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                                                                                                                              Date : 20010802

                                                                                                                   Dossier : IMM-2955-01

                                                                                                                                 2001 CFPI 851

Ottawa (Ontario), le 2 août 2001

En présence de M. le juge Muldoon

Entre :

                                                        ANTHONY WILLIAMS

                                                                                                                                         demandeur

                                                                            et

                    LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                               MOTIFS DE L'ORDONNANCE et ORDONNANCE

[1]         Le demandeur a demandé qu'il soit sursis à la décision de M. Danby, agent d'exécution, rendue le 14 juin 2001 et communiquée au demandeur le jour même, dans laquelle celui-ci a refusé de différer le renvoi du demandeur en attendant la présentation d'une demande fondée sur des motifs d'ordre humanitaire.

[2]         La présente demande a été entendue de façon urgente, par téléphone, le vendredi 15 juin 2001, et les avocats des deux parties ont demandé une prolongation de délai pour pouvoir présenter des observations écrites; lorsque cette prolongation a été accordée, elle n'était pas exactement ce qui convenait le mieux à la Cour.


[3]         L'avocat du défendeur a été prompt à avertir la Cour sur un ton péremptoire qu'elle n'avait pas compétence pour accorder une suspension ou un report de l'expulsion du demandeur. Une telle mise en garde est très différente d'une exhortation à procéder avec plus de lenteur ou d'être plus réticent à suspendre une mesure de renvoi, étant donné l'obligation bien connue faite au ministre de veiller à l'exécution de la mesure de renvoi.

[4]         La mise en garde de l'avocat du défendeur peut assurément être écartée au vu de l'arrêt unanime de la Cour d'appel fédérale Toth c. M.E.I. (1988) 86 N.R. 302, à ne pas confondre avec le jugement de la même Cour avec pratiquement les mêmes avocats publié dans [1989] 1 C.F. 535 et qui a été rendu à peu près quatre mois après la première affaire Toth. Celle-ci n'est pas mentionnée dans la deuxième affaire, bien que les deux formations de juge aient eu un juge en commun et qu'elles aient porté sur le sursis à une mesure de renvoi.

[5]         La partie de la décision Toth antérieure qui permet d'écarter l'avertissement du défendeur à la présente Cour en l'espèce est le passage situé à la page 305 de (1988) 86 N.R.:

[6]            Ayant conclu que notre Cour a effectivement compétence pour accorder le sursis d'exécution demandé en l'espèce, il devient nécessaire de déterminer les critères qu'il convient d'appliquer dans l'exercice de cette compétence. Dans la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Procureur général du Manitoba c. Metropolitan Stores (M.T.S.) Ltd. et autres, [1982] 1 R.C.S. 110, le juge Beetz a déclaré au nom de la Cour, à la page 127 :

La suspension d'instance et l'injonction interlocutoire sont des redressements de même nature. À moins qu'un texte législatif ne prescrive un critère différent, elles ont suffisamment de traits en commun pour qu'elles soient assujetties aux mêmes règles et c'est avec raison que les tribunaux ont eu tendance à appliquer à la suspension interlocutoire d'instance les principes qu'ils suivent dans les cas d'injonctions interlocutoires.

Notre Cour, tout comme d'autres tribunaux d'appel, a adopté le critère relatif à une injonction provisoire et énoncé par la Chambre des lords dans l'arrêt American Cyanamid Co. v. Ethicon Ltd., [1975] A.C. (Comparer avec Apple Computer Inc. v. Minitronics of Canada et al., 8 C.P.R. (3d) 431. Voir aussi Law Society of Alberta v. Black, 8 D.L.R. (4th) 346, à la p. 349, Cour d'appel de l'Alberta.) Ainsi que l'a déclaré le juge d'appel Kerans dans l'affaire Black précitée :


[TRADUCTION] Le critère à triples volets énoncé dans Cyanamid exige que, pour qu'une telle ordonnance soit accordée, le requérant prouve premièrement qu'il a soulevé une question sérieuse à trancher; deuxièmement, qu'il subirait un préjudice irréparable si l'ordonnance n'était pas accordée; et troisièmement que la balance des inconvénients compte tenu de la situation globale des parties, favorise l'octroi de l'ordonnance.

À la lumière de ce qui précède, il appartient à la présente Cour d'examiner maintenant l'affaire comme elle a été présentée.

[6]         La jurisprudence de la présente Cour indique qu'il est suffisant de démontrer que la requête du demandeur n'est ni frivole ni vexatoire, pour pouvoir obtenir une suspension du renvoi. Le principe est illustré dans Turbo Resources Ltd. c. Petro-Canada Inc., [1989] 2 C.F. 451, arrêt unanime de la Cour d'appel.


[7]         L'expulsion du Canada d'une personne qui y a vécu paisiblement pendant 20 ans, a occupé un emploi rémunéré et avait des amis et des relations qui y résidaient, soulève en soi une question sérieuse. Il faut voir le revers de la médaille : le demandeur n'a pas fait preuve dès le début de diligence pour régulariser sa situation et il a omis de communiquer ses différentes adresses, condition de sa garantie de bonne exécution en 1987; vu qu'il était un visiteur qui avait laissé expirer son visa, il est devenu, comme l'a dit l'avocat du défendeur, une « personne qui se moque des lois et des règlements » , ce qui n'est pas très favorable. La présente Cour est un tribunal de droit et d'équité et peut certainement porter au crédit du demandeur qu'il n'est pas un criminel ni une espèce de terroriste ou de criminel de guerre. Il serait certainement convenable et juste de lui donner l'occasion d'être évalué pour des motifs d'ordre humanitaire ou d'intérêt public. Il s'agit là des termes même de la loi, et non pas ceux d'un juge ou d'un avocat. Le législateur dit ce qu'il veut dire et il veut dire ce qu'il dit. Par conséquent, le défendeur et ses préposés et mandataires devraient veiller à obéir à la loi, comme le Parlement l'a édictée, pour le règlement de cette question grave.

