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     Date : 19990603

     Dossier : IMM-2202-98

OTTAWA (ONTARIO) LE 3 JUIN 1999

EN PRÉSENCE DE M. LE JUGE CULLEN

Entre :

     WANG JING YAN,

     demandeur,

     - et -

     (LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION),

     défendeur.

     ORDONNANCE

SUR PRÉSENTATION par le demandeur d'une demande de contrôle judiciaire de la décision prise par le vice-consul Gregory Chubak, du Consulat canadien à Hong Kong, le 3 mars 1998 ;

ET APRÈS AVOIR ENTENDU les avocats des parties en l'espèce ;

LA COUR ORDONNE que la décision du vice-consul Gregory Chubak soit infirmée et l'affaire renvoyée pour être réexaminée par un autre agent des visas.

                         B. Cullen

                                     Juge

Traduction certifiée conforme

Laurier Parenteau, LL.L.

     Date : 19990603

     Dossier : IMM-2202-98

Entre :

     WANG JING YAN,

     demandeur,

     - et -

     (LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION),

     défendeur.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE CULLEN

[1]      Le demandeur conteste par voie de contrôle judiciaire la décision écrite prise par le vice-consul Gregory Chubak, du Consulat canadien à Hong Kong, le 3 mars 1998. Par cette décision, le vice-consul rejetait la demande de résidence permanente au Canada du demandeur dans la catégorie des travailleurs indépendants. Le demandeur recherche une ordonnance annulant la décision écrite et rétablissant une évaluation positive qui lui avait été communiquée verbalement à la fin de son entrevue ; ou, subsidiairement, une ordonnance enjoignant au ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration de réévaluer la demande.

[2]      Contexte

     Le demandeur a présenté une demande de résidence permanente en 1996. Il s'est présenté au Consulat canadien à Hong Kong le 2 mars 1998 pour une entrevue et une évaluation. Il a été évalué pour la profession de chef pâtissier. À la fin de l'entrevue, le demandeur prétend que M. Chubak lui a dit que son " évaluation était positive " et l'agent des visas lui a souhaité bonne chance en déclarant ceci : [TRADUCTION] " J'espère que vous vous trouverez très vite un bon emploi au Canada, de façon à pouvoir parrainer votre femme " (dossier de la demande, onglet 2, affidavit de Wang Jing Yan, paragraphe 4). Toutefois, le 10 avril 1998, le demandeur et sa femme ont été avisés de la décision écrite de l'agent des visas refusant sa demande. La lettre indiquait que le demandeur avait réuni 59 points d'appréciation, c'est-à-dire qu'il lui manquait 11 points sur le minimum de 70 points requis par la loi.

[3]      À l'appui de cette demande de contrôle judiciaire, le demandeur a produit un affidavit qui atteste ce qui s'est dit à la fin de son entrevue avec l'agent des visas. Toutefois, le défendeur n'a pas déposé d'affidavit de l'agent des visas, et n'a pas contre-interrogé le demandeur au sujet de son propre affidavit. Ainsi, la version des événements décrite par le demandeur n'a pas été contestée ou contredite par le défendeur. Le défendeur s'est contenté de déposer un affidavit préparé par un stagiaire en droit, auquel les notes de l'agent des visas au STIDI étaient jointes comme pièces à l'appui (dossier du défendeur, onglet 1).


[4]      La position du demandeur

     Le demandeur soutient que la seule preuve de ce qui s'est dit à l'entrevue est la preuve énoncée dans son affidavit, qui n'a pas été réfutée par l'affidavit du défendeur, et qu'il n'y a donc pas de preuve contraire. Bien que les notes au STIDI de l'agent des visas soient jointes comme preuve à l'appui d'un affidavit déposé par un stagiaire en droit, le stagiaire a simplement identifié les notes et n'aurait pas pu témoigner quant à la véracité de leur contenu. Le demandeur s'appuie sur l'arrêt Gaffney c. Canada (MEI) (1991), 12 IMM. L.R. (2d) 185 (C.A.F.) à l'appui de sa prétention.

[5]      Le demandeur soutient que les observations de l'agent des visas à l'issue de l'entrevue constituent la décision pertinente et que l'évaluation négative subséquente qui lui a été communiquée par écrit contrevient aux principes de justice naturelle et d'équité procédurale.

