espèce, force est de constater que la section d'appel a tenu compte de tous les faits mis en preuve concernant la demanderesse elle-même à savoir son peu d'enracinement au pays, l'absence de soutien de son époux et ses relations pour le moins troubles et douteuses avec lui. Le tribunal s'est aussi attardé à considérer l'intérêt des enfants comme l'arrêt Baker l'a rappelé récemment et il a dû, de ce fait, porter un jugement de valeur sur l'exemple que donne à leurs enfants un père qui les a parrainés pour venir au Canada mais refuse de s'en occuper, et une mère qui entretient des relations troubles avec son mari tout en se disant satisfaite que ". . . le gouvernement prend soin de ma famille" (D.T., p. 08). Bref, j'estime que vu la preuve au dossier, il n'était pas déraisonnable pour la section d'appel de conclure au maintien de la mesure de renvoi.

[23]      Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée. Les procureurs ont été d'avis que les faits de cette affaire ne justifiaient pas la certification d'une question sérieuse de portée générale. Je partage cette opinion.


     ORDONNANCE

     La demande de contrôle judiciaire, à l'encontre d'une décision de la section d'appel de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié rendue par Me Bernard Sivak le 29 décembre 1999, est rejetée.


                         ________________________________

                                 Juge

Ottawa (Ontario)

le 14 septembre 2000

__________________

1      Dossier du Tribunal (D.T.), p. 38.

2      La preuve au dossier démontre que le fait de ne pas avoir déclaré l'existence de ce fils constituait davantage un geste délibéré qu'une omission "innocente", la demanderesse ayant choisi, en venant au Canada, de laisser aux soins de ses grands-parents en Turquie ce fils qui réussissait bien dans ses études.

3      Voir les paragraphes 2b), c), 4, 5, 7 et 8 du mémoire de la demanderesse.

4      Voir note 2.

5      Boulis c. Min. de la M. & I. [1974] R.C.S. 875 (877); aussi M.C.I. c. Saintelus, IMM-1542-97 (11 sept. 1998) Tremblay-Lamer J.

6      Ribic c. Canada [1985] I.A.D.D. No. 4 (I.A.B.). Ces facteurs, repris en substance dans Chieu [1999] 1 C.F. 605 (C.A.), sont encore valables sauf celui quant au ". . . degree of hardship that would be caused to the appellant by his return to his country of nationality". cf. Chieu, (paragr. 14).

7      Voir ci-devant, l'arrêt Canepa (op. cit.)

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