[8]         Dans l'affaire Turbo Resources (précitée), M. le juge Stone a déclaré aux pages 466 et 467 ce qui suit :

Je crois qu'en l'espèce, notre détermination du critère préliminaire applicable devrait tenir compte des objets d'une injonction interlocutoire. Lord Diplock a décrit ces objets dans l'arrêt American Cyanamid lorsqu'il a dit à la page 406 :

L'objet d'une injonction interlocutoire est de protéger le demandeur contre le préjudice, résultant de la violation de son droit, qui ne pourrait être adéquatement réparé par des dommages-intérêts recouvrables dans l'action si l'affaire devait être tranchée en faveur dudit demandeur au moment de l'instruction; toutefois, le besoin d'une telle protection pour le demandeur doit être évalué en fonction du besoin correspondant du demandeur d'être protégé contre le préjudice qui découle du fait qu'on l'a empêché d'exercer les droits que lui confère la loi et qui ne peut être adéquatement réparé par l'engagement du demandeur de verser des dommages-intérêts si l'affaire était tranchée en faveur du défendeur à l'instruction. Le tribunal doit évaluer les besoins l'un en fonction de l'autre et déterminer quelle est « la répartition des inconvénients. »

Plus loin, à la page 407, il traite à nouveau de ce sujet en notant que les tribunaux d'instance inférieure dans cette affaire avaient négligé de suivre le conseil donné par la Cour d'appel dans l'arrêt Hubbard v. Vosper, [1972] 2 Q.B. 84; celle-ci avait employé les termes mêmes de lord Diplock, [TRADUCTION] « déconseillé toute tentative visant à restreindre le pouvoir discrétionnaire de la Cour par l'énonciation de règles ayant pour effet d'enlever à ce redressement une partie de la souplesse qui lui permet de réaliser les fins susmentionnées » . Dans l'arrêt Vosper, lord Denning avait souligné à la page 96 que le [TRADUCTION] « redressement par voie d'injonction interlocutoire est d'une telle utilité que sa souplesse et le pouvoir discrétionnaire en vertu duquel il est accordé doivent être préservés » et que ce recours « ... ne doit pas être assujetti à des règles strictes » . À la page 98, le lord juge Megaw a ajouté que chaque espèce [TRADUCTION] « doit être jugée selon l'équité, la justice et le sens commun en tenant compte de l'ensemble des questions de fait et de droit qui lui sont pertinentes » . Au Canada, la nécessité de préserver la souplesse caractérisant la délivrance des injonctions interlocutoires a été reconnue par nos tribunaux, notamment par la Cour d'appel de l'Ontario dans l'arrêt Chitel et al. c. Rothbart et al. [1982), 69 C.P.R. (2d) 62, à la page 72, la Cour d'appel de la Colombie-Britannique dans l'arrêt B.C. (A.G.) v. Wale, [(B.C. (A.G.) v. Wale) (1986) 9 B.C.L.R. (2d) 333 (C.A.)], et la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Metropolitan Stores, [[1987] 1 R.C.S. 110], à la page 128.

Dans cette affaire, bien que le défendeur soit lié par un devoir d'exécuter la mesure de renvoi, la prépondérance des inconvénients penche en faveur du demandeur car il est bien établi, bien que ses papiers ne soient pas en règle.


[9]         Quant au facteur du préjudice irréparable, la présente Cour estime qu'il serait causé un tel préjudice au demandeur du fait de l'expulsion, du fait du temps qu'il a passé au Canada et vu sa vie par ailleurs très convenable et productive au Canada. Notre pays n'est pas obligé en quoi que ce soit de recevoir une « personne qui se moque des lois et des règlements » comme le demandeur, mais s'il était expulsé, il ne pourrait probablement jamais retrouver les avantages socio-économiques qu'il a réussi à obtenir ici.

[10]       Il n'y a rien de mal, tant sur le plan moral que juridique, à permettre au demandeur de faire suspendre sa mesure de renvoi jusqu'à ce qu'il ait eu la possibilité d'être évalué pour des motifs d'ordre humanitaire ou d'intérêt public. Telle est notre décision.

                                                          O R D O N N A N C E

La demande est accueillie. La décision de M. Danby rendue le 14 juin 2001 de renvoyer le demandeur en Jamaïque est annulée par les présentes et son exécution est suspendue, et il est ordonné au défendeur d'accorder au demandeur l'examen adéquat prévu par la Loi de sa demande d'établissement au Canada.

« F.C. Muldoon »

Juge

Traduction certifiée conforme

Richard Jacques, LL.L.



COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DE DOSSIER :                                  IMM-2955-01

INTITULÉ DE LA CAUSE :                Anthony Williams c. M.C.I.

DOSSIER TRAITÉ SUR DOCUMENTS SANS COMPARUTION DES PARTIES

Il a été demandé aux parties de fournir des observations écrites au cours de l'audience relative au sursis au renvoi.

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE PAR : M. le juge Muldoon

OBSERVATIONS ÉCRITES PAR :

Lorne Waldman                                                                                           pour le demandeur

                                                                            

Ann Margaret Oberst                                                                                  pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jackman, Waldman and Associates

Toronto (Ontario)                                                                                        pour le demandeur

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada                                                            pour le défendeur

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