[6]      La position du défendeur

     Le défendeur prétend que les notes STIDI indiquent trois choses. Tout d'abord, à l'entrevue le demandeur a été informé que ses lettres d'emploi semblaient suspectes. Deuxièmement, le demandeur a été évalué au niveau du dossier médical comme étant " à risque ". Troisièmement, le demandeur a été informé à la fin de l'entrevue que l'agent des visas réexaminerait la demande, vérifierait les documents fournis, et déciderait si le demandeur répondait aux conditions de l'emploi mentionné dans sa demande.

[7]      Le défendeur soutient également que le demandeur a simplement mal interprété les observations de l'agent des visas et ses gestes comme signifiant qu'il était accepté. Le défendeur prétend qu'il n'y a pas d'indication que l'agent des visas a approuvé la demande à la conclusion de l'entrevue. Les notes au STIDI n'indiquent pas qu'il a informé le demandeur que celui-ci avait été évalué positivement.

[8]      Le défendeur prétend qu'il était inutile que l'agent des visas produise un affidavit, et s'appuie sur la décision de M. le juge Dubé, de la présente Cour, dans l'affaire Moskvitchev c. Canada (MCI) (IMM-70-95, le 21 décembre 1995). Il s'agissait du cas d'un demandeur non reconnu du statut de réfugié. La Cour y a statué qu'il était inhabituel pour un tribunal d'expliquer une décision à l'étude ou d'élaborer sur cette décision, et qu'il existe une présomption selon laquelle le tribunal a examiné la totalité des documents dont il est saisi. Manifestement, cette décision n'est d'aucune utilité au défendeur en l'espèce.

[9]      Le défendeur s'appuie également sur la décision de Mme le juge Simpson dans Baker c. Canada (MCI) (1995), 101 F.T.R. 110 (C.F. 1re inst.), dans laquelle la Cour a statué que l'absence d'un affidavit du chef des renvois ne faisait pas échec à la cause. L'historique de l'affaire, préparé par un autre agent, avait été fourni en preuve. La Cour a statué qu'en l'absence de preuve contraire, il fallait présumer que la décision fondée sur les raisons d'ordre humanitaire avait été prise de façon régulière. De nouveau, cette cause jurisprudentielle n'est d'aucune utilité au défendeur étant donné qu'en l'espèce il y a une preuve contraire, sous la forme de l'affidavit non contredit du demandeur.

[10]      Le défendeur prétend également que l'agent des visas n'était pas functus officio en raison des observations qu'il a faites à la fin de l'entrevue. Ses observations ne peuvent être considérées comme une décision, et il lui était loisible de prendre la décision refusant la demande.

[11]      Analyse

     L'agent des visas dont la décision est contestée n'a pas déposé d'affidavit pour expliquer ses motifs ou décrire ce qui s'est passé à l'entrevue. Toutefois, le demandeur a déposé un affidavit qui raconte sa version de la conclusion de l'entrevue. Cette preuve n'est pas contredite étant donné que le défendeur n'a pas contre-interrogé le demandeur ni déposé d'affidavit qui conteste dans les faits les allégations de ce dernier. Bien que le défendeur ait raison de prétendre que les notes au STIDI de l'agent des visas n'indiquent pas qu'il a donné une évaluation positive au demandeur à la fin de l'entrevue, ces notes ne contiennent par ailleurs rien qui puisse appuyer une conclusion contraire sur ce point particulier.

[12]      Dans l'arrêt Wang c. Canada (MEI), [1991] 2 C.F. 165 (C.A.F.), la Cour d'appel fédérale a analysé la force probante des notes d'un agent des visas qui étaient jointes comme pièce à l'appui de l'affidavit d'un autre agent des visas, qui n'avait pas mené l'entrevue. Le juge Mahoney a conclu dans les termes suivants :

         La deuxième question est fondamentale. Il s'agit, en substance, d'un appel formé contre l'ordonnance excluant de la preuve la note de l'agent des visas. L'intimé allègue que, en raison des inconvénients qu'il y a à organiser les dépositions des agents des visas qui, par définition, se trouvent à l'extérieur du Canada, la Cour doit accepter leurs notes comme preuve de la véracité de leur contenu même si aucun affidavit n'est produit pour en attester la véracité. Dans le présent appel, comme dans certains des autres appels entendus en série, l'agent des visas concerné a présenté des notes prises pendant l'entrevue et/ou un compte rendu rédigé beaucoup plus tard pour exposer ce dont il se souvenait. Celles-ci ont été produites comme pièces annexées à l'affidavit d'un agent d'immigration au Canada qui avait examiné le dossier pertinent et choisi les documents considérés comme se rapportant à la procédure judiciaire.                 
         Je ne vois rien qui puisse justifier que l'on s'écarte des normes de la preuve dans les circonstances présentes. L'intimé n'a démontré l'existence d'aucun fondement juridique permettant d'accueillir ses allégations et, à mon avis, elles sont dénuées de tout fondement pratique. En premier lieu, à moins que l'erreur qui entacherait la décision de nullité ressorte du dossier, l'immigrant envisagé, qui se trouve également, par définition, à l'extérieur du Canada, doit certifier ses éléments de preuve et, contrairement à l'agent des visas, peut ne pas être bien situé pour le faire. Il n'est pas juste d'accorder à un témoin au procès la possibilité de présenter des éléments de preuve d'une manière qui empêche leur vérification au moyen d'un contre-interrogatoire. En deuxième lieu, l'hypothèse selon laquelle il y aurait des inconvénients sur le plan administratif ne semble pas fondée solidement. Vu que les agents des visas occupent normalement des locaux où l'on peut trouver d'autres fonctionnaires devant lesquels ils peuvent prêter serment relativement à des affidavits admissibles devant les tribunaux canadiens, il ne semble exister aucune raison pratique pour laquelle sa version de la vérité ne puisse pas, avec tout autant de facilité, être présentée dans le cadre d'un affidavit tout comme sous la forme d'une note. Enfin, si un requérant désappointé voulait créer des ennuis à un agent des visas en réclamant un contre-interrogatoire, il s'ensuit que ce droit devrait s'exercer, du moins au début, à un coût assez élevé pour le requérant.                 

[13]      Plusieurs décisions jurisprudentielles ont suivi cette décision, dans laquelle la force probante des notes d'un agent des visas fournies en preuve par un tiers a été ignorée : Fung c. Canada (MEI) (1991), 121 N.R. 263 (C.A.F.); Gaffney c. Canada (MEI) (1991), 12 Imm. L.R. (2d) 185 (C.A.F.) ; Qiu c. Canada (MCI) (IMM-2715-96, le 16 mai 1997) (C.F. 1re inst.) ; Ayubi c. Canada (MCI) (1997), 38 Imm. L.R. (2d) 276 (C.F. 1re inst.) ; et Patel c. Canada (MCI) (IMM-829-98, le 5 octobre 1998) (C.F. 1re inst.).

[14]      En l'absence d'un affidavit établi sous serment par l'agent des visas pour attester ce qui s'est passé à l'entrevue, la seule preuve dont la Cour soit saisie sur ce point est l'affidavit du demandeur qui indique que l'agent des visas l'avait évalué positivement et lui avait souhaité bonne chance pour se trouver un emploi au Canada. Comme cela n'a pas été contredit, la version des événements présentée par le demandeur doit être présumée véridique.

[15]      La décision de l'agent des visas rejetant la demande de résidence permanente au Canada du demandeur est infirmée et l'affaire est renvoyée pour être réévaluée par un autre agent des visas. À la fin de l'audience, les avocats ont discuté entre eux de la possibilité de proposer une question aux fins de la certification ; toutefois, aucune question grave de portée générale n'a été formulée aux fins de la certification par aucun des avocats à la fin de l'audience.

Ottawa (Ontario)                      B. Cullen

le 3 juin 1999                                  Juge

Traduction certifiée conforme

Laurier Parenteau, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

NE DU GREFFE :                  IMM-2202-98

INTITULÉ DE LA CAUSE :          WANG JING YAN

                         ET

                         LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :              OTTAWA

DATE DE L'AUDIENCE :              LE 17 MAI 1999

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DU JUGE CULLEN

DATE :                      LE 3 JUIN 1999

ONT COMPARU :

Cary Chiu                              POUR LE DEMANDEUR

Darrell Kloeze                          POUR LE DÉFENDEUR

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

Maclaren Corlett                          POUR LE DEMANDEUR

Ottawa (Ontario)

Morris Rosenberg                          POